Délibération n° 2023-31 du 25 janvier 2023 portant proposition de la référence de coût d'approvisionnement du gaz visée à l'article 181 de la loi de finances pour 2023

Version initiale


  • Participaient à la séance : Emmanuelle WARGON, présidente, Anthony CELLIER, Catherine EDWIGE et Ivan FAUCHEUX, commissaires.


    1. Contexte et objet de la délibération


    L'article 181 de la loi de finances pour 2023 du 30 décembre 2022 prolonge le bouclier tarifaire pour les consommateurs résidentiels (1) entre le 1er janvier et le 30 juin 2023 en fixant les tarifs réglementés de vente de gaz naturel (TRVG) fournis par Engie à leur niveau, toutes taxes comprises, en vigueur au 31 octobre 2021, majoré de 15 %.
    Les pertes de recettes supportées par les fournisseurs de gaz naturel pour leurs offres de marché, pour tout contrat conclu à compter du 1er septembre 2022 et les contrats en vigueur au 31 août 2022 indexés sur les TRVG, sont compensées, dans la limite de leurs coûts d'approvisionnement. Les pertes de recettes sont calculées sur la base du niveau du tarif réglementé de vente de gaz qui aurait été appliqué sans gel : « Le montant unitaire est calculé comme la différence, en euros par mégawattheure, entre le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs réglementés d'Engie qui auraient été appliqués […] et le prix moyen hors taxes résultant de l'application des tarifs effectivement en vigueur […] ».
    L'article 181 de la loi de finances pour 2023 prévoit également la possibilité pour le gouvernement de prolonger par décret le bouclier tarifaire entre le 1er juillet et le 31 décembre 2023. Il aurait vocation à s'appliquer aux mêmes consommateurs (2), quelle que soit leur offre.
    Cependant, la fin des tarifs réglementés de vente de gaz au 1er juillet 2023 entraîne la disparition de la référence de coût d'approvisionnement utilisée pour calculer les pertes de recettes des fournisseurs de gaz naturel, qui seront compensées. L'article 181 de la loi de finances pour 2023 prévoit donc que la CRE propose aux ministres chargés de l'économie, de l'énergie et du budget, avant le 31 janvier 2023, une référence de prix théorique du coût d'approvisionnement en gaz d'un fournisseur de consommateurs résidentiels, qui servira de base pour la compensation des fournisseurs de gaz en cas de prolongation du bouclier tarifaire à partir du 1er juillet 2023. Selon cet article, le montant unitaire de compensation des fournisseurs est égal à « la différence en euros par mégawattheure entre une référence de prix du gaz sur les marchés représentative des coûts d'approvisionnements des fournisseurs pour leurs offres de marché à destination des clients mentionnés au 1° du III, définie par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie, de l'énergie et du budget sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie, et un prix du gaz au-delà duquel s'applique l'aide, défini par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie, de l'énergie et du budget à un niveau qui ne peut être inférieur au prix de la part gaz dans les tarifs réglementés de vente du gaz naturel d'Engie en vigueur au 1er janvier 2023. »
    La CRE souligne que, dans l'hypothèse d'un prolongement du bouclier tarifaire au second semestre 2023, cette référence de coûts d'approvisionnement aura pour objet le dimensionnement de la compensation à laquelle pourront prétendre les fournisseurs de gaz. Le prix payé par les consommateurs dépendra, le cas échéant, du niveau de « prix du gaz cible défini par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie, de l'énergie et du budget ».
    La CRE a mené une consultation publique du 18 décembre 2022 au 6 janvier 2023 portant sur la construction de cette référence. La présente délibération a pour objet de proposer aux ministres cette référence de coûts d'approvisionnement prévue par l'article 181 de la loi de finances 2023.
    En complément, la CRE envisage par ailleurs de publier à partir du 1er juillet 2023 un prix de référence du gaz pour un consommateur résidentiel. Ce prix de référence complet intègrera, a priori, pour les coûts d'approvisionnement, la référence objet de la présente délibération, mais également les coûts hors approvisionnement : coût d'acheminement, coût de stockage, coûts commerciaux et marge notamment. Il aura pour objectif de renforcer la transparence et la lisibilité du marché de détail du gaz après la fin des TRVG. Ce prix de référence complet fait l'objet d'une consultation publique lancée par la CRE en même temps que la présente délibération.


    2. Retours des acteurs et analyse de la CRE


    La consultation publique a été menée du 18 décembre 2022 au 6 janvier 2023. Une vingtaine d'acteurs ont répondu, dont sept fournisseurs, cinq associations gazières et une dizaine d'associations de consommateurs ayant signé une réponse commune, ainsi que trois consommateurs particuliers.


    2.1. Nature de l'offre sous-jacente aux coûts d'approvisionnement à retenir


    Sur le segment résidentiel, deux grands types d'offres prédominaient avant la généralisation du bouclier tarifaire introduite par la loi de finances rectificative du 16 aout 2022. Au 30 septembre 2023, 52 % des consommateurs résidentiels étaient en offre prix fixe d'une durée supérieure ou égale à un an alors que 47 % d'entre eux étaient en offre reflétant les variations de court terme du marché de gros (offre TRVG, indexée TRVG ou autre).
    Les coûts d'approvisionnement pour alimenter un consommateur de gaz dépendent de la nature de son offre de fourniture et diffèrent grandement entre une offre à prix fixe sur une ou plusieurs années et une offre reflétant les variations des prix de gros à relativement court terme, telle que les TRVG ou les offres qui y sont indexées.
    La loi de finances pour 2023 prévoyant l'utilisation d'une unique référence de coûts d'approvisionnement pour calculer la compensation des fournisseurs, la CRE considère qu'il n'est pas envisageable de proposer une référence de prix par type d'offre.
    Dans la consultation publique, la CRE a proposé d'utiliser une référence de coût d'approvisionnement qui suivrait les variations court terme de marché de gros, par opposition avec une offre à prix fixe.
    Retour des acteurs
    La très grande majorité des acteurs sont favorables à une référence de coûts d'approvisionnement reflétant les variations court terme du marché de gros, par opposition à une référence s'appuyant sur une offre à prix fixe.
    Les associations de consommateurs considèrent qu'il est préférable d'utiliser une référence de coûts d'approvisionnement reflétant les variations court terme des marchés de gros afin d'assurer une continuité avec la formule des TRVG, et de faciliter la compréhension des consommateurs.
    Pour les fournisseurs et associations gazières, il est pertinent de prendre une référence reflétant les variations court terme des prix de gros par continuité avec le mécanisme de compensation actuel. Ils considèrent également que les conditions de marché actuelles ne permettent pas de faire des offres à prix fixe à des prix raisonnables.
    Seul un fournisseur considère qu'une référence de coûts d'approvisionnement reflétant une offre à prix fixe protègerait mieux les consommateurs des pics de prix en période de crise.
    Analyse de la CRE
    La CRE considère que le mode de calcul de la compensation qui s'appliquerait après la fin des TRVG doit s'inscrire dans la continuité du dispositif actuel, qui s'appuie sur le niveau théorique des TRVG non gelés. Compte tenu de l'utilisation dans les TRVG actuels d'une référence d'approvisionnement basée sur des produits de marché majoritairement mensuels, passer à une compensation basée sur des coûts d'approvisionnement d'une offre à prix fixe nuirait à la compréhension des acteurs et bouleverserait les processus de gestion de la compensation mis en place par les fournisseurs depuis novembre 2021.
    En outre, le calcul d'un montant unitaire fondé sur le modèle d'une offre à prix fixe complexifierait grandement le mécanisme de compensation du fait des modalités de couverture spécifiques à ce type d'offre, et nécessiterait de connaître précisément la date de contractualisation du client et son profil de consommation afin de déterminer les coûts d'approvisionnement.
    Afin d'assurer une continuité avec le dispositif actuel et par soucis de lisibilité et simplicité, la CRE retient une référence de coûts d'approvisionnement reflétant les variations à court terme des prix de gros.


    2.2. Place de marché utilisée dans la référence de coûts d'approvisionnement


    La formule tarifaire actuellement prise en compte dans les TRVG d'ENGIE s'appuie sur des cotations sur les places de marché française PEG et néerlandaise TTF dans le but de refléter les contrats d'approvisionnement à long terme d'ENGIE.
    Les produits cotés sur le PEG représentent environ 65 % des volumes dans la formule du TRVG d'ENGIE.
    Dans sa consultation publique, la CRE a proposé de retenir une formule fondée sur le PEG.
    Retour des acteurs
    Les acteurs souhaitent à l'unanimité que la formule soit entièrement indexée sur la bourse du gaz française (PEG).
    Pour les fournisseurs, le PEG est suffisamment liquide et profond. Il est pertinent, selon eux, de s'appuyer sur cette bourse uniquement pour représenter les conditions d'approvisionnement d'un fournisseur opérant en France. En outre, il présente l'avantage d'afficher actuellement des niveaux de prix inférieurs à ceux observés sur le TTF
    Pour les associations de consommateurs, il est préférable de n'utiliser que le PEG dans la formule afin de ne pas nuire à la compréhension des consommateurs.
    Analyse de la CRE
    La CRE partage l'avis des acteurs et considère que l'indexation totale sur le PEG reflète plus directement les conditions d'approvisionnement d'un fournisseur opérant en France. Cette indexation totale sur le PEG diffèrerait légèrement des sous-jacents actuels des TRVG mais sans être de nature à mettre en défaut l'objectif de continuité. La CRE note que, sur les produits envisagés et aux échéances visées ci-après, la liquidité sur le PEG est bonne.
    La CRE retient dans sa proposition une indexation 100 % PEG afin de refléter au mieux la situation d'un fournisseur opérant en France et de faciliter la compréhension des consommateurs.


    2.3. Echéance des produits retenus


    Le choix des produits à terme utilisés dans la référence peut dépendre des objectifs fixés : il peut s'agir de s'inscrire dans la continuité du dispositif actuel et de la formule des TRVG, de reposer sur des produits suffisamment liquides et réplicables, de garantir une certaine stabilité pour le budget de l'Etat voire, à terme, une stabilité des offres qui pourraient s'appuyer sur des références similaires une fois le bouclier disparu.
    Le TRVG d'ENGIE actuel s'appuie sur une formule d'approvisionnement comportant 83 % de produits mensuels, 10 % de produits trimestriels et 7 % de produit annuel.
    Dans la consultation publique, la CRE a interrogé les acteurs sur la prépondérance à accorder aux produits de court terme et long terme. Elle a proposé deux types de formule principaux : 100 % sur un produit mensuel, 80 % mensuel et 20 % trimestriel. Elle a également ouvert la voie à l'intégration d'une part raisonnable de produit de plus longue maturité pour apporter une forme de stabilité à la référence de coûts d'approvisionnement. Une telle évolution pourrait intervenir dès lors que des produits de plus long terme, type calendaires ou saisonniers, pourraient être souscrits pour les mois visés, par exemple, à compter du 1er octobre 2023 ou du 1er janvier 2024.
    Retour des acteurs
    L'ensemble des fournisseurs et associations gazières à l'exception d'un fournisseur s'accordent sur l'intérêt d'une référence de coûts d'approvisionnement basée sur des produits de court terme exclusivement, c'est-à-dire mensuel et trimestriel. Ils considèrent qu'il n'est pas opportun de rajouter du produit saisonnier à partir d'octobre 2023, car ce changement au bout de quatre mois nuirait à la compréhension du consommateur, et que le produit saisonnier est peu liquide.
    Ces acteurs considèrent que le produit mensuel présente l'avantage d'être le plus liquide et qu'il est cohérent avec la visibilité des fournisseurs sur les évolutions de leur portefeuille et les consommations de leurs clients. Ils notent que le produit trimestriel présente également ces avantages mais dans une moindre mesure.
    A l'exception de l'un d'entre eux, les fournisseurs sont favorables à une indexation totale sur le produit mensuel. Deux fournisseurs considèrent qu'une formule alternative basée sur les produits mois et trimestre est acceptable, mais moins souhaitable.
    Un seul fournisseur souhaite l'introduction d'une composante saisonnière, afin d'apporter de la stabilité à la référence de coûts d'approvisionnement.
    Pour les associations de consommateurs, il est nécessaire d'indexer majoritairement la formule sur des produits de court terme dans une logique de continuité avec le TRVG. Une indexation sur le mois et le trimestre, ou le mois uniquement serait convenable. Les associations s'étant exprimées ne souhaitent pas que le produit saison soit introduit dans la formule en octobre 2023, car celle-ci s'écarterait alors de la formule TRVG en vigueur, ce qui poserait des problèmes de compréhension pour les consommateurs à l'entrée de l'hiver.
    Analyse de la CRE
    La CRE considère qu'une indexation majoritaire voire totale sur les produits mensuels, et minoritaire ou nulle sur les produits trimestriels s'inscrit dans la continuité de la formule des TRVG et de la structure de la majorité des contrats proposés sur le marché de détail en dehors des offres à prix fixe. Elle permet la réplicabilité par les fournisseurs
    La CRE retient dans sa proposition une indexation sur les produits de court terme mensuel et trimestriel.
    Ces deux produits sont parmi les plus liquides sur le PEG et permettent de garantir la continuité avec la formule des TRVG actuelle, qui est indexée à 83 % sur des produits mensuels et 10 % sur des produits trimestriels. Une indexation partielle sur le trimestre vient de plus introduire une certaine stabilité des prix au pas trimestriel. L'inconvénient de ce choix par rapport à une formule 100 % mensuelle est une légère complexité supplémentaire mais la CRE juge que les avantages en termes de continuité et de stabilité l'emportent.
    Pour les raisons évoquées précédemment, la CRE ne retient pas l'introduction d'un produit saisonnier ou annuel dans la formule.


    2.4. Période de lissage


    La CRE a interrogé les acteurs sur la période de lissage à prendre en compte dans la référence de coût d'approvisionnement.
    Retour des acteurs
    A l'exception de l'un d'entre eux, les fournisseurs souhaitent lisser les produits sur la période d'un mois se terminant un mois avant la livraison. Cette période présente l'avantage de tenir compte des contraintes opérationnelles des fournisseurs en termes d'adaptation SI et s'inscrit dans la continuité de la pratique actuelle pour les offres TRVG ou indexées TRVG. C'est également une période suffisamment proche de la livraison pour que les fournisseurs disposent d'une bonne visibilité sur leur portefeuille.
    Un seul fournisseur souhaite que la période de lissage soit égale à la période du mois se terminant la veille de la période de livraison considérée, car le produit « Month-Ahead » (cotation du produit livré le mois suivant) est plus liquide que le « MA2 » (cotation du produit livré dans deux mois).
    Analyse de la CRE
    Afin de donner aux acteurs de la visibilité avant la date d'application de la référence de coûts d'approvisionnement, la CRE retient une période de cotation d'un mois se terminant un mois avant la période de livraison. Cette méthodologie est identique à celle utilisée actuellement dans le cadre des TRVG d'ENGIE pour les produits mensuels et trimestriels, et laisse le temps aux fournisseurs d'adapter leur SI de facturation.


    3. Référence de coûts d'approvisionnement proposée par la CRE


    La CRE propose la formule suivante pour définir la référence de prix du gaz relative à l'article 181 de la loi de finances pour 2023 :



    Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page


    Avec :


    -



    Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page


    le prix coté sur le PEG du contrat futur mensuel de gaz naturel, correspondant à la moyenne des cotations constatées, pour le mois de consommation considéré, sur la période d'un mois se terminant un mois avant le mois de livraison visé ;
    -



    Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page


    le prix coté sur le PEG du contrat futur trimestriel de gaz naturel, correspondant à la moyenne des cotations constatées, pour le trimestre de consommation considéré, sur la période d'un mois se terminant un mois avant le trimestre de livraison visé ;


    4. Décision de la CRE


    L'article 181 de la loi de finances pour 2023 prévoit la possibilité d'étendre le bouclier tarifaire en gaz après le 1er juillet 2023, date à partir de laquelle les TRVG disparaîtront. La loi confie à la CRE la mission de proposer « une référence de prix du gaz sur les marchés représentative des coûts d'approvisionnements des fournisseurs pour leurs offres de marché à destination des clients [résidentiels] », référence qui sera utilisée pour le calcul de la compensation des fournisseurs dans l'hypothèse d'un prolongement du bouclier tarifaire sur le second semestre 2022.
    Après avoir consulté les acteurs sur la construction de la référence de coûts d'approvisionnement, la CRE propose une formule indexée à 80 % sur le produit mensuel PEG et 20 % sur le produit trimestriel PEG, lissés sur le mois se terminant un mois avant la période de livraison visée.
    Cette formule de coûts indexée sur des produits de court terme sur le PEG répond aux attentes des acteurs (fournisseurs, associations gazières et associations de consommateurs), s'inscrit dans la continuité du TRVG actuel et est aisément réplicable par les fournisseurs.
    Cette délibération sera publiée sur le site internet de la CRE et transmise à la ministre de la transition énergétique, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.


Délibéré à Paris, le 25 janvier 2023.


Pour la Commission de régulation de l'énergie :
La présidente,
E. Wargon


(1) « Consommateurs finals domestiques, aux propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation et aux syndicats des copropriétaires d'un tels immeuble ».
(2) « Consommateurs finals domestiques, aux propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation et aux syndicats des copropriétaires d'un tels immeuble ».
Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 265,1 Ko
Retourner en haut de la page