(GRAND PORT MARITIME DE LA GUADELOUPE)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juin 2018 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 989 du 21 juin 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le Grand port maritime de la Guadeloupe par Mes Jérôme Duvignau et Thomas Maitrot, avocats au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-732 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 5424-2 du code du travail.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par l'AARPI Richer et associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 29 juin et 23 juillet 2018 ;
- les observations présentées pour la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, partie en défense, par la SCP Gatineau - Fattaccini, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 16 et 30 juillet 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 17 juillet 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Maitrot pour le requérant, Me Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 septembre 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 5424-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 décembre 2010 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 5424-2 du code du travail, dans cette rédaction, prévoit :
« Les employeurs mentionnés à l'article L. 5424-1 assurent la charge et la gestion de l'allocation d'assurance. Ceux-ci peuvent, par convention conclue avec l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, pour le compte de l'organisme mentionné à l'article L. 5427-1, lui confier cette gestion.
« Toutefois, peuvent adhérer au régime d'assurance :
« 1° Les employeurs mentionnés au 2° de l'article L. 5424-1 ;
« 2° Par une option irrévocable, les employeurs mentionnés aux 3°, 4° et 6° de ce même article ;
« 3° Pour leurs agents non titulaires, les établissements publics d'enseignement supérieur et les établissements publics à caractère scientifique et technologique ;
« 4° Pour les assistants d'éducation, les établissements d'enseignement mentionnés à l'article L. 916-1 du code de l'éducation.
« Les entreprises de la branche professionnelle des industries électriques et gazières soumises au statut national du personnel des industries électriques et gazières, adhérentes, avant leur assujettissement au statut national, au régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 5422-1 et suivants, ainsi que les entreprises en création sont considérées comme ayant exercé leur option irrévocable mentionnée au 2° ».
3. Le requérant soutient que le 2° de cet article porterait atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, en ce qu'il prévoit une option irrévocable d'adhésion au régime de l'assurance chômage pour les employeurs publics mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1 du code du travail, notamment les établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail.
5. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
6. En vertu de l'article L. 5422-13 du code du travail, les employeurs sont tenus d'adhérer au régime de l'assurance chômage. Par exception, l'article L. 5424-2 prévoit que les employeurs publics ainsi que certains employeurs privés dont le capital est pour partie public assurent eux-mêmes la charge et la gestion de l'allocation d'assurance chômage. Cependant, certains d'entre eux peuvent adhérer, sur option, au régime de l'assurance chômage. Cette option est révocable ou irrévocable, selon la nature juridique de l'employeur. Le 2° de l'article L. 5424-2 lui confère ainsi un caractère irrévocable lorsqu'elle est exercée par les employeurs mentionnés au 3° de l'article L. 5424-1. Sont visés à ce titre les entreprises inscrites au répertoire national des entreprises contrôlées majoritairement par l'Etat, parmi lesquelles figurent les établissements publics industriels et commerciaux de l'Etat, ainsi que les établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales et les sociétés d'économie mixte dans lesquelles ces collectivités ont une participation majoritaire.
7. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a, d'une part, entendu éviter que certains employeurs, intervenant dans le secteur concurrentiel, puissent révoquer leur adhésion au régime de l'assurance chômage afin d'optimiser le coût de la prise en charge de l'allocation due à leurs anciens agents ou salariés, le cas échéant au détriment de l'équilibre financier de ce régime. D'autre part, il a entendu limiter l'avantage compétitif procuré à ces employeurs par le caractère facultatif de leur adhésion, par rapport à leurs concurrents pour lesquels cette adhésion est obligatoire. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général. L'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par le caractère irrévocable de l'adhésion n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre doit être écarté.
8. La référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail, qui ne méconnaît pas, en tout état de cause, la liberté contractuelle, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
La référence « 3° » figurant au 2° de l'article L. 5424-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, est conforme à la Constitution.Liens relatifs
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 septembre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 21 septembre 2018.
Décision n° 2018-732 QPC du 21 septembre 2018