(LOI DE FINANCES POUR 2022)
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi de finances pour 2022, sous le n° 2021-833 DC, le 15 décembre 2021, par Mmes Valérie RABAULT, Mathilde PANOT, MM. André CHASSAIGNE, Bertrand PANCHER, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mmes Laurence DUMONT, Lamia EL AARAJE, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Gérard LESEUL, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mmes Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mmes Michèle VICTORY, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Jean-Luc MÉLENCHON, Mme Danièle OBONO, MM. Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Moetai BROTHERSON, Mme Karine LEBON, MM. Jean-Philippe NILOR, Jean-Michel CLÉMENT, Charles de COURSON, Mmes Jeanine DUBIÉ, Frédérique DUMAS, MM. François-Michel LAMBERT, Jean LASSALLE, Paul MOLAC, Sébastien NADOT, Mmes Sylvia PINEL et Jennifer de TEMMERMAN, députés.
Il a également été saisi, le 16 décembre 2021, par MM. Bruno RETAILLEAU, Jean-Claude ANGLARS, Serge BABARY, Jean BACCI, Philippe BAS, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Mmes Nadine BELLUROT, Catherine BELRHITI, Martine BERTHET, MM. Étienne BLANC, Jean-Baptiste BLANC, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, M. Michel BONNUS, Mme Alexandra BORCHIO-FONTIMP, M. Gilbert BOUCHET, Mmes Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, Toine BOURRAT, Valérie BOYER, MM. Max BRISSON, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, M. Jean-Noël CARDOUX, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Marta de CIDRAC, M. Pierre CUYPERS, Mmes Laure DARCOS, Annie DELMONT-KOROPOULIS, Patricia DEMAS, Catherine DEROCHE, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, Catherine DUMAS, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, MM. Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mme Laurence GARNIER, M. Fabien GENET, Mmes Frédérique GERBAUD, Béatrice GOSSELIN, Sylvie GOY-CHAVENT, MM. Daniel GREMILLET, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Daniel GUERET, Jean-Raymond HUGONET, Jean-François HUSSON, Mmes Corinne IMBERT, Else JOSEPH, Muriel JOURDA, MM. Roger KAROUTCHI, Christian KLINGER, Marc LAMÉNIE, Mme Florence LASSARADE, M. Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Ronan LE GLEUT, Henri LEROY, Stéphane LE RUDULIER, Mmes Brigitte LHERBIER, Viviane MALET, M. Thierry MEIGNEN, Mme Marie MERCIER, M. Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, MM. Alain MILON, Philippe MOUILLER, Philippe NACHBAR, Mme Sylviane NOËL, MM. Philippe PAUL, Cyril PELLEVAT, Cédric PERRIN, Stéphane PIEDNOIR, Mme Kristina PLUCHET, M. Rémy POINTEREAU, Mmes Catherine PROCACCIA, Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, M. Jean-François RAPIN, Mme Marie-Pierre RICHER, MM. Olivier RIETMANN, Stéphane SAUTAREL, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Mme Elsa SCHALCK, MM. Vincent SEGOUIN, Bruno SIDO, Jean SOL, Laurent SOMON, Mme Claudine THOMAS et M. Jean Pierre VOGEL, sénateurs.
Il a enfin été saisi, le 20 décembre 2021, par M. Damien ABAD, Mme Emmanuelle ANTHOINE, M. Julien AUBERT, Mmes Édith AUDIBERT, Nathalie BASSIRE, M. Thibault BAZIN, Mmes Valérie BAZIN-MALGRAS, Valérie BEAUVAIS, M. Philippe BENASSAYA, Mmes Sandra BOËLLE, Émilie BONNIVARD, M. Jean-Yves BONY, Mme Sylvie BOUCHET BELLECOURT, MM. Jean-Luc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Gilles CARREZ, Jacques CATTIN, Éric CIOTTI, Pierre CORDIER, Mme Josiane CORNELOUP, M. François CORNUT-GENTILLE, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Vincent DESCOEUR, Éric DIARD, Julien DIVE, Mme Virginie DUBY-MULLER, MM. Pierre-Henri DUMONT, Claude DE GANAY, Jean-Jacques GAULTIER, Mme Annie GENEVARD, MM. Philippe GOSSELIN, Jean-Carles GRELIER, Mme Claire GUION-FIRMIN, MM. Yves HEMEDINGER, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Sébastien HUYGHE, Mme Brigitte KUSTER, M. Marc LE FUR, Mmes Constance LE GRIP, Geneviève LEVY, M. David LORION, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Emmanuel MAQUET, Olivier MARLEIX, Mme Frédérique MEUNIER, MM. Philippe MEYER, Maxime MINOT, Jérôme NURY, Éric PAUGET, Bernard PERRUT, Mmes Bérengère POLETTI, Nathalie PORTE, MM. Alain RAMADIER, Robin REDA, Frédéric REISS, Antoine SAVIGNAT, Raphaël SCHELLENBERGER, Jean-Marie SERMIER, Mme Nathalie SERRE, MM. Guy TEISSIER, Robert THERRY, Jean-Louis THIÉRIOT, Pierre VATIN, Charles de la VERPILLIÈRE, Michel VIALAY et Jean-Pierre VIGIER, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
- la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la commande publique ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des impôts ;
- le code des transports ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2021-1190 du 15 septembre 2021 relative à la généralisation de la facturation électronique dans les transactions entre assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée et à la transmission des données de transaction ;
- l'avis du Haut conseil des finances publiques n° 2021-4 du 17 septembre 2021 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;
- l'avis du Haut conseil des finances publiques n° 2021-5 du 29 octobre 2021 relatif au deuxième projet de loi de finances rectificative pour l'année 2021 et à la révision des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2022 ;
Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 24 décembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. Les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 2022. Ils contestent sa procédure d'adoption et sa sincérité. Les sénateurs requérants contestent également la conformité à la Constitution de certaines dispositions de ses articles 194 et 211. Les députés auteurs du troisième recours font valoir en outre que certaines dispositions de son article 165 n'auraient pas leur place dans une loi de finances et seraient contraires à la Constitution.
- Sur la procédure d'adoption de la loi :
2. Les députés et sénateurs requérants font valoir que la procédure d'adoption de la loi déférée aurait méconnu l'exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire au motif que le Gouvernement aurait déposé tardivement un nombre élevé d'amendements, qui relevaient le total des dépenses budgétaires pour des montants considérables sans faire l'objet d'une évaluation préalable.
3. En outre, selon les députés auteurs de la première saisine, les conditions de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale de l'amendement n° II-2389 du Gouvernement relatif à la mise en œuvre du plan « France 2030 » auraient méconnu le droit d'amendement des parlementaires, faute pour ceux-ci d'avoir pu le sous-amender.
4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi est l'expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
5. En premier lieu, il résulte de la combinaison de l'article 6 de la Déclaration de 1789, du premier alinéa des articles 34 et 39 de la Constitution, ainsi que de ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1, que le droit d'amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées. Il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et sous réserve du respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité, notamment par la nécessité, pour un amendement, de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis.
6. D'une part, les dispositions nouvelles introduites à l'Assemblée nationale par voie d'amendement du Gouvernement n'ont, ni en raison de leur nombre, ni en raison de leur objet, porté atteinte au respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
7. D'autre part, l'article 39 de la Constitution et la loi organique du 1er août 2001 mentionnée ci-dessus n'imposent la présentation d'une évaluation préalable, la consultation du Conseil d'Etat et une délibération en conseil des ministres que pour les projets de loi de finances avant leur dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale et non pour les amendements. Par conséquent, est inopérant le grief selon lequel le Gouvernement aurait méconnu ces exigences procédurales en exerçant le droit d'amendement qu'il tient du premier alinéa de l'article 44 de la Constitution.
8. En second lieu, le droit de sous-amendement est indissociable du droit d'amendement reconnu aux membres du Parlement et au Gouvernement par le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution.
9. Si les députés auteurs du premier recours allèguent que des députés auraient été empêchés de présenter des sous-amendements à l'amendement n° II-2389, ils ne l'établissent pas. En outre, il ne ressort pas des travaux parlementaires que l'irrecevabilité aurait été opposée à tort à de tels sous-amendements.
10. Il résulte de ce qui précède que la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
- Sur la sincérité de la loi de finances :
11. Les députés et sénateurs requérants font valoir que la loi déférée méconnaîtrait le principe de sincérité budgétaire, au motif que le projet de loi déposé ne prenait pas en compte les conséquences budgétaires de plusieurs mesures nouvelles annoncées par le Gouvernement avant son dépôt, comme le plan d'investissement « France 2030 », le revenu d'engagement pour les jeunes et le plan « Grand Marseille ». A ce titre, ils se réfèrent à l'avis du Haut conseil des finances publiques du 17 septembre 2021 mentionné ci-dessus, aux termes duquel ce dernier estimait, pour ce motif, ne pas pouvoir « rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022 ».
12. Les députés auteurs du premier recours critiquent également la sincérité des évaluations de recettes du projet de loi initial, qui seraient fondées sur une prévision de croissance délibérément minorée. Selon eux, la loi déférée reposerait, en outre, sur une sous-évaluation manifeste des prévisions de recettes fiscales, dont l'objet aurait été de permettre au Gouvernement de présenter une exécution plus favorable en fin d'exercice.
13. Ces mêmes députés critiquent enfin la disproportion entre autorisations d'engagement et crédits de paiement ouverts par le texte déféré, sans préciser le calendrier d'ouverture de ces crédits après 2022.
14. Selon l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler ». Il en résulte que la sincérité de la loi de finances de l'année se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine. L'impératif de sincérité qui s'attache à l'examen de cette loi s'apprécie pendant toute la durée de celui-ci.
15. En premier lieu, les prévisions de recettes et de dépenses doivent être initialement établies par le Gouvernement au regard des informations disponibles à la date du dépôt du projet de loi de finances. Il lui appartient d'informer le Parlement, au cours de l'examen de ce projet de loi, lorsque surviennent des circonstances de droit ou de fait de nature à les remettre en cause et, en pareille hypothèse, de procéder aux corrections nécessaires. Il incombe au législateur, lorsqu'il arrête ces prévisions, de prendre en compte l'ensemble des données dont il a connaissance et qui ont une incidence sur l'article d'équilibre.
16. Les mesures nouvelles avaient fait l'objet de simples annonces à la date du dépôt du projet de loi de finances. Le Gouvernement a ainsi pu, sans méconnaître les exigences précitées, prendre en compte au cours de l'examen du texte les conséquences budgétaires de ces mesures.
17. En deuxième lieu, d'une part, saisi du projet de loi initial puis du projet de loi prenant en compte les mesures nouvelles, le Haut conseil des finances publiques a, dans ses avis du 17 septembre 2021 et du 29 octobre 2021 mentionnés ci-dessus, estimé respectivement prudentes et plausibles les prévisions de croissance pour les années 2021 et 2022. D'autre part, il ne ressort pas des autres éléments soumis au Conseil constitutionnel que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondée la loi de finances soient entachées d'une intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine.
18. En dernier lieu, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, d'apprécier, en l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances, le montant des autorisations d'engagement et des crédits de paiement votés.
19. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré du défaut de sincérité de la loi de finances doit être écarté.
- Sur certaines dispositions de l'article 165 :
20. L'article 165 est relatif au soutien de l'Etat à la société Les mines de potasse d'Alsace, chargée de sécuriser le stockage souterrain de certains produits dangereux. Son paragraphe IV autorise ce stockage pour une durée illimitée.
21. Les députés auteurs du troisième recours contestent le rattachement au domaine des lois de finances des dispositions de ce paragraphe et soutiennent, en outre, qu'elles méconnaîtraient le neuvième alinéa du Préambule de la Charte de l'environnement.
22. Selon l'article 34 de la Constitution : « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution dispose : « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique ». La loi organique du 1er août 2001 détermine le contenu de la loi de finances. En particulier, le 5° du paragraphe II de son article 34 prévoit que la loi de finances de l'année, dans sa seconde partie, « Autorise l'octroi des garanties de l'Etat et fixe leur régime » et le b du 7° du même paragraphe qu'elle peut « Comporter des dispositions affectant directement les dépenses budgétaires de l'année ».
23. En application de l'article L. 515-7 du code de l'environnement, le stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, de quelque nature qu'ils soient, est soumis à autorisation administrative. Par dérogation à ces dispositions, le paragraphe IV de l'article 165 autorise le stockage souterrain en couches géologiques profondes des produits dangereux non radioactifs présents sur le territoire de la commune de Wittelsheim pour une durée illimitée. Il précise, à cette fin, que les garanties financières exigées pour une telle opération sont réputées apportées par l'Etat.
24. Ces dispositions, qui ne sont pas indissociables du reste de l'article 165, n'ont ni pour objet d'autoriser l'octroi d'une garantie par l'Etat et d'en fixer le régime, ni pour effet d'affecter directement les dépenses budgétaires de l'année. Elles ne relèvent pas davantage d'une des autres catégories de dispositions trouvant leur place dans une loi de finances. Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief et sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- Sur certaines dispositions de l'article 194 :
25. L'article 194 réécrit notamment l'article L. 2334-5 du code général des collectivités territoriales afin de modifier les modalités de calcul de l'effort fiscal de chaque commune.
26. Les sénateurs requérants font valoir que ces dispositions n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation préalable. Ils soutiennent également que les nouvelles modalités de calcul de l'effort fiscal de chaque commune, qui ne prennent plus en compte les produits d'impositions perçus par les établissements publics de coopération intercommunale, conduiraient à désavantager, dans l'attribution des dotations de péréquation, les communes qui sont fortement intégrées au sein de tels établissements. Il en résulterait une méconnaissance du cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
27. En premier lieu, aux termes du 8° de l'article 51 de la loi organique du 1er août 2001, est jointe au projet de loi de finances de l'année pour les dispositions relatives aux modalités de répartition des concours de l'Etat aux collectivités territoriales une évaluation préalable comportant les documents visés aux dix derniers alinéas de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus.
28. Au regard du contenu de l'évaluation préalable dont étaient accompagnées les dispositions de l'article 194, le grief tiré de la méconnaissance de ces exigences doit, en tout état de cause, être écarté.
29. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». Il est loisible au législateur de mettre en œuvre une péréquation financière entre ces collectivités en les regroupant par catégories, dès lors que la définition de celles-ci repose sur des critères objectifs et rationnels.
30. L'effort fiscal de chaque commune est un indicateur dont les résultats sont, en application notamment des articles L. 2334-14-1, L. 2334-18-2 et L. 2334-20 à L. 2334-22 du code général des collectivités territoriales, pris en compte dans l'attribution aux communes respectivement de la dotation nationale de péréquation, de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et de la dotation de solidarité rurale.
31. Les dispositions contestées de l'article 194 modifient le calcul de cet indicateur en prévoyant qu'il est désormais égal au rapport entre, d'une part, le produit perçu par la commune au titre des taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties et de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale et, d'autre part, la somme des produits résultant de l'application des taux moyens nationaux aux bases d'imposition de la commune de ces mêmes taxes.
32. Ainsi, ces dispositions, qui se bornent à modifier les modalités de calcul de l'indicateur d'effort fiscal de chaque commune, n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'attribuer des dotations de péréquation ou d'en déterminer le montant.
33. Au demeurant, en modifiant les modalités de calcul de l'effort fiscal de chaque commune, le législateur a entendu recentrer cet indicateur sur la mesure des ressources fiscales perçues par une commune par rapport à celles qu'elle pourrait effectivement percevoir en appliquant un taux moyen national à ses bases d'imposition. Un tel indicateur, qui permet de déterminer les marges fiscales dont dispose une commune, n'est pas dépourvu de caractère objectif et rationnel au regard d'un objectif de péréquation financière.
34. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré d'une méconnaissance du dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution ne peut qu'être écarté.
35. Par conséquent, l'article L. 2334-5 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
- Sur certaines dispositions de l'article 211 :
36. Le paragraphe II de l'article 211 insère notamment un article L. 6325-8 au sein du code des transports afin de prévoir les conditions dans lesquelles l'exploitant d'un aérodrome appartenant à l'Etat peut être tenu, au terme de son contrat de concession, de verser au nouvel exploitant certaines ressources financières ainsi que les conditions dans lesquelles il peut contester ce versement. Son paragraphe III prévoit que ces dispositions sont applicables aux contrats en vigueur à la date de promulgation de la loi déférée.
37. Les sénateurs requérants reprochent à ces dispositions de subordonner la recevabilité du recours formé par l'exploitant sortant à la consignation préalable des sommes en litige, de prévoir un délai de recours trop bref et de ne pas ouvrir la possibilité d'interjeter appel. Faute d'être justifiées par un motif d'intérêt général suffisant, elles méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Ils soutiennent également que ces dispositions, qui s'appliquent aux contrats en vigueur à la date de promulgation de la loi, porteraient atteinte aux exigences découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
38. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.
39. En application des articles 1609 quatervicies et 1609 quatervicies A du code général des impôts, au terme de l'exploitation d'un aérodrome, l'exploitant sortant reverse directement au nouvel exploitant le solde de la taxe d'aéroport et de la taxe sur les nuisances sonores aériennes qui n'ont pas été affectées et peut contester ce versement dans les conditions prévues à l'article L. 6325-8 du code des transports.
40. Cet article dispose que, au terme de l'exploitation d'un aérodrome, les ressources financières issues de son exploitation et devant être retournées à l'Etat sont versées soit à l'Etat, soit, à la demande de ce dernier, directement au nouvel exploitant. Il prévoit que l'opposition à l'état exécutoire émis par l'Etat pour le prélèvement des sommes à verser au nouvel exploitant doit être introduite devant le juge administratif dans un délai de quinze jours à compter de sa réception et qu'une telle contestation n'est recevable qu'après consignation du montant de ces sommes auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Il précise en outre que le juge statue sur cette opposition en premier et dernier ressort.
41. En premier lieu, les exploitants d'aérodromes perçoivent les produits des redevances et taxes aériennes qui sont affectées, pour les premières, au financement du service public aéroportuaire et, pour les secondes, au financement des services de sécurité et de sûreté ainsi qu'à celui des aides versées à des riverains. En subordonnant la recevabilité de l'opposition formée par l'exploitant sortant à la consignation des sommes visées par l'état exécutoire, le législateur a entendu assurer, à l'expiration de la concession, la conservation des recettes issues de ces redevances et taxes non encore affectées. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics.
42. En second lieu, d'une part, la consignation préalable ne porte que sur les produits des redevances et taxes aériennes perçues par l'exploitant sortant d'un aérodrome appartenant à l'Etat et qui n'ont pas été affectées avant la fin du contrat de concession. D'autre part, l'exploitant dispose d'un délai de quinze jours pour saisir la juridiction administrative d'une contestation de l'état exécutoire émis par l'Etat. Le jugement rendu par cette juridiction peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
43. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.
44. Par ailleurs, ces dispositions se bornent à prévoir que l'exploitant sortant d'un aérodrome appartenant à l'Etat peut être tenu de verser au nouvel exploitant les sommes non affectées qu'il devait auparavant reverser à l'Etat. Elles n'ont donc ni pour objet ni pour effet de porter atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. Elles ne portent pas davantage atteinte à des situations légalement acquises, ni ne remettent en cause les effets qui peuvent être légitimement attendus de telles situations.
45. Il résulte de tout ce qui précède que l'article L. 6325-8 du code des transports et le paragraphe III de l'article 211 de la loi déférée, qui ne méconnaissent pas non plus les droits de la défense ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur la place d'autres dispositions dans la loi de finances :
46. Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions adoptées en méconnaissance de la règle de procédure relative au contenu des lois de finances, résultant des articles 34 et 47 de la Constitution et de la loi organique du 1er août 2001. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.
47. L'article 93 a pour seul objet de ratifier l'ordonnance du 15 septembre 2021 mentionnée ci-dessus.
48. L'article 97 autorise, à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, l'Etat et ses établissements publics ainsi que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements à déroger à certaines règles prévues par le code de la commande publique pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d'un marché global de performance ou pour la rénovation énergétique d'un ou de plusieurs de leurs bâtiments.
49. L'article 118 étend aux associations intermédiaires conventionnées par l'Etat et à certaines agences la dérogation prévue à l'article L. 5212-1 du code du travail pour le calcul de l'effectif des personnes bénéficiant de l'obligation d'emploi.
50. L'article 120 est relatif aux organismes chargés de se prononcer sur les demandes des employeurs dans le cadre de la procédure de rescrit prévue à l'article L. 5212-5-1 du code du travail.
51. L'article 137 porte sur les missions des organismes mixtes de gestion agréés.
52. Le paragraphe II de l'article 158 vise à permettre au Comité d'organisation des jeux olympiques d'exercer, à la place du Comité national olympique et sportif français, les droits et actions découlant de la propriété des emblèmes olympiques et paralympiques nationaux.
53. L'article 166 confie à Bpifrance la gestion de la participation française au projet important d'intérêt européen commun sur l'hydrogène.
54. L'article 190 prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement visant à évaluer l'activité d'accompagnement et d'insertion des étudiants ultramarins par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité.
55. L'article 206 prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur les moyens d'encourager les dépenses de partenariat sportif des entreprises dans la perspective de l'accueil des jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.
56. Ces dispositions ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l'Etat. Elles n'ont pas trait à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l'Etat. Elles n'ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d'approuver des conventions financières. Elles ne sont pas relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de finances. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
- Sur les autres dispositions :
57. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi de finances pour 2022 :
- les articles 93, 97, 118, 120 et 137 ;
- le paragraphe II de l'article 158 ;
- le paragraphe IV de l'article 165 ;
- les articles 166, 190 et 206.
Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes :
- l'article L. 2334-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de l'article 194 de la loi déférée ;
- l'article L. 6325-8 du code des transports, dans sa rédaction issue de l'article 211 de la loi déférée et le paragraphe III du même article 211.Liens relatifs
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 28 décembre 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 28 décembre 2021.
Décision n° 2021-833 DC du 28 décembre 2021