Monsieur le Président de la République,
La présente ordonnance est prise en application du 4° de l'article 2 de la loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019 habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Cet article habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance avant le 20 janvier 2020 les mesures relevant du domaine de la loi en ce qui concerne : « L'accès des entités françaises aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison des pays tiers, dont le Royaume-Uni, en assurant le caractère définitif des règlements effectués au moyen de ces systèmes, la désignation d'une autorité compétente pour la supervision des activités liées à la titrisation, l'introduction de règles spécifiques pour la gestion de placements collectifs dont l'actif respecte des ratios d'investissement dans des entités européennes, la continuité de l'utilisation des conventions-cadres en matière de services financiers et la sécurisation des conditions d'exécution des contrats conclus antérieurement à la perte de la reconnaissance des agréments des entités britanniques en France. »
Dans le contexte d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, il est important que les acteurs financiers puissent continuer à utiliser les contrats cadre en matière de services financiers, ces contrats étant actuellement essentiellement régis par le droit anglais. L'association internationale des Swaps et Dérivés (ISDA) a récemment recherché un ou plusieurs droits de l'Union européenne à vingt-sept dans lesquels rédiger son contrat-type pour parer aux conséquences du retrait du Royaume-Uni. Le Haut Comité juridique de la place financière de Paris a travaillé aux conditions de développement du contrat-type en droit français, et a mis en évidence la nécessité de modifier le droit sur quelques points très spécifiques :
- en droit français, le champ des opérations éligibles à la compensation-résiliation ne couvre pas les opérations de change au comptant (spot FX), la vente, l'achat, la livraison de métaux précieux ou encore les opérations sur quotas de CO2, ce qui est identifié comme un frein au développement du contrat en droit français ;
- la deuxième modification concerne la possibilité pour deux parties à un contrat de dérivés de facturer des arriérés de retard capitalisés en cas de défaut de paiement.
Cette possibilité de capitalisation (dénommée « anatocisme » en droit) n'est ouverte à ce jour que pour les arriérés échus depuis au moins un an, contrairement à ce qui est le cas dans le contrat-cadre anglo-saxon. Il est donc proposé d'y remédier, en prévoyant spécifiquement pour les conventions financières de type ISDA (et donc à l'exclusion des contrats courants, relevant par exemple du crédit à la consommation), que la capitalisation des intérêts est possible lorsqu'il s'agit d'intérêt dus pour une période inférieure à une année entière. C'est l'objet des dispositions des 1° à 2° de l'article 1er.
Les systèmes de règlement interbancaire et de règlement-livraison jouent un rôle majeur pour garantir la stabilité financière mondiale et réduire le risque systémique des marchés financiers. Afin d'inciter les participants européens à utiliser les services de ces systèmes, et pour assurer un fonctionnement efficace de ces derniers, l'Union européenne a adopté la directive 98/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres qui assure le caractère définitif des règlements effectués dans ces systèmes. A compter du retrait du Royaume-Uni, les systèmes britanniques de règlement interbancaire et de règlement-livraison d'instruments financiers ne bénéficieront plus des dispositions de cette directive. Les systèmes britanniques pourraient donc être amenés à refuser les participants français au motif des incertitudes juridiques importantes qu'ils introduisent, évinçant ainsi les acteurs français du marché britannique. La mesure prévue au 3° de l'article 1er vise donc à faire bénéficier les systèmes de règlement interbancaire et de règlement-livraison britanniques (CLS, CHAPS, CREST et les chambres de compensation) des protections apportées par la directive 98/26/CE précitée.
La sortie du Royaume-Uni a également des conséquences en matière de supervision de certaines activités financières effectuées jusqu'ici en France par les entités britanniques en libre prestation de services ou en liberté d'établissement. Les 5° et 6° de l'article 1er permettent de clarifier deux éléments relatifs aux pouvoirs de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) vis-à-vis de ces entités après le Brexit. Le 5° précise que son pouvoir de sanction perdure vis-à-vis des faits commis avant la sortie du Royaume-Uni par des personnes relevant de son champ de compétence à la date de commission du manquement ou de l'infraction. Cette disposition, dont il résulte que la procédure correspondante ne saurait devenir caduque du seul fait de la perte de la reconnaissance de l'agrément de l'entité, permettrait notamment de lancer post-Brexit des procédures de sanction pour des faits commis avant le Brexit mais qui n'auraient pas encore été identifiés. Le 6° de ce même article précise que l'ACPR demeure en charge de veiller au respect des règles de droit français applicables aux obligations résultant de contrats conclus en libre prestation de service ou libre établissement et dont l'exécution se poursuit après le Brexit, en tenant compte de la surveillance exercée par les autorités compétentes du Royaume-Uni.
La sortie du Royaume-Uni sans accord entraînerait une rupture dans la supervision des activités liées à la titrisation. Conformément au règlement (UE) 2017/2402 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 apportant une plus grande sécurité juridique et une plus grande comparabilité entre les instruments de titrisation, il est nécessaire de désigner l'Autorité des marchés financiers comme autorité compétente pour ces activités.
Il est également nécessaire de la doter des pouvoirs de sanction, d'enquête et de contrôle afin de permettre au marché de la titrisation de poursuivre son fonctionnement dans des conditions accrues de sécurité, au lendemain de la sortie du Royaume-Uni sans accord. C'est l'objet des dispositions des 7° à 9° de l'article 1er.
La sécurisation des conditions d'exécution des contrats conclus antérieurement à la perte de la reconnaissance des agréments des entités britanniques en France en matière d'assurance repose sur une modification du code des assurances, prévue à l'article 2 de la présente ordonnance. Cet article a pour objectif la protection des assurés français par une clarification du cadre juridique applicable, tout en incitant au transfert vers l'Union européenne de l'activité d'assurance que pourraient mener en France des entreprises britanniques à la suite du Brexit. Il permet ainsi de concilier deux exigences :
1° L'incitation à transférer les activités avec la définition des opérations d'assurance qui ne peuvent plus être pratiquées par des entreprises ayant perdu leur passeport européen.
L'ordonnance prévoit ainsi la création d'un article L. 310-2-3 au chapitre Ier du titre Ier du livre III du code des assurances, qui dispose au I que les contrats valablement souscrits en France en vertu de la libre prestation de service ou de la liberté d'établissement auprès d'un assureur de droit britannique ne peuvent ni être reconduits ni donner lieu à toute opération qui comprendrait l'émission de nouvelles primes. Cette interdiction ne concernerait pas le paiement de primes que le souscripteur est tenu de payer selon son contrat. Cette précision est essentielle compte tenu des dispositions actuelles du code des assurances qui renvoient à la souscription du contrat pour assoir sa validité mais ne clarifient pas le régime de la gestion extinctive de l'activité d'assurance que mènerait une entreprise ayant perdu son droit de prendre des engagements en raison du Brexit.
Il est prévu au II de frapper de nullité les contrats qui auraient fait l'objet d'une infraction aux dispositions précédentes. Cette mesure vise à traiter les reconductions ou opérations d'assurance directe comprenant l'émission de primes de la même manière que ce qui est déjà prévu dans le code des assurances pour les contrats qui ne sont pas valablement souscrits. Il est précisé que cette nullité n'est toutefois pas opposable aux assurés, souscripteurs et aux bénéficiaires, afin que ceux-ci soient protégés des conséquences de la conduite d'opérations prohibées par leurs assureurs.
Enfin, le III dispose que les entreprises qui ne se trouvent plus en situation de pouvoir reconduire les contrats existants ou émettre de nouvelles primes doivent en informer leurs assurés, afin que ceux-ci soient en mesure de s'adapter à cette nouvelle situation. Il est à ce titre prévu de prendre un décret précisant le format et le contenu des informations à communiquer le cas échéant ;
2° La sécurité juridique pour l'assuré avec une confirmation de l'obligation d'exécution des contrats valablement souscrits, même lorsque l'entreprise d'assurance a perdu son passeport européen et n'est plus en mesure de contracter de nouveaux engagements.
Il est en effet essentiel de lever tout doute quant à l'obligation au profit des assurés d'être couverts par leur assureur pour des sinistres liés à des contrats valablement formés. L'ordonnance permet à ce titre de faire apparaître que les opérations permettant la simple exécution des engagements formés, n'impliquant aucune opération comprenant l'émission de primes, sont entièrement valables. Elle met ainsi logiquement en cohérence les sanctions liées à la pratique d'une opération d'assurance sans autorisation pour les entreprises qui se conforment aux dispositions de l'article L. 310-2-3 précité. Cette mesure permettra de sécuriser l'exercice de la gestion extinctive des contrats non transférés, en confirmant notamment le paiement des sinistres sans que l'assureur n'ait à craindre d'être sanctionné au titre des dispositions de l'article L. 310-27 du code des assurances.
A compter du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, les établissements britanniques du secteur financier deviendront des « entreprises de pays tiers ». Les établissements qui en bénéficiaient perdront ainsi leur « passeport européen », c'est-à-dire la capacité de prester depuis Londres des services d'investissement à destination de leurs clients dans l'Union. Cette situation, inédite, ne soulève pas de difficulté juridique particulière pour la majorité des contrats financiers. La plupart des services d'investissement doivent en effet être considérés comme rendus au client lors de la conclusion du contrat, la perte du passeport n'étant ainsi pas susceptible ni d'en affecter la légalité ni d'exposer les établissements britanniques concernés à des sanctions. En revanche, la perte du passeport interdira aux établissements britanniques de conclure tout contrat nouveau.
Cependant, la grande majorité des contrats financiers passés entre un client et son prestataire de services sont encadrés au sein de contrats cadre, particulièrement en matière de produits dérivés (le contrat cadre ISDA évoqué à l'article 1er notamment). Ce cadre contractuel est applicable, de manière transversale, à l'ensemble des opérations individuelles que les parties concluent au cours de leur relation. Il s'attache à organiser la relation entre les parties, sans porter sur les opérations qui pourront s'y loger et dont les contrats individuels définiront les paramètres économiques, juridiques et administratifs. Chaque contrat individuel est ainsi complété d'un cadre pérenne déjà négocié entre les parties.
A la suite d'un Brexit sans accord, les clients européens qui souhaiteront poursuivre les opérations qu'ils ont pris l'habitude d'effectuer avec des prestataires de services britanniques devront s'adresser à des prestataires services financiers autorisés fournir des services au sein de l'Union européenne. Il est essentiel d'assurer aux clients de l'Union la plus grande liquidité possible, et continue, de leurs opérations financières, ce qui implique la préservation de leur capacité à conclure des opérations avec le plus grand nombre possible d'opérateurs supervisés dans l'Union. Or, un très grand nombre d'établissements britanniques disposent sur le territoire de l'Union de filiales - et lorsqu'ils n'en disposent pas d'ores et déjà, sont en train d'en constituer - qui leur permettront de maintenir leur relation d'affaires post-Brexit avec leurs clients français. Cependant, ces établissements n'étaient pas toujours les interlocuteurs habituels (sur les marchés de produits dérivés notamment) des clients français de ces groupes bancaires, de sorte qu'il est nécessaire d'établir de manière rapide mais ordonnée entre les filiales européennes de ces groupes et leurs clients français une relation contractuelle cadre nouvelle qui permette aux premières de traiter dans des conditions satisfaisantes, tant aux plans juridique, opérationnel, que prudentiel les opérations demandées par leurs clients.
La négociation de cette relation contractuelle cadre nouvelle entre les filiales européennes d'établissements britanniques et leurs clients européens peut se faire dans les conditions de droit commun. Le droit commun applicable à l'offre et à l'acceptation d'un contrat s'applique naturellement aux situations dans lesquelles le destinataire de l'offre l'accepte expressément.
Cependant, afin de faciliter ce transfert, l'article 3 de la présente ordonnance définit un mécanisme subsidiaire pouvant s'appliquer aux situations dans lesquelles le destinataire de l'offre demeurerait passif vis-à-vis de l'offre de la nouvelle convention-cadre. Elle consiste à considérer qu'une convention-cadre existera entre l'entité européenne, auteur de l'offre, et le client destinataire de l'offre, dès lors que ce dernier aurait dans un certain délai manifesté l'intention non équivoque de conclure de nouvelles opérations avec l'entité européenne. Cette nouvelle convention-cadre conclue entre ces deux entités présenterait la caractéristique d'être identique quasiment en tout point à celle liant le client à la société mère britannique.
Ces relations d'affaires doivent être documentées de manière conforme aux exigences règlementaires et il est donc nécessaire d'encadrer les conditions dans lesquelles une telle réplication de la convention-cadre initiale puisse être faite, et d'assurer la sécurité juridique de cette technique. Cette réplication doit notamment, afin de bénéficier du régime prévu par la présente ordonnance, respecter les conditions suivantes :
1° Les clauses du nouveau contrat cadre doivent être identiques à celles du contrat cadre conclu avec le prestataire britannique, à l'exception de la clause désignant la loi applicable et de la clause attributive de compétence, lesquelles désignent le droit français et la compétence de juridictions françaises, et de toute autre clause nécessaire pour garantir l'exécution du nouveau contrat cadre en application de ces modifications ;
2° L'auteur de l'offre appartient au même groupe de sociétés que le prestataire britannique et dispose d'un échelon de qualité de crédit identique ou supérieur à la date de réception de l'offre ;
3° L'offre est adressée par écrit au destinataire dans les formes du contrat cadre conclu avec le prestataire britannique ;
4° L'offre est accompagnée d'une documentation nécessaire, faisant notamment apparaitre les éléments modifiés du nouveau contrat-cadre et les modalités particulières de conclusion ;
5° A l'expiration d'un délai de cinq jours ouvrés à partir de la réception de l'offre, son destinataire a conclu une opération régie par la nouvelle convention cadre.
Si ces conditions cumulatives sont respectées, alors le nouveau contrat cadre entre en vigueur et prend effet de plein droit sans aucune autre formalité.
Ces dispositions exceptionnelles n'ayant vocation qu'à gérer les difficultés causées par la sortie non concertée du Royaume-Uni, l'ordonnance prévoit que ce régime ne sera maintenu en vigueur que pendant une durée de douze mois à compter de son entrée en vigueur.
En cas de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sans accord, les titres britanniques perdraient leur éligibilité à l'actif des organismes de placement collectif au titre des ratios d'expositions aux entités européennes. En effet, il peut être impossible à court terme pour la société de gestion de concilier la nécessité de respecter des ratios d'investissement définis par le cadre législatif ou fiscal avec son obligation d'agir dans l'intérêt du porteur. Ainsi, des règles spécifiques sont nécessaires dans le cadre de la gestion collective afin de prévenir les effets d'une sortie brutale du Royaume-Uni et garantir la protection des épargnants et assurer la stabilité du système financier.
L'article 4 introduit des règles spécifiques pour la gestion de placements collectifs dont l'actif respecte des ratios d'investissement dans des entités européennes. Les alinéas 1° à 4° concernent les organismes de placement collectifs distribués via les deux produits suivants : plan d'épargne en actions (PEA) et plan d'épargne en actions dédié aux titres des PME et ETI (PEA-PME). L'alinéa 5 prévoit un régime de grand-père pour les fonds de capital-investissement devant se contraindre à des ratios d'exposition à des entreprises européennes dont les titres sous-jacents sont illiquides.
L'article 5 prévoit l'applicabilité outre-mer des dispositions de l'ordonnance.
L'article 6 prévoit une entrée en vigueur des dispositions à compter de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne effectuée sans accord conclu conformément à l'article 50 du traité sur l'Union européenne, conformément à la loi d'habilitation.
Tel est l'objet de la présente ordonnance que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre profond respect.Liens relatifs
Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-75 du 6 février 2019 relative aux mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en matière de services financiers