(MME SIMONE P. ET AUTRE)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 juillet 2018 par le Conseil d'Etat (décision n° 421151 du 18 juillet 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour Mme Simone P. et M. Olivier P. par Me Alexandre Zago, avocat au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-740 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ;
- le décret n° 77-860 du 26 juillet 1977 modifiant le code de l'urbanisme et relatif aux lotissements ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 24 août 2018 ;
- les observations présentées pour la commune d'Antibes, partie en défense, par la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 2 août 2018 ;
- les observations présentées pour les sociétés Beval et Claire Fontaine, parties intervenantes devant le Conseil d'Etat, par la SCP Potier de la Varde-Buk Lament-Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 août 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 10 août 2018 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Marineland, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 3 et 27 août 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Denis Garreau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me Pierre Robillot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour les parties intervenantes devant le Conseil d'Etat, Me François Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 octobre 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. L'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Lorsque la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement ou les deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie le demandent ou l'acceptent, l'autorité compétente peut prononcer la modification de tout ou partie des documents du lotissement, notamment le règlement, le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé. Cette modification doit être compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable.
« Le premier alinéa ne concerne pas l'affectation des parties communes des lotissements.
« Jusqu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'achèvement du lotissement, la modification mentionnée au premier alinéa ne peut être prononcée qu'en l'absence d'opposition du lotisseur si celui-ci possède au moins un lot constructible ».
2. Les requérants reprochent à ces dispositions de permettre à l'administration, avec l'accord seulement d'une majorité de propriétaires, de remettre en cause le cahier des charges d'un lotissement, sans que cette faculté soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ni entourée de garanties protectrices des droits des propriétaires minoritaires. Il en résulterait une violation du droit de propriété et du droit au maintien des conventions légalement conclues, ainsi qu'une méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans des conditions de nature à affecter ces deux droits.
3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme.
4. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
6. Le cahier des charges d'un lotissement a vocation à définir les droits et obligations régissant les rapports entre propriétaires colotis ainsi que les règles de gestion des parties communes du lotissement. L'article L. 442-10 du code de l'urbanisme institue une procédure de modification, d'une part, des cahiers des charges ayant fait l'objet d'une approbation par l'autorité administrative et, d'autre part, des clauses « de nature réglementaire » des cahiers des charges qui, en application du décret du 26 juillet 1977 mentionné ci-dessus, ne sont désormais plus soumis à une telle approbation. Cette modification est prononcée, à la demande ou après l'acceptation d'une majorité qualifiée de colotis, par l'autorité administrative compétente pour statuer sur les demandes de permis d'aménager.
7 .En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faciliter l'évolution, dans le respect de la politique publique d'urbanisme, des règles propres aux lotissements contenues dans leurs cahiers des charges. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
8. En deuxième lieu, en application du deuxième alinéa de l'article L. 442-10, la modification permise par les dispositions contestées ne peut concerner l'affectation des parties communes du lotissement. En outre, compte tenu de leur objet, ces dispositions autorisent uniquement la modification des clauses des cahiers des charges, approuvés ou non, qui contiennent des règles d'urbanisme. Elles ne permettent donc pas de modifier des clauses étrangères à cet objet, intéressant les seuls colotis.
9 .En troisième lieu, la modification est subordonnée au recueil de l'accord soit de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie du lotissement soit des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie. En outre, il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'Etat que la modification envisagée doit être précédée d'une information suffisamment précise des colotis intéressés.
10. En dernier lieu, l'autorité administrative ne peut prononcer la modification que si elle est compatible avec la réglementation d'urbanisme applicable et que si elle poursuit un motif d'intérêt général en lien avec la politique publique d'urbanisme.
11. Toutefois, cette modification du cahier des charges ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au droit au maintien des conventions légalement conclues, aggraver les contraintes pesant sur les colotis sans que cette aggravation soit commandée par le respect des documents d'urbanisme en vigueur.
12. Il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au paragraphe précédent, les dispositions contestées ne portent pas aux conditions d'exercice du droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi et qu'elles ne méconnaissent pas non plus le droit au maintien des conventions légalement conclues. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés.
13. Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, qui ne méconnaissent pas l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
Sous la réserve énoncée au paragraphe 11, les mots « le cahier des charges s'il a été approuvé ou les clauses de nature réglementaire du cahier des charges s'il n'a pas été approuvé » figurant à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 442-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, sont conformes à la Constitution.Liens relatifs
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 octobre 2018, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 19 octobre 2018.
Décision n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018