Déclaration relative au démantèlement du bidonville de Calais et ses suites : le cas des mineurs

Version initiale


  • (Assemblée plénière - 8 novembre 2016 - Adoption : unanimité)


    1. A la suite de l'annonce faite par le Président de la République le 26 septembre 2016 du démantèlement complet du bidonville de Calais, les pouvoirs publics ont, du 24 octobre au 2 novembre, procédé à l'évacuation de plus de 7 000 personnes, dont 1 700 mineurs, qui y étaient installées, vers des centres d'accueil et d'orientation (CAO) disséminés dans tout le pays.
    La CNCDH se félicite que les autorités de l'Etat aient décidé de ne plus laisser des milliers de femmes, d'enfants et d'hommes vivre dans les conditions indignes qui étaient celles du bidonville de Calais, et que des possibilités dites « de mise à l'abri » les concernant aient été dégagées en CAO (1). Elle observe également que, bien que complexe et à hauts risques, l'opération d'évacuation s'est, dans l'ensemble, déroulée sans heurts. Il y a lieu de saluer l'immense dignité des migrants lors de cette opération d'évacuation. La CNCDH déplore toutefois le défaut d'anticipation et l'absence de transparence dont ont fait preuve les pouvoirs publics s'agissant de la prise en charge future des personnes évacuées, y compris à l'égard des associations concernées au premier chef et depuis longtemps par l'accompagnement humanitaire des personnes vivant dans le bidonville. Elle s'inquiète également d'un arrêté préfectoral, pris sur le fondement de l'état d'urgence, qui a interdit l'assistance d'un avocat, privant les migrants de ce droit fondamental. Elle s'inquiète encore de l'utilisation du placement en centre de rétention administrative à l'issue du démantèlement, près de 150 migrants s'étant dans ce contexte trouvés privés de liberté, en dehors de toute possibilité réelle d'éloignement du territoire français.
    2. S'agissant des mineurs isolés, la CNCDH aurait préféré que le démantèlement du camp ne soit réalisé qu'une fois le sort des mineurs réglé, comme le préconisaient les associations ainsi que les Défenseures des enfants anglaise et française le 3 octobre dernier. Force est de constater que c'est le parti inverse qui a été pris, ceux-ci ayant été conduits en fin d'opération vers les CAO dédiés (les CAOMI - centres d'orientation et d'accueil des mineurs non accompagnés) et ce dispositif d'accueil ayant été défini par une circulaire du garde des sceaux du 1er novembre, soit à la veille de leur acheminement par car.
    3. La CNCDH constate avec consternation que les autorités du Royaume-Uni n'ont pour l'heure pris en charge au titre du règlement Dublin III et de l'amendement Dubs que 300 mineurs isolés environ, alors qu'un nombre vraisemblablement très supérieur est éligible à un tel transfert. La CNCDH appelle le Gouvernement à intensifier les négociations avec son homologue britannique pour accélérer le processus de transfert des mineurs vers la Grande-Bretagne sur le fondement du règlement Dublin III et de l'amendement Dubs lorsqu'il s'agit de l'intérêt supérieur de l'enfant.
    4. La CNCDH ne peut que répéter ici que les dispositions relatives à la désignation de l'Etat responsable du traitement de la demande d'asile contenues dans le protocole additionnel de Sangatte et le traité du Touquet conclus avec le Royaume-Uni conduisent à écarter en pratique et en droit les dispositions du règlement Dublin III. Leur maintien en vigueur rend inéluctable la réapparition de camps de fortune, aux conditions de vie indignes, sur le littoral de la Manche. D'ores et déjà se pose la question de l'accueil des personnes qui s'y présentent.
    5. La CNCDH recommande à nouveau instamment la dénonciation des traités et accords dits « du Touquet et de Sangatte », ainsi que la dénonciation du protocole additionnel de Sangatte.
    6. S'agissant ensuite des mineurs isolés évacués vers les CAOMI, la CNCDH est gravement préoccupée par la mise en suspens du droit de la protection de l'enfance les concernant. Le cahier des charges applicable aux CAOMI ne permet pas que soient satisfaites les prescriptions du droit interne et, au-delà, du droit international. Les effectifs des personnels prévus pour la prise en charge des soins somatiques et psychologiques et l'accompagnement social sont manifestement insuffisants, et ne tiennent pas compte de l'état de détresse majeur dans lequel se trouvent ces enfants, lequel a pourtant été attesté par des équipes de santé mentale intervenant régulièrement auprès d'eux. De même, les services de traduction et d'accompagnement juridique sont largement sous-dimensionnés, avec pour conséquences une incompréhension de la part des intéressés de la situation dans laquelle ils se trouvent, l'impossibilité d'effectuer un choix éclairé quant à l'asile et l'aggravation du risque de les voir quitter ces centres.
    7. En outre, la CNCDH est particulièrement préoccupée par l'absence de projet éducatif digne de ce nom concernant ces enfants et même de toute mention de la scolarisation des mineurs de moins de 16 ans, la circulaire du 1er novembre précitée n'envisageant que des « animations éducatives, sportives et une sensibilisation à l'apprentissage du français ». Pareil traitement ne peut avoir que des conséquences graves sur le développement personnel de l'enfant. Il compromet les perspectives de régularisation de ceux, nombreux dans les faits, qui sont dans l'incertitude quant à leurs projets d'avenir.
    8. Enfin, le tri sommaire opéré dans la précipitation entre mineurs et majeurs constaté à Calais est contraire à la loi et aux conventions internationales relatives à l'enfance. La CNCDH appelle les autorités à prendre sans délai les mesures nécessaires à l'identification, dans les conditions du droit commun, des mineurs orientés à tort comme adultes, en vue de la mise en œuvre des procédures d'assistance éducative prévues par la loi. De même, elle insiste sur le fait que l'évaluation opérée dans les CAOMI doit intervenir dans le respect des textes, étant rappelé que, aux termes de l'article 388 du code civil, le doute profite à l'intéressé.
    9. En conséquence, la CNCDH appelle les autorités à intégrer au plus vite le système des CAOMI au sein du dispositif de droit commun de la protection de l'enfance et à mobiliser au plus vite les moyens médico-sociaux, éducatifs et juridiques nécessaires à la protection effective des droits fondamentaux des mineurs isolés.


    (1) La CNCDH s'est exprimée sur le bidonville de Calais en juillet 2015 (CNCDH 2 juillet 2015, Avis sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis, JORF n° 0157 du 9 juillet 2015, texte n° 102), puis en juillet 2016 (CNCDH 7 juillet 2016, Avis de suivi sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis, JORF n° 0164 du 16 juillet 2016, texte n° 124), et sur le camp de Grande-Synthe en mai 2016 (CNCDH 26 mai 2016, Avis sur la situation des migrants à Grande-Synthe, JORF n° 0131 du 7 juin 2016, texte n° 46).

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