Avis du 14 octobre 2019 relatif à la prise en charge des personnes détenues atteintes de troubles mentaux

Version initiale


  • Depuis sa création, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a relevé, à de nombreuses reprises, les carences de la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues et leurs lourdes conséquences. Alors que les ministres de la justice et de la santé ont annoncé une feuille de route (1) déclinant vingt-huit actions pour évaluer la santé des personnes incarcérées et le lancement d'une étude pour évaluer la santé mentale des détenus, le CGLPL dresse un constat accablant de cette situation et entend réaffirmer le principe d'une égalité réelle d'accès aux soins et de traitement entre les patients détenus et le reste de la population.
    S'agissant des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, le Contrôleur général intervient à un double titre : il s'assure du respect des droits fondamentaux liés à leur statut de détenu (défense, conditions de détention, dignité, intégrité physique et psychologique, maintien des liens familiaux, accès aux activités, accès aux soins, réinsertion, etc.) et de ceux qui s'attachent à leur qualité de patient (accès à une prise en charge équivalente à celle dont bénéficie la population générale, dignité et confidentialité des soins, libre choix du médecin, continuité des soins, etc.).
    Les constats du CGLPL portent sur des situations concrètes : des pathologies lourdes aggravées par l'enfermement et l'isolement, un risque de suicide accru et des conditions de détention qui perturbent l'accès aux soins, nuisent à leur efficacité et, finalement, privent la sanction pénale de son sens. A l'origine de ces situations, trois facteurs principaux peuvent être identifiés : la méconnaissance des pathologies affectant la population pénale, l'insuffisance des moyens institutionnels de leur prise en charge et la banalisation d'atteintes quotidiennes aux droits fondamentaux, parfois de faible gravité, mais récurrentes.
    Une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l'homme aborde la question de la santé mentale des personnes détenues au regard de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants. La Cour a condamné la France à plusieurs reprises, en raison notamment du suicide de personnes détenues, de sanctions infligées à un détenu souffrant de troubles psychotiques ou du maintien en détention, sans encadrement médical approprié, d'une personne atteinte d'une psychose chronique. Elle a rappelé le devoir de vigilance pesant sur les Etats membres dans la prévention du suicide des prisonniers vulnérables, s'attachant en particulier à déterminer si le sentiment de détresse provoqué chez ces personnes du fait de leur état psychique « excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ». Enfin, la Cour considère que les allers-retours entre les structures sanitaires et la détention peut faire obstacle à la stabilisation de l'état de santé de la personne malade et méconnaître à ce titre l'article 3 de la Convention.


    1. Les pathologies mentales affectant les personnes détenues sont mal connues
    1.1. Les études épidémiologiques sont anciennes ou partielles


    La dernière étude épidémiologique réalisée en France sur la santé mentale dans les prisons françaises (2) montre que huit détenus masculins sur dix souffrent d'au moins un trouble psychiatrique et, parmi eux, 24 % souffrent d'un trouble psychotique. 42 % des hommes et la moitié des femmes en métropole ont des antécédents personnels et familiaux d'une gravité manifeste ; 40 % des hommes et 62 % des femmes détenues présenteraient un risque suicidaire.
    Une étude sur la santé mentale de la population carcérale du Nord-Pas-de-Calais conduite entre 2015 et 2017 a confirmé ces données et mis en lumière des comorbidités très fréquentes, puisque 45 % des arrivants en détention présenteraient au moins deux troubles psychiatriques et plus de 18 % au moins quatre troubles (3).
    Le CGLPL fait état depuis de nombreuses années de la carence d'une analyse qualitative fine de la souffrance psychique des détenus, de l'évolution des troubles au cours de la détention et des effets potentiellement pathogènes de l'incarcération, et soulignait, dans son rapport d'activité pour 2013, la nécessité de mieux connaitre l'importance des troubles psychiatriques dans les lieux d'enfermement. A ce titre, il émettait la recommandation suivante : « Constatant l'absence ou l'ancienneté des études à ce sujet, le Contrôleur général recommande le lancement d'enquêtes épidémiologiques longitudinales sur les troubles psychiatriques dans les lieux de privation de liberté, y compris les hôpitaux psychiatriques ».
    Il est aujourd'hui indispensable d'améliorer la connaissance des pathologies mentales chez les personnes détenues, en l'orientant vers la recherche d'une prise en charge adaptée et la définition d'une politique de soins et en insistant sur la nécessité de donner à cette démarche un caractère récurrent et consensuel.


    1.2. La justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales


    Parmi les principales causes identifiées de la surpopulation carcérale figurent la détention provisoire et la procédure de comparution immédiate, destinée à accélérer la réponse pénale, et qui aboutit fréquemment à des incarcérations immédiates. Or, les personnes souffrant de troubles mentaux ont souvent des difficultés à s'exprimer, notamment sur l'existence d'un suivi psychiatrique. En outre, les avocats, généralement désignés d'office, qui interviennent dans ce type de procédures, n'ont pas toujours la possibilité d'étudier l'intégralité des dossiers et lorsqu'une expertise psychiatrique est diligentée, elle n'est pas suspensive : la personne objet de l'expertise est donc susceptible d'être incarcérée dans l'attente des conclusions. Lorsqu'une peine d'emprisonnement est prononcée, elle est souvent exécutée alors que l'état de la personne condamnée nécessiterait une prise en charge psychiatrique que la prison, contrairement à une idée reçue, parfois même parmi les magistrats, n'est pas en mesure de prodiguer.
    Depuis le 1er mars 1994, l'article 122-1 du code pénal permet au juge de tenir compte, lorsqu'il « détermine la peine et en fixe le régime », d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré le discernement de l'auteur d'une infraction pénale (4). La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales prévoit quant à elle, le cas échéant, une réduction de la peine (d'un tiers quand est encourue une peine privative de liberté et, en cas de crime puni de la détention criminelle à perpétuité, cette dernière est ramenée à trente ans). Cette évolution a mis un terme à la pratique antérieure qui tendait à faire de l'altération du discernement résultant d'un trouble psychique ou neuropsychique une circonstance aggravante et, par conséquent, à alourdir les peines au lieu de les alléger, pratique qualifiée de discriminatoire par l'ONG Human Rights Watch (5).
    Les expertises psychiatriques, qui ne sont systématiques qu'en matière criminelle et qui en tout état de cause ne lient pas le juge, concluent cependant rarement à l'irresponsabilité totale prévue à l'alinéa premier de l'article L. 122-1 du code pénal. Cette tendance s'expliquerait en partie par les réticences des experts à orienter la personne examinée vers le service public hospitalier, dont ils connaissent les limites et le niveau de saturation (6), auxquelles s'ajouterait leur méconnaissance du milieu pénitentiaire et des conditions de vie qui le caractérisent : ainsi certaines expertises mentionnent-elles que, malgré des troubles graves, la prison pourrait « redonner le sens moral » à l'intéressé, ou lui « permettre de se resituer par rapport à la loi ».
    Enfin, comme le souligne un rapport parlementaire de l'Assemblée nationale sur la détention (7), l'expertise psychiatrique traverse une crise profonde, en raison notamment du nombre insuffisant d'experts dotés des compétences criminologiques et pénales nécessaires, de la multiplication des demandes d'expertise, du manque de formation des professionnels et de la faible attractivité financière de cet exercice.
    La combinaison de ces différents facteurs conduit en détention des personnes dont la santé mentale justifierait une prise en charge médicale spécifique. Le CGLPL rejoint donc, sur ce point, la conclusion des parlementaires, qui appellent de leurs vœux le réexamen des dispositions relatives à la responsabilité pénale dans les situations d'abolition ou d'altération du discernement afin de mettre le juge en mesure de mieux appréhender la santé mentale des personnes prévenues.


    1.3. Le personnel pénitentiaire n'est pas formé pour appréhender et gérer la maladie mentale


    Certains troubles mentaux préexistent à l'incarcération, tandis que d'autres peuvent survenir au cours de l'incarcération. Dans certains cas, des troubles latents mais « compensés » en milieu libre, peuvent se manifester ou s'aggraver en détention. Dans tous les cas, la maladie mentale affectant la personne détenue introduit une complexité dans sa relation avec le personnel pénitentiaire, que sa formation, axée sur la sécurité, ne prépare pas à la gestion de la maladie mentale : si la prévention du suicide fait l'objet d'un enseignement sous la forme du repérage de la crise suicidaire, la prise en charge des personnes dépressives ou atteintes de troubles psychotiques n'est pas abordée. Le personnel de surveillance est donc mal armé pour comprendre la maladie mentale et mettre en œuvre, dans le cadre de la détention, des modalités de prise en charge adaptées. Souvent, il a pour seule ressource ses initiatives, parfois riches, mais qui demanderaient à être construites et interrogées en tant que pratiques professionnelles.
    Par ailleurs, le CGLPL a parfois vu des personnes atteintes de troubles mentaux rester enfermées dans leurs cellules, abandonnées à elles-mêmes, sans qu'aucun soignant n'intervienne au motif que « le patient n'avait pas de demande ». Or, la demande de la personne détenue ne suffit pas à détecter des troubles mentaux. En effet, beaucoup de personnes détenues, bien que conscientes des troubles qui les affectent, répugnent à solliciter spontanément une consultation psychologique considérée comme un aveu de faiblesse stigmatisant, et susceptible notamment de les exposer au risque d'être perçus comme auteurs d'infraction à caractère sexuel, avec les conséquences qui en résultent en termes de relations avec le reste de la population pénale. Parfois enfin, la demande de soins psychiatriques induit un soupçon d'instrumentalisation : la demande est perçue par l'administration pénitentiaire comme utilitaire, c'est-à-dire motivée par le seul souci d'étayer un recours juridictionnel ou une requête auprès du juge de l'application des peines, et non par un réel besoin de soins.
    C'est pourquoi, ainsi qu'il l'a fait dans son rapport annuel pour 2013 et dans son rapport « Le personnel des lieux de privation de liberté » (8), le CGLPL recommande que le personnel de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficie systématiquement d'une formation élémentaire à la détection et à la gestion des troubles mentaux de la population pénale. Il ne s'agit évidemment pas de conduire des surveillants à prendre en charge la pathologie mais de favoriser son repérage et la mise en œuvre de modalités de surveillance qui la prennent en compte sans l'aggraver.


    2. La prise en charge des personnes détenues atteintes de pathologies mentales est inégale et incomplète
    2.1. Les moyens pour garantir l'accès aux soins sont insuffisants


    Depuis la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) en 2002 (9), la prise en charge de la maladie mentale en prison est organisée selon trois modalités :


    - l'ambulatoire, dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) ;
    - l'hospitalisation de jour dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et certaines USMP ;
    - l'hospitalisation complète, soit en UHSA, en soins libres ou sans consentement, soit dans des services psychiatriques de proximité, uniquement en soins sans consentement sur décision du représentant de l'Etat, prise à l'initiative du psychiatre et non de l'administration pénitentiaire.


    Malgré cette organisation pertinente, et contrairement à ce que prévoit la loi (10), les patients détenus ne disposent pas d'un accès aux soins équivalent à celui des patients libres. Des difficultés soulignées depuis de nombreuses années par le CGLPL et les organismes professionnels ont été récemment parfaitement décrites, d'une part dans le cadre de la stratégie nationale « Santé des personnes placées sous-main de justice » lancée en 2017 par le Gouvernement et, d'autre part, par les groupes de travail déjà cités de l'Assemblée nationale. On peut dès lors estimer qu'il existe un consensus sur le constat.
    La progression inquiétante du nombre des détenus en maisons d'arrêt et la surpopulation chronique qui en découle n'ont pas été accompagnées d'un développement parallèle des moyens de santé. En conséquence, la crise démographique de la psychiatrie française se ressent de manière plus sensible en prison qu'ailleurs, notamment du fait de la faible attractivité de ce mode d'exercice.
    L'accès aux soins ambulatoires et à l'hospitalisation de jour est très inégal selon que la personne détenue est ou non affectée dans un établissement doté d'un SMPR. Cette inégalité est plus grave encore pour les femmes qui, de manière générale, rencontrent davantage de difficultés que les hommes pour accéder aux « services » de la détention. L'offre de soins ambulatoires doit donc être complétée et la coordination des SMPR améliorée, afin de mettre ces derniers à même de prendre effectivement en charge toute la population de leur « région » et pas seulement celle de l'établissement pénitentiaire qui les héberge.
    L'inégale répartition territoriale et le faible nombre des neuf UHSA, auxquels s'ajoutent des difficultés relatives au transport des personnes détenues d'un établissement à un autre, contrarient le principe d'égalité d'accès aux soins à proportion de la distance qui sépare le site demandeur de l'UHSA, et accroissent les délais d'attente pour accéder à ces dernières. En outre, en raison du nombre insuffisant d'UHSA, certains psychiatres sont amenés à provoquer l'admission de personnes détenues en soins psychiatriques sans consentement au titre de l'article L. 3214-3 du code de la santé publique, qui régit l'unique situation dans laquelle une personne détenue peut avoir accès à un établissement de santé mentale ordinaire, selon les modalités de surveillance prévues à l'article D. 398 du code de procédure pénale, ce qui a pour conséquence de maintenir sous contrainte une personne qui pourrait bénéficier de soins libres dans une UHSA.
    La coordination de ce dispositif est insuffisante pour garantir une réelle continuité des soins. En effet, le retour en prison après un séjour en UHSA ou à l'hôpital, n'offrent pas un environnement adapté à la prise en charge de troubles psychiatriques comme le ferait un centre médico-psychologique en milieu ouvert. Il en résulte pour certains patients un cycle sans fin d'hospitalisations et de retours en détention après un rétablissement toujours incomplet. A cet égard, il sera observé que, si l'idée d'instituer des programmes de soins en milieu pénitentiaire peut paraître séduisante, elle repose sur une assimilation excessive de la prison au domicile personnel et sur l'illusion que le milieu pénitentiaire est en mesure de fournir des prestations d'accompagnement et de soutien que l'on n'y trouve pas dans les faits. Indépendamment des critiques intrinsèques que peut appeler le régime des programmes de soins, la réticence des professionnels à la perspective de leur extension à la prison est justifiée.
    Le rapport parlementaire précité propose de définir un ratio de personnel (médecins psychiatres, infirmières, psychologues, etc.) par détenu, de renforcer le rôle des agences régionales de santé dans la définition d'une offre de soins cohérente et d'évaluer la première tranche des UHSA. Ces propositions sont de nature à répondre aux besoins identifiés par le CGLPL.


    2.2. La prise en charge médicale au sein des établissements pénitentiaires est inadaptée


    De manière générale, la prise en charge des troubles du comportement en milieu pénitentiaire présente de graves faiblesses. Dans la grande majorité des établissements pénitentiaires visités, le CGLPL a constaté de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes détenues pour accéder à des soins psychiatriques - manque d'effectifs affectant le personnel médical, délais importants pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre, etc. - y compris dans les établissements pénitentiaires identifiés comme « permettant d'assurer un suivi médical et psychologique adapté » (11) des personnes détenues condamnées à un suivi socio-judiciaire et des auteurs d'infractions à caractère sexuel. Les contrôles des établissements désignés pour assurer cette prise en charge spécialisée ont tous été l'occasion de relever un manque de praticiens et d'importants délais d'accès à un suivi psychologique ou psychiatrique. Il en résulte de graves carences dans la prise en charge des personnes concernées. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que la condamnation de ces personnes à une peine d'emprisonnement est le plus souvent assortie d'une obligation de soins qu'il leur est impossible de respecter dans le cadre de leur incarcération.
    Parmi les établissements supposés permettre une prise en charge adaptée, le centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne), qui dispose d'une centaine de places, est investi d'une mission particulière, définie par une circulaire de 2012. Il a vocation à accueillir, en son quartier maison centrale et pour un séjour temporaire visant à restaurer leurs liens sociaux et à leur permettre de se réadapter à la détention ordinaire, des personnes condamnées présentant des troubles du comportement rendant difficile leur intégration à un régime de détention classique, mais ne relevant ni d'une prise en charge par un SMPR, ni d'une hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement, ni d'une UHSA. La même circulaire précise toutefois qu'« il ne s'agit pas d'une structure hospitalière, mais d'un établissement bénéficiant de moyens pénitentiaires et sanitaires renforcés au regard du public accueilli ». De fait, l'orientation des détenus vers cet établissement ne se fait pas sur décision médicale, mais relève de la seule administration pénitentiaire. Or, le CGLPL a constaté, lors de sa dernière visite en 2015 (12), que l'établissement accueille en réalité des personnes détenues atteintes de troubles psychotiques sévères dont l'établissement d'origine n'est plus en mesure d'assurer la prise en charge, et ce pour des séjours parfois longs ou récurrents. La vocation première de l'établissement se trouve donc détournée pour pallier les carences structurelles de la prise en charge des détenus atteints de pathologies psychiatriques.
    Si les agents pénitentiaires affectés à Château-Thierry, formés à l'accompagnement de publics difficiles en détention, ont acquis, dans la prise en charge de ces personnes, une expérience qu'ils mettent en œuvre avec bienveillance, le CGLPL a constaté de graves atteintes aux droits des personnes détenues, notamment du fait de l'administration de traitements médicamenteux lourds, en dehors de tout cadre juridique et du contexte hospitalier qui devrait les entourer. Plusieurs des personnes concernées n'acceptaient de se soumettre à de tels traitements qu'en raison de leur crainte de subir des injections forcées. A ce titre, le CGLPL estime que la prise en charge des troubles du comportement en milieu pénitentiaire telle qu'elle y est mise en œuvre présente de graves faiblesses qui font obstacle à ce que cet établissement puisse être considéré comme un modèle à reproduire.
    L'existence même d'un tel établissement repose en effet sur une ambiguïté de principe relative à la place des personnes atteintes de pathologies mentales en prison. Du point de vue de l'administration pénitentiaire, contrainte de prendre en charge des personnes qui ne devraient pas, en principe, relever de sa compétence, la création de cet établissement peut être regardée comme pertinente. Cependant, pour améliorer la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, il apparaît plus approprié de développer les structures hospitalières sécurisées que de créer des prisons médicalisées. En effet, le CGLPL considère qu'une personne souffrant d'une pathologie mentale nécessitant une prise en charge de longue durée, notamment parce qu'elle n'est pas en capacité d'apprécier et de mesurer la portée de la peine, n'a pas sa place en prison : elle doit faire l'objet d'une prise en charge confiée à des soignants et à ce titre, être orientée vers un établissement de santé.
    A cet égard, il sera utilement rappelé que l'article 720-1-1 du code de procédure pénale, modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, permet la suspension d'une peine d'emprisonnement « quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention. ». Or, les suspensions de peine accordées à des personnes détenues pour incompatibilité de leur état de santé mentale avec le maintien en détention demeurent trop rares, notamment faute d'un repérage pertinent des personnes susceptibles d'en bénéficier (expertises insuffisantes, personnel mal formé) et de l'absence de structure d'accueil.
    La prise en charge des personnes détenues durablement atteintes de troubles mentaux ne doit pas être l'affaire de l'administration pénitentiaire. Elle doit donc donner lieu à une suspension de peine pour raison médicale et se poursuivre en milieu hospitalier ordinaire, y compris, si c'est nécessaire, en unité pour malades difficiles. A titre exceptionnel, dans les cas où cette mesure se révèle impossible, les pathologies mentales chroniques doivent être prises en charge dans un ou plusieurs établissements hospitaliers de long séjour sécurisé par l'administration pénitentiaire sur le modèle des UHSA, qui doivent rester consacrées au traitement de la crise.
    Le CGLPL recommande à ce titre de favoriser le développement de structures hospitalières sécurisées en lieu et place de la création de prisons médicalisées afin d'assurer une prise en charge adaptée, y compris de longue durée, aux personnes détenues souffrant de troubles mentaux.


    2.3. La continuité des droits du patient séjournant en UHSA n'est pas toujours garantie


    Les UHSA sont des établissements hospitaliers dont la sécurité périmétrique est assurée par un établissement pénitentiaire, qui sert également de support administratif pour la gestion pénitentiaire du patient. La fluidité des relations entre les équipes hospitalières et pénitentiaires, ainsi que la distance qui sépare l'unité hospitalière de son établissement pénitentiaire de rattachement peuvent affecter l'exercice des droits des détenus : l'absence d'information sur la durée des séjours interdit aux patients détenus de gérer leur paquetage ; les fiches de liaison entre les établissements et l'unité hospitalière sont mal renseignées ou manquantes, de sorte que les niveaux d'escorte sont décidés de manière arbitraire ; le service pénitentiaire d'insertion et de probation (13) et les services sociaux ne sont pas présents, ce qui entrave les actions de réinsertion et les projets d'aménagements de peine ; les conditions de détention et de visite sont défavorables (absence d'activités, parloirs avec murets de séparation, retards dans la distribution des cantines, dans la transmission des numéros de téléphone autorisés, etc.). La dureté de ces conditions de séjour conduit de nombreuses personnes détenues à refuser une hospitalisation.
    Il convient donc d'envisager toute mesure utile pour qu'une personne détenue placée en unité hospitalière ne subisse pas de restriction de ses droits en détention, en veillant notamment à assurer la continuité de sa situation administrative et à doter les unités hospitalières des moyens et infrastructures adaptés (parloirs, activités, cantine, etc.).


    2.4. Les conditions de prise en charge des personnes détenues dans les services psychiatriques de proximité portent atteinte à leur dignité


    Aux termes de l'article L. 3214-3 du code de la santé publique : « Lorsqu'une personne détenue nécessite des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier en raison de troubles mentaux rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui, […] le représentant de l'Etat dans le département […] prononce […] son admission en soins psychiatriques […] » L'article D. 398 du code de procédure pénale précise quant à lui qu'il n'est pas fait application, à l'égard des détenus atteints de troubles mentaux, de la règle posée dans l'article D. 394 du même code « concernant leur garde par un personnel de police ou de gendarmerie durant leur hospitalisation. »
    Cette disposition d'apparence clémente transfère implicitement de la police vers l'hôpital la responsabilité de la gestion de l'aspect sécuritaire de l'hospitalisation d'une personne détenue. En conséquence, malgré les exigences légales et les recommandations du CGLPL en matière de recours à l'isolement, les personnes détenues hospitalisées sous ce régime sont presque systématiquement placées en chambre d'isolement et quelquefois sous contention, même si leur état clinique ne le justifie pas, pendant toute la durée de leur séjour qui, de ce fait, est souvent abrégé à la demande du patient (14). Dans certains établissements visités par le CGLPL avaient été mises en place, pour la prise en charge des patients détenus, des installations à finalité exclusivement sécuritaire et dont le principe même est contraire à la vocation de l'hôpital. Les constats effectués par le CGLPL révèlent en outre que de telles mesures sont souvent mises en œuvre sur la base de consignes orales, ce qui rend leur traçabilité impossible et pose la question de leur légalité.
    Les conditions dans lesquelles les personnes sont transportées de l'établissement pénitentiaire à l'hôpital sont particulièrement attentatoires à leurs droits, dans la mesure où le transport est effectué par des soignants en véhicule sanitaire avec contention systématique, en dehors de toute base légale ou de prescription médicale. Or, ces pratiques ne reposent sur aucun fondement juridique : sont généralement invoquées, pour justifier leur mise en œuvre, des instructions préfectorales anciennes et pour la plupart intraçables, ou la responsabilité du médecin en cas d'évasion, en dépit de l'absence d'un texte qui en constituerait le fondement ou d'exemple de situation dans laquelle elle aurait été mise en cause. Dans ces conditions, lors de son transport entre un établissement pénitentiaire et l'hôpital, le patient ne doit pas être placé sous contention, une telle mesure ne devant être mise en œuvre que sur prescription médicale et en raison de l'état ou du comportement de l'intéressé, jamais en raison de son statut ni de manière systématique.
    Le CGLPL, à l'instar de l'expert des Nations unies chargé des questions sur la torture (15), considère que de telles mesures de contraintes, décidées en l'absence de toute indication thérapeutique, doivent être regardées comme constituant un traitement cruel, inhumain et dégradant. La quasi-totalité des visites menées dans les établissements de santé mentale ont été l'occasion pour le CGLPL de renouveler ce constat. Dans de rares cas cependant, les patients détenus sont admis dans des services fermés classiques, dans lesquels ils ont accès aux soins dans les mêmes conditions que n'importe quel autre patient, sans qu'il en résulte de dommage particulier ou d'atteinte à leurs droits fondamentaux.
    S'agissant de l'admission des personnes détenues en soins psychiatriques le CGLPL recommande donc que des directives nationales soient données pour mettre un terme au menottage systématique des personnes pendant leur transport d'un établissement à un autre et leur placement systématique à l'isolement, pratiques sécuritaires qui ne sont pas plus nécessaires que proportionnées. Un dispositif de contrôle doit par ailleurs être mis en place pour veiller à la mise en œuvre effective et au respect de ces directives.


    2.5. La sortie de prison peut être accompagnée d'une rupture de la prise en charge


    La fin de la détention peut occasionner une rupture de la prise en charge. Il existe certes des consultations « sortants » destinées à préparer la sortie, à identifier un médecin référent et à faciliter la transmission du dossier médical à ce dernier, mais la surpopulation pénale, la situation sociale précaire des personnes libérées - parfois dépourvues de domicile fixe - et les difficultés intrinsèques du secteur psychiatrique rendent souvent ce dispositif inopérant. Cette situation peut conduire à des incarcérations itératives, phénomène aggravé par les carences dans la détection de la maladie mentale dans le cadre des procédures de comparution immédiate : une personne détenue atteinte de troubles mentaux est libérée sans accompagnement médical, réitère des actes qui la conduisent devant la justice, laquelle ne détecte pas toujours lesdits troubles et prononce, faute de garanties de représentation, une nouvelle peine d'emprisonnement.
    Pour enrayer cette dynamique, il convient de coordonner efficacement les moyens sociaux, médicaux et judiciaires, de manière que les personnes concernées puissent bénéficier d'un accompagnement sanitaire et médico-social, d'un accès facilité à un logement et à l'emploi et d'une articulation des soins en milieu ouvert et en milieu fermé cohérente avec les contraintes liées à l'exécution de la peine. Les enjeux de la prise en charge psychiatrique des sortants de prison sont en effet essentiels pour leur réinsertion.


    CONCLUSION


    Globalement mal connues, inégalement détectées au moment de la décision judiciaire et difficilement identifiées en détention, les pathologies mentales constituent un facteur d'aggravation de la souffrance des personnes détenues, alourdissent la charge de l'administration pénitentiaire et sont aggravées par des conditions de détention inadaptées.
    Les insuffisances de la prise en charge actuelle des personnes détenues présentant des troubles mentaux conduisent à une perte de sens de la sanction. Une première étape dans la prise de conscience de l'impact et de la gravité des pathologies mentales affectant une partie de la population pénale a ainsi conduit le Gouvernement et le Parlement à s'emparer de ce sujet pour formuler des projets et des propositions. Sans emporter une adhésion complète, elles ont le mérite de replacer les soins psychiatriques prodigués aux personnes placées sous-main de justice dans une perspective d'avenir.
    Deux objectifs doivent guider les débats à venir : mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux des personnes détenues, notamment à celles qui résultent de l'application systématique d'une logique sécuritaire à des processus de soins, et parvenir enfin à l'égalité réelle dans l'accès aux soins des personnes détenues, conformément au principe consacré par la loi depuis 1994.


    (1) Le 2 juillet 2019, Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, et Christelle Dubos, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des solidarités et de la santé, ont présenté à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy (Yvelines) la feuille de route 2019-2022 pour améliorer la prévention, l'accès aux soins et le repérage du handicap ou de la perte d'autonomie des personnes placées sous main de justice.


    (2) Rouillon F., Duburcq A., Fagnani F., Falissard B., Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison, Expertise psychiatrique pénale, 2007.


    (3) Etude citée par Stéphane Mazars dans « La prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques », Repenser la prison pour mieux réinsérer, Rapport des groupes de travail sur les conditions de détention en France, Assemblée nationale, mars 2018.


    (4) Cet article dispose que « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » (al. 1). « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime […] » (al. 2).


    (5) Double peine, condition de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France, Human Rights Watch, 2016.


    (6) Psychiatrie et prison, Betty Brahmy, Etudes, 2005 (tome 402).


    (7) « La prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques », Stéphane Mazars, in Repenser la prison pour mieux réinsérer, Rapport des groupes de travail sur les conditions de détention en France, Assemblée nationale, mars 2018.


    (8) Le personnel des lieux de privation de liberté, Contrôleur général de lieux de privation de liberté, Dalloz, 2017.


    (9) Ces unités ont été créées par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. La première UHSA a ouvert en 2010, il en existe aujourd'hui neuf.


    (10) Article L. 711-3 du code de la santé publique modifié par la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale : « Le service public hospitalier exerce les missions définies à l'article L. 711-1 et, de plus, concourt :


    1° A l'enseignement universitaire et postuniversitaire et à la recherche de type médical, odontologique et pharmaceutique dans les conditions prévues par l'ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale ;


    2° A la formation continue des praticiens hospitaliers et non hospitaliers ;


    3° A la recherche médicale, odontologique et pharmaceutique ;


    4° A la formation initiale et continue des sages-femmes et du personnel paramédical et à la recherche dans leurs domaines de compétence ;


    5° Aux actions de médecine préventive et d'éducation pour la santé et à leur coordination ;


    6° Conjointement avec les praticiens et les autres professionnels de santé, personnes et services concernés, à l'aide médicale urgente.


    Le service public hospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier. Il concourt, dans les mêmes conditions, aux actions de prévention et d'éducation pour la santé organisées dans les établissements pénitentiaires ».


    (11) Article R. 57-8-3 du code de procédure pénale.


    (12) Contrôleur général de lieux de privation de liberté, rapport de la deuxième visite du centre pénitentiaire de Château-Thierry (Aisne), du 30 mars au 2 avril et du 5 au 7 août 2015.


    (13) Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), services déconcentrés de l'administration pénitentiaire au niveau départemental, assurent le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice, qu'elles soient en milieu ouvert ou en milieu fermé (voir www.justice.gouv.fr).


    (14) Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Dalloz, 2016.


    (15) Mentionné par l'association Human Rights Watch dans son rapport précité.



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