Participaient à la séance : Emmanuelle WARGON, présidente, Anthony CELLIER, Ivan FAUCHEUX et Valérie PAGNOL, commissaires.
1. Contexte, saisine et compétence de la CRE
Les installations produisant de l'électricité à partir de biogaz et, le cas échéant, de la chaleur en cogénération sont soutenues, suivant leur typologie, par les dispositifs de guichets ouverts suivants :
- l'arrêté du 13 décembre 2016 (1) (dit « BG16 »), s'agissant des installations de production d'électricité par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute de puissance installée strictement inférieure à 500 kW ;
- l'arrêté du 9 mai 2017 (2) s'agissant de la production d'électricité par méthanisation des matières issues du traitement des eaux usées urbaines ou industrielles (STEP) ;
- l'arrêté du 3 septembre 2019 (3) s'agissant de la production d'électricité à partir du biogaz capté sur les installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND) : cet arrêté a cependant été abrogé (4), en application du décret n° 2019-527 du 27 mai 2019 modifiant l'éligibilité au complément de rémunération et à l'obligation d'achat, pris en application des décisions de la Commission européenne à la suite de la notification du dispositif de soutien à la filière (5).
En application des dispositions des articles L. 314-4 et L. 314-20 du code de l'énergie, la CRE a été saisie par courrier reçu le 16 août 2023 par la ministre de la transition énergétique d'un projet d'arrêté visant à modifier l'arrêté « BG16 ».
Ce projet d'arrêté modifie la temporalité de l'indexation annuelle des tarifs de référence par le coefficient « L » pour les installations dont le contrat a pris effet à compter du 1er janvier 2021, en faisant démarrer la période d'indexation à la date de demande de contrat et non plus à la date de sa prise d'effet. L'objectif annoncé de cette mesure est de permettre aux installations concernées de faire face à la « situation économique exceptionnelle rencontrée depuis le début de l'année 2020 ».
2. Modification apportée par le projet d'arrêté
L'arrêté tarifaire « BG16 » en vigueur prévoit une indexation annuelle des tarifs de référence à partir de la date de prise d'effet du contrat, censée protéger le producteur contre les évolutions de ses coûts d'exploitation une fois son investissement réalisé. Les tarifs sont ainsi indexés par application d'un coefficient L défini comme suit :
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formule dans laquelle :
- ICHTrev-TS1 est l'indice du coût horaire du travail révisé en France (tous salariés) dans les industries mécaniques et électriques ;
- FM0ABE0000 est l'indice des prix à la production de l'industrie française pour le marché français pour l'ensemble de l'industrie ;
- ICHTrev-TS10 et FM0ABE00000 sont les dernières valeurs définitives de ces indices connues à la prise d'effet du contrat.
Afin de pallier les difficultés économiques subies par les contrats ayant pris effet après le 1er janvier 2021, l'arrêté modificatif objet de cette délibération propose d'avancer a posteriori la date considérée pour les indices de référence ICHTrev-TS10 et FM0ABE00000, pour prendre en compte les valeurs définitives des indices au moment de la demande complète de contrat, et non plus au moment de la prise d'effet du contrat.
3. Analyse de la CRE
3.1. Etat du développement de la filière
Les objectifs de développement concernant la filière de production d'électricité à partir de biogaz pour les installations de méthanisation (hors stations d'épuration et installations de stockage de déchets non dangereux) ont été fixés par la PPE actuelle (2019-2028) à 270 MW installés à l'horizon 2023 et entre 340 et 410 MW installés à l'horizon 2028. Les objectifs PPE 2023 pour la filière méthanisation ont été atteints en 2021 (cf. graphique ci-dessous). A la fin du deuxième trimestre 2023, 854 installations de méthanisation étaient raccordées au réseau pour une capacité totale de 301 MW.
Au niveau de l'ensemble des filières de production d'électricité au biogaz, fin 2018, 635 installations étaient raccordées au réseau (456 MW), parmi lesquelles 453 installations de méthanisation (163 MW), 154 installations de stockage de déchets non dangereux (269 MW) et 28 stations d'épuration (24 MW) (6).
Depuis 2018, la dynamique de la filière est principalement portée par les installations soutenues via l'arrêté « BG16 », comme le montre le graphique ci-après (données issues des déclarations annuelles des charges de service public de l'énergie). Les installations soutenues via les précédents arrêtés tarifaires en vigueur ont pour la plupart déjà été mises en service.
Enfin, le tarif d'achat moyen de l'électricité de ces installations en 2022 a été de 186,4 €/MWh.
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3.2. Analyse de la CRE
Le projet d'arrêté prévoit une modification des conditions de rémunération des producteurs applicable aux contrats ayant pris effet à partir du 1er janvier 2021. Cette mesure règlementaire s'applique donc à des contrats en cours.
D'après les données dont elle dispose, la CRE estime que la modification proposée par le projet d'arrêté modificatif concernerait 136 installations parmi celles déjà en service (7) ; leurs tarifs augmenteraient en moyenne (depuis le début de l'indexation) de 13 % au lieu de 7 % en moyenne sans cette modification. La CRE ne dispose pas de données sur l'évolution des coûts spécifiques à cette filière et n'est donc pas à même d'évaluer de façon précise les surcoûts engendrés par l'inflation subie par les installations de production de biogaz.
La CRE comprend que cette mesure devrait avoir pour effet :
- d'offrir un complément de revenu à des installations déjà en service ;
- de mieux couvrir le risque d'évolution des coûts d'exploitation en phase de développement pour les nouvelles installations (logique de dérisquage des projets).
Dans la mesure où les coûts d'exploitation d'une installation évoluent également en phase de développement, la CRE est fondamentalement favorable à une couverture de cette évolution via un coefficient d'indexation. Cependant, elle émet deux réserves sur le dispositif envisagé.
1. Tout d'abord, s'agissant des projets déjà en service, la CRE s'interroge sur la nécessité d'une telle mesure en l'absence de blocage de développement des projets. S'il s'agit d'aider globalement les porteurs de projets à faire face à des coûts d'exploitation en hausse, elle estime que la mesure n'est pas adaptée aux objectifs poursuivis et qu'il conviendrait davantage de s'interroger sur la pertinence de la formule d'indexation utilisée. Au vu des délais qui lui sont impartis, la CRE n'a pas pu mener une telle analyse.
Par ailleurs, en considérant tous les projets s'étant mis en service à partir du 1er janvier 2021, la mesure sélectionne des projets qui se sont développées/construits bien avant la crise, et qui n'ont donc pas forcément vu une hausse considérable de leurs coûts pendant la phase de développement. La CRE note que pour certains contrats mis en service avant le second semestre 2021, la modification envisagée conduirait même à diminuer le tarif qui leur serait applicable en 2023.
La CRE recommande donc de modifier la période d'application de la mesure, en se concentrant sur 1) les projets ayant déposé leur demande complète de contrat après le 1er janvier 2021 (schématiquement, après le début du phénomène d'inflation, cf. graphique ci-dessous) et 2) les projets dont le contrat de soutien n'a pas encore pris effet au moment de la publication de l'arrêté modificatif.
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2. La CRE recommande d'harmoniser les mesures applicables aux différentes filières en matière d'indexation. S'agissant des futures installations, elle recommande de s'aligner dans la mesure du possible avec les autres filières de soutien aux énergies renouvelables (et notamment aux filières photovoltaïque et éolien à terre) pour les futurs projets de la filière. Il serait notamment pertinent d'introduire une indexation des tarifs d'achat de référence via l'application d'un coefficient K : cette indexation, qui prendrait en compte des indices reflétant l'évolution des CAPEX et des OPEX des projets interviendrait entre la publication de l'arrêté et le bouclage financier du projet. L'indice L prendrait ensuite le relais annuellement, afin d'indexer le tarif d'achat sur les OPEX du projet, qui peuvent être amenés à évoluer tout au long de la durée du contrat.
Avis de la CRE
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a été saisie par un courrier reçu le 16 août 2023 par la ministre de la transition énergétique d'un projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d'achat pour l'électricité produite par les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation et d'une puissance installée strictement inférieure à 500 kW.
Ce projet d'arrêté a pour objet de modifier la date de référence pour le calcul du coefficient d'indexation L ; ce dernier serait calculé à partir de la date de demande complète de contrat, et non plus à partir de la prise d'effet de celui-ci. Cette modification s'applique à tous les contrats en cours ayant pris effet à partir du 1er janvier 2021.
La CRE estime qu'il est théoriquement pertinent de couvrir l'évolution des coûts d'exploitation des installations en amont de leur mise en service via une formule d'indexation. Toutefois, elle recommande de limiter l'application de la mesure aux installations ayant déposé leur demande complète de contrat 1) après le 1er janvier 2021 ou 2) avant le 1er janvier 2021 mais dont le contrat n'a pas encore pris effet, afin de cibler les installations ayant effectivement subi le phénomène d'inflation des dernières années durant leur phase de développement.
Pour les contrats futurs, la CRE recommande d'harmoniser les conditions d'indexation avec les autres filières de production renouvelable, en introduisant un coefficient K permettant d'indexer le tarif d'achat sur les évolutions des CAPEX et des OPEX en amont de la mise en service du projet. La CRE recommande également de mener une analyse sur la pertinence de la formule utilisée pour la détermination du coefficient d'indexation L, en se basant sur des données de coûts spécifiques à la filière et actualisées. Au vu des délais qui lui sont impartis, la CRE n'a pas pu mener une telle analyse dans le cadre de la présente délibération.
La présente délibération sera publiée sur le site internet de la CRE et transmise à la ministre de la transition énergétique ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.