(SOCIÉTÉ QUEEN AIR)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 septembre 2017 par le Conseil d'Etat (décision n° 412205 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Queen Air par Me Amaël Chesneau, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-675 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 et des deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du code des transports, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code des transports ;
- l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports, ratifiée par l'article 1er de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 11 et 26 octobre 2017 ;
- les observations présentées pour l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, partie en défense, par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 12 octobre 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 12 octobre 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Chesneau, pour la société requérante, Me Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 14 novembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. Les deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 du code des transports, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 28 octobre 2010 mentionnée ci-dessus, prévoient :
« L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires dispose de services qui sont placés sous l'autorité de son président.
« Celui-ci nomme le rapporteur permanent et son suppléant ».
2. Le deuxième alinéa de l'article L. 6361-14 du même code, dans cette même rédaction, prévoit :
« A l'issue de l'instruction, le président de l'autorité peut classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières à la commission des faits le justifient ou que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction ».
3. Les cinquième à neuvième alinéas de ce même article, dans cette même rédaction, prévoient :
« Un rapporteur permanent et son suppléant sont placés auprès de l'autorité.
« Au terme de l'instruction, le rapporteur notifie le dossier complet d'instruction à la personne concernée. Celle-ci peut présenter ses observations au rapporteur.
« L'autorité met la personne concernée en mesure de se présenter devant elle ou de se faire représenter. Elle délibère valablement au cas où la personne concernée néglige de comparaître ou de se faire représenter.
« Après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne concernée ou son représentant, l'autorité délibère hors de leur présence.
« Les membres associés participent à la séance. Ils ne participent pas aux délibérations et ne prennent pas part au vote ».
4. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles ne garantiraient pas, dans la procédure de sanction devant l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, la séparation entre les fonctions de poursuite et d'instruction, d'une part, et les fonctions de jugement, d'autre part.
5. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du code des transports.
Sur le fond :
6. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
7. Le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne font obstacle à ce qu'une autorité administrative indépendante, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. En particulier, doivent être respectés le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. Doivent également être respectés les principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
8. L'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, instituée par l'article L. 6361-1 du code des transports, est une autorité administrative indépendante composée de dix membres, parmi lesquels son président nommé par décret du Président de la République. Elle est compétente en matière de lutte contre les nuisances engendrées par le transport aérien.
9. Selon les deux premiers alinéas de l'article L. 6361-11 du code des transports, l'Autorité dispose de services placés sous l'autorité de son président, lequel nomme par ailleurs le rapporteur permanent et son suppléant.
10. En vertu des articles L. 6361-9 et L. 6361-12 du code des transports, l'Autorité est dotée d'un pouvoir de sanction et peut, à ce titre, prononcer des amendes administratives à l'encontre de la personne exerçant une activité de transport aérien ou à l'encontre d'un fréteur mettant à la disposition d'un affréteur un aéronef avec équipage.
11. En application de l'article L. 6361-14 du code des transports, la procédure de sanction débute par la constatation d'un manquement par les fonctionnaires et agents désignés à l'article L. 6142-1 du même code. Ce manquement est consigné dans un procès-verbal notifié à la personne en cause et communiqué à l'autorité. L'instruction, qui est contradictoire, est assurée par des fonctionnaires et agents autres que ceux ayant constaté le manquement. Au terme de l'instruction, le rapporteur notifie le dossier complet à la personne incriminée qui peut présenter ses observations. A l'issue de cette phase, le président de l'autorité peut décider de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières à la commission des faits le justifient ou que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un manquement pouvant donner lieu à sanction. Dans le cas contraire, l'autorité met la personne poursuivie en mesure de se présenter devant elle ou de se faire représenter. Puis, après avoir entendu le rapporteur et, le cas échéant, la personne en cause ou son représentant, l'autorité délibère hors de leur présence.
12. Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre d'une procédure de sanction devant l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, son président dispose du pouvoir d'opportunité des poursuites des manquements constatés alors qu'il est également membre de la formation de jugement de ces mêmes manquements.
13. Dès lors, les dispositions contestées n'opèrent aucune séparation au sein de l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires entre, d'une part, les fonctions de poursuite des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements. Elles méconnaissent ainsi le principe d'impartialité.
14. Par conséquent, les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du même code doivent être déclarés contraires à la Constitution.
Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
16. L'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de la reporter au 30 juin 2018.
Le Conseil constitutionnel décide :Liens relatifs
Les deuxième et cinquième à neuvième alinéas de l'article L. 6361-14 du code des transports, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports, sont contraires à la Constitution.Liens relatifs
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 16 de cette décision.
Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 23 novembre 2017, où siégeaient : M. Lionel JOSPIN, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 24 novembre 2017.
Décision n° 2017-675 QPC du 24 novembre 2017