Synthèse
Le Haut Conseil souligne que le contexte d'incertitude exceptionnellement élevée résultant de la crise sanitaire affecte toute prévision macroéconomique d'une grande fragilité. Il note que le scénario du Gouvernement présenté dans ce projet de loi de finances rectificative (PLFR) repose sur deux hypothèses fortes, celle d'un confinement limité à un mois et celle d'un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère, qui ne sont pas acquis, si bien que la dégradation du cadre macroéconomique pourrait être plus marquée que prévu par le PLFR pour 2020.
Le Haut Conseil avait constaté dans son avis sur le PLF pour 2020 que la trajectoire de finances publiques présentée s'écartait nettement de celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de janvier 2018. Le PLFR pour 2020 fait l'hypothèse que toutes les mesures en recettes et en dépenses n'ont qu'un impact temporaire et donc n'affectent pas le solde structurel. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse devra être réexaminée lors des prochains avis qu'il sera amené à formuler.
Le Haut Conseil estime que la crise sanitaire et ses répercussions économiques et financières constituent des faits inhabituels indépendants de la volonté du Gouvernement et relèvent donc des « circonstances exceptionnelles » telles que mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance des finances publiques.
1. Le Haut Conseil a adopté, après en avoir délibéré lors de sa séance du 17 mars 2020, le présent avis.
Observations liminaires
2. Le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement le 17 mars 2020, en application de l'article 15 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de l'article liminaire du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020 ainsi que des prévisions macroéconomiques retenues.
3. La lettre de saisine sollicitait une remise de l'avis le jour même. Le Haut Conseil a considéré que, compte tenu de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve le pays du fait de l'épidémie de coronavirus Covid-19, il se devait de répondre dans le délai demandé. Ce délai inhabituel ne lui a pas permis de procéder aux auditions des administrations et d'organismes extérieurs.
4. Au-delà même de ces circonstances, l'exercice est rendu exceptionnellement difficile par le degré d'incertitude sans précédent qui caractérise la situation sanitaire, son évolution et ses impacts sociaux et économiques et par l'absence de toute référence historique pertinente pour guider l'analyse et de prévision émanant d'organismes privés ou publics incorporant les décisions, notamment de confinement, prises en France et dans la plupart de ses partenaires.
5. Le présent avis ne peut dans ces conditions que faire état de premiers éléments d'analyse portant sur la prévision de croissance et le cadrage économique et financier du PLFR. C'est dans ses prochains avis que le Haut Conseil sera amené à préciser son diagnostic sur le scénario macroéconomique et les prévisions de finances publiques incorporant l'impact de l'épidémie de coronavirus et les mesures de politique publique prises pour en atténuer l'impact économique.
I. - Scénario macroéconomique pour 2020
6. La saisine du Gouvernement mentionne que « le scénario présenté ici se base sur l'hypothèse que la France appliquera des mesures de restriction de l'activité et des déplacements pour une durée indicative d'un mois au total du fait de l'épidémie de coronavirus. Il se fonde également sur l'hypothèse que les autres principales économies de l'Union européenne mettent en œuvre des mesures d'ampleur et de durée similaires. Cette prévision est marquée par un niveau d'incertitude élevé, en raison de l'impossibilité d'évaluer à ce stade la durée de l'épidémie et des mesures nécessaires pour la juguler. […] Au total, le choc négatif lié à l'épidémie de coronavirus conduirait à une évolution du PIB d'environ - 1 % en 2020, principalement via la baisse de la consommation des ménages et la baisse de la demande en provenance de Chine de la zone euro. […] L'inflation diminuerait à + 0,6 % en 2020, après + 1,1% en 2019. […] En 2020, l'inflation diminue principalement sous l'effet de la baisse prononcée des prix du pétrole ».
7. Le Gouvernement prévoit désormais une récession pour 2020 (- 1,0 %), contre une prévision de croissance de + 1,3 % en loi de finances initiale, ce qui constituerait seulement la quatrième baisse du PIB en France depuis 1950 (1).
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8. Cette révision à la baisse de la prévision de PIB traduit la prise en compte de l'impact économique de la crise sanitaire que connaît la France comme de nombreux autres pays dans le monde, et notamment la perte d'activité quelle entraîne pour les entreprises qui ne disposeront pas de la totalité de leur main-d'œuvre, pour les secteurs relevant de lieux publics « non indispensables » (cafés-restaurants, activités touristiques et récréatives, etc.) qui ont dû fermer à partir du 15 mars, pour les entreprises de transports ainsi que pour celles, notamment dans l'industrie, qui ne disposeront pas des pièces nécessaires à leur production provenant habituellement de pays tournant au ralenti (Chine, puis Italie notamment).
9. En outre, l'activité en France devrait pâtir d'une réduction significative de la demande intérieure, en raison de la fermeture de certains commerce et services, d'un moindre investissement et de la baisse des consommations intermédiaires. Les exportations devraient aussi baisser, du fait de la contraction de la demande de nos partenaires touchés par l'épidémie. A l'inverse, la baisse des importations devrait amortir légèrement le recul de l'activité.
10. Tant l'ampleur de ces pertes d'activité que leur durée sont très incertaines. Les incertitudes portent en premier lieu sur la durée et l'effectivité des mesures de prévention de l'épidémie de coronavirus Covid-19, tant en France que dans les autres pays du monde. Une épidémie de cette ampleur est exceptionnelle et ses effets économiques sont de ce fait très difficiles à évaluer.
11. Le scénario du Gouvernement est très proche de celui présenté le 13 mars par la Commission européenne pour l'ensemble de la zone euro (baisse du PIB de 1,1 % contre une hausse de 1,4 % dans la prévision de publiée en février). Il repose sur deux hypothèses fortes, celle d'un confinement limité à un mois et celle d'un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère, qui ne sont pas acquises.
12. Le Haut Conseil souligne que le contexte d'incertitude exceptionnellement élevée résultant de la crise sanitaire affecte toute prévision macroéconomique d'une grande fragilité. Il note que le scénario du Gouvernement présenté dans ce projet de loi de finances rectificative repose sur deux hypothèses fortes, celle d'un confinement limité à un mois et celle d'un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère, qui ne sont pas acquis, si bien que la dégradation du cadre macroéconomique pourrait être plus marquée que prévu par le PLFR pour 2020.
II. - Scénario de finances publiques pour 2020
13. Selon le scénario du Gouvernement, « la prévision de solde public pour 2020 est revue en forte baisse à - 3,9 % du PIB, contre - 2,2 % prévu lors de la présentation du PLF 2020. Le solde structurel s'élèverait à - 2,2 % et l'ajustement structurel à 0,0 point (comme au PLF). […] Par rapport au PLF 2020, des moins-values seraient enregistrées sur les recettes compte tenu de la dégradation des perspectives de croissance, tandis que la dépense publique serait revue à la hausse du fait de l'augmentation des dépenses conjoncturelles de chômage et des mesures d'urgence prises face à la crise du Covid-19 » […] Le ratio de dépense publique serait révisé à la hausse (55,3 % [2] contre 53,4 % au PLF 2020) du fait d'une hausse de 7,1 Md€ de la norme de dépense pilotable par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 (au titre de l'activité partielle - avec également un cofinancement de l'Unedic - et au titre du fond d'indemnisation - avec également un cofinancement des régions), et de la provision du coût des mesures dans le domaine de la santé, permettant de couvrir les achats de matériel (masques), les indemnités journalières et la reconnaissance de l'engagement des personnels hospitaliers. Cette révision du ratio de dépense publique reflète aussi les effets de la dégradation cyclique de l'activité. »
14. Pour l'année 2019, la décomposition du solde public présentée dans le PLFR entre solde conjoncturel, solde structurel et opérations exceptionnelles et temporaires n'est pas modifiée par rapport au PLF 2020. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas actualiser ses prévisions de finances publiques depuis septembre 2019, en attendant la finalisation de la notification du déficit pour 2019 qui devrait intervenir le 26 mars 2020.
15. Pour l'année 2020, le scénario de finances publiques comporte de nombreuses incertitudes, tenant notamment celles affectant la prévision du scénario macroéconomique.
16. La prise en compte des mesures d'urgence annoncées par le Gouvernement conduit à dégrader la situation des finances publiques pour l'année 2020. Le PLFR intègre une hausse de 7,1 Md€ de la norme de dépense pilotable par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Le Gouvernement a considéré que les mesures annoncées pour faire face à la crise du Covid-19 n'auraient pas d'impact pérenne sur le solde public et a classé ces dépenses supplémentaires en mesures ponctuelles et temporaires.
Décomposition du solde public présenté par le Gouvernement
En points de PIB
PLFR pour 2020
(mars 2020)
LPFP
(janvier 2018)
2018
2019
2020
2018
2019
2020
Solde public
-2,5
-3,1
-3,9
-2,8
-2,9
-1,5
Composante conjoncturelle
0,0
0,0
-1,3
-0,4
-0,1
0,1
Mesures ponctuelles et temporaires
-0,2
-0,9
-0,4
-0,2
-0,9
0,0
Solde structurel
-2,3
-2,2
-2,2
-2,1
-1,9
-1,6
Écart avec la LPFP
-0,1
-0,3
-0,5
Note. - Les chiffres étant arrondis au dixième, il peut en résulter de légers écarts dans le résultat des opérations.
Source : Projet de loi de finances rectificative pour 2020, loi de programmation de janvier 2018.Liens relatifs
17. En 2020, le solde structurel s'établirait à - 2,2 points de PIB, soit un niveau inchangé par rapport à 2019. La prévision de déficit structurel du PLFR pour 2020 n'est pas modifiée par rapport au projet de loi de finances pour 2020. La dégradation du déficit nominal provient en effet de la prise en compte des mesures pour faire face à la crise du Covid-19, comptabilisées en mesures temporaires, et de l'impact de la dégradation de la conjoncture sur le solde public (la composante conjoncturelle s'établit à - 1,3 point de PIB contre + 0,1 point de PIB dans le PLF pour 2020).
18. La trajectoire de solde structurel présentée dans le PLFR pour 2020, inchangée par rapport au PLF pour 2020, s'écarte fortement de la trajectoire de la loi de programmation en vigueur (- 2,2 points en PLF contre - 1,6 point en LPFP), ainsi que l'avait relevé le Haut Conseil dans son avis relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2020.
19. Cette trajectoire repose sur l'hypothèse que les recettes des prélèvements obligatoires ne baisseront pas plus que l'activité (hypothèse d'« élasticité » unitaire des recettes à la croissance). Si, comme c'est généralement le cas en période de récession, les recettes des prélèvements obligatoires baissaient plus fortement que l'activité (soit une élasticité des prélèvements obligatoires supérieure à 1), le solde effectif comme le solde structurel en seraient dégradés d'autant. Le PLFR suppose également que le report annoncé par le Gouvernement le 16 mars 2020 des cotisations sociales et de recettes fiscales pour les échéances des mois de mars et d'avril ne sera que temporaire et ne pèsera donc pas sur les recettes de l'année 2020.
20. S'agissant des dépenses, les mesures exceptionnelles annoncées par le Gouvernement pour faire face à la crise sanitaire et à ses répercussions économiques et sociales sont évaluées par le PLFR à 11,5 Md€ (8,5 Md€ pour l'activité partielle, 2 Md€ pour des dépenses additionnelles de santé et 1 Md€ pour un fonds d'indemnisation à destination des travailleurs indépendants). Compte tenu du délai de production de l'avis demandé par le Gouvernement et des informations limitées qui lui ont été fournies, le Haut Conseil n'est pas en mesure d'évaluer le degré de réalisme des prévisions de dépenses présentées par le Gouvernement.
21. Le Haut Conseil avait constaté dans son avis sur le PLF pour 2020 que la trajectoire de finances publiques présentée s'écartait nettement de celle présentée dans la loi de programmation des finances publiques de janvier 2018. Le PLFR pour 2020 fait l'hypothèse que toutes les mesures en recettes et en dépenses n'ont qu'un impact temporaire et n'affectent donc pas le solde structurel. Le Haut Conseil estime que cette hypothèse devra être réexaminée lors des prochains avis qu'il sera amené à formuler.
III. - Circonstances exceptionnelles
22. En vertu de l'alinéa IV-A de l'article 23 de la loi organique de 2012 relative à la gouvernance et à la programmation des finances publiques (3), le Gouvernement a demandé au Haut Conseil des finances publiques si les circonstances exceptionnelles mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) sont bien réunies.
23. L'article 3 du TSCG précise que les circonstances exceptionnelles « font référence à des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou à des périodes de grave récession économique telles que visées dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, pour autant que l'écart temporaire de la partie contractante concernée ne mette pas en péril sa soutenabilité budgétaire à moyen terme ».
24. Le Haut Conseil estime que la crise sanitaire et ses répercussions économiques et financières constituent des faits inhabituels indépendants de la volonté du Gouvernement et relèvent donc des « circonstances exceptionnelles » telles que mentionnées à l'article 3 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française et joint au projet de loi de finances rectificative pour 2020.
ANNEXE
ARTICLE LIMINAIRE DU PREMIER PLFR POUR 2020
Prévision de solde structurel et de solde effectif de l'ensemble des administrations publiques pour l'année 2020
La prévision de solde structurel et de solde effectif de l'ensemble des administrations publiques pour 2020 s'établit comme suit :
En points de produit intérieur brut (PIB)
Prévision 2019 (*)
Prévision 2020
Solde structurel (1)
-2,2
-2,2
Solde conjoncturel (2)
0,0
-1,3
Mesures exceptionnelles et temporaires (3)
-0,9
-0,4
Solde effectif (1 + 2 + 3)
-3,1
-3,9
(*) Le déficit provisoire de l'année 2019 sera publié par l'INSEE à la fin du mois de mars (compte provisoire des administrations publiques pour 2019).
Exposé des motifs
La prévision de solde public pour 2019 est maintenue à - 3,1 % du PIB, au même niveau que dans le projet de loi de finances rectificatives pour 2019. Le solde provisoire pour l'année 2019 sera publié par l'INSEE fin mars.
La prévision de solde public pour 2020 est revue en forte baisse à - 3,9 % du PIB, contre 2,2 % prévu lors de la présentation du PLF pour 2020. Le solde structurel s'élèverait à - 2,2 % (inchangé depuis le PLF 2020) et l'ajustement structurel à 0,0 point (comme dans le PLF pour 2020). L'estimation sous-jacente de la croissance a été revue à - 1,0 %, contre + 1,3 % dans le PLF pour 2020.
L'estimation de croissance potentielle est inchangée par rapport au PLF pour 2020 et à la LPFP 2018-2022. Le coût provisionné au titre des mesures annoncées pour faire face à la crise du Covid-19 a été traité en mesures ponctuelles et temporaires, du fait de leur caractère non pérenne sur le solde public.
Par rapport au PLF 2020, des moins-values seraient enregistrées sur les recettes compte tenu de la dégradation des perspectives de croissance, tandis que la dépense publique serait revue à la hausse du fait de l'augmentation des dépenses conjoncturelles de chômage et des mesures d'urgence prises face à la crise. La norme de dépense pilotable de l'Etat a notamment été relevée de 7,1 Md€ par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, au titre des crédits ouverts pour la mise en place de l'activité partielle (avec également un cofinancement par l'Unédic) et de ceux ouverts pour le fonds d'indemnisation (cofinancement par les collectivités locales). Enfin, a été intégrée une enveloppe de 2 Md€ dans le domaine de la santé, permettant de couvrir les achats de matériel (masques), les indemnités journalières et la reconnaissance de l'engagement des personnels hospitaliers.
Fait à Paris, le 17 mars 2020.
Pour le Haut Conseil des finances publiques :
La doyenne des présidents de la Cour des comptes, première présidente de la Cour des comptes par intérim, présidente du Haut Conseil des finances publiques par intérim,
S. Moati
(1) Le PIB s'est replié de 1,0 % en 1975, de 0,6 % en 1993 et de 2,9 % lors de la grande récession de 2009.
(2) Chiffre hors France compétences. Le ratio de dépense publique serait de 55,6 % y compris France compétences, contre 53,6 % au PLF pour 2020.
(3) « Le Gouvernement peut demander au Haut Conseil des finances publiques de constater si les conditions mentionnées à l'article 3 du traité, signé le 2 mars 2012, précité, pour la définition des circonstances exceptionnelles sont réunies ou ont cessé de l'être. »