Synthèse
Le Haut Conseil des finances publiques estime que les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2023 et 2024 du Programme de stabilité, inchangées par rapport à celles du projet de loi de programmation des finances publiques déposé en septembre 2022, ne sont pas hors d'atteinte, mais semblent optimistes.
Même si l'inflation mesurée en glissement annuel devrait commencer à se replier dans le courant de l'année 2023, le reflux attendu par le Gouvernement paraît rapide, si bien que les prévisions d'inflation, révisées en hausse pour 2023 (à 4,9 %) mais en baisse pour 2024 (à 2,6 %), paraissent un peu sous-estimées.
Le Haut Conseil estime que la prévision de croissance de la masse salariale pour 2023 (6,1 %), révisée en hausse d'un point, est plausible, mais que celle pour 2024 (3,4 %) est un peu basse.
Ainsi qu'il l'avait indiqué dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, le Haut Conseil considère que la prévision de croissance effective (1,7 % en moyenne par an sur la période 2025-2027) est élevée. Elle repose notamment sur une hausse de la consommation des ménages nettement supérieure à celle enregistrée avant la crise sanitaire expliquée en partie par la baisse de leur taux d'épargne, possible mais non acquise. Ces prévisions de croissance et de consommation résultent d'hypothèses avantageuses de croissance potentielle (1,35 % par an de 2023 à 2027) et d'écart de production en 2022 (- 1,1 point de PIB potentiel). Celles-ci supposent des gains de productivité sensiblement plus élevés que ce que laissent attendre les tendances récentes et une augmentation de l'emploi total, liée notamment aux réformes des retraites et de l'assurance-chômage, qui paraît surestimée.
Ce scénario est ainsi nettement plus favorable que celui de la Commission européenne, alors que celui-ci est appelé à guider les objectifs de dépenses qui devraient être fixés à partir de 2024 lorsque la réforme de la gouvernance européenne des finances publiques en cours de discussion sera adoptée.
Alors que le Haut Conseil des finances publiques avait relevé le caractère « peu ambitieux » des objectifs de déficit et de dette affichés dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, il note que le Gouvernement a révisé ces objectifs à l'horizon de 2027 dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'impératif de désendettement sur lequel le Haut Conseil a maintes fois mis l'accent.
Le Haut Conseil constate toutefois que cette trajectoire de finances publiques s'appuie sur un scénario macroéconomique inchangé, comprenant une hypothèse de croissance favorable, sans laquelle le déficit resterait plus important à l'horizon 2027 et le ratio de dette recommencerait à croître à partir de 2024.
En outre, cette trajectoire appelle la mise en œuvre sur plusieurs années d'efforts de maîtrise de la dépense d'une ampleur supérieure à ceux qui ont pu être mis en œuvre par le passé, alors que leur calendrier et leurs modalités concrètes restent toujours imprécis. Elle suppose aussi que les mesures annoncées de baisse de prélèvements obligatoires ne soient pas intégralement mises en œuvre ou qu'elles soient compensées par des hausses d'autres prélèvements ou des réductions de dépenses fiscales.
Le Haut Conseil note que si le Programme de stabilité permet de fixer des objectifs de finances publiques, il ne saurait se substituer à une programmation qui fait actuellement défaut. Il réitère donc son appel à l'adoption rapide d'une loi de programmation des finances publiques. Celle-ci devrait afficher une trajectoire crédible de réduction de la dette publique, reposant sur des hypothèses macroéconomiques réalistes et une stratégie claire et documentée de maîtrise de la dépense publique et de prélèvements obligatoires.
Observations liminaires
1. En application de l'article 61-VIII de la loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances modifiée, le Haut Conseil des finances publiques est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de Programme de stabilité établi au titre de la coordination des politiques économiques des Etats membres de l'Union européenne.
2. Le Programme de stabilité doit être transmis chaque année aux institutions européennes avant le 30 avril (article 4 du règlement (CE) n° 1466/97) et communiqué au Parlement français deux semaines auparavant (article 14 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014).
1. Sur le périmètre du présent avis
3. Aux termes de l'article 61-VIII susmentionné, le Haut Conseil des finances publiques est saisi pour avis des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le Programme de stabilité.
4. Le présent avis examine aussi la trajectoire de finances publiques associée, compte tenu des liens étroits qu'elle entretient avec le scénario macroéconomique.
2. Sur les informations transmises et les délais
5. Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement, le 20 avril 2023, du cadrage macroéconomique du projet de Programme de stabilité. Cette saisine a été accompagnée de réponses détaillées à un questionnaire adressé au préalable aux administrations compétentes.
6. Le délai d'à peine six jours laissé au Haut Conseil pour rendre son avis sur un texte important est extrêmement court, sans qu'aucune urgence ne le justifie.
3. Sur la méthode utilisée par le Haut Conseil
7. Afin d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité, le Haut Conseil s'est fondé sur les dernières statistiques disponibles ainsi que sur les informations communiquées par le Gouvernement.
8. Le Haut Conseil s'est également appuyé sur les dernières prévisions produites par un ensemble d'organismes comprenant des institutions internationales et nationales : la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), la Banque Centrale Européenne (BCE), l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la Banque de France et des instituts de conjoncture tels que Rexecode et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
9. Le Haut Conseil a procédé, comme le permet l'article 61-IX de la loi organique, à l'audition des représentants de la direction générale du Trésor et de la direction du budget, et à celle d'organismes extérieurs (Banque de France, OFCE, INSEE et Rexecode) sur les perspectives de court et moyen terme de l'économie française.
10. Le Haut Conseil expose tout d'abord ses observations sur les prévisions pour 2023 et 2024 (I), puis formule son appréciation des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le Programme de stabilité du Gouvernement pour les années 2025 à 2027 (II).
I. - Contexte international
11. L'activité économique a mieux résisté qu'anticipé à la crise énergétique qui a suivi le début de la guerre en Ukraine et au choc inflationniste qui en a résulté. Depuis le début de l'année 2023, des signes positifs ont commencé à apparaître et laissent entrevoir une amélioration de la conjoncture : les enquêtes auprès des entreprises indiquent une stabilisation ou un rebond de l'activité, les prix des matières premières baissent depuis plusieurs mois et l'économie chinoise a amorcé sa réouverture. Le risque de récession s'éloigne en 2023 et un redressement de la croissance dans les principales économies paraît envisageable au second semestre.
Graphique 1. - Cours des matières premières en euros
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : INSEE.Liens relatifs
12. Cette amélioration résulte avant tout de l'évolution des prix de l'énergie qui reculent significativement depuis l'été 2022 : le prix du pétrole brut (Brent) a baissé de plus 110 $ le baril en juillet 2022 à environ 85 $ en avril 2023, alors que celui du gaz était divisé par 5 en Europe sur la même période. Les ruptures d'approvisionnement en gaz et en électricité ne se sont pas matérialisées durant l'hiver grâce à un temps clément, à une réduction de la consommation d'énergie et à une diversification des fournisseurs. Parallèlement, les marchés du travail restent globalement dynamiques et soutiennent la progression des revenus, compensant en partie la perte de pouvoir d'achat que de nombreux ménages ont enregistrée avec la hausse des prix.
13. L'économie américaine a poursuivi sa croissance fin 2022, à un rythme cependant un peu plus modéré, soutenue notamment par la consommation des ménages. Le marché du travail reste tendu, avec des créations d'emplois élevées, un taux de chômage bas et une croissance des salaires dynamique. Même si l'inflation semble avoir atteint son pic mi-2022, sa décrue est lente : en mars, la hausse des prix à la consommation s'est élevée à 5,0 % en glissement annuel et à 5,6 % pour l'inflation sous-jacente. La Réserve Fédérale poursuit par conséquent sa politique de remontée de ses taux directeurs qui atteignent désormais 4,75-5,00 %. Ce resserrement monétaire pourrait entraîner un ralentissement de l'économie américaine au cours des prochains mois et limiter la reprise attendue en 2024.
14. Dans la zone euro, le recul des prix de l'énergie et le dynamisme du marché du travail ont permis d'échapper à la récession durant l'hiver 2022-2023. La croissance devrait rester faiblement positive en 2023 et 2024, y compris en Allemagne où les perspectives économiques ont été révisées à la hausse (le dernier rapport du Conseil des 5 sages prévoit ainsi une croissance de 0,2 % en 2023, puis 1,3 % en 2024). Conséquence de la baisse des prix énergétiques, l'inflation dans la zone euro a diminué en mars pour le 5e mois consécutif à 6,9 % en glissement annuel. Ce ralentissement des indices de prix globaux ne s'accompagne cependant pas d'une baisse de l'inflation sous-jacente qui a de nouveau augmenté en mars pour atteindre 5,7 % en glissement annuel. Dans l'ensemble de la zone euro, les salaires en particulier dans les services, enregistrent de fortes progressions qui devraient dans les prochains mois soutenir l'inflation.
15. Après une année de faible croissance en 2022, l'activité économique en Chine devrait se renforcer en 2023 et soutenir l'économie mondiale. L'abandon de la politique zéro Covid a entraîné un rebond de la demande privée et du secteur des services depuis le début de l'année, et la consommation des ménages pourrait bénéficier d'effets importants de rattrapage au cours des prochains mois.
16. Les conditions financières se sont nettement durcies depuis le début de 2022. Les banques centrales resserrent leurs politiques monétaires, entraînant une forte hausse des taux souverains depuis début 2022. La BCE a notamment relevé son taux de dépôt de 50 points de base (pb) puis de 300 pb, soit une hausse de 350 pb en un an, et les déclarations des membres du directoire de la BCE laissent anticiper une poursuite du resserrement monétaire afin d'agir sur l'inflation. Les craintes sur la santé des établissements financiers nées après la faillite de trois banques aux Etats-Unis, dont la Silicon Valley Bank, le rachat en urgence de Crédit Suisse par UBS et les turbulences sur les marchés ont parallèlement renchéri transitoirement les coûts de financement et devraient réduire plus durablement l'offre de crédit.
17. L'amélioration des perspectives économiques demeure par conséquent fragile. L'impact des changements de politique monétaire sur l'activité et sur l'inflation est entouré d'incertitudes. La hausse des taux d'intérêt pourrait accroître les vulnérabilités financières liées à un endettement élevé et provoquer des tensions sur les prix des actifs. Par ailleurs, les pressions sur les marchés mondiaux de l'énergie pourraient également réapparaître l'hiver prochain, dans un contexte de hausse de la demande asiatique, entraînant de nouvelles flambées des prix et une hausse de l'inflation. Enfin, les incertitudes entraînées par la guerre en Ukraine restent élevées.
Graphique 2. - Indicateur de sentiment économique (ESI) en zone euro publié par la Commission européenne
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : Commission européenne.Liens relatifs
II. - Observations sur les prévisions pour 2023 et 2024
1. Le scénario du Gouvernement
18. Selon la saisine du Gouvernement, « Après la forte hausse de + 2,6 % en 2022, l'activité en France augmenterait de + 1,0 % en 2023 puis + 1,6 % en 2024. […] L'inflation resterait élevée en moyenne annuelle en 2023, à + 4,9 % (après + 5,2 % en 2022), avec un ralentissement progressif à partir de la mi-année de l'inflation en glissement annuel, puis refluerait en 2024 à + 2,6 %. »
19. La saisine indique que « en moyenne annuelle, la consommation des ménages progresserait très modestement. L'investissement des ménages se replierait, principalement du fait du resserrement des conditions de financement et d'une normalisation après des années 2021 et 2022 exceptionnelles. A l'inverse, l'activité bénéficierait de la résilience de l'investissement des entreprises, soutenu notamment par la baisse de la fiscalité sur la production, et du soutien de la demande publique. […] En 2024, la croissance repasserait au-dessus de son rythme tendanciel (+ 1,6 %), soutenue par un rebond du pouvoir d'achat, qui bénéficierait de revenus salariaux plus dynamiques que les prix, et des effets de rattrapage partiels concernant la consommation des ménages […] et les échanges extérieurs, qui retrouveraient une contribution légèrement positive […]. »
2. Appréciation du Haut Conseil
20. Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB en volume de 1,0 % en 2023 et de 1,6 % en 2024.
21. Les hypothèses de croissance mondiale du Gouvernement (2,8 % en 2023, 3,0 % en 2024) sont proches de celles des organisations internationales. Elles sont notamment identiques à celles d'avril 2023 du FMI et très proches de celles de mars de l'OCDE (2,6 % en 2023, 2,9 % en 2024). Le Gouvernement retient notamment une croissance en zone euro de 0,8 % en 2023 et 1,5 % en 2024, des prévisions similaires à celles du FMI et de l'OCDE (0,8 % et 1,4 %) et de la Commission européenne de février (0,9 % et 1,5 %).
22. La prévision de croissance en France du Gouvernement pour 2023 est en revanche supérieure à celle de la moyenne des prévisionnistes interrogés en avril par le Consensus Forecasts (0,5 %) et plus élevée que la borne supérieure des prévisions qu'il collecte (0,8 %). La prévision gouvernementale est ainsi la plus haute des prévisions recensées par le Haut Conseil (cf. tableau 1).
Tableau 1. - Prévisions de croissance du PIB en volume en France
(%, en moyenne annuelle)
Date de publication
2023
2024
Commission européenne
1er février
0,6
1,4
OCDE
17 mars
0,7
1,3
Banque de France
20 mars
0,6
1,2
Rexecode
22 mars
0,2
0,6
Consensus Forecasts
11 avril
0,5
1,0
FMI
11 avril
0,7
1,3
OFCE
13 avril
0,8
1,2
Gouvernement
20 avril
1,0
1,6
Sources : prévisions d'hiver de la Commission européenne de février 2023, perspectives économiques de l'OCDE de mars 2023, projections macroéconomiques de la Banque de France de mars 2023, Rexecode, Consensus Forecasts d'avril 2023, perspectives de l'économie mondiale du FMI d'avril 2023, Policy brief de l'OFCE d'avril 2023, Programme de stabilité 2023-2027.
23. La prévision de la croissance du PIB en 2023 repose sur un acquis de croissance limité à l'issue du 4e trimestre 2022, de 0,3 %, bien plus faible que fin 2021 pour 2022 (2,3 %). Alors que les enquêtes de conjoncture publiées par l'INSEE signalent une croissance modérée au 1er semestre, conformément aux prévisions disponibles (1), la croissance attendue en 2023 par le Gouvernement suppose un redressement important, et qui paraît élevé, de celle-ci au second semestre (2).
Graphique 3. - Climat des affaires en France
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : INSEE.Liens relatifs
24. Le Haut Conseil observe que la plupart des enchaînements retenus pour 2023 par le Gouvernement le sont également par les autres prévisionnistes : recul de l'investissement des ménages du fait du renchérissement du coût du crédit et d'un accès plus difficile au crédit immobilier ; progression plus modérée qu'en 2022 des exportations de biens et services dans un contexte de tassement de la croissance mondiale, mais de normalisation des livraisons aéronautiques ; moindre contribution des variations de stocks après l'important restockage observé en 2022 en raison des craintes de difficultés d'approvisionnement.
25. Le Gouvernement retient toutefois une progression particulièrement dynamique de l'investissement des entreprises non financières (+ 3,8 % en moyenne annuelle), qui, en dépit de la baisse des impôts de production (première partie de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE]), semble élevée au vu du durcissement en cours des conditions de financement et du tassement attendu de la demande extérieure comme intérieure. La hausse prévue de la consommation des ménages est proche de celle anticipée par la Banque de France, mais plus élevée que celle attendue par l'OFCE et Rexecode. Elle repose sur une hausse du pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages (+ 0,5 %), qui paraît surestimée du fait notamment d'une prévision d'inflation un peu basse.
26. La prévision de croissance du Gouvernement pour 2024 (+ 1,6 %) est également plus forte que celle du Consensus Forecasts d'avril (+ 1,0 %) et se situe tout en haut de la fourchette, large, de l'ensemble des autres prévisions disponibles (qui va de 0,5 % à 1,6 %). Elle repose essentiellement sur une forte augmentation de la consommation des ménages (+ 1,9 %), permise par une baisse du taux d'épargne (16,8 % contre 16,5 % en 2023), mais aussi par une progression soutenue du pouvoir d'achat du revenu des ménages, tenant notamment à une prévision d'inflation qui paraît un peu basse (cf. infra). Le Gouvernement prévoit ainsi une hausse du pouvoir d'achat du revenu disponible brut des ménages de 1,5 % en moyenne annuelle en 2024, supérieure à la prévision de la Banque de France (+ 1,2 %) et nettement plus élevée que celle de l'OFCE (+ 0,3 %) et Rexecode (- 0,2 %).
27. La prévision d'inflation du Gouvernement pour 2023 (4,9 % en moyenne annuelle) a été révisée en hausse de 0,7 point par rapport à celle, inchangée jusqu'alors, du projet de loi de finances pour 2023 soumis au Haut Conseil en septembre 2022 (4,2 %).
28. Alors que l'acquis à fin mars, pour 2023, s'élève déjà à 4,0 % pour l'inflation totale, l'atteinte de la prévision du Gouvernement implique un net tassement de la hausse mensuelle des prix à la consommation (à + 0,2 % en moyenne) par rapport à celle observée ces derniers mois (+ 0,6 % en moyenne sur les six derniers mois et + 0,8 % sur les trois derniers mois).
29. Un tassement aussi important, en dépit de l'atténuation des tensions sur les prix des matières premières, semble peu probable, alors que les prix des produits alimentaires devaient continuer à augmenter sous l'effet de la transmission des hausses passées de coûts de production et que les prix des services resteront soutenus par la forte progression des salaires, liée aux difficultés de recrutement et à la compensation de l'inflation élevée (revalorisations passées et à venir du salaire minimum de croissance [SMIC] notamment).
30. Cette prévision est ainsi inférieure aux autres prévisions disponibles pour 2023 (cf. tableau 2), et notamment aux plus récentes d'entre elles (OFCE, Consensus Forecasts, Rexecode).
31. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une hausse de l'indice des prix à la consommation de 2,6 % en moyenne annuelle, une prévision révisée en baisse de 0,4 point par rapport à celle du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, alors même que les autres prévisionnistes ont revu, dans l'ensemble, en hausse leur prévision pour 2024 (3).
32. La prévision du Gouvernement s'appuie à la fois sur une baisse de l'inflation volatile (alimentaire et énergétique), qui semble plausible au vu du repli des cours des matières premières et des contraintes d'approvisionnement, et un reflux rapide de l'inflation sous-jacente (de 5,0 % à 2,7 %), qui suppose des effets de second tour très contenus, soit une hypothèse favorable alors que le Gouvernement prévoit des hausses de salaires élevées en 2023 (+ 5,2 % pour le salaire moyen par tête des branches marchandes non agricoles).
33. Ainsi, les prévisions d'inflation pour 2023 et 2024 paraissent un peu sous-estimées, comme cela été le cas régulièrement au cours des deux dernières années (cf. encadré), même si les incertitudes entourant l'évolution à venir des prix à la consommation restent importantes.
Tableau 2. - Prévisions d'inflation (indice CPI) en France
(%, en moyenne annuelle)
Date de publication
2023
2024
Banque de France (estimation tirée de la prévision d'IPCH)
20 mars
4,9
2,5
Rexecode
22 mars
5,5
3,1
Consensus Forecasts
11 avril
5,3
2,7
OFCE
13 avril
5,8
3,8
Gouvernement
20 avril
4,9
2,6
Sources : projections macroéconomiques de la Banque de France de mars 2023, Rexecode, Consensus Forecasts d'avril 2023, Policy brief de l'OFCE d'avril 2023, Programme de stabilité 2023-2027.
Retour sur les prévisions d'inflation pour les années 2022 et 2023
Depuis deux ans, les prévisions d'inflation du Gouvernement comme celles du Consensus Forecasts sont fortement révisées en hausse en cours d'année.
Dans le Programme de stabilité publié en avril 2021, l'inflation était attendue à 0,8 % en moyenne annuelle en 2022. En conséquence des déséquilibres laissés par la crise sanitaire, puis de la guerre en Ukraine, elle n'a cessé d'être révisée en hausse au fil des mois, pour atteindre 5,3 % dans le PLF pour 2023, un niveau proche de celui finalement observé en moyenne sur l'année, estimé à 5,2 % par l'INSEE. Les prévisions du Consensus Forecasts ont suivi globalement la même trajectoire. Elles ont toutefois dépassé celles du Gouvernement dès novembre 2021.
Le même scenario semble se dessiner pour l'année 2023. Attendue à 1,2 % dans le Programme de stabilité 2021-2027, l'inflation est désormais prévue à 4,9 % dans le Programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, contre une prévision du Consensus Forecasts à 5,3 %.
Evolution des prévisions d'inflation du Gouvernement et du Consensus Forecasts pour les années 2022 et 2023
Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page
Sources : Consensus Forecasts, Gouvernement.
34. Le Haut Conseil avait estimé, dans son avis sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, que l'hypothèse de croissance de la masse salariale du secteur marchand de 5,0 % en 2023 était un peu basse, en particulier du fait d'une prévision de l'évolution du salaire moyen par tête (4,2 %) inférieure aux autres prévisions disponibles et des perspectives d'inflation pour 2023. En cohérence avec la révision à la hausse de la prévision d'inflation, la progression prévue de la masse salariale a été rehaussée à 6,1 % pour 2023. Cette révision est essentiellement imputable à celle du salaire moyen par tête (dont la croissance est passée de 4,2 % à 5,2 %). Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance de la masse salariale de 3,4 % et du salaire moyen par tête de 2,8 %.
35. La prévision pour 2023 est à présent plausible. Toutefois, la progression du salaire moyen par tête de respectivement 5,2 % et 2,8 % en 2023 et 2024 implique un ralentissement très marqué au cours de l'année 2024. De ce fait, la prévision de salaire moyen pour 2024 apparaît un peu basse, compte tenu notamment de la hausse encore forte de l'inflation attendue pour 2023 et des délais habituels de transmission de l'inflation passée aux salaires.
36. La prévision d'emploi dans le secteur marchand non agricole pour 2023 a été également légèrement revue à la hausse (0,9 % contre 0,7 % dans le PLFRSS 2023), traduisant des gains de productivité quasi nuls (0,1 %). Cette prévision est plus élevée que celle des principaux organismes de conjoncture qui tablent tous sur un ralentissement plus net du marché de travail, voire sur des pertes d'emplois en 2023 en partie du fait d'une prévision de croissance elle aussi plus faible. Dans un contexte où les gains de productivité restent quasi inexistants et où les indicateurs conjoncturels ne montrent pas de signe de retournement de l'emploi, la prévision du Gouvernement reste toutefois plausible.
37. En 2024, la prévision d'emploi marchand non agricole (0,7 %) est affectée de facteurs jouant dans le sens respectivement de la surestimation et de la sous-estimation. La croissance de l'activité, considérée comme un peu élevée par le Haut Conseil, va ainsi dans le sens de la surestimation de l'emploi. Inversement, l'hypothèse de productivité, qui apparaît élevée dans le secteur marchand (1,2 %) par rapport à la tendance observée depuis le déclenchement de la crise sanitaire, va dans le sens d'une sous-estimation de l'emploi. Au total, ces facteurs pourraient se neutraliser.
38. Le Haut Conseil estime que les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2023 et 2024 du Programme de stabilité, inchangées par rapport à celles du projet de loi de programmation des finances publiques déposé en septembre 2022, ne sont pas hors d'atteinte, mais semblent optimistes. Elles sont les plus élevées, pour ces deux années, des prévisions recensées par le Haut Conseil.
39. Même si l'inflation mesurée en glissement annuel devrait commencer à se replier dans le courant de l'année 2023, le reflux attendu par le Gouvernement paraît rapide, si bien que les prévisions d'inflation, révisées en hausse pour 2023 (à 4,9 %) mais en baisse pour 2024 (à 2,6 %), paraissent un peu sous-estimées.
40. Le Haut Conseil estime que la prévision de croissance de la masse salariale pour 2023 (6,1 %), révisée en hausse d'un point, est plausible, mais que celle pour 2024 (3,4 %) est un peu basse.
III. - Observations sur le scénario macroéconomique pour les années 2025 à 2027
41. Les prévisions du Programme de stabilité en matière de croissance et d'inflation à l'horizon 2027 doivent être examinées au regard de la croissance potentielle que la France peut atteindre à utilisation inchangée des facteurs de production et de la position de l'économie française dans le cycle. Celle-ci s'apprécie à partir de l'écart de production (output gap), correspondant à l'écart entre le PIB en volume observé et le PIB potentiel. Le PIB potentiel est défini comme la production qui serait obtenue une fois éliminés les chocs temporaires qui affectent l'économie, en mobilisant à leur niveau d'équilibre les facteurs de production. L'écart de production constitue ainsi, quand il est négatif, un indicateur de la capacité de rebond de l'activité économique, et, quand il est positif, signale une perspective de ralentissement.
A. - La croissance potentielle et l'écart de production
1. Le scénario du Gouvernement
42. Selon la saisine du Gouvernement, « Le scénario potentiel sous-jacent à la prévision macroéconomique du Gouvernement n'a pas été révisé depuis son actualisation de 2022. Notamment, ce scénario comprend un impact total de la crise covid sur le PIB potentiel en niveau de ¾ pt. […] A partir de 2022, la croissance potentielle s'établirait à + 1,35 %, identique au niveau prévu avant-crise. La capacité productive de l'économie serait soutenue par les réformes passées et à venir et les investissements du Gouvernement, qui contribueraient notamment à accroître l'offre de travail et à atteindre le plein emploi. »
43. « L'écart de production s'établirait alors à − 1,3 point en 2024. […] Par la suite, la croissance serait supérieure à son rythme potentiel de 1,35 % sur la période 2025-2027, à la fin de laquelle l'écart de production serait complètement fermé. »
2. Appréciation du Haut Conseil
44. Le Gouvernement a maintenu la trajectoire de croissance potentielle publiée dans le Rapport économique, social et financier pour 2023 reposant notamment sur des hypothèses de croissance de 1,35 % par an entre 2023 et 2027 et une perte de PIB potentiel en niveau due à la crise sanitaire de ¾ point.
45. Le Gouvernement a également conservé son estimation d'un écart de production très creusé en 2022 (- 1,1 point), en ajustant à la marge la trajectoire entre 2023 et 2025 en raison d'une croissance en 2022 légèrement plus faible qu'escompté.
46. Cette évaluation de l'écart de production se situe dans le bas de la fourchette des organisations internationales (0,2 % pour la Commission européenne, - 0,7 % pour le FMI et - 1,5 % pour l'OCDE).
47. En outre, une estimation d'écart de production aussi creusée traduit une sous-utilisation importante des facteurs de production peu compatible avec les tensions actuellement observées sur le marché du travail. Ces dernières sont à un point haut historique et d'une ampleur supérieure à celles enregistrées en 2019, une période marquée par un écart de production nettement positif. Si le Gouvernement justifie notamment son hypothèse par un potentiel de rebond de la production dans certains secteurs (automobile, aéronautique), le niveau des difficultés de recrutement suggère de faibles marges pour augmenter durablement la production à l'échelle de l'ensemble de l'économie.
Graphique 4. - Difficultés de recrutement en France
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : INSEE.Liens relatifs
48. L'évaluation de croissance potentielle du Gouvernement (+ 1,35 % par an de 2023 à 2027) est proche de celle du FMI (1,3 %) et de celle de l'OFCE (1,2-1,3 % par an sur la période 2022-2024), mais supérieure à celles de la Commission européenne et de l'OCDE (1,1 % en moyenne sur 2023-2024) ainsi qu'à celle de Rexecode, qui estime la croissance potentielle à 0,9 %.
49. La prévision de croissance potentielle du Gouvernement est également plus élevée que l'estimation, proche de 1 %, qui peut en être faite en répliquant la méthodologie présentée par la direction générale du Trésor en préparation de l'avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027, en se fondant sur les dernières projections de population active de l'INSEE et en prolongeant la tendance de la productivité d'avant-crise, tout en tenant compte des effets de la réforme des retraites et des autres réformes annoncées ou en cours de mise en œuvre (4).
50. Au total, du fait de choix favorables à la fois sur le niveau de l'écart de production en début de période et sur la croissance potentielle ultérieure, la trajectoire de PIB potentiel du Gouvernement se révèle supérieure à la fois à celle de la Commission européenne (de + 3,1 % en 2027) et à celle du FMI (de + 0,8 % en 2027).
Graphique 5. - Comparaison des prévisions de PIB potentiel en France
(PIB potentiel en Md€ en volume)
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : prévisions économiques d'automne de la Commission européenne (novembre 2022), perspectives économiques de l'OCDE (novembre 2022) et perspectives de l'économie mondiale du FMI (avril 2023) et Programme de stabilité du Gouvernement 2023-2027.Liens relatifs
51. En particulier, le Gouvernement estime à 0,3-0,4 point entre 2023 et 2027 la contribution du facteur travail à la croissance potentielle, en supposant que l'impact d'un ensemble de réformes (du revenu de solidarité active, des retraites, de l'assurance-chômage, de l'apprentissage, création de France Travail…) ferait plus que compenser le ralentissement de la population active projeté par l'INSEE. Le Gouvernement avance un objectif de l'ordre de 100 000 à 150 000 emplois créés à moyen terme suite à l'application depuis le 1er février 2023 de la nouvelle réforme de l'assurance-chômage, et de 200 000 emplois à horizon 2027 suite à la réforme des retraites. L'effet avancé par le Gouvernement de la réforme des retraites - qui expliquerait environ le tiers de l'estimation de la contribution du facteur travail à la croissance potentielle - semble cohérent avec les estimations existantes sur l'impact à moyen terme d'un relèvement de l'âge légal de départ mais suppose des délais d'ajustement très rapides du marché du travail à l'augmentation qui en résulte du taux d'activité des seniors. S'agissant de l'impact de l'assurance chômage, le Haut Conseil n'a pas obtenu d'informations détaillées sur le chiffrage avancé par le Gouvernement. Le Gouvernement mentionne, à l'appui de ce chiffrage, une étude non publiée du ministère du travail. Dans son évaluation de la réforme, l'Unédic relève quant à lui que, si une réduction de la durée des droits au chômage induit une réduction de la durée moyenne passée au chômage, les études disponibles ne permettent pas de conclure sur l'effet total au niveau de l'emploi. Le Haut Conseil considère donc que l'impact de l'ensemble de ces réformes sur la croissance potentielle est surestimé.
52. Il subsiste en outre des aléas négatifs importants, communs à l'ensemble des évaluations disponibles de croissance potentielle, liés (i) aux traces laissées par la crise sanitaire sur le secteur productif et le niveau de compétences de la main-d'œuvre, (ii) à l'importance des contraintes auxquelles l'économie française fait face à moyen terme (transition écologique, endettement public et privé).
53. En conséquence, le Haut Conseil renouvelle l'appréciation qu'il avait déjà portée dans ses avis sur le précédent Programme de stabilité et sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027 selon laquelle l'estimation de la croissance potentielle par le Gouvernement est optimiste.
54. Le Haut Conseil estime que les hypothèses de croissance potentielle (1,35 % par an de 2023 à 2027) et d'écart de production en 2022 (- 1,1 point de PIB potentiel) sont avantageuses. Celles-ci supposent des gains de productivité sensiblement plus élevés que ce que laissent attendre les tendances récentes et une augmentation de l'emploi total, liée notamment aux réformes des retraites et de l'assurance-chômage, qui paraît surestimée.
B. - Observations sur le scénario macroéconomique pour les années 2025 à 2027
1. Le scénario du Gouvernement
55. Selon le Gouvernement, « La croissance s'établirait à + 1,7 % en 2025 et 2026, puis + 1,8 % en 2027. »
56. « Sur la période 2023-2027, l'emploi salarié marchand non agricole serait dynamique, sous l'effet des mesures en faveur de l'emploi […] En moyenne entre 2023 et 2027, 185 000 emplois salariés marchands seraient créés chaque année, ce qui permettrait d'atteindre le plein emploi à horizon 2027. »
57. Dans sa saisine, le Gouvernement indique que « L'inflation diminuerait à + 2,0 % en 2025, sous l'effet d'une normalisation progressive des salaires, facilitée par l'ancrage des anticipations d'inflation. A partir de 2025, l'inflation serait de + 1,75 %, un niveau compatible avec la cible de la Banque centrale européenne. »
58. Le Gouvernement précise néanmoins que « L'évolution des cours internationaux des matières premières et de l'énergie demeure incertaine. […] Le niveau des taux d'intérêt et l'ampleur de leur impact sur l'économie constituent également un aléa majeur. […] De surcroît, les turbulences financières aux Etats-Unis et en Suisse ont accentué les risques sur les marchés financiers, même si les réactions rapides des autorités de supervision de ces pays et les développements récents semblent écarter une contagion à l'ensemble de la finance mondiale. […] Cette prévision est également entourée d'aléas positifs. Ainsi, une normalisation accélérée du taux d'épargne des ménages, ou un rattrapage plus rapide des pertes de performances à l'exportation, par exemple en lien avec la baisse continue des tensions d'approvisionnement, contribueraient à davantage stimuler la croissance au début de la chronique de prévision. Enfin, si un rebond plus marqué de l'activité en Chine pèserait sur les prix des matières premières, il aurait un effet d'entraînement sur l'activité et le commerce mondial, notamment pour certains de nos partenaires directs comme l'Allemagne. »
2. Appréciation du Haut Conseil
59. Le scénario macroéconomique qui a servi de référence pour déterminer les trajectoires budgétaires pour les années 2025-2027 est similaire à celui présenté dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, sur lequel le Haut Conseil s'est prononcé dans l'avis n° 2022-5.
60. Les hypothèses de croissance effective de 2025 à 2027 sont inchangées par rapport à celles du projet de loi de programmation des finances publiques 2023-2027. La croissance du PIB en volume serait ainsi de 1,7 % en 2025 et 2026 et de 1,8 % en 2027, soit une croissance effective de 1,6 % en moyenne par an sur l'horizon du Programme de stabilité. La prévision de la croissance du PIB en volume du Gouvernement est plus élevée que celle publiée par le FMI en avril 2023 (1,4 % en moyenne par an entre 2023 et 2027) et celle du Consensus Forecasts (1,2 % en moyenne par an).
61. Le scénario du Gouvernement suppose ainsi que l'économie française aurait une croissance supérieure à son potentiel à partir de 2024 permettant un comblement complet de l'écart de production en 2027.
62. Le scénario de croissance du Gouvernement repose en premier lieu sur une augmentation soutenue de la dépense de consommation finale des ménages (+ 1,9 % par an entre 2025 et 2027). Cette forte hausse, nettement supérieure à celle enregistrée au cours des années précédant la crise sanitaire (1 % en moyenne entre 2010 et 2019) provient à la fois de celle du pouvoir d'achat, liée aux hypothèses optimistes sur l'emploi et les gains de productivité qui ont servi à construire le scénario de croissance potentielle, et d'une baisse du taux d'épargne, possible mais pas acquise.
63. Ce scénario de croissance repose également, dans une moindre mesure, sur une hausse significative de la consommation des administrations publiques (+ 1,3 % en moyenne entre 2025 et 2027), révisée significativement à la hausse par rapport au projet de loi de programmation, qui ne prévoyait pas d'augmentation en 2025, et pour les années 2026 et 2027, des hausses de respectivement 0,6 % et de 0,8 %. Cette forte hausse paraît difficile à réconcilier avec l'effort affiché sur l'ensemble de la dépense publique.
64. Le Haut Conseil considère que la prévision de croissance effective pour les années 2025 à 2027 (+ 1,7 % en moyenne par an) est élevée. Elle repose notamment sur une hausse de la consommation des ménages, nettement supérieure à celle enregistrée avant la crise sanitaire, due en partie à la baisse de leur taux d'épargne, possible mais non acquise.
65. Ce scénario est ainsi nettement plus favorable que celui de la Commission européenne, alors que celui-ci est appelé à guider les objectifs de dépenses qui devraient être fixés à partir de 2024 lorsque la réforme de la gouvernance européenne des finances publiques en cours de discussion sera adoptée.
C. - Impact du scénario macroéconomique sur les finances publiques
66. Le Haut Conseil constate que le Programme de stabilité comprend des objectifs plus ambitieux que le projet de loi de programmation des finances publiques présenté en septembre 2022 (PLPFP 2023-2027), en matière de déficit (2,7 points de PIB au lieu de 2,9 points) et de réduction du ratio de dette à l'horizon 2027 (- 3,3 points au lieu de - 0,6 point). Ce dernier baisserait tout d'abord d'un point en 2023, grâce à la forte inflation attendue qui réduit mécaniquement le poids de la dette héritée du passé par un effet « dénominateur » ; il serait quasi stable ensuite de 2024 à 2026, puis baisserait à nouveau de près d'un point en 2027, grâce à la réduction prévue du déficit public.
67. Cette révision à la baisse des objectifs de déficit et de dette va dans le sens de la prise en compte de l'impératif de désendettement sur lequel le Haut Conseil a maintes fois mis l'accent, notamment dernièrement dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2022 (5).
68. Le déficit structurel prévu sur la période est aussi un peu moins élevé que celui inscrit dans le PLPFP 2023-2027 : après s'être stabilisé à 4,0 points de PIB potentiel en 2023, il est attendu en amélioration progressive, pour revenir à 2,6 points en 2027 (contre 2,8 points dans le PLPFP).
Tableau 3. - Solde public
(en points de PIB)
2022
2023
2024
2025
2026
2027
Solde public (au sens de Maastricht)
- 4,7
- 4,9
- 4,4
- 3,7
- 3,2
- 2,7
Solde structurel (% PIB potentiel)
- 4,0
- 4,0
- 3,6
- 3,1
- 2,8
- 2,6
Ajustement structurel
1,0
0,0
0,4
0,4
0,3
0,2
Pour rappel, solde public (au sens de Maastricht) prévu dans le PLPFP
- 5,0
- 5,0
- 4,5
- 4,0
- 3,4
- 2,9
Source : Programme de stabilité 2023-2027.
69. Le Programme de stabilité prévoit une diminution de la part de la dépense publique dans le PIB de 4,0 points (hors crédit d'impôts) : elle passerait de 57,5 points de PIB en 2022 à 53,5 points en 2027. Le ratio de dépenses publiques par rapport au PIB demeurerait toutefois supérieur à son niveau de 2019 (53,8 points de PIB) jusqu'en 2026 où il s'établirait encore à 54,0 points de PIB.
70. La diminution de ce ratio se réaliserait pour un peu plus de la moitié sur la période 2023-2024, en large partie sous l'effet de l'extinction des dépenses de soutien d'urgence et des mesures de soutien contre l'inflation. La dépense publique reprendrait ensuite une trajectoire de croissance en volume moins rapide que celle du PIB, en moyenne de 0,6 % par an sur la période 2025-2027, soit une croissance moindre que celle enregistrée sur les deux décennies précédentes, toutefois comparable à celle de la période 2010-2014, marquée par la crise de la zone euro. Cette progression de la dépense publique est supérieure à celle qui était retenue dans le PLPFP 2023-2027 (+ 0,4 % par an sur la période 2025-2027). Elle est toutefois en grande partie imputable à la révision à la hausse des charges d'intérêts de la dette publique (+ 0,3 point de PIB en moyenne par an sur la période 2025-2027 par rapport aux hypothèses du PLPFP).
71. Les efforts de maîtrise de la dépense reposeraient, selon les informations transmises au Haut Conseil, principalement sur la réforme des retraites (8 Md€ d'économies nettes attendues par le Gouvernement à horizon 2027), sur la mise en œuvre de la lettre de cadrage adressée aux Ministères pour identifier les économies dans l'objectif de baisser les dépenses à hauteur de 5 %, et sur les revues de dépenses programmées, dont aucune mesure d'économie n'a pour l'instant été documentée.
Graphique 6. - Taux de croissance de la dépense publique en volume (6)
(en %)
Vous pouvez consulter l'image dans le fac-similé duJOnº 0110 du 12/05/2023, texte nº 44
Source : INSEE, Programme de stabilité 2023-2027.Liens relatifs
72. Dans la prévision du Programme de stabilité, le taux de prélèvements obligatoires (7) baisse fortement en 2023, puis est globalement stable jusqu'en 2027.
73. La baisse du taux de prélèvements obligatoires traduit une évolution spontanée, c'est-à-dire à législation constante, très inférieure à celle du PIB en valeur (4,3 % contre 6,5 %) que le Gouvernement justifie notamment par un net ralentissement de l'impôt sur les sociétés, une baisse des droits de mutation à titre onéreux, en lien avec le retournement en cours du marché immobilier, et une croissance de la masse salariale inférieure à celle du PIB en valeur. Cette prévision paraît un peu basse : si la prévision de PIB en volume est un peu élevée, ce facteur de surestimation des prélèvements obligatoires est plus que compensé par l'impact de la sous-estimation probable de celles d'inflation et de masse salariale.
74. Au-delà, le Programme de stabilité retient une hypothèse de quasi-stabilité du taux de prélèvements obligatoires, supposant un retour au comportement de moyenne période de croissance des prélèvements spontanés en ligne avec celle du PIB et un impact légèrement positif des mesures nouvelles, ce qui suppose que les mesures de baisse annoncées ne soient pas intégralement mises en œuvre, ou qu'elles soient compensées par des hausses d'autres prélèvements.
75. Le Programme de stabilité est une obligation issue de la participation à l'Union économique et monétaire. Il est soumis à la Commission européenne, chaque année, pour examen et évaluation, afin de vérifier, notamment, la conformité de la politique économique de l'Etat membre avec les règles et les objectifs de l'Union.
76. La clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité et de croissance, qui permet un écart temporaire aux exigences budgétaires normalement applicables, est maintenue jusque fin 2023. Dans le contexte de sa désactivation à partir de 2024, la Commission européenne a estimé nécessaire de convenir de principes pour guider les Etats membres dans l'élaboration de leur Programme de stabilité ou de convergence en 2023 (8). Elle les a ainsi invités à fixer des objectifs budgétaires qui garantissent que le déficit public ne dépassera pas 3 points de PIB ou sera ramené sous les 3 points de PIB au cours de la période couverte par le Programme de stabilité ou de convergence et à garantir de manière crédible qu'à moyen terme le déficit public restera inférieur à 3 points de PIB sur la base de politiques inchangées (9).
77. La réduction du déficit public comme du déficit public structurel visée par le Programme de stabilité reste insuffisante pour satisfaire ces objectifs puisqu'elle ne laisserait pas de marges suffisantes pour maintenir le déficit public sous les trois points de PIB en cas de choc conjoncturel, même d'ampleur relativement modérée, de choc exogène de taux d'intérêt ou de croissance potentielle plus faible que prévu.
78. La réduction visée du ratio de dette est elle aussi fragile : elle suppose non seulement que la maîtrise de la dépense publique et l'absence de baisse nette de prélèvements obligatoires entre 2024 et 2027 prévues soient mises en œuvre, mais aussi que le scénario de croissance optimiste retenu par le Gouvernement se réalise.
79. Alors que le Haut Conseil des finances publiques avait relevé le caractère « peu ambitieux » des objectifs de déficit et de dette affichés dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, il note que le Gouvernement a révisé ces objectifs à l'horizon de 2027 dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'impératif de désendettement sur lequel le Haut Conseil a maintes fois mis l'accent.
80. Le Haut Conseil souligne toutefois que cette trajectoire de finances publiques s'appuie sur un scénario macroéconomique inchangé, comprenant une hypothèse de croissance favorable, sans laquelle le déficit resterait plus important à l'horizon 2027 et le ratio de dette recommencerait à croître à partir de 2024.
81. En outre, cette trajectoire appelle la mise en œuvre sur plusieurs années d'efforts de maîtrise de la dépense d'une ampleur supérieure à ceux qui ont pu être mis en œuvre par le passé, alors que leur calendrier et leurs modalités concrètes restent toujours imprécis. Elle suppose aussi que les mesures annoncées de baisse de prélèvements obligatoires ne soient pas intégralement mises en œuvre ou qu'elles soient compensées par des hausses d'autres prélèvements ou de réduction de dépenses fiscales.
82. Le Haut Conseil note que si le Programme de stabilité permet de fixer des objectifs de finances publiques, il ne saurait se substituer à une programmation qui fait actuellement défaut. Il réitère donc son appel à l'adoption rapide d'une loi de programmation des finances publiques. Celle-ci devrait afficher une trajectoire crédible de réduction de la dette publique, reposant sur des hypothèses macroéconomiques réalistes et une stratégie claire et documentée de maîtrise de la dépense publique et des prélèvements obligatoires.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et joint au Programme de stabilité lors de sa transmission par le Gouvernement au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne.
ANNEXE 1
SCÉNARIO MACROÉCONOMIQUE DU PROGRAMME DE STABILITÉ
2022
2023
2024
2025
2026
2027
Opérations sur biens et services en volume
Produit intérieur brut
2,6
1,0
1,6
1,7
1,7
1,8
Dépenses de consommation privée
2,8
0,2
1,9
1,9
1,9
1,9
Dépenses de consommation des APU
2,7
1,3
0,9
1,3
1,4
1,3
Formation brute de capital fixe
2,3
2,1
0,9
1,8
1,1
1,3
Importations de biens et services
9,1
3,1
3,0
3,5
3,3
3,3
Exportations de biens et services
7,1
3,5
3,6
3,9
3,9
3,9
Contributions à l'évolution du PIB en volume
Demande intérieure finale hors stocks
2,7
0,9
1,4
1,7
1,6
1,6
Commerce extérieur
- 0,7
0,0
0,1
0,1
0,1
0,1
Prix et valeur
Indice des prix à la consommation
5,2
4,9
2,6
2,0
1,75
1,75
Déflateur du produit intérieur brut
3,0
5,4
2,7
1,8
1,6
1,6
Produit intérieur brut en valeur
5,7
6,5
4,3
3,6
3,3
3,4
Emploi et salaires
Ensemble de l'économie :
- Emploi (personnes physiques) (10)
2,4
0,8
0,6
0,8
0,8
0,8
- Rémunération des salariés (y compris cotisations employeurs)
7,5
5,6
3,5
3,6
3,2
3,3
- Rémunération des salariés (y compris cotisations employeurs) moyenne par tête
5,0
4,8
3,0
2,8
2,4
2,5
Croissance potentielle et écart de production
Croissance potentielle du PIB (%)
1,35
1,35
1,35
1,35
1,35
1,35
Ecart de production (% PIB potentiel)
- 1,1
- 1,5
- 1,3
- 0,9
- 0,5
0,0
Source : ministère de l'économie et des finances (avril 2023).
(10) Population active occupée, en milliers, au sens des comptes nationaux.
Fait à Paris, le 25 avril 2023.
Pour le Haut Conseil des finances publiques :
Le premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques,
P. Moscovici
(1) La Banque de France prévoit une croissance du PIB en volume de 0,2 % au 1er trimestre et l'INSEE de 0,1 % au 1er trimestre et de 0,2 % au 2e trimestre.
(2) L'atteinte de la prévision du Gouvernement en 2023 (+ 1,0 %), en retenant les prévisions de la dernière note de conjoncture de l'INSEE au 1er et au 2e trimestres (respectivement 0,1 % et 0,2 %), suppose une croissance du PIB de 0,6 % par trimestre au second semestre.
(3) La prévision d'inflation du Consensus Forecasts pour 2024 était de 2,2 % en janvier, elle est de 2,7 % en avril.
(4) Voir note du secrétariat permanent du HCFP : La croissance potentielle à l'horizon de moyen terme, juillet 2022, https://www.hcfp.fr/node/224.
(5) https://www.hcfp.fr/liste-avis/avis-ndeg2023-5-loi-de-reglement-2022.
(6) Mesures d'urgence et de relance comprises.
(7) Net des crédits d'impôts.
(8) Les Programmes de stabilité des autres pays européens n'étant pas disponibles lors de la finalisation de cet avis, il n'a pas été possible de comparer la trajectoire française à celle présentée par les autres grands pays de la zone euro.
(9) Commission européenne, communication de la Commission au Conseil, Orientations en matière de politique budgétaire pour 2024, COM (2023) 141 final du 18 mars 2023.