(Assemblée plénière - Jeudi 26 janvier - Adoption à l'unanimité)
1. A la fin du mois d'octobre 2016, les pouvoirs publics ont démantelé le bidonville de Calais en procédant à l'évacuation des migrants vers des centres d'accueil et d'orientation (CAO) répartis dans tout le pays. Les mineurs privés de la protection de leur famille qui avaient été alors repérés (1) ont été conduits vers des CAO qui leur sont spécialement dédiés, les CAOMI (centres d'accueil et d'orientation des mineurs non accompagnés). Dans une déclaration du 8 novembre dernier, la CNCDH appelait les autorités publiques à réintégrer au plus vite ces mineurs au sein du dispositif de droit commun de la protection de l'enfance. La circulaire du ministère de la justice du 1er novembre 2016, qui encadre la prise en charge au sein des CAOMI (2) en dehors de toute base légale, prévoyait le terme de ce dispositif dérogatoire « de mise à l'abri exceptionnelle » au 31 janvier prochain. Pourtant, à ce jour, très peu de mineurs ont pu faire l'objet d'une évaluation de minorité et d'isolement par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance, ce qui contribue à retarder leur prise en charge par le système de protection de l'enfance. L'urgence humanitaire invoquée il y a quelques mois, et qui a justifié la mise en place des CAOMI, n'étant plus de mise aujourd'hui, la CNCDH demande aux autorités publiques de fournir des garanties quant à l'effectivité de l'accès au droit commun de la protection de l'enfance pour ces mineurs rendus particulièrement vulnérables par leur parcours et leurs conditions de vie en France.
2. Les constats réalisés par plusieurs observateurs, associations ou institutions, et notamment le Défenseur des droits dans son rapport du 20 décembre 2016 (3), dessinent un état des lieux particulièrement préoccupant quant à la prise en charge assurée au sein des CAOMI. Ces éléments se trouvent corroborés par les éléments recueillis par InfoMIE à l'occasion de la mise en place d'une hotline dédiée au sujet (4). La CNCDH relève que cette situation, contraire à « l'intérêt supérieur de l'enfant », constitue un manquement aux obligations qui incombent à la France en vertu de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant. La CNCDH souhaite insister une fois encore sur le profil particulier de ces jeunes, qui ont bien souvent été victimes d'exploitation ou de traite durant leur parcours migratoire ou bien lorsqu'ils séjournaient dans les bidonvilles de Calais, et qui nécessitent donc une prise en charge adaptée.
3. Alors que, pour le bon déroulement de leur évacuation, les pouvoirs publics ont pu compter sur la collaboration de ces mineurs en échange de l'engagement pris par les autorités britanniques d'examiner leur demande d'entrée au Royaume-Uni, la CNCDH déplore la confusion engendrée par le manque d'informations délivrées aux mineurs et aux équipes en charge des CAOMI sur le délai des décisions du Home Office, ainsi que sur les possibilités de recours contre ces décisions. Comme le relève le Défenseur des droits dans son rapport d'observation du 20 décembre 2016, les seuls recours mentionnés sont de nature gracieuse, et n'évoquent absolument pas l'ouverture de recours devant les juridictions françaises ou anglaises. En particulier, aucune référence au règlement Dublin III (5), dont les mineurs pourraient éventuellement se prévaloir devant un juge, n'est indiquée. Par ailleurs, il est très regrettable que les modalités de communication des décisions du Home Office n'aient manifestement pas été réfléchies : parfois dépourvues de motifs, le plus souvent lapidaires, les décisions étaient soit communiquées directement aux jeunes par le biais de leur téléphone portable, soit collectivement par les équipes de CAOMI ou par des agents préfectoraux. L'incompréhension et l'anxiété suscitées par ces pratiques ont occasionné des mouvements d'indignation, se prolongeant dans certains cas par des comportements à risque (grève de la faim, tentatives de suicide, automutilations…), dans d'autres cas, par des violences entre jeunes. Par ailleurs, la CNCDH rappelle que les Conseils départementaux ne peuvent pas s'appuyer sur les décisions du Home Office pour constater la non-minorité des jeunes.
4. En définitive, sur les 1 950 mineurs isolés étrangers identifiés sur le site évacué, 860 seulement ont été acceptés par le Royaume-Uni (6). Dans la mesure où seulement cinquante mineurs ont bénéficié d'une évaluation sociale à la mi-janvier (7), la plus grande incertitude demeure sur le devenir des autres mineurs. Les ministères de l'intérieur et de la justice assurent que ces derniers seront maintenus en CAOMI jusqu'à leur prise en charge par la protection de l'enfance, entérinant ainsi la prolongation de ce qui était conçu à l'origine comme un dispositif transitoire valable seulement trois mois.
5. La CNCDH s'inquiète également des disparités de prise en charge observées entre les CAOMI. Témoignant de l'urgence dans laquelle ce dispositif a été mis en place, et du manque d'anticipation des pouvoirs publics, le niveau d'accompagnement et d'encadrement des mineurs n'est manifestement pas le même selon les territoires considérés. Certains départements n'étaient pas en mesure de mobiliser les ressources suffisantes pour assurer leur prise en charge. Ainsi, et contrairement à ce qui est prévu dans le cahier des charges (8), tous les CAOMI ne disposent pas de la présence d'un psychologue ou d'interprètes. Il convient ici de rappeler que ces jeunes souffrent bien souvent de troubles majeurs occasionnés par leur parcours et leurs conditions de vie à Calais, nécessitant une prise en charge médicale (physique et/ou psychologique) adaptée.
6. La CNCDH s'inquiète par ailleurs de la présence de mineurs dans les CAO réservés aux adultes. Ce constat n'est pas étonnant, étant donné les conditions dans lesquelles les mineurs isolés étrangers ont été identifiés à Calais, telles qu'elles ont été dénoncées dans la déclaration de la CNCDH du 8 novembre 2016. D'après les informations recueillies par InfoMIE, plusieurs cas avérés n'ont pas, conformément aux dispositions légales, donné lieu aussitôt à un signalement auprès du procureur de la République et à une prise en charge par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance.
7. S'agissant des évaluations sociales qui doivent être réalisées à la suite des décisions prises par le Home Office, la CNCDH s'interroge sur la capacité des services de certains départements, peu familiers de la problématique des mineurs isolés étrangers, à mener correctement ces évaluations selon les nouvelles modalités prévues par l'arrêté du 17 novembre 2016. Une formation de leurs équipes, notamment sur l'identification et l'accompagnement des mineurs victimes de traite, serait nécessaire. Par ailleurs, les ministères de l'intérieur et de la justice évoquent le refus de nombreux jeunes de se soumettre à ces évaluations. A ce sujet, des informations contradictoires ont été portées à la connaissance de la CNCDH, faisant état du retard pris par de nombreux départements dans la mise en œuvre de ces évaluations. En outre, le peu de renseignements délivrés aux mineurs sur le système de protection de l'enfance français ne paraissent bien souvent pas suffisants pour représenter une alternative crédible à leur projet migratoire. D'autant plus que l'Irlande, sur le modèle des Britanniques, a ouvert une procédure d'examen pour l'accueil de 200 mineurs sur son territoire. Si, toutefois, les mineurs persistaient dans leur refus d'une évaluation sociale, une fois écartée toute possibilité d'entrer au Royaume-Uni ou en Irlande, la CNCDH alerte les pouvoirs publics sur leur devenir.
8. A la suite des décisions négatives qui leur ont été communiquées par le Home Office, un certain nombre de jeunes ont d'ailleurs fugué sans qu'un dispositif d'alerte comparable à celui du droit commun soit garanti. Les associations présentes à Calais ont constaté le retour de plusieurs mineurs échappés de CAOMI, ou bien encore de CAO dans lesquels ils avaient été placés par erreur. De son côté, l'intervention des services de la préfecture du Pas-de-Calais se fait attendre, étant suspendue aux orientations qui seront définies prochainement dans le cadre d'une réunion interministérielle dont la date est encore incertaine. La CNCDH déplore l'absence totale à l'heure actuelle de mise à l'abri de ces mineurs, les laissant démunis et susceptibles de tomber sous l'emprise des réseaux de passeurs et des réseaux de traite des êtres humains.
9. La CNCDH fait donc part de son extrême préoccupation à l'égard des retards pris pour l'évaluation sociale des MIE et renouvelle son appel aux autorités locales à intégrer les MIE au plus vite dans le dispositif de droit commun de la protection de l'enfance et à mobiliser les moyens médico-sociaux, éducatifs et juridiques nécessaires à la protection effective des droits fondamentaux des mineurs isolés. La CNCDH s'inquiète plus généralement de la pérennisation de dispositifs spéciaux (CAO et CAOMI), dérogatoires au droit commun, mis en place pour répondre à des situations humanitaires désastreuses consécutives aux carences des pouvoirs publics nationaux et locaux, aussi bien au Royaume-Uni qu'en France, sans omettre les carences de l'Union européenne, dans la gestion de la crise migratoire.
(1) D'autres mineurs isolés avaient déjà, par erreur et faute d'avoir été repérés, rejoint des CAO.
(2) Circulaire du 1er novembre 2016 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, relative à la mise en œuvre exceptionnelle d'un dispositif national d'orientation des mineurs non accompagnés dans le cadre des opérations de démantèlement de la lande de Calais, NOR : JUSD1631761C, BOMJ n° 2016-11 du 30 novembre 2016.
(3) Défenseur des droits, Rapport d'observation : démantèlement des campements et prise en charge des exilés, Calais - Stalingrad (Paris, décembre 2016).
(4) InfoMIE, plateforme et centre de ressources en ligne sur les MIE, a mis en place a mis en place une hotline pour les mineurs isolés suite au démantèlement du camp de Calais, en lien avec les associations sur place, afin que les mineurs, en cas de doute ou de craintes, puissent signaler leur présence où qu'ils se trouvent sur le territoire. Le numéro est le suivant : 07-62-48-22-07
(5) La CNCDH recommande à nouveau la dénonciation du protocole additionnel de Sangatte et du Traité du Touquet qui conduisent à écarter en pratique et en droit les dispositions de ce règlement européen.
(6) Pour être tout à fait exact, 410 l'ont été au moment de l'évacuation de la jungle, et 450 à partir des entretiens menés par les représentants du Home Office au sein des CAOMI.
(7) Selon les nouvelles modalités prévues par l'arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 relatif aux modalités de l'évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, JORF n° 0269 du 19 novembre 2016, texte n° 25.
(8) Ministère de l'intérieur, Cahier des charges des centres provisoires de mise à l'abri spécialisés pour les mineurs non accompagnés (CAOMI), 27 octobre 2016.Liens relatifs
Déclaration sur la situation des mineurs isolés placés en CAOMI, à l'issue du démantèlement du bidonville de Calais