Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 relative au régime des décisions prises en matière de santé, de prise en charge ou d'accompagnement social ou médico-social à l'égard des personnes majeures faisant l'objet d'une mesure de protection juridique

NOR : JUSC2003918P
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/rapport/2020/3/12/JUSC2003918P/jo/texte
JORF n°0061 du 12 mars 2020
Texte n° 2

Version initiale


  • Monsieur le Président de la République,
    La présente ordonnance est prise en application du IV de l'article 9 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui autorise le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour :
    « Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi visant à modifier, dans un objectif d'harmonisation et de simplification, les dispositions fixant les conditions dans lesquelles est prise une décision portant sur la personne d'un majeur qui fait l'objet d'une mesure de protection juridique et, selon les cas, intervenant en matière de santé ou concernant sa prise en charge ou son accompagnement social ou médico-social. »
    Le Gouvernement a sollicité cette habilitation afin de répondre aux critiques formulées tant par la doctrine que par les praticiens sur la difficile articulation des dispositions relatives à la protection juridique des majeurs figurant dans le code civil et les dispositions du code de la santé publique issues de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
    En effet, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs a consacré dans le code civil le principe jurisprudentiel, selon lequel la protection a pour finalité aussi bien la protection de la personne même du majeur que celle de ses biens.
    S'inspirant des standards européens, le dispositif de protection de la personne issu de la loi du 5 mars 2007 diffère de celui retenu pour la protection des biens. Ainsi, la protection de la personne produit des effets indépendamment du régime de protection des biens et l'autonomie du majeur dans la sphère personnelle prime, sauf décision spéciale du juge des tutelles.
    Cela se traduit dans les textes par l'introduction d'un droit à une information complète et adaptée de la personne protégée afin de lui permettre de prendre seule les décisions la concernant lorsque son état le lui permet (article 457-1 du code civil).
    Par ailleurs, l'article 458 du code civil écarte l'assistance et la représentation de la personne pour les actes « strictement personnels » et fixe une liste non exhaustive de ces actes parmi lesquels figurent la déclaration de naissance et la reconnaissance d'un enfant, les actes de l'autorité parentale relatifs à la personne de l'enfant, la déclaration du choix ou du changement de nom de l'enfant, le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant. Si l'état de la personne protégée ne lui permet pas de consentir seule, ces actes ne pourront pas être accomplis au nom de celle-ci.
    Hors le domaine de ces actes strictement personnels, la personne protégée prend également seule, en principe, les décisions relatives à sa personne. Ce n'est que si son état ne lui permet pas de prendre seule une décision personnelle éclairée que le juge ou, le cas échéant, le conseil de famille peut prévoir qu'elle bénéficiera pour ces actes d'une assistance voire d'une représentation par le tuteur dans le cadre d'une mesure de tutelle. Le juge ou le conseil de famille peut prévoir que cette assistance ou cette représentation est nécessaire pour l'ensemble des actes relatifs à la personne, pour seulement certains d'entre eux ou pour une série d'actes qu'il désigne dans sa décision.
    Tout en construisant ce « régime général » de la protection de la personne, le législateur de 2007 n'a pas souhaité remettre en cause les dispositions du code de la santé publique relatives aux majeurs protégés. Ainsi, l'article 459-1 du même code précise que l'application de ces dispositions ne peut avoir pour effet de déroger aux dispositions particulières prévues par le code de la santé publique et le code de l'action sociale et des familles prévoyant l'intervention d'un représentant légal.
    Or, après dix ans de mise en œuvre de cette réforme, la ligne de partage entre le régime général de la protection de la personne fixé par le code civil et l'application des règles spéciales en matière médicale, médico-sociale ou sociale n'apparaît ni satisfaisante ni, surtout, lisible.
    En effet, les professionnels de la santé s'interrogent régulièrement sur le champ d'intervention de chacun des organes de la protection.
    En outre, les dispositions du code de la santé publique qui envisagent la situation des majeurs protégés ne visent généralement pas l'ensemble des mesures de protection et se réfèrent la plupart du temps uniquement à la tutelle. Par suite, selon les textes, la référence au « représentant légal » ne désigne pas toujours les mêmes personnes.
    Il existe ainsi des incertitudes quant au régime juridique applicable aux décisions qui concernent les majeurs en curatelle ou sous sauvegarde de justice lorsqu'un mandataire spécial s'est vu confier une mission de protection de la personne. Il en va de même pour la personne ayant conclu un mandat de protection future, dès lors que le mandat ne peut déroger au régime général de la protection de la personne prévue par le code civil. Enfin, l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille a créé la mesure d'habilitation familiale mais les adaptations nécessaires n'ont pas été apportées dans le code de la santé publique.
    Outre la nécessaire harmonisation des différents textes qui traitent de la protection de la personne, afin de faire cesser les incohérences décrites ci-dessus, la présente réforme doit assurer une articulation équilibrée du principe d'autonomie du majeur protégé pour décider les questions relatives à sa personne dès lors que son état le lui permet, avec les pouvoirs confiés à l'organe chargé de sa protection.
    En effet, si depuis 2007 le code civil fait primer l'autonomie du majeur protégé, le code de santé publique privilégie plutôt la protection du majeur par le tuteur. La seule limite au pouvoir de décision de ce dernier est la possibilité pour le médecin de délivrer les soins indispensables en cas de refus de soins ou de traitement par le tuteur.
    Il peut être relevé que le livre blanc sur la protection juridique des majeurs, édité en 2012 par la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE), la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH), l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI), préconise l'harmonisation des dispositions du code civil et du code de la santé publique définissant les cas dans lesquels l'intervention du juge des tutelles est requise pour autoriser les soins médicaux sur la personne protégée. Un groupe de travail sur les tribunaux d'instance conduit par la chancellerie et regroupant les associations et organisations syndicales de magistrats et de fonctionnaires, dont le rapport a été rendu en mai 2012, a formulé les mêmes recommandations.
    La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a par ailleurs relayé les critiques existantes dans son avis du 16 avril 2015, relatif au consentement des personnes vulnérables. Elle recommande, en matière de consentement aux soins, de s'assurer de la bonne articulation entre les dispositions prévues par le code civil et les dispositions prévues par le code de la santé publique afin de favoriser l'autonomie de la personne. La CNCDH relève notamment que les dispositions du code de la santé publique issues pour la plupart des dispositions de la loi du 4 mars 2002 précitée demeurent sur ce point en retrait par rapport à celles du code civil telles que modifiées par la loi du 5 mars 2007 précitée.
    La présente ordonnance permet ainsi de coordonner l'ensemble des dispositions du code de la santé publique qui font référence aux personnes protégées avec les règles du code civil. Elle détermine la portée pratique de chacun des actes envisagés par le code de la santé publique, afin de préciser le rôle de la personne chargée de la protection et le cas échéant du juge des tutelles et de renforcer la protection de la personne protégée ainsi que le respect de son autonomie dans la sphère personnelle s'agissant plus particulièrement de ses décisions en lien avec un acte médical.
    Conformément à l'habilitation, ce projet d'ordonnance modifie également les dispositions du code de l'action sociale et des familles afin de tenir compte des évolutions récentes concernant la protection juridique des majeurs.
    Prolongeant les avancées issues de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice a considérablement renforcé les droits fondamentaux des majeurs protégés. L'article 459 du code civil, tel que modifié par le 5° du I de l'article 9 de la loi du 23 mars 2019 précitée, permet au majeur protégé de prendre seul les décisions relatives à sa personne. Le juge peut désigner une personne pour l'assister ou le représenter pour les situations dans lesquelles le majeur protégé sera dans l'impossibilité de consentir ou d'exprimer sa volonté. En cas de désaccord entre le majeur et la personne chargée de sa protection, le juge désignera qui, du majeur ou de la personne chargée de la protection, prendra la décision.
    L'ordonnance adapte les dispositions spécifiques du code de la santé publique, et du code de l'action sociale et des familles, au regard des mécanismes de décisions applicables à la protection juridique des majeurs prévus par le code civil.
    En matière de santé, le code de la santé publique comporte des formulations anciennes puisque est seule visée la tutelle. Ni l'assistance en matière médicale, ni le mandat de protection future, ni l'habilitation familiale ne sont envisagés par les dispositions du code de la santé publique. C'est pourquoi il est nécessaire de procéder à l'harmonisation des dispositions fixant les conditions dans lesquelles est prise une décision portant sur la personne d'un majeur qui fait l'objet d'une mesure de protection juridique en matière de santé.
    Le chapitre Ier de l'ordonnance procède aux nombreuses harmonisations terminologiques du code de la santé publique rendues nécessaires par ce renouvellement de la place du majeur protégé pour la prise de décisions concernant sa santé. Les articles du code de la santé publique relatifs au droit à l'information médicale, au consentement aux soins, aux directives anticipées, à la création du dossier médical partagé et à l'organisation de l'accès à ce dossier sont mieux structurés de façon à distinguer, d'une part, les règles applicables aux mineurs, qui sont systématiquement représentés par une personne majeure capable, investie de l'exercice de l'autorité parentale, c'est-à-dire par les parents, les délégataires de l'autorité parentale ou le tuteur et, d'autre part, les règles applicables aux majeurs protégés.
    Les informations nécessaires à la prise de décision doivent être adressées, en première intention, à la personne protégée. Il est fait une distinction entre la personne chargée de la représentation du majeur protégé et celle chargée de l'assister, dans le cadre d'une mesure de protection étendue à la personne, par opposition aux mesures de protection qui concernent uniquement les biens de la personne. Les professionnels de santé devront ainsi veiller à adapter l'information délivrée au majeur à ses facultés de compréhension et de consentement, de façon qu'il puisse consentir de façon personnelle s'il est en état de le faire. Ce n'est que subsidiairement que les personnes chargées de la protection peuvent être amenées à consentir à sa place.
    Outre l'introduction de ces articles généraux consacrés au processus d'information et de prise de décision en matière médicale, la réforme remplace le terme « tuteur », obsolète au regard de la diversification des formes de protection de la personne, par une formule plus générale : « la personne chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne ».
    Surtout, l'ordonnance rénove le code de la santé publique en posant clairement le pricipe d'une information directement délivrée au majeur protégé et à son représentant. L'information de la personne chargée d'une assistance est subordonnée à l'accord de l'intéressé, au regard du secret médical. Le consentement aux actes médicaux doit en outre émaner du majeur à chaque fois qu'il est apte à exprimer sa volonté, sauf pour des actes médicaux particulièrement graves ou invasifs.
    La personne chargée d'une mesure de protection pourra néanmoins intervenir, même si elle est chargée d'une mission d'assistance ou que ses pouvoirs sont limités à la gestion des biens, à chaque fois qu'une indemnisation peut être demandée. De même, son intervention est maintenue dans certaines circonstances en matière de soins sans consentement. Les termes employés sont alors « personne chargée de la mesure de protection juridique », sans la précision de la circonstance de « représentation relative à la personne ».
    Le deuxième chapitre de l'ordonnance contient les modifications apportées au code de l'action sociale et des familles. De la même façon que dans le code de la santé publique, la situation de la représentation des mineurs et des majeurs protégés est distinguée. La terminologie applicable à la protection juridique des majeurs dans ce code est rénovée de façon à tenir compte de la diversification des formes de protection juridique avec représentation de la personne. La formule évoquant « la personne chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne » sera également utilisée dans le code de l'action sociale et des familles de façon à harmoniser les termes utilisés dans ces deux codes, s'agissant de situations semblables. Cela permet d'atteindre l'objectif d'harmonisation poursuivi par l'habilitation donnée au Gouvernement.
    Les dispositions de l'ordonnance d'harmonisation relèvent de l'état et de la capacité des personnes. Ces dispositions sont applicables de plein droit en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, ces collectivités étant régies par le principe d'identité législative.
    En vertu de l'article LO 6213-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires sont également applicables de plein droit à Saint-Barthélemy, à l'exception de celles intervenant dans les matières de la compétence de la collectivité en application de l'article LO 6214-3 du même code parmi lesquelles ne figurent pas les règles relatives à la capacité des personnes. Il en est de même pour Saint-Martin en application des articles LO 6313-1 et LO 6314-3 du code général des collectivités territoriales, et pour Saint-Pierre-et-Miquelon conformément aux articles LO 6413-1 et LO 6414-1 du code général des collectivités territoriales.
    A Wallis-et-Futuna, en application de la loi n° 70-589 du 9 juillet 1970 relative au statut civil de droit commun dans les territoires d'outre-mer, les dispositions relatives à la capacité des personnes sont applicables de plein droit à Wallis-et-Futuna.
    En vertu de l'article 1er-1 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton dans sa version modifiée, sont applicables de plein droit dans les Terres australes et antarctiques françaises les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives à l'état et la capacité des personnes.
    En outre, l'article 9 de la loi du 6 août 1955 précitée prévoit que les lois et règlements sont applicables de plein droit dans l'île de Clipperton.
    Enfin, l'article 7 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française permet une dérogation à la nécessité d'une mention expresse pour l'applicabilité des matières relevant de l'état et la capacité des personnes.
    A noter en revanche qu'en Nouvelle-Calédonie, les dispositions ne seront pas applicables en ce que la loi de pays n° 2012-2 du 20 janvier 2012 a transféré le droit civil à la compétence de la Nouvelle-Calédonie.
    Cette ordonnance entrera en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et au plus tard le 1er octobre 2020, afin de permettre d'adapter les dispositions réglementaires nécessaires dans les deux codes.
    Elle est applicable aux mesures de protection juridique en cours au jour de son entrée en vigueur et aux actes médicaux ou médicaux-sociaux pour lesquels aucune décision n'a été prise au jour de son entrée en vigueur.
    Tel est l'objet de la présente ordonnance que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation.
    Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre profond respect.

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 224,3 Ko
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