Version initiale


  • (LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA MANIPULATION DE L'INFORMATION)


    Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi relative à la manipulation de l'information, sous le n° 2018-773 DC, le 21 novembre 2018, par MM. Bruno RETAILLEAU, Serge BABARY, Philippe BAS, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Mmes Martine BERTHET, Anne-Marie BERTRAND, MM. Jean BIZET, François BONHOMME, Bernard BONNE, Gilbert BOUCHET, Mme Céline BOULAY-ESPÉRONNIER, MM. Yves BOULOUX, Jean-Marc BOYER, Max BRISSON, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Mme Agnès CANAYER, M. Jean-Noël CARDOUX, Mme Anne CHAIN-LARCHÉ, MM. Patrick CHAIZE, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Mme Marie-Christine CHAUVIN, M. Guillaume CHEVROLLIER, Mme Marta de CIDRAC, MM. Pierre CUYPERS, Philippe DALLIER, René DANESI, Mme Laure DARCOS, MM. Mathieu DARNAUD, Marc-Philippe DAUBRESSE, Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS, M. Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Chantal DESEYNE, Catherine DI FOLCO, MM. Philippe DOMINATI, Alain DUFAUT, Laurent DUPLOMB, Mme Nicole DURANTON, M. Jean-Paul ÉMORINE, Mme Dominique ESTROSI-SASSONE, MM. Michel FORISSIER, Bernard FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Mmes Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, Frédérique GERBAUD, MM. Jordi GINESTA, Jean-Pierre GRAND, Daniel GREMILLET, François GROSDIDIER, Mme Pascale GRUNY, MM. Charles GUENÉ, Jean-Raymond HUGONET, Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Mmes Corinne IMBERT, Muriel JOURDA, MM. Guy-Dominique KENNEL, Marc LAMÉNIE, Mmes Élisabeth LAMURE, Florence LASSARADE, M. Daniel LAURENT, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Ronan LE GLEUT, Jean-Pierre LELEUX, Henri LEROY, Mme Vivette LOPEZ, M. Michel MAGRAS, Mme Viviane MALET, MM. Didier MANDELLI, Jean-François MAYET, Mme Marie MERCIER, M. Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Alain MILON, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Philippe MOUILLER, Louis-Jean de NICOLAY, Claude NOUGEIN, Olivier PACCAUD, Philippe PAUL, Philippe PEMEZEC, Stéphane PIEDNOIR, Jackie PIERRE, François PILLET, Rémy POINTEREAU, Ladislas PONIATOWSKI, Mme Sophie PRIMAS, M. Christophe PRIOU, Mmes Catherine PROCACCIA, Frédérique PUISSAT, Isabelle RAIMOND-PAVERO, MM. Michel RAISON, Jean-François RAPIN, Mme Évelyne RENAUD-GARABEDIAN, MM. Charles REVET, Hugues SAURY, Michel SAVIN, Alain SCHMITZ, Vincent SEGOUIN, Bruno SIDO, Jean SOL, Mmes Claudine THOMAS, Catherine TROENDLÉ, MM. Michel VASPART, Jean-Pierre VOGEL, Mme Annick BILLON, MM. Vincent CAPO-CANELLAS, Alain CAZABONNE, Olivier CIGOLOTTI, Vincent DELAHAYE, Yves DÉTRAIGNE, Mmes Catherine FOURNIER, Françoise GATEL, Sylvie GOY-CHAVENT, Jocelyne GUIDEZ, MM. Olivier HENNO, Loïc HERVÉ, Jean-Marie JANSSENS, Mme Sophie JOISSAINS, MM. Claude KERN, Laurent LAFON, Michel LAUGIER, Mme Valérie LÉTARD, MM. Jean-François LONGEOT, Pierre LOUAULT, Jean-Claude LUCHE, Hervé MARSEILLE, Jean-Marie MIZZON, Jean-Pierre MOGA, Mme Catherine MORIN-DESAILLY, M. Jean-Paul PRINCE, Mmes Sonia de la PROVÔTÉ, Nadia SOLLOGOUB, Dominique VÉRIEN et Sylvie VERMEILLET, sénateurs.
    Il a également été saisi, le 29 novembre 2018, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Éricka BAREIGTS, Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Christophe BOUILLON, Jean-Louis BRICOUT, Luc CARVOUNAS, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Serge LETCHIMY, Mmes Josette MANIN, George PAU-LANGEVIN, Christine PIRES BEAUNE, MM. Dominique POTIER, Joaquim PUEYO, Hervé SAULIGNAC, Mmes Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mmes Michèle VICTORY, Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD'HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Mmes Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, Huguette BELLO, MM. Moetaï BROTHERSON, Jean-Philippe NILOR et Gabriel SERVILLE, députés.
    Il a également été saisi, le 30 novembre 2018, par MM. Patrick KANNER, Maurice ANTISTE, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Claude BÉRIT-DÉBAT, Joël BIGOT, Jacques BIGOT, Mmes Maryvonne BLONDIN, Nicole BONNEFOY, MM. Yannick BOTREL, Martial BOURQUIN, Michel BOUTANT, Henri CABANEL, Thierry CARCENAC, Mmes Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, MM. Roland COURTEAU, Michel DAGBERT, Yves DAUDIGNY, Marc DAUNIS, Mme Marie-Pierre de LA GONTRIE, MM. Jérôme DURAIN, Alain DURAN, Vincent ÉBLÉ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mmes Martine FILLEUL, Nadine GRELET-CERTENAIS, Annie GUILLEMOT, Laurence HARRIBEY, MM. Jean-Michel HOULLEGATTE, Xavier IACOVELLI, Olivier JACQUIN, Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Bernard LALANDE, Jean-Yves LECONTE, Mme Claudine LEPAGE, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Philippe MADRELLE, Jacques-Bernard MAGNER, Christian MANABLE, Didier MARIE, Rachel MAZUIR, Mmes Michelle MEUNIER, Marie-Pierre MONIER, Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Angèle PRÉVILLE, M. Claude RAYNAL, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Mme Nelly TOCQUEVILLE, MM. Jean-Marc TODESCHINI, Jean-Louis TOURENNE, André VALLINI, Mme Sabine VAN HEGHE et M. Yannick VAUGRENARD, sénateurs.
    Au vu des textes suivants :


    - la Constitution ;
    - l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
    - la loi organique relative à la manipulation de l'information, définitivement adoptée par le Parlement le 20 novembre 2018, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-774 DC du 20 décembre 2018 ;
    - le code de commerce ;
    - le code électoral ;
    - le code des relations entre le public et l'administration ;
    - la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;


    Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 13 décembre 2018 ;
    Et après avoir entendu le rapporteur ;
    Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
    1. Les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Ils contestent son article 1er. Les députés et les sénateurs auteurs de la troisième saisine contestent également ses articles 5, 6 et 8 et certaines dispositions de son article 10. Les députés contestent également son article 11.


    - Sur l'article 1er :


    2. L'article 1er introduit dans le code électoral trois articles numérotés L. 112, L. 163-1 et L. 163-2, applicables aux élections législatives, sénatoriales et européennes, aux opérations référendaires et, en application de la loi organique relative à la manipulation de l'information mentionnée ci-dessus, à l'élection du Président de la République. L'article L. 163-1 impose aux opérateurs de plateforme en ligne, pendant les trois mois précédant ces scrutins, des obligations de transparence relatives à la promotion de « contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général ». L'article L. 112 sanctionne la méconnaissance de ces obligations. L'article L. 163-2 instaure une procédure de référé permettant d'obtenir, pendant cette même période, la cessation de la diffusion de fausses informations sur les services de communication au public en ligne, lorsqu'elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.
    En ce qui concerne les articles L. 112 et L. 163-1 du code électoral :
    3. Les sénateurs auteurs de la première saisine reprochent à ces dispositions de méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, faute d'une précision suffisante de la notion de « contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général », qui détermine l'étendue de l'obligation dont la méconnaissance est sanctionnée. Compte tenu de la large portée de cette notion, il résulterait également des obligations de transparence imposées aux opérateurs de plateforme en ligne une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'entreprendre.
    4. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.
    5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
    6. L'article L. 163-1 impose aux opérateurs de plateforme en ligne dont l'activité dépasse un seuil déterminé de nombre de connexions sur le territoire français de fournir à l'utilisateur une information loyale, claire et transparente sur certains éléments. Cette information doit porter, d'une part, sur l'identité des personnes physiques ou morales qui versent à cette plateforme des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général, d'autre part, sur le montant de ces rémunérations, s'il est supérieur à un seuil fixé par décret, et, enfin, sur l'utilisation qui est faite, dans le cadre de cette promotion, des données personnelles des utilisateurs. Ces informations sont notamment agrégées dans un registre mis à la disposition du public et régulièrement mis à jour au cours de la période en cause.
    7. L'article L. 112 punit notamment d'un an d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende l'infraction à ces dispositions.
    8. En premier lieu, les obligations ainsi imposées aux opérateurs de plateforme en ligne ne le sont que pendant la période de trois mois précédant le premier jour du mois d'élections générales ou d'un référendum et jusqu'à la date du scrutin et seulement au regard de l'intérêt général attaché à l'information éclairée des citoyens en période électorale et à la sincérité du scrutin. Il en résulte que les contenus d'information se rattachant à un débat d'intérêt général visés par les dispositions contestées sont ceux qui présentent un lien avec la campagne électorale. La référence à cette notion ne méconnaît donc pas le principe de légalité des délits et des peines.
    9. En second lieu, l'obligation imposée aux opérateurs de plateforme en ligne est limitée au temps de la campagne électorale et ne concerne que ceux dont l'activité dépasse un certain seuil. Elle se borne à leur imposer de délivrer une information loyale, claire et transparente sur les personnes dont ils ont promu, contre rémunération, certains contenus d'information en lien avec la campagne électorale. Elle vise à fournir aux citoyens les moyens d'apprécier la valeur ou la portée de l'information ainsi promue et contribue par là-même à la clarté du débat électoral. Compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi et du caractère limité de l'obligation imposée aux opérateurs de plateforme en ligne, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
    10. Il résulte de ce qui précède que les articles L. 112 et L. 163-1 du code électoral, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
    En ce qui concerne l'article L. 163-2 du code électoral :
    11. Les sénateurs et députés requérants estiment que ces dispositions porteraient à la liberté d'expression une atteinte qui ne serait pas nécessaire dans la mesure où plusieurs dispositions législatives permettraient déjà d'atteindre l'objectif poursuivi par le législateur. Selon eux, cette atteinte ne serait pas non plus adaptée, en raison des risques d'instrumentalisation de cette voie d'action, des difficultés pour le juge à statuer dans un délai de quarante-huit heures et à se prononcer sur un risque d'altération de la sincérité d'un scrutin qui n'est pas encore intervenu. Cette atteinte ne serait pas non plus proportionnée, compte tenu de l'importance particulière que revêt la liberté d'expression dans le débat politique et les campagnes électorales. Les sénateurs auteurs de la première saisine soulignent que les dispositions contestées pourraient conduire à restreindre la diffusion de propos dont l'effet sur le scrutin est incertain ou dont il n'est pas démontré qu'ils relèvent d'une intention délibérée de nuire à la sincérité du scrutin. Avec les députés requérants, ils font valoir qu'en raison de l'imprécision des critères retenus par le législateur, des propos parodiques ou simplement trompeurs ou erronés, sans pour autant constituer de fausses informations, pourraient faire l'objet de cette procédure de référé.
    12. Les sénateurs auteurs de la première saisine estiment que, en ne définissant pas les mesures susceptibles d'être prononcées par le juge des référés pour faire cesser la diffusion des propos litigieux, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence. Il en irait de même, selon les sénateurs auteurs de la troisième saisine, rejoints sur ce point par les députés requérants, compte tenu de l'imprécision des critères retenus pour définir les fausses informations et l'atteinte à la sincérité du scrutin.
    13. Enfin, les députés requérants estiment que la procédure de référé méconnaîtrait les droits de la défense et le droit à un procès équitable. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir que le délai de quarante-huit heures laissé au juge des référés et à la cour d'appel pour statuer serait contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et à la garantie des droits.
    14. Aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L'article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant … les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer. Il lui est aussi loisible, à ce titre, d'instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers.
    15. Cependant, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il en va notamment ainsi, compte tenu de l'état actuel des moyens de communication, de son exercice par le biais des services de communication au public en ligne, eu égard au développement généralisé de ces services ainsi qu'à leur importance pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
    16. Aux termes du troisième alinéa de l'article 3 de la Constitution, « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Il en résulte le principe de sincérité du scrutin.
    17. Il appartient au législateur de concilier le principe constitutionnel de sincérité du scrutin avec la liberté constitutionnelle d'expression et de communication.
    18. En premier lieu, en instaurant une procédure de référé pour obtenir la cessation de la diffusion de certaines fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sincérité du scrutin, le législateur a entendu lutter contre le risque que les citoyens soient trompés ou manipulés dans l'exercice de leur vote par la diffusion massive de telles informations sur des services de communication au public en ligne. Il a ainsi entendu assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin.
    19. En deuxième lieu, le législateur a limité l'application de cette procédure à la période de campagne électorale qui débute trois mois avant le premier jour du mois précédant des élections générales ou un référendum et s'achève à la date du tour du scrutin où celles-ci sont acquises.
    20. En troisième lieu, la procédure de référé ne concerne que les contenus publiés sur des services de communication au public en ligne. Or, ces services se prêtent plus facilement à des manipulations massives et coordonnées en raison de leur multiplicité et des modalités particulières de diffusion de leurs contenus.
    21. En quatrième lieu, le législateur a strictement délimité les informations pouvant faire l'objet de la procédure de référé contestée. D'une part, cette procédure ne peut viser que des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ou imputations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. D'autre part, seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée.
    22. Cependant, la liberté d'expression revêt une importance particulière dans le débat politique et au cours des campagnes électorales. Elle garantit à la fois l'information de chacun et la défense de toutes les opinions mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d'y répondre et de les dénoncer.
    23. Dès lors, compte tenu des conséquences d'une procédure pouvant avoir pour effet de faire cesser la diffusion de certains contenus d'information, les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d'expression et de communication, justifier une telle mesure que si leur caractère inexact ou trompeur est manifeste. Il en est de même pour le risque d'altération de la sincérité du scrutin, qui doit également être manifeste.
    24. En cinquième lieu, si les requérants dénoncent le risque d'instrumentalisation de la procédure, une telle éventualité ne saurait suffire à entacher celle-ci d'inconstitutionnalité.
    25. En dernier lieu, en permettant au juge des référés de prescrire toutes les mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser la diffusion des contenus fautifs, le législateur lui a imposé de prononcer celles qui sont les moins attentatoires à la liberté d'expression et de communication.
    26. Il résulte de tout ce qui précède que, sous les réserves énoncées au paragraphe 23, l'article L. 163-2 du code électoral, qui n'est pas entaché d'incompétence négative, ne porte pas à la liberté d'expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il ne méconnaît pas non plus les droits de la défense, le droit à un procès équitable, l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et la garantie des droits, ni aucune autre exigence constitutionnelle. Sous ces mêmes réserves, il est conforme à la Constitution.


    - Sur l'article 5 :


    27. L'article 5 complète par deux alinéas le paragraphe I de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 mentionnée ci-dessus.
    28. L'avant-dernier alinéa du paragraphe I ainsi complété permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser de conclure une convention aux fins de diffusion d'un service de radio ou de télévision n'utilisant pas des fréquences assignées par ce conseil si la diffusion de ce service comporte un risque grave d'atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté et à la propriété d'autrui, au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la protection de l'enfance et de l'adolescence, à la sauvegarde de l'ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions. Il en est de même lorsque la diffusion dudit service, eu égard à sa nature même, constituerait une violation des lois en vigueur.
    29. Le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 ainsi complété dispose que lorsque la conclusion de la convention est sollicitée par une personne morale contrôlée par un Etat étranger, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, ou placée sous l'influence de cet Etat, le conseil peut, pour apprécier la demande, tenir compte des contenus que le demandeur, ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de celle-ci éditent sur d'autres services de communication au public par voie électronique.
    30. Les députés requérants soutiennent que les dispositions de l'avant-dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 violeraient la liberté d'expression et de communication en créant un régime d'autorisation administrative préalable. Elles seraient également entachées d'incompétence négative et porteraient atteinte au principe de légalité des délits et des peines compte tenu de l'imprécision des notions de « sauvegarde de l'ordre public », d'« intérêts fondamentaux de la Nation » et de diffusion d'un service qui « eu égard à sa nature même, constituerait une violation des lois en vigueur ». Selon ces mêmes députés, le refus de conventionnement contesté constituerait une sanction et, en n'ayant prévu, dans le cadre de cette procédure, ni « notification des griefs aux personnes mises en cause », ni respect du contradictoire, ni possibilité de moduler la sanction prononcée, ni recours de plein contentieux contre cette sanction, ni recours suspensif, le législateur aurait méconnu les droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d'individualisation des peines.
    31. Les mêmes députés considèrent également qu'en traitant différemment les personnes morales contrôlées par un Etat étranger ou placées sous l'influence d'un tel Etat et les autres personnes morales, les dispositions du dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. Enfin, rejoints en cela par les sénateurs auteurs de la troisième saisine, ces députés soutiennent que cet alinéa serait entaché d'incompétence négative au regard de l'imprécision de la notion de personne morale « placée sous l'influence » d'un Etat étranger.
    En ce qui concerne l'avant-dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 :
    32. En premier lieu, il appartient au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de concilier, en l'Etat de la maîtrise des techniques et des nécessités économiques, l'exercice de la liberté de communication telle qu'elle résulte de l'article 11 de la Déclaration de 1789, avec, d'une part, les contraintes inhérentes à la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auxquels ces modes de communication, par leur influence, sont susceptibles de porter atteinte. Pour la réalisation de ces objectifs de valeur constitutionnelle, il est loisible au législateur de soumettre les différentes catégories de services de communication audiovisuelle à un régime d'autorisation administrative.
    33. D'une part, en permettant au Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser une demande de conventionnement pour l'un des motifs énoncés au paragraphe 28, le législateur a entendu prévenir toute diffusion par voie audiovisuelle ou radiophonique de contenus comportant un risque grave d'atteinte à l'ordre public, à la liberté d'autrui ou au caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels.
    34. D'autre part, les motifs tenant à la « sauvegarde de l'ordre public » et au risque grave d'atteinte aux « intérêts fondamentaux de la Nation », notions habituellement utilisées par le législateur et appliquées par le juge, ne sont entachés d'aucune imprécision. Par ailleurs, en permettant au Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser le conventionnement lorsque la diffusion d'un service « eu égard à sa nature même, constituerait une violation des lois en vigueur », le législateur a voulu éviter que puisse être autorisé un service dont le programme thématique serait par principe illicite ou tendrait à promouvoir une activité illicite.
    35. Il résulte de ce qui précède que le législateur, qui n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence, a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et la liberté d'expression et de communication.
    36. En deuxième lieu, la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser de conclure une convention peut être contestée devant le juge administratif. Le droit à l'exercice d'un recours effectif n'est donc pas méconnu.
    37. En dernier lieu, le refus de conventionnement contesté ne constituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines et d'individualisation des peines ne peuvent qu'être écartés.
    38. Il résulte de tout ce qui précède que l'avant-dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaît ni les droits de la défense ou le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.
    En ce qui concerne le dernier alinéa du paragraphe I :
    39. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
    40. Le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 traite différemment les personnes morales contrôlées par un Etat étranger ou placées sous son influence et les autres personnes morales, dès lors qu'il permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel de refuser de conclure avec les premières une convention en prenant en compte des contenus édités sur d'autres services de communication électronique au public par ces personnes ou par des sociétés qui leur sont liées.
    41. En adoptant ces dispositions, le législateur a voulu faciliter la prévention d'atteintes à l'ordre public résultant de la diffusion d'un service de radio ou de télévision contrôlé ou placé sous l'influence d'un Etat étranger. Il a ainsi pris en compte la gravité particulière d'une tentative de déstabilisation émanant d'un média contrôlé directement ou indirectement par une puissance étrangère. Le grief tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi doit en conséquence être écarté.
    42. En second lieu, en prévoyant que les dispositions du dernier alinéa du paragraphe I s'appliquent lorsque la personne morale est placée sous l'influence d'un Etat étranger, et non uniquement lorsqu'elle est contrôlée par un tel Etat au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, le législateur a souhaité soumettre à ces dispositions toute personne morale à laquelle un Etat étranger peut, en droit ou en fait, imposer ses décisions. Il n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
    43. Il résulte de ce qui précède que le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.


    - Sur l'article 6 :


    44. L'article 6 insère un nouvel article 33-1-1 dans la loi du 30 septembre 1986. Cet article attribue au Conseil supérieur de l'audiovisuel le pouvoir de suspendre la diffusion d'un service de radio ou de télévision ayant fait l'objet d'une convention conclue avec une personne morale contrôlée au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce par un Etat étranger ou placée sous l'influence de cet Etat en cas de diffusion de fausses informations en période électorale.
    45. Les députés requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent la liberté d'expression et de communication dès lors, d'une part, qu'en cas de succession de scrutins électoraux, la décision de suspension pourrait s'étendre sur une longue période, et, d'autre part, que la notion de « fausses informations » permettrait de prendre en compte une erreur, une approximation ou une information ne pouvant être vérifiée en raison de la protection du secret des sources des journalistes.
    46. Ils estiment également qu'il est contrevenu au principe d'égalité devant la loi dès lors que le législateur a traité différemment, sans que cela soit justifié, les personnes morales placées sous le contrôle ou sous l'influence d'un Etat tiers et les autres personnes morales.
    47. Ils soutiennent enfin que, en limitant à quarante-huit heures le délai accordé à la personne ayant conclu la convention pour présenter des observations devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le législateur aurait violé les droits de la défense. De la même manière, l'absence d'un recours de plein contentieux et d'un recours suspensif à l'encontre de cette décision contreviendrait au droit à un recours effectif. Enfin, le principe d'individualisation des peines serait également méconnu dans la mesure où la décision de suspension ne pourrait être modulée.
    48. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine estiment que, compte tenu de l'imprécision des conditions auxquelles le pouvoir de suspension est subordonné et de l'absence de garanties procédurales suffisantes, les dispositions contestées méconnaîtraient la liberté d'expression et de communication.
    En ce qui concerne l'atteinte à la liberté d'expression et de communication :
    49. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu lutter contre le risque que les citoyens soient trompés ou manipulés dans l'exercice de leur vote par la diffusion de fausses informations sur des services de radio et de télévision contrôlés par un Etat étranger ou placés sous son influence. Il a ainsi entendu assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin.
    50. En second lieu, d'une part, le pouvoir de suspension ne peut intervenir que pendant les trois mois précédant le premier jour du mois de l'élection du Président de la République, des élections générales des députés, de l'élection des sénateurs, ce qui exclut les élections partielles, de l'élection des représentants au Parlement européen et opérations référendaires et jusqu'à la date du tour de scrutin où ces élections sont acquises.
    51. Par ailleurs, il ne peut être exercé que si le service de radio ou de télévision diffuse « de façon délibérée, de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin ». La notion de fausse information doit s'entendre comme visant des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait telles que définies au paragraphe 21. En outre, compte tenu des conséquences d'une mesure ayant pour effet de faire cesser la diffusion d'un service de radio ou de télévision en période électorale, les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d'expression et de communication, justifier une telle décision si leur caractère inexact ou trompeur ou si le risque d'altération de la sincérité du scrutin n'est pas manifeste.
    52. D'autre part, en cas d'engagement de la procédure de suspension, le Conseil supérieur de l'audiovisuel notifie les griefs susceptibles de justifier cette suspension aux personnes mises en cause, lesquelles disposent d'un délai de quarante-huit heures pour présenter leurs observations. La possibilité ouverte par le 1° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration de déroger à l'application de ces garanties en cas d'urgence ne peut être mise en œuvre que lorsque cette urgence est incompatible avec le délai de quarante-huit heures précité. Par ailleurs, la décision de suspension est motivée et notifiée aux personnes mises en cause qui peuvent la contester devant le juge administratif.
    53. Il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées au paragraphe 51, l'article 33-1-1 de la loi du 30 septembre 1986 ne méconnaît pas la liberté d'expression et de communication.
    En ce qui concerne les autres griefs :
    54. En premier lieu, pour les motifs énoncés au paragraphe 41, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées entre les personnes morales contrôlées par un Etat étranger ou placées sous l'influence d'un tel Etat et les autres n'est pas contraire au principe d'égalité devant la loi.
    55. En second lieu, dès lors que la décision de suspension contestée, qui est prononcée aux fins de prévenir l'altération de la sincérité d'un scrutin électoral, ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu les droits de la défense en ne prévoyant qu'un délai de quarante-huit heures pour le recueil préalable des observations ne peut qu'être écarté. Il en est de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines.
    56. Il résulte de tout ce qui précède que l'article 33-1-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaît ni le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucune autre exigence constitutionnelle, est, sous les réserves énoncées au paragraphe 51, conforme à la Constitution.


    - Sur l'article 8 :


    57. L'article 8 rétablit un article 42-6 dans la loi du 30 septembre 1986, applicable aux services de radio ou de télévision distribués par les réseaux n'utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et dont les obligations particulières sont définies dans une convention conclue avec ce dernier. La première phrase de cet article 42-6 permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel, après mise en demeure, de résilier unilatéralement une telle convention, lorsqu'elle a été conclue avec une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou placée sous l'influence de cet Etat, au motif que le service de radio ou de télévision porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, « dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations ». La seconde phrase de l'article 42-6 autorise le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour apprécier cette atteinte, à tenir compte des contenus édités, sur d'autres services de communication au public par voie électronique, par la société avec laquelle il a conclu la convention, par ses filiales, par la personne morale qui la contrôle ou par les filiales de celle-ci, sans toutefois pouvoir fonder sa décision sur ces seuls éléments.
    58. Selon les députés requérants, en visant les atteintes au fonctionnement régulier des institutions, notamment par la diffusion de fausses informations, le législateur aurait retenu des termes imprécis et susceptibles d'une large interprétation, au mépris de la liberté d'expression et de communication. En outre, la résiliation pourrait être prononcée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel sans tenir compte du comportement de la personne après sa mise en demeure et sans avoir été précédée d'une procédure contradictoire. Le droit à un recours juridictionnel effectif serait également méconnu, faute que soit prévu un recours de plein contentieux et que le recours ait un effet suspensif. Il en résulterait une violation de la garantie des droits. Enfin, en ne s'appliquant qu'aux conventions conclues avec une société contrôlée ou influencée par un Etat étranger, et non à celles conclues avec d'autres sociétés, ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi.
    59. Les sénateurs auteurs de la troisième saisine dénoncent, pour les mêmes motifs que ceux avancés par les députés requérants, une violation de la liberté d'expression et de communication. Enfin, la possibilité de prononcer la résiliation en raison des agissements d'autres personnes que la société sanctionnée serait contraire au principe de personnalité des peines.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication :
    60. En premier lieu, les dispositions contestées visent à sanctionner les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation commises, par une personne contrôlée ou influencée par un Etat étranger, au moyen d'un service de radio ou de télévision, notamment par la diffusion de fausses informations. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
    61. En second lieu, la notion de fausse information, qui doit s'entendre comme visant des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait telles que définies au paragraphe 21, ne crée pas d'incertitude sur la licéité des comportements susceptibles de tomber sous le coup de la sanction contestée. Il en va de même de la notion d'atteinte au fonctionnement régulier des institutions, qui ne revêt aucun caractère équivoque.
    62. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication doit être écarté.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
    63. Pour les motifs énoncés au paragraphe 41, le fait que la sanction instituée par les dispositions contestées ne puisse être prononcée qu'à l'encontre d'une personne morale contrôlée par un Etat étranger ou placée sous l'influence de cet Etat ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi.
    En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
    64. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire.
    65. D'une part, en prévoyant que le Conseil supérieur de l'audiovisuel « peut, après mise en demeure, prononcer la sanction de résiliation unilatérale de la convention », le législateur a entendu qu'une telle sanction ne puisse être prononcée que si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne s'est pas conformée à celle-ci. D'autre part, cette sanction est prononcée au terme de la procédure contradictoire définie à l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986, modifié en ce sens par l'article 9 de la loi déférée. Enfin, la résiliation de la convention peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir.
    66. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait :
    67. L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Selon son article 9, tout homme est « présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Il résulte de ces articles que nul n'est punissable que de son propre fait. Ce principe s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
    68. Appliqué en dehors du droit pénal, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait peut faire l'objet d'adaptations, dès lors que celles-ci sont justifiées par la nature de la sanction et par l'objet qu'elle poursuit et qu'elles sont proportionnées à cet objet.
    69. En premier lieu, en autorisant le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour fonder sa décision de résiliation, à tenir compte des contenus diffusés sur d'autres services que celui objet de la convention en cause ou par d'autres personnes que celle signataire de cette convention, le législateur a entendu permettre que l'atteinte portée aux intérêts fondamentaux de la Nation par le service visé par la procédure de sanction puisse être établie au moyen d'un faisceau d'indices concordants attestant l'existence d'une stratégie impliquant plusieurs sociétés liées entre elles et mise en œuvre par un Etat étranger.
    70. En second lieu, d'une part, les dispositions contestées ne permettent la prise en compte des contenus d'autres services de communication au public par voie électronique que lorsque ces derniers sont édités par une filiale de la société ayant conclu la convention, par la personne morale qui la contrôle ou par les filiales de cette dernière. Ces sociétés partagent de ce fait une communauté d'intérêts de nature à faire présumer une concertation d'action entre elles. D'autre part, ces dispositions excluent que la décision de résiliation puisse alors être fondée sur ces seuls contenus.
    71. Il résulte de ce qui précède que la seconde phrase de l'article 42-6 de la loi du 30 septembre 1986, ne méconnaît pas, compte tenu des stratégies susceptibles d'être mises en œuvre par des Etats étrangers, le principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait.
    72. Il résulte de tout ce qui précède que l'article 42-6 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.


    - Sur certaines dispositions de l'article 10 :


    73. Le 2° du paragraphe I de l'article 10 insère un deuxième alinéa dans l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 permettant au président du Conseil supérieur de l'audiovisuel de saisir le juge afin qu'il ordonne la cessation de la diffusion ou de la distribution, par un opérateur de réseaux satellitaires ou un distributeur de services, d'un service de communication audiovisuelle relevant de la compétence de la France et contrôlé par un Etat étranger ou placé sous son influence, si ce service porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, « dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informations ». Ces dispositions précisent que, pour apprécier cette atteinte, le juge peut tenir compte des contenus édités, sur d'autres services de communication au public par voie électronique, par l'éditeur du service en cause, ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de cette dernière.
    74. Les députés requérants et les sénateurs auteurs de la troisième saisine reprochent à ces dispositions de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication et d'expression, notamment du fait de l'imprécision des notions de personne morale « placée sous l'influence » d'un Etat étranger et de « fausses informations ». Les députés auteurs de la deuxième saisine reprochent également à ces dispositions de ne s'appliquer qu'aux services de communication audiovisuelle contrôlés par un Etat étranger ou placés sous son influence, méconnaissant ainsi le principe d'égalité devant la loi. Ils soutiennent enfin que les dispositions contestées méconnaîtraient la liberté d'entreprendre, les principes de légalité des délits et des peines et de personnalité des peines, l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion et celui d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication :
    75. En premier lieu, les dispositions contestées visent à prévenir et à faire cesser les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation commises par un service de communication audiovisuelle contrôlé ou influencé par un Etat étranger, notamment par la diffusion de fausses informations. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
    76. En deuxième lieu, la notion de fausse information doit s'entendre comme visant des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait telles que définies au paragraphe 20. La notion de personne morale « placée sous l'influence » d'un Etat étranger s'entend ainsi qu'il a été précisé au paragraphe 42. Ces notions ne créent pas d'incertitude sur les conditions de recours à la procédure contestée.
    77. En troisième lieu, la mesure de cessation est prononcée par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat selon la procédure de référé prévue à l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986.
    78. En dernier lieu, si, pour apprécier la gravité de l'atteinte portée par l'éditeur du service en cause aux intérêts fondamentaux de la Nation, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des contenus que celui-ci, ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de cette dernière éditent sur d'autres services de communication au public par voie électronique, la mesure de cessation suppose qu'il soit établi que l'éditeur du service ait lui-même commis un manquement.
    79. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication doit être écarté.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
    80. Pour les motifs énoncés au paragraphe 41, le fait que la mesure de cessation ne puisse être prononcée pour les motifs prévus par les dispositions contestées qu'à l'encontre d'un éditeur de service contrôlé par un Etat étranger ou placé sous son influence ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi.
    En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des exigences découlant des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 :
    81. Les dispositions contestées n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines et de celui selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait sont inopérants.
    82. Il résulte de tout ce qui précède que le deuxième alinéa de l'article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986, qui ne méconnaît pas non plus l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ou, en tout état de cause, celui de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.


    - Sur l'article 11 :


    83. L'article 11 met à la charge des opérateurs de plateforme en ligne visés à l'article L. 163-1 du code électoral des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité du scrutin. Ils doivent mettre en place un dispositif permettant à leurs usagers de signaler de telles informations. Ils doivent également mettre en œuvre des mesures complémentaires pouvant notamment porter sur la transparence des algorithmes ou la lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations.
    84. Les députés requérants soutiennent qu'en confiant aux opérateurs de plateforme en ligne le soin d'apprécier le caractère faux des informations diffusées sur leur plateforme, les dispositions contestées risquent de les conduire, pour ne pas être accusés de manquer à leurs obligations, à retenir une acception large de la notion de « fausses informations », au détriment de la liberté d'expression et de communication. Ils reprochent également à ces dispositions de méconnaître la liberté d'entreprendre, le « droit à l'information » ainsi que les objectifs de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de pluralisme des courants de pensée et d'opinion.
    En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'expression et de communication :
    85. En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prévenir les atteintes à l'ordre public et assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin.
    86. En deuxième lieu, la notion de fausse information doit s'entendre comme visant des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait telles que définies au paragraphe 21. Elle ne crée pas d'incertitude sur la portée des obligations instituées par les dispositions contestées.
    87. En dernier lieu, au nombre des mesures susceptibles d'être mises en œuvre pour lutter contre la diffusion de fausses informations comptent des mesures d'information, de transparence ou de signalement des contenus litigieux qui ne sont pas susceptibles en elles-mêmes de porter atteinte à la liberté d'expression et de communication. Il appartiendra, en tout état de cause, au juge éventuellement saisi d'un litige sur les autres mesures complémentaires susceptibles d'être adoptées à cette même fin, notamment celles visant à lutter contre les comptes propageant massivement de fausses informations, d'examiner, dans chaque cas, si elles sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.
    88. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'expression et de communication doit être écarté.
    En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre :
    89. Les dispositions contestées se bornent à imposer aux opérateurs de plateforme en ligne, d'une part, de mettre en œuvre, selon les modalités qu'ils déterminent, un dispositif accessible et visible permettant aux utilisateurs de signaler des fausses informations, ainsi que des mesures complémentaires telles que la transparence de leurs algorithmes ou la lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations. Elles leur imposent, d'autre part, de rendre publiques ces mesures ainsi que les moyens qui y sont consacrés. En adoptant ces dispositions, le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard des objectifs mentionnés au paragraphe 85.
    90. Il résulte de tout ce qui précède que l'article 11, qui ne méconnaît pas non plus l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ou, en tout état de cause, celui de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, ni aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.


    - Sur les autres dispositions :


    91. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune question de conformité à la Constitution et ne s'est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
    Le Conseil constitutionnel décide :


  • Sont conformes à la Constitution :


    - sous les réserves énoncées au paragraphe 23, l'article L. 163-2 du code électoral, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi relative à la manipulation de l'information ;
    - sous les réserves énoncées au paragraphe 51, l'article 33-1-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction issue de l'article 6 de la loi déférée.


  • Sont conformes à la Constitution :


    - les articles L. 112 et L. 163-1 du code électoral, dans leur rédaction issue de l'article 1er de la loi déférée ;
    - les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction résultant de l'article 5 de la loi déférée ;
    - l'article 42-6 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction résultant de l'article 8 de la loi déférée ;
    - le deuxième alinéa de l'article 42-10 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction résultant de l'article 10 de la loi déférée ;
    - l'article 11 de la loi déférée.


  • Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


  • Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 décembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
    Rendu public le 20 décembre 2018.

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