L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. Les présentes recommandations ont été adressées au ministre des solidarités et de la santé, au garde des sceaux, ministre de la justice, et au ministre de l'intérieur. Un délai de trois semaines leur a été imparti pour faire connaître leurs observations.
La visite du centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime), réalisée par six contrôleurs du 29 mars au 2 avril 2021, a donné lieu au constat de dysfonctionnements dans la prise en charge des personnes détenues constituant un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les constats les plus graves, objets des présentes recommandations en urgence, relèvent des atteintes à la dignité et du non-respect du droit à la santé et à la sécurité.
Le centre de détention de Bédenac dispose de 194 places dont dix au quartier des arrivants ; il fonctionne en régime portes ouvertes de 7 h 15 à 19 heures. Parmi ces places, vingt cellules individuelles sont proposées dans un bâtiment situé à l'écart du reste de la détention et disposant d'un propre espace extérieur. Ouverte en 2013 et appelée « unité de soutien et d'autonomie » (ou bâtiment G), cette construction neuve a été initialement conçue pour accueillir des personnes détenues vieillissantes nécessitant d'être hébergées en cellule pour personnes à mobilité réduite (PMR).
Le CGLPL avait recommandé en 2011 lors du précédent contrôle, préalablement à la construction de ce bâtiment, « que ce projet puisse aboutir afin de préserver la dignité humaine des personnes détenues âgées et/ou handicapées ». En 2018, il en avait relevé la mise en place, rappelant néanmoins ses réserves sur le principe « de l'incarcération d'un public dépendant et âgé, au regard notamment du sens de la peine prononcée » et soulignant l'importance d'adapter les prises en charge. En 2021, il ne peut que constater qu'en raison du transfert de détenus en perte d'autonomie depuis toute la France au cours des deux dernières années, les prises en charge, pénitentiaire et sanitaire, ne sont adaptées ni aux besoins concrets des personnes détenues, ni à l'évolution de leur état de santé.
1. Des personnes âgées, lourdement handicapées et souffrant de pathologies graves, sont maintenues en détention au mépris de leur dignité et en violation de leur droit à l'accès aux soins
Les contrôleurs ont rencontré de nombreuses personnes détenues dans l'unité de soutien et d'autonomie et ont observé leurs conditions de détention.
Quinze personnes nécessitent et disposent d'un lit médicalisé. Huit personnes se déplacent en fauteuil roulant, dont deux sans autonomie de déplacement ; trois se déplacent avec canne ou déambulateur ; une personne est aveugle et ne peut se déplacer qu'avec une aide humaine. Quatre personnes souffrent d'obésité dont deux nécessitent, lorsqu'elles tombent, l'aide de six personnes pour être relevées ; trois d'entre elles souffrent également d'une impotence partielle ou totale d'un membre supérieur ou inférieur.
Sur les huit personnes qui ne se déplacent qu'en fauteuil roulant, sept n'effectuent le transfert lit-fauteuil qu'au prix d'efforts et de contorsions importants, aidées par la potence du lit mais avec un risque de chutes fréquentes, d'autant que certaines n'ont plus l'usage d'un bras, d'une jambe ou des deux jambes. Un homme est tombé à terre alors que les contrôleurs étaient présents dans l'unité ; pesant 150 kilos, il n'a pu être relevé et transféré à l'hôpital qu'au bout de deux heures et demie avec l'aide des sapeurs-pompiers. Si un incendie se déclenchait la nuit, la grande majorité des personnes en fauteuil roulant ne pourraient, seules, quitter leur lit.
Trois personnes souffrent de démence, à différents stades, avec désorientation temporo-spatiale totale pour deux d'entre elles. Quatre autres ont des séquelles d'accidents vasculaires cérébraux avec hémiplégie, troubles musculaires, comportementaux et cognitifs divers. Une des personnes atteintes de démence nécessite d'urgence une prise en charge dans une structure spécialisée avec surveillance constante : elle a été vue par les contrôleurs en train de décortiquer et manger son réveil en plastique (seul objet qui ne lui avait pas été retiré) et boit régulièrement l'eau des toilettes en utilisant ce qu'elle trouve comme gobelet. Ses propos sont incohérents et elle n'a plus aucune autonomie dans les actes essentiels de la vie si ce n'est la déambulation.
Trois personnes souffrent d'incontinences urinaires ou fécales et ne bénéficient d'une tierce personne pour la toilette que deux à trois fois par semaine ; elles attendent le retour de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR) dans leur lit souillé d'urine ou de matières fécales.
Six personnes bénéficient effectivement de l'ADMR deux fois par semaine pour le ménage et l'aide à la toilette mais auraient besoin d'une telle assistance tous les jours, matin et soir ; quatre autres, qui relèvent de ce dispositif, n'en bénéficient pas, soit qu'elles s'y refusent, soit que l'ADMR ne puisse s'en charger faute d'effectif suffisant.
De nombreux patients nécessitent de la kinésithérapie et de l'ergothérapie a minima trois fois par semaine pour l'entretien des fonctions motrices ; elles n'en bénéficient qu'une fois par semaine au mieux et parfois jamais.
Plusieurs patients sont incapables de couper leur viande seuls. Certains présentent un risque de fausse route. Certains nécessitent des surveillances pour éviter une dénutrition, d'autres au contraire souffrent d'obésité.
De nombreux patients associent plusieurs pathologies somatiques nécessitant des contrôles fréquents de la glycémie, de la tension artérielle, des appareillages et matériels médicaux divers (appareillage d'apnée du sommeil, sonde de nutrition et canule, matériel d'ergothérapie), la surveillance de traitement de chimiothérapie ou d'hormonothérapie.
Malgré les alertes régulières des soignants depuis quatre ans, les autorités sanitaires n'ont pris aucune mesure d'adaptation de l'offre de soins.
Lors du contrôle, le médecin généraliste effectuait ses trois derniers jours de travail, ne pouvant plus accepter éthiquement les conditions d'hébergement et de soins de ses patients détenus au bâtiment G. Les personnes qui y sont détenues n'ont donc plus d'accès quotidien à un médecin généraliste et il n'y a pas de permanence des soins la nuit sur le site.
Au regard des situations individuelles observées par les contrôleurs, les personnes n'ont pas accès à des aides-soignants en nombre suffisant pour assurer l'aide au ménage, à la toilette et la gestion de l'incontinence. L'analyse des plannings des soignants des derniers mois montre qu'il n'y a très souvent qu'une seule infirmière pour tout le centre de détention ; il lui est impossible d'assurer à elle seule l'ensemble de ses missions, l'administration des médicaments ou l'éducation à la santé, dans des conditions respectueuses de la dignité et des droits de ses patients.
Enfin, les pathologies et handicaps décrits ci-dessus nécessitent des soins pluri-hebdomadaires, comme des ergothérapeutes, kinésithérapeutes, pour le maintien des autonomies.
De leur côté, les services pénitentiaires d'insertion et de probation n'ont jamais élaboré de convention pour la prise en charge pénitentiaire des personnes détenues. Pourtant, le dossier de présentation relatif à l'inauguration des nouveaux locaux du centre de détention de Bédenac, en août 2013, indiquait : « le quartier pour personne à mobilité réduite permet pour sa part d'accueillir les personnes à mobilité réduite ou âgées dans des espaces de vie adaptés. […] des contacts ont été pris avec les partenaires de droit commun compétents pour la prise en charge de publics spécifiques plus âgées, dépendants ou handicapés. […] Cette prise en charge est complexe car elle mobilise plusieurs services et nécessitera la signature de conventions avec le SPIP, l'établissement et leurs partenaires ».
Enfin, aucune évaluation ni retour d'expérience n'ont été menés par l'administration pénitentiaire dans le cadre d'une réflexion nationale sur les modalités de prise en charge des personnes détenues âgées, dépendantes et en situation de handicap.
Il doit être mis un terme sans délai aux conditions indignes de détention des personnes souffrant de pathologies et handicaps incompatibles avec les prises en charges proposées ; leur droit d'accès aux soins doit être respecté et l'assistance personnelle qu'elles nécessitent doit être immédiatement mise en place.
2. Les conditions d'hébergement portent atteintes à la sécurité des personnes détenues
Le bâtiment, certes récent et permettant l'accès des personnes à mobilité réduite aux espaces collectifs, a vu sa fonction transformée et n'est plus adapté au public accueilli, portant atteinte à la sécurité des personnes qui y sont détenues.
Les cellules PMR ne sont pas adaptées au public accueilli qui nécessite des chambres répondant aux normes de sécurité exigées dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les hôpitaux de long séjour.
Ainsi, les lits médicalisés (au nombre de quinze sur les vingt lits) ne peuvent être sortis de la cellule avec les patients impotents en cas d'incendie car ils sont trop larges pour la porte (95 cm contre 88 cm pour les portes).
On peut citer également le manque de barre d'appui dans les couloirs, les chambres et les sanitaires, les étagères trop hautes pour être utilisables depuis le fauteuil roulant, l'absence de bouton d'appel accessible en cas de chute ou depuis le lit.
Le nombre de surveillants affectés aux escortes n'est pas adapté aux besoins d'extractions médicales forcément élevés pour ce public ; les surveillants ne sont pas présents en permanence en détention et aucun n'est formé sur ces types de prise en charge. Dès lors, les détenus souffrent d'un sentiment d'abandon et sont contraints à une autogestion dans laquelle les moins invalides aident ceux qui ne peuvent plus réaliser les actes élémentaires de la vie quotidienne.
L'administration pénitentiaire doit garantir la sécurité des personnes détenues qui lui sont confiées, quels que soient leurs besoins particuliers ou leur état de santé. A cette fin, l'hébergement doit répondre aux normes de sécurité relatives aux structures hébergeant des personnes en perte d'autonomie. Les surveillants doivent être régulièrement présents dans les espaces collectifs et doivent être formés à la prise en charge de ce public. Dans l'attente des aménagements nécessaires, seules des personnes dont l'état de santé est compatible avec les installations existantes peuvent être hébergées.
Au surplus, malgré l'impossibilité qui lui était signalée de prendre en charge ces situations (1), la direction de l'administration pénitentiaire a adressé à l'établissement des personnes de moins en moins autonomes, depuis la France entière.
Au moment du contrôle, trois détenus nécessitant des cellules PMR étaient inscrits sur liste d'attente, en provenance du centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan et du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville ; l'un d'entre eux était décrit comme étant en « perte d'autonomie, PMR, précautions sanitaires particulières » et relevant d'un « niveau escorte 2 pénitentiaire renforcée ».
L'administration pénitentiaire doit d'urgence suspendre toute nouvelle incarcération au centre de détention de Bédenac de personnes dont l'état de santé n'est pas compatible avec les prises en charge proposées.
3. Les possibilités judiciaires d'adaptation de la peine aux situations individuelles ne sont pas suffisamment exploitées
En juin 2020, le médecin de l'unité sanitaire a établi huit certificats médicaux préconisant une suspension de peine. Sur les huit personnes concernées, une seule a bénéficié d'une suspension de peine (mars 2021), une autre est sortie en libération conditionnelle médicale, une troisième personne a vu sa demande de libération conditionnelle et suspension médicale rejetée par le tribunal d'application des peines alors qu'une place en EHPAD avait été trouvée, trois demandes ont été examinées par le tribunal d'application des peines en mars 2021 (mises en délibérée au 9 avril) et les deux dernières le seront au mois de mai.
Contrairement à ce qui était prévu lors de l'inauguration du bâtiment en 2013, le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) n'a pas développé de partenariat lui permettant de proposer une prise en charge extra-carcérale des personnes âgées ou handicapées, que ce soit en termes d'hébergement ou de suivi en soins ambulatoires. Si, au moment de la visite, il avait récemment soutenu deux dossiers d'aménagements de peine, ce service peine à construire et proposer des prises en charge adaptées.
Les magistrats sont confrontés à une pénurie de médecins experts surtout psychiatres et à des délais d'expertise trop longs. Les questions posées aux experts sont insuffisamment précises pour permettre un éclairage pertinent du juge. Les notions de « dangerosité » et de « risque de récidive », souvent mises en avant par les experts et régulièrement retenues par les juges comme motif prépondérant de rejet, ne sont pas toujours analysées au regard de l'état physique de la personne détenue.
Par ailleurs, la procédure d'urgence prévue par l'article D. 49-23 du code de procédure pénale est rarement mise en œuvre par les magistrats alors même qu'elle permettrait de se dispenser d'expertises complémentaires.
Enfin, les audiences du tribunal d'application des peines sont trop souvent tenues en visioconférence, ce que l'article D. 49-13 du code de procédure pénale ne prévoit pas, voire hors la présence des personnes détenues.
Toutes les possibilités judiciaires d'adaptation de la peine aux situations individuelles doivent être mobilisées et les personnes détenues doivent, dans toute la mesure du possible, pouvoir assister physiquement aux audiences les concernant.
L'ensemble de ces dysfonctionnements entraîne le maintien au sein de cette unité de personnes dont l'état de santé est, pour certaines, incompatible avec l'incarcération - et dans des conditions attentatoires à la dignité.
Pour ces détenus, aucune politique pénale n'est mise en œuvre et aucune réflexion interministérielle n'est entreprise pour rechercher des prises en charge adaptées alors que le vieillissement de la population pénale est un phénomène connu qui ne peut que s'accroître en raison des politiques pénales tendant, notamment, au rallongement des délais de prescription.
Aucune mesure d'enfermement ne devrait être mise en œuvre dans des conditions qui ne permettent d'assurer le respect ni de la dignité ni des droits des personnes qu'elle concerne, quel que soit leur âge ou leur état de santé. Les ministères de la santé et de la justice doivent définir et mettre en œuvre une politique permettant de mettre fin à ces mesures lorsqu'elles concernent des personnes dont l'état physique ou psychique ne permet pas de garantir l'effectivité de ce principe. Dans l'intervalle, l'administration pénitentiaire et les services de santé doivent mettre en place l'ensemble des moyens leur permettant d'assurer le respect de l'intégrité physique des personnes concernées, leur accès aux soins et à l'hygiène la plus élémentaire.
(1) Signalée dans le rapport d'activité de l'unité sanitaire en 2018, évoquée au conseil de surveillance de 2019 et relayée ensuite régulièrement par le chef d'établissement.Liens relatifs
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Recommandations en urgence du 16 avril 2021 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives au centre de détention de Bédenac (Charente-Maritime)