(CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 septembre 2022 par le Conseil d'Etat (décisions nos 462977 et 462978 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Ces questions ont été posées pour le Conseil national de l'ordre des médecins par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elles ont été enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous les nos 2022-1027 QPC et 2022-1028 QPC. Elles sont relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, pour la première, du paragraphe II et, pour la seconde, du paragraphe I de l'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 19 octobre 2022 ;
- les secondes observations présentées pour le Conseil national de l'ordre des médecins par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, enregistrées le 3 novembre 2022 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Louis Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 29 novembre 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. Il y a lieu de joindre les deux questions prioritaires de constitutionnalité pour y statuer par une seule décision.
2. L'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 17 mars 2021 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« I. - Lorsqu'ils risquent d'entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal, il peut être interdit, en cas de départ temporaire ou définitif, aux praticiens mentionnés à l'article L. 6151-1, au 1° de l'article L. 6152-1 et à ceux mentionnés au 2° du même article L. 6152-1, dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 % d'exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie.
« Le directeur de l'établissement support fixe, sur proposition des directeurs des établissements membres du groupement hospitalier de territoire, après avis de la commission médicale de groupement et du comité stratégique, les conditions de mise en œuvre de cette interdiction, par profession ou spécialité, et, le cas échéant, par établissement, selon des modalités définies par voie réglementaire.
« L'interdiction ne peut excéder une durée de vingt-quatre mois et ne peut s'appliquer que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel les praticiens mentionnés au premier alinéa du I du présent article exercent à titre principal.
« En cas de non-respect de cette interdiction, une indemnité est due par les praticiens pour chaque mois durant lequel l'interdiction n'est pas respectée. Le montant de cette indemnité ne peut être supérieur à 30 % de la rémunération mensuelle moyenne perçue durant les six derniers mois d'activité.
« Dès que le non-respect de cette interdiction a été dûment constaté, dans le respect du contradictoire, le directeur de l'établissement notifie au praticien la décision motivée fixant le montant de l'indemnité due calculé sur la base de la rémunération mensuelle moyenne perçue durant les six derniers mois d'activité.
« II. - Les praticiens mentionnés au 1° de l'article L. 6152-1 exerçant à temps partiel ne peuvent user de leurs fonctions hospitalières pour entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé dans lequel ils exercent à titre principal dans le cadre d'une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie.
« La décision d'exercice à temps partiel du praticien peut comprendre une interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel il exerce à titre principal.
« Dès que le non-respect de cette interdiction a été dûment constaté, dans le respect du contradictoire, il est mis fin à l'autorisation d'exercer à temps partiel.
« Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat ».
3. Le requérant reproche tout d'abord à ces dispositions de prévoir que l'exercice d'une activité rémunérée dans le secteur privé peut être interdit à certains praticiens des établissements publics de santé. Selon lui, une telle interdiction, qui ne tiendrait pas compte des besoins de la population en matière de santé, serait excessive au regard de son périmètre, de sa durée d'application et de la sévérité des sanctions encourues en cas d'inobservation. Elle porterait ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
4. Le requérant fait ensuite grief à ces dispositions de ne pas déterminer les cas et les conditions dans lesquels cette interdiction peut être mise en œuvre. Ce faisant, le législateur aurait méconnu, d'une part, l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté d'entreprendre et, d'autre part, le principe de légalité des délits et des peines.
5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
6. L'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique prévoit qu'il peut être interdit à certains praticiens d'un établissement public de santé d'exercer, dans un périmètre déterminé, une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie.
7. En application du paragraphe I de cet article, cette interdiction est susceptible de s'appliquer aux membres du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers universitaires ainsi qu'aux médecins, odontologistes et pharmaciens titulaires ou contractuels dont la quotité de travail était au minimum de 50 %, lorsqu'ils quittent l'établissement public au sein duquel ils exerçaient à titre principal. En cas d'inobservation de cette interdiction, une indemnité, dont le montant ne peut être supérieur à 30 % de la rémunération mensuelle moyenne perçue durant les six derniers mois d'activité, est due pour chaque mois durant lequel l'interdiction n'est pas respectée.
8. Son paragraphe II prévoit qu'une telle interdiction peut également s'appliquer aux médecins, odontologistes et pharmaciens titulaires lorsqu'ils exercent à temps partiel au sein de l'établissement public de santé. En cas d'inobservation de cette interdiction, il est mis fin à l'autorisation d'exercer à temps partiel.
9. En premier lieu, les dispositions contestées ont pour objet de réguler l'installation de praticiens à proximité des établissements publics de santé afin de préserver l'activité de ces établissements qui, en application de l'article L. 6112-3 du code de la santé publique, assurent le service public hospitalier. Le législateur a ainsi entendu garantir le bon fonctionnement de ce service public qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
10. En second lieu, d'une part, l'interdiction d'exercice prévue par les dispositions contestées ne peut être décidée, sous le contrôle du juge, que dans les cas où les praticiens concernés sont susceptibles d'entrer en concurrence directe avec l'établissement public de santé, en raison de leur profession ou de leur spécialité et, le cas échéant, de la situation de cet établissement. Ces conditions ne sont ni imprécises ni équivoques.
11. D'autre part, cette interdiction ne peut s'appliquer que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé et, lorsqu'elle concerne un praticien qui cesse d'exercer ses fonctions, pour une durée qui ne peut excéder vingt-quatre mois.
12. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.
13. Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, qui est au demeurant inopérant s'agissant des dispositions du troisième alinéa du paragraphe II de l'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique dès lors qu'elles n'instituent aucune sanction ayant le caractère d'une punition.
14. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
L'article L. 6152-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières, est conforme à la Constitution.Liens relatifs
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2022, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 9 décembre 2022.
Décision n° 2022-1027/1028 QPC du 9 décembre 2022