(ÉPOUX B. ET AUTRES)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 février 2019 par le Conseil d'Etat (décision n° 410714 du 8 février 2019), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Gérald B. et autres par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2019-778 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ;
- la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 mars 2019 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 6 mars 2019 ;
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, enregistrées le 14 mars 2019 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Le Prado, pour la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 avril 2019 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. L'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 mai 2013 mentionnée ci-dessus, relatif aux sections de commune, prévoit :
« Lorsque la commission syndicale n'est pas constituée, le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section est décidé par le conseil municipal statuant à la majorité absolue des suffrages exprimés, après accord de la majorité des électeurs de la section convoqués par le maire dans les six mois de la transmission de la délibération du conseil municipal.
« En l'absence d'accord de la majorité des électeurs de la section, le représentant de l'Etat dans le département statue, par arrêté motivé, sur le changement d'usage ou la vente ».
2. Les requérants soutiennent que, en prévoyant que seuls les membres d'une section de commune inscrits sur les listes électorales de la commune sont appelés à donner leur accord à la vente des biens appartenant à cette section, ces dispositions institueraient une différence de traitement contraire aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant le suffrage. Par ailleurs, selon eux, dès lors que le transfert à la commune des biens de la section est prononcé sur demande conjointe du conseil municipal et de la moitié des membres de la section, y compris ceux non inscrits sur les listes électorales, il en résulterait la possibilité de traiter différemment les membres de la section en choisissant l'une ou l'autre de ces procédures.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales.
4. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
5. En vertu de l'article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales, la section de commune est une partie d'une commune qui possède à titre permanent et exclusif des biens ou droits distincts de ceux de la commune. Les habitants ayant leur domicile réel et fixe sur le territoire de cette section en sont membres et ont, en application de l'article L. 2411-10 du même code, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature. L'article L. 2411-2 du même code prévoit que la gestion des biens et droits de la section est assurée par le conseil municipal et le maire, sous réserve des compétences dévolues à la commission syndicale. Outre le maire de la commune qui est membre de droit, les membres de la commission syndicale sont élus par les membres de la section inscrits sur les listes électorales de la commune. Lorsque cette commission syndicale est constituée, l'article L. 2411-15 prévoit que le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section ne peut être décidé que par un vote concordant du conseil municipal et de la commission syndicale qui se prononce à la majorité de ses membres.
6. En application de l'article L. 2411-16 du même code, lorsque la commission syndicale n'a pas été constituée, le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section est décidé par le conseil municipal après accord de la majorité des électeurs de la section convoqués par le maire. En l'absence d'accord de la majorité des électeurs de la section, le préfet statue par arrêté motivé.
7. En prévoyant que, lorsque la commission syndicale n'est pas constituée, seuls les membres de la section qui sont inscrits sur les listes électorales de la commune sont appelés à se prononcer sur le changement d'usage ou la vente de biens de la section, les dispositions contestées instituent une différence de traitement entre les membres de la section selon qu'ils sont inscrits ou non sur les listes électorales de la commune.
8. Toutefois, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 9 janvier 1985 mentionnée ci-dessus et de celle du 27 mai 2013 que le législateur a, de manière constante, entendu renforcer le lien qui unit les sections à leur commune pour favoriser une gestion des biens des sections compatible avec les intérêts de la commune.
9. Or, les membres de la section qui, jouissant de leurs droits civiques, sont électeurs de la commune participent, en cette qualité, aux affaires communales. Ils ne sont donc pas placés dans la même situation que les membres de la section qui n'ont pas cette qualité.
10. Dès lors, en réservant aux seuls membres d'une section inscrits sur les listes électorales de la commune la possibilité de donner leur accord au changement d'usage ou à la vente de biens de cette section, le législateur a institué une différence de traitement en rapport avec l'objet de la loi.
11. Par ailleurs, la circonstance que l'article L. 2411-11 du code général des collectivités territoriales prévoit l'accord « des membres de la section » avant le prononcé du transfert des biens de la section à la commune par le représentant de l'Etat est sans incidence sur l'appréciation de la conformité des dispositions contestées au principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où les deux procédures prévues par les articles L. 2411-11 et L. 2411-16 n'ont pas le même objet.
12. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté.
13. Les mots : « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, qui ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité devant le suffrage ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
Les mots : « des électeurs » figurant aux premier et second alinéas de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune, sont conformes à la Constitution.Liens relatifs
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mai 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 10 mai 2019.
Décision n° 2019-778 QPC du 10 mai 2019