L'article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu'elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, de constater s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues.
Les présentes recommandations ont été adressées à la ministre des solidarités et de la santé. Un délai de trois semaines lui a été imparti pour faire connaître ses observations. A l'issue de ce délai, aucune réponse n'est parvenue au contrôle.
Lors d'une visite du pôle de psychiatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne, réalisée du 8 au 15 janvier 2018, le CGLPL a constaté des situations individuelles, des dysfonctionnements et des conditions de prise en charge, qui permettent de considérer que les conditions de vie de certaines personnes hospitalisées, constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Les constats les plus graves, objets des présentes recommandations en urgence, intéressent les prises en charge aux urgences, les pratiques d'isolement et de contention, et l'exercice des droits des patients.
Les services de psychiatrie du CHU sont regroupés au sein d'un pôle qui comprend la psychiatrie adulte, la pédopsychiatrie et des activités intersectorielles comme une unité d'urgences psychiatriques. La psychiatrie adulte dispose de 216 lits et 228 places, la pédopsychiatrie de 14 lits et 64 places. En dehors des hospitalisations programmées, tous les patients sont initialement pris en charge par les urgences générales du CHU.
1. Des conditions d'accueil des patients indignes aux sein du service des urgences générales
Depuis plus de cinq ans, les patients qui sont initialement accueillis aux urgences générales du CHU peinent à pouvoir être hospitalisés dans une unité d'hospitalisation complète ou à l'unité de post-crise appelée « urgences psychiatriques ». Un à deux lits surnuméraires ont été ajoutés dans chaque unité et une salle dite « de flux » a été créée en 2014 au sein de l'unité des urgences psychiatriques pour y offrir quatre places supplémentaires.
Malgré cela, depuis octobre 2017, l'impossibilité manifeste d'hospitaliser en psychiatrie des patients en soins libres comme en soins sans consentement, s'est aggravée.
Ce dysfonctionnement majeur a conduit les soignants à accepter l'instauration de pratiques contraires au droit comme d'ailleurs à leur volonté première.
En effet, les contrôleurs ont constaté, au moment de la visite, la présence aux urgences générales du CHU, de vingt patients relevant de la psychiatrie en attente de places. Treize de ces vingt patients attendaient allongés sur des brancards dans les couloirs même des urgences. Sept patients faisaient l'objet de contentions au niveau des pieds et d'une ou des deux mains. Deux de ces patients attachés étaient en soins libres, les autres étant en soins sans consentement à la demande du représentant de l'Etat ou à la demande d'un tiers. Ces sept personnes se trouvaient aux urgences depuis des durées allant de quinze heures à sept jours, cinq étant présents depuis plus de trois jours. Ils n'avaient pu ni se laver, ni se changer, ni avoir accès à leur téléphone portable. Trois d'entre eux devaient user d'un urinal posé le long de leur jambe sur le brancard au-dessus du drap. Or aucun de ces patients ne présentait d'état d'agitation, certains demandant juste à pouvoir être détachés, sans véhémence, dans une forme de résignation et d'acceptation. Les contentions étaient visibles de toute personne circulant dans les couloirs des urgences, notamment des patients souffrant d'autres pathologies et de leurs familles. Les entretiens avec les médecins et infirmiers, comme la délivrance des traitements, s'effectuaient sans aucune confidentialité.
L'analyse statistique des passages aux urgences des derniers mois a montré que, depuis octobre 2017, il est habituel que plus de dix patients séjournent dans ces conditions plusieurs jours, dans l'attente d'être hospitalisés en psychiatrie. Toute personne admise en soins sans consentement est par ailleurs systématiquement placée sous contention, avec injection quotidienne d'anticoagulant en prévention de la phlébite et de l'embolie, même si elle n'est pas agitée.
Les patients placés sous contention aux urgences ne font pas l'objet d'une inscription au registre prévu par l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (CSP).
Ces pratiques ne respectent pas la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 en son article 72 qui indique que « l'isolement et la contention sont des pratiques de derniers recours ; il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. »
Le contrôle général rappelle ainsi les termes de son avis du 15 février 2011 relatif à certaines modalités de l'hospitalisation sans consentement, repris dans son rapport thématique de 2016 sur l'isolement et la contention dans les établissements de santé : « toute privation de liberté est attentatoire aux droits fondamentaux ; aussi tout doit être mis en œuvre pour apaiser la personne en situation de crise avec des approches alternatives à une mesure de contrainte physique. Si, en dernier recours, la décision d'un placement en chambre d'isolement ou sous contention doit être prise, les modalités de sa mise en œuvre doivent garantir au mieux le respect de la dignité et des droits des patients ». La contention doit ainsi rester une décision de sécurité prise par un psychiatre et fondée sur des motifs de dangerosité clinique ; elle ne peut en aucun cas constituer des contentions de confort destinées à pallier une absence de surveillance, être punitive ou liée à une mauvaise organisation des services. Elle ne peut être systématique sur le seul fondement d'un statut de soins sans consentement.
Les pratiques observées au CHU de Saint-Etienne interviennent sur fond d'un dysfonctionnement structurel qui confronte les soignants à des difficultés professionnelles majeures. En effet, on relève une absence de projet médical de pôle, la fermeture de lits non suffisamment anticipée, ni compensée par une offre de soins globale adaptée, des vacances de postes de psychiatres et des durées moyennes de séjour qui n'ont commencé à diminuer qu'en 2017 sans pour autant être excessives puisque comprises actuellement entre 21 et 39 jours, beaucoup d'unités étant en dessous de 26 jours.
Ce dysfonctionnement majeur de la prise en charge des patients relevant de la psychiatrie aux urgences générales nécessite de mettre immédiatement un terme aux traitements indignes observés, c'est-à-dire de lever les mesures de contention systématiques, d'hospitaliser rapidement tous les patients dans des chambres, de leur permettre de se laver et d'accéder à des toilettes ainsi que de bénéficier d'une intimité minimale durant leurs soins.
Des mesures structurelles rapides doivent également être prises. Celles-ci peuvent passer par la création d'une offre en hospitalisation complète supplémentaire avec le nombre de lits et de soignants nécessaires, le développement des prises en charge extra-hospitalières dans les trois secteurs de psychiatrie où elles sont insuffisantes (Saint-Etienne, Ondaine, La Plaine), et le renfort de psychiatres sur les postes immédiatement vacants.
Mais surtout, un projet médical de pôle devra définir de manière précise l'ensemble des besoins de la filière psychiatrique à prendre en charge et les modalités avec lesquelles il sera décidé d'y répondre. Ce projet médical de pôle devra être pris en compte dans le schéma directeur immobilier actuellement en cours de finalisation sur sa partie psychiatrie adulte et pédopsychiatrie.
2. Une pratique générale d'isolement et de contention dans les unités d'hospitalisation complète ne répondant pas aux exigences législatives et réglementaires
Le pôle de psychiatrie dispose de quatre chambres d'isolement identiques qui comportent un lit fixé au sol, un point d'eau avec des toilettes, et un bouton d'appel mural ; la douche n'est accessible que depuis le sas sur ouverture du soignant.
Lors du contrôle, toutes les chambres d'isolement étaient occupées. L'enfermement est également fréquent en chambre ordinaire y compris avec contention et sans que la traçabilité informatique n'ait permis de distinguer les types de chambres concernées. Une patiente non agitée mais souffrant de troubles compulsifs est ainsi placée en isolement dans sa chambre ordinaire depuis plusieurs mois, avec porte des toilettes fermée à clé et quatre sorties d'un quart d'heure autorisées par jour pour fumer. Par ailleurs, les placards de rangement de chaque unité abritent une dizaine de nécessaires de contention alors même qu'il n'y a qu'une chambre d'isolement.
L'isolement est encore décrit comme « thérapeutique » dans le protocole à destination des soignants de juillet 2017. Il est considéré ainsi dans l'esprit de certains soignants, alors que la thématique « isolement-contention » n'est pas suffisamment investie par les corps soignants, y compris en pédopsychiatrie. Certaines unités pratiquent des « isolements séquentiels » de plusieurs semaines.
Enfin, l'analyse de la pratique est inexistante et les données communiquées par le CHU sont fausses et inexploitables puisqu'elles indiqueraient annuellement 8 000 mesures d'isolements et 1 400 mesures de contentions dont 800 mesures d'isolements et 140 contentions pour des patients en soins libres.
Ainsi, une extraction informatique des isolements et contentions 2017, effectuée à la demande des contrôleurs, confirme que des patients en soins libres font l'objet, de manière fréquente, de mesures d'isolement associées parfois à de la contention, pour des durées de plusieurs jours. Le contrôle général rappelle que l'isolement avec ou sans contention ne peut être mis en œuvre pour un patient en soins libres que pour une durée maximale de douze heures permettant, le cas échéant, la mise en place d'une mesure de soins sans consentement.
Enfin, les renouvellements à 24 heures des mesures d'isolement ne sont pas réalisés le dimanche faute d'une garde spécifique de psychiatre senior. Les mesures se prolongent donc sans contrôle médical et dans l'illégalité.
Ces pratiques d'isolement et de contention ne respectent pas les recommandations de la Haute Autorité de santé en date du 20 mars 2017 ; elles ne respectent pas non plus les normes révisées du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 21 mars 2017 relatives aux moyens de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes.
Les pratiques illégales et abusives d'isolement et de contention doivent cesser immédiatement. Des formations sur la gestion de crise, l'isolement et la contention doivent être mises en place sans délai, tant pour les infirmiers que pour les médecins, des évaluations des pratiques professionnelles sont à mettre en place et un réel travail de recherche de solutions alternatives à l'isolement et à la contention devra s'engager.
La mise en place d'un registre opérationnel de l'isolement et de la contention doit être mis en place dans les plus brefs délais ; il permettra d'aider les soignants à analyser leurs pratiques, tel qu'imposé par la loi du 26 janvier 2016 suscitée, et précisée par les recommandations de la Haute Autorité de santé de mars 2017 et l'instruction de la ministre des affaires sociales et de la santé du 29 mars 2017.
3. Un non-respect des droits du patient
Les contrôleurs ont observé, dans toutes les unités de psychiatrie, un défaut d'explication de leurs droits aux patients, que ce soit lors des notifications de placement en soins sans consentement, lors de l'établissement des certificats médicaux prolongeant les mesures, ou encore à travers l'établissement de programmes de soins.
Les infirmiers et cadres ne sont pas formés sur la notification des droits et le droit des patients en général. Les patients ne reçoivent aucun document expliquant leurs droits. La notion de personne de confiance est peu investie et non exploitée dans les services de psychiatrie alors même que le CHU de Saint-Etienne est pilote à travers la réalisation d'un film à destination des soignants des autres spécialités sur la personne de confiance. Certains patients sont présentés au juge des libertés et de la détention en pyjama et tongs, ce qui les place dans une situation dégradante.
Les programmes de soins ne respectent pas, dans l'immense majorité des cas, les articles L. 3211-2-1 et R. 3211-1 du CSP, et prévoient un temps d'hospitalisation complète beaucoup plus important que le temps ambulatoire, sans préciser les lieux et dates prévisibles des différentes prises en charge. De nombreux programmes de soins correspondent à des hospitalisations complètes ponctuées de sorties de quelques heures dans la semaine.
Parallèlement, les contrôleurs ont constaté une prise en charge psychiatrique et somatique par les médecins et infirmiers des différentes unités, empreinte de professionnalisme ; la présence médicale est assurée avec beaucoup de dévouement et les consultations avec les patients sont régulières et pratiquées en binôme avec l'infirmier ; les cadres individuels de soins sont établis et précisent les restrictions de liberté ; les projets de soins bien suivis en pluridisciplinarité. Les médecins travaillent avec les patients en bonne transparence et avec des rapports de confiance.
Le contrôle s'est déroulé dans une ambiance sereine et constructive, et l'évocation des premiers constats opérés durant la visite a suscité une attention et une prise en compte forte de la communauté médicale et soignante du CHU. Un courrier du directeur de l'hôpital, adressé au CGLPL le 23 janvier 2018, témoigne du reste d'une réelle volonté de changement. Néanmoins, la gravité et le caractère structurel des constats du CGLPL ne permettent pas de laisser l'établissement seul face à ses difficultés.
4. Les différents constats décrits ci-dessus conduisent la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté à formuler les recommandations suivantes
Les atteintes aux droits décrites dans les présentes recommandations doivent cesser immédiatement, notamment l'accueil au sein du service des urgences.
La prise en charge initiale des patients au CHU doit être réalisée dans le respect de la dignité des personnes et les moyens nécessaires doivent être mis en œuvre pour garantir les possibilités d'hospitalisation adaptées.
Les pratiques d'isolement et de contention doivent faire l'objet d'une réflexion institutionnelle et respecter les prescriptions de la loi du 26 janvier 2016 ainsi que les recommandations du CGLPL, de la Haute Autorité de santé, et du Conseil de l'Europe à travers les normes révisées du CPT.
Une formation sur l'accès aux droits doit être dispensée aux soignants et l'information donnée aux patients doit être déclinée aux différents moments de l'hospitalisation ; les cadres de santé doivent établir un contrôle de cet accès aux droits.Liens relatifs
Recommandations en urgence du 1er février 2018 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté relatives au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne (Loire)