Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 2016 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-744 DC

Version initiale


  • (LOI DE FINANCES POUR 2017)


    Monsieur le président,
    Mesdames et Messieurs les conseillers,
    Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances pour 2017 définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 20 décembre 2016. A l'appui de cette saisine, ils développent les griefs suivants :


    I. - Sur l'insincérité de la loi de finances


    Les requérants soutiennent que la loi déférée contrevient au principe de sincérité budgétaire.
    Le Conseil constitutionnel a régulièrement indiqué que le principe de sincérité s'analysait comme l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre de la loi de finances. Or, il apparaît que le Gouvernement a méconnu ce principe en retenant des hypothèses économiques dont la sincérité est très contestable.
    En premier lieu, la loi de finances pour 2017 a été construite sur une base irréaliste, quant à son hypothèse de croissance : 1,5 % en 2016 et en 2017. Cette hypothèse n'est pas conforme à la moyenne des estimations : le consensus des économistes et le Fonds monétaire international prévoient 1,2 % et l'Organisation de coopération et de développement économiques 1,3 %.
    Dans un contexte de risque de nouveaux attentats terroristes en France, du Brexit impactant l'Union européenne, des difficultés de grandes banques européennes en Allemagne et en Italie, d'un probable renchérissement du prix du pétrole, d'une hausse des taux d'intérêt, d'incertitudes politiques et économiques liées à la mise en place de la nouvelle administration de Donald Trump aux Etats-Unis et de tensions internationales fortes, le Gouvernement retient, sans la moindre explication, une hypothèse exagérément optimiste de 1,5 %. La prévision de 2017 est d'autant plus insincère que l'acquis de croissance de 2016 prévu par le Gouvernement (1,5 %) a été remis en cause dans le projet de loi de finances rectificative pour 2016 (1,4 %) et, surtout, par la nouvelle prévision de l'INSEE, établie le 15 décembre 2016 (1,2 %). Ce serait donc 0,3 point d'acquis de croissance en 2016 en moins, qui se répercuterait sur 2017. Soit plus de 6 milliards d'euros.
    La surestimation de la croissance entraîne une surestimation des recettes, évaluée par la commission des finances du Sénat entre 3,5 et 6 milliards d'euros.
    En deuxième lieu, des manipulations de recettes devant être perçues en 2018 et avancées en 2017 améliorent artificiellement le solde budgétaire.
    Ainsi, 1,2 milliard d'euros de recettes de 2018 sont avancées en 2017 : 500 millions d'euros de majoration d'acompte d'impôt sur les sociétés, 300 millions d'euros d'acompte de la majoration de taxe sur les surfaces commerciales et 400 millions d'euros d'acompte de prélèvement forfaitaire.
    En troisième lieu, le Gouvernement a procédé à une sous-budgétisation des dépenses, qui conduit à ce que le Haut Conseil des finances publiques juge « improbable » l'objectif de réduction du déficit public à 2,7 % en 2017, tel que prévu dans la loi de finances pour 2017.
    Il estime les risques pesant sur les dépenses encore « plus importants en 2017 que pour les années précédentes ».
    Les économies prévues sur l'Unedic sont jugées « irréalistes » alors que les négociations n'ont toujours pas eu lieu. La hausse du chômage en 2017, prévue par l'Unedic, pourraient engendrer 1,2 milliard d'euros de dépenses supplémentaires. La réalisation des économies de grande ampleur, prévues sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, est incertaine. Les dépenses de santé sont sous-estimées de 500 millions d'euros.
    L'évolution des dépenses de l'Etat et des collectivités territoriales est également incertaine, compte tenu de l'accélération de la masse salariale (+ 5,1 % entre 2012 et 2017 contre - 6,6 % entre 2007 et 2012, pour la seule masse salariale de l'Etat), due à la hausse des effectifs (+ 3,3 % depuis 2013 pour le seul périmètre de l'Etat), à la revalorisation du point d'indice et à la réforme des carrières (avancements…), mises en œuvre par le Gouvernement.
    La recapitalisation de certaines entreprises du secteur de l'énergie (Areva à hauteur de 2 milliards d'euros en 2017) aura aussi des incidences sur le solde public. Les sous-budgétisations sont par ailleurs récurrentes (notamment sur les opérations extérieures, l'hébergement d'urgence, les contrats aidés, la masse salariale…). Elles sont estimées par la commission des finances du Sénat entre 1,1 et 2,1 milliards d'euros pour 2017.
    En quatrième lieu, des artifices budgétaires conduisent à reporter à 2018 et au-delà des dépenses devant être engagées initialement en 2017, afin d'améliorer artificiellement le solde budgétaire.
    Ces nombreux reports ne respectent pas le principe de l'annualité budgétaire.
    Ainsi, 10,3 milliards d'euros de dépenses ou de moindres recettes prévues en 2017 sont reportées à 2018 : 1,12 milliard d'euros de montée en charge de la baisse d'impôt sur les sociétés en 2018 (de 331 millions d'euros en 2017, pour les seules petites et moyennes entreprises entre 38 000 et 500 000 euros de chiffre d'affaires, à 1,45 milliard d'euros en 2018, au lieu d'une baisse générale immédiate en 2017, comme prévu initialement dans le Pacte de responsabilité), 1,6 milliard d'euros de hausse du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, remplaçant la suppression totale de la contribution sociale de solidarité des sociétés et la baisse d'impôt sur les sociétés pour toutes les entreprises, 1,675 milliard d'euros de crédit d'impôt pour la transition énergétique, 1,1 milliard d'euros de crédit d'impôt pour les services à la personne, 600 millions d'euros de crédit d'impôt pour les associations, 2 milliards d'euros de crédits pour le troisième programme d'investissements d'avenir en 2018 contre aucun crédit de paiement inscrit en 2017, 1,16 milliard d'euros de plan contre la surpopulation carcérale (aucun crédit de paiement inscrit en 2017), 150 millions d'euros sur les 250 millions d'euros de crédits annoncés pour la police et la gendarmerie sont reportés en 2018, 900 millions d'euros sur le milliard d'euros du plan de rénovation urbaine annoncé par François Hollande fin octobre 2016 sont reportés en 2018.
    Au total, si le solde budgétaire prévu dans la loi de finances pour 2017 prenait en compte une estimation sincère des dépenses et des recettes, le déficit budgétaire de l'Etat ne serait pas de - 69,3 milliards d'euros en 2017, mais entre 87,4 (estimation basse) et 90,9 milliards d'euros (estimation haute), soit un différentiel de près de 20 milliards d'euros.
    Au-delà de l'insincérité observée au titre de l'année 2017, le Haut Conseil des finances publiques souligne des risques relatifs au respect de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques telle que définie dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour 2014-2018. Le haut conseil note en particulier que « le remplacement des baisses d'impôts (Contribution sociale de solidarité des sociétés et impôt sur les sociétés) par des crédits d'impôts afin de financer une partie des dépenses supplémentaires annoncées pour 2017 conduit à reporter sur le solde 2018 l'impact de ces baisses de recettes. Les dépenses supplémentaires étant pérennes, ce choix fragilise la trajectoire de finances publiques à compter de 2018 et le respect de l'objectif de solde structurel à moyen terme. ».
    Au total, les mesures fiscales et budgétaires contenues dans la loi de finances pour 2017 et encore non financées auront, selon le calcul de la commission des finances du Sénat, un coût de 25 milliards d'euros sur les années à venir. Jamais un projet de loi de finances n'aura contenu autant de mesures ayant un impact significatif sur les années suivantes.
    Ces reports méconnaissent donc l'exigence constitutionnelle de sincérité à la fois de la loi de programmation des finances publiques et de la loi de finances de l'année, qui se doit de respecter la trajectoire de moyen terme.
    En effet, au titre de l'article 6 de la loi organique du 17 décembre 2012, la loi de programmation des finances publiques doit être sincère. Ses grandes lignes se voient faussées par la loi de finances, la rendant insincère. Or, si le Conseil constitutionnel a estimé que « si le Haut Conseil des finances publiques a relevé dans son avis qu'une révision des hypothèses de croissance potentielle en dehors du cadre de la loi de programmation des finances publiques “ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire”, une telle révision ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle » (n° 2015-725 du 29 décembre 2015), il n'en est pas de même ici. En effet, le Gouvernement ne procède pas à une révision des hypothèses de croissance potentielle ou de déficits structurel et effectif, il continue d'affirmer que les objectifs de déficits seront tenus alors même que, de toute évidence, ces objectifs ne seront pas respectés.
    Ceci constitue donc un motif supplémentaire d'insincérité de la loi de finances pour 2017.
    On peut, en conséquence, considérer que la représentation nationale ne bénéficie pas d'une présentation intelligible et sincère de l'état des finances publiques, lui permettant de se prononcer de façon rigoureuse sur le respect, par la France, de ses engagements européens.
    Pour toutes ces raisons, il appartient à votre conseil de reconnaître le caractère insincère de la loi de finances pour 2017.


    II. - Sur l'article [4] prévoyant un mécanisme anti-abus visant à lutter contre certains détournements du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune


    Le dispositif adopté a pour objet d'intégrer dans le calcul du plafonnement les revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable, quand l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'impôt de solidarité sur la fortune au mécanisme de plafonnement. « Seule est réintégrée la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul » du plafonnement.
    Ce dispositif paraît contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, au principe de légalité des délits et peine ainsi qu'à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi.
    Le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques se fonde sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
    L'article déféré instaure une présomption selon laquelle les revenus perçus par l'intermédiaire d'une société interposée méconnaît l'exigence de prise en compte des capacités contributives du redevable. L'exigence de prise en compte des capacités contributives du redevable a été rappelée dans la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 à propos de la loi de finances pour 2013. S'exprimant sur un mécanisme qui entendait, à l'image du présent article, prendre en compte dans le calcul du plafonnement le « bénéfice distribuable » d'une société passible de l'impôt sur les sociétés que le contribuable contrôle, votre conseil avait considéré « qu'en intégrant ainsi, dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune et de la totalité des impôts dus au titre des revenus, des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives ».
    En effet, l'exigence de prise en compte des capacités contributives « implique qu'en principe, lorsque la perception d'un revenu ou d'une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource ; que s'il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscale, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs » (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013).
    Or, le présent dispositif ne diffère que peu du mécanisme anti-abus censuré en 2012. L'article [4] de la loi de finances pour 2017 dispose que sont visés « les revenus distribués » non plus « le bénéfice distribuable ». En se concentrant sur les revenus distribués par la société contrôlée par le contribuable, le législateur omet de prendre en compte le fait que les charges, opérationnelles (comme les intérêts d'emprunt) ou non (l'impôt sur les sociétés) peut grever voire éteindre les revenus perçus. Ainsi, en réputant perçus des revenus qui ne sont pas juridiquement distribuables et qui, s'ils l'étaient, seraient nécessairement nets de charges de la société, est méconnue l'exigence de prise en compte des facultés contributives de l'actionnaire redevable.
    Quant au principe de légalité des délits et peines, celui-ci découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » ainsi que de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes duquel « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables… ».
    Votre conseil a précisé la portée de ce principe dans sa décision n° 2006-540 du 27 juillet 2006 à propos de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société d'information. Il a été considéré « qu'il résulte de ces dispositions que le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s'impose non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ».
    L'article [4] de la loi de finances pour 2017 dispose que les revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés sont réintégrés « si l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'impôt de solidarité sur la fortune ».
    Or, la notion « d'objet principal » pose du point de vue de ce principe un problème. En effet, dans la décision précitée du 29 décembre 2013, votre conseil avait précisément censuré la disposition visant à substituer dans la procédure d'abus de droit le critère « de motif principal » à celui de « but exclusif ».
    La notion « d'objectif principal » donnant une grande marge d'appréciation à l'administration fiscale pour un tel mécanisme emportant une sanction, il y a donc méconnaissance du principe constitutionnel de légalité des peines et délits.
    Toutefois, pour contourner cette difficulté, le texte présent s'appuie sur la décision n° 2015-726 DC du 29 décembre 2015 à propos de la transposition en droit interne de la clause anti-abus prévue par la directive mères-filles qui validait une clause prévoyant que l'exonération de retenue à la source ne saurait s'appliquer « aux dividendes distribués dans le cadre d'un montage ou d'une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d'objectif principal (…) un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité de ces mêmes dispositions, n'est pas authentique ».
    S'agissant d'une règle d'assiette, votre conseil n'avait pas retenu, contrairement aux dispositions ayant trait à une sanction, le motif de manquement au principe de légalité des peines et délits. Ainsi, si votre conseil devait considérer que le présent dispositif constitue simplement une règle d'assiette, les dispositions de l'article 4 manquent de précision au regard de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
    Enfin, cet article méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui a été dégagé par votre conseil dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 relative à la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes. Il se fonde sur les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    La décision précitée du 27 juillet 2006 vient préciser sa portée en parallèle avec l'obligation pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence au regard de l'article 34 de la Constitution. En effet, ces principes imposent au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu'il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».
    Cependant, votre décision précitée du 29 décembre 2015, qui avait considéré que les dispositions de la clause anti-abus étaient suffisamment précises, s'inscrivait dans un contexte différent. La clause anti-abus d'alors, en plus du motif « principalement fiscal », imposait l'existence d'un montage « non authentique », c'est-à-dire ne reflétant pas la réalité économique. Mais, si le dispositif prévu par l'article 4 de la loi de finances pour 2017 reprend le principe de la motivation « principalement fiscale », le critère du montage « non authentique » n'est pas repris. Or, ce deuxième critère, objectif, permettait précisément de contrebalancer le critère subjectif de la motivation « principalement fiscale ». Le caractère subjectif du terme « principal » peut être notamment illustré par le fait qu'il ne prend pas en compte les objectifs « secondaires » qui peuvent justifier à eux seuls, indépendamment de toute considération fiscale, la mise en place de la société en question, comme par exemple l'organisation d'une gouvemance au sein d'un groupe familial ou encore le recours au financement par emprunt.
    Ainsi, le présent dispositif, par sa rédaction portant strictement sur un critère subjectif, s'appuie sur des formules « équivoques » qui ne prémunissent pas le redevable contre « le risque d'arbitraire ». Ce dernier est donc exposé à voir les règles qui lui sont appliquées fixées par l'administration fiscale ou les juges du fond, alors même que le soin de fixer ces règles « n'a été confié par la Constitution qu'à la loi ».
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [4] de la loi de finances pour 2017.


    III. - Sur l'article [7] modifiant le régime des acomptes d'impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises


    Cet article augmente le taux du quatrième acompte d'impôt sur les sociétés de certaines entreprises. Cet acompte est calculé sur la base de l'impôt estimé au titre de l'exercice en cours et suppose donc que la société détermine le 15 décembre de chaque année le bénéfice imposable de l'exercice avec une très grande précision.
    Cette disposition méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques, d'une part, et conduit à la méconnaissance du principe de nécessité des peines, d'autre part.
    Si rien n'interdit de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, cela ne doit pas entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. En imposant aux entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 5 milliards de payer le 15 décembre de chaque année 98 % de l'impôt sur les sociétés qui sera dû au titre de l'exercice alors même que l'entreprise n'aura au mieux réalisé que 95,8 % de son chiffre d'affaires, on lui impose de payer un impôt non seulement sur l'activité réalisée mais également sur l'activité projetée. En cela, la disposition contestée méconnaît les facultés contributives des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 5 milliards d'euros.
    En outre, la disposition précitée qui contraint les entreprises concernées à verser un acompte de 98 % de l'impôt au 15 décembre est contraire à l'article 34 de la Constitution qui dispose que « La loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie ».
    En effet, à ce moment-là, le résultat n'est pas encore connu en totalité, puisqu'à cette période de l'année les entreprises concernées n'auront réalisé que 95,8 % de leur activité annuelle et que la période de fin d'année peut être marquée par des fluctuations importantes de recettes en fonction des secteurs (comme par exemple la distribution) et que les charges ne sont pas non plus déterminées de façon certaine (par exemple pour les entreprises exposées aux variations de taux de change ou de coût des matières premières). Une telle disposition pose des difficultés au regard de la définition de l'assiette de cet acompte. Le législateur n'a donc pas exercé la plénitude de ses compétences.
    Enfin, l'article en cause méconnaît le principe de nécessité des peines. En effet, tout retard dans le paiement de l'impôt sur les sociétés et ses acomptes donne lieu au paiement de l'intérêt de retard et à une majoration de 5 %. Si la loi - préexistante à la majoration de l'acompte - écarte l'application de ces pénalités lorsque l'insuffisance du dernier compte n'excède pas simultanément 20 % de l'impôt sur les sociétés et 8 millions d'euros, ces seuils n'ont pas été relevés de façon à prendre en compte l'augmentation du dernier acompte à 98 %. Dès lors que l'augmentation du dernier acompte accroît l'incertitude quant à la détermination de l'impôt dû au titre de l'exercice en cours, le législateur aurait dû faire évoluer à due concurrence les conditions de mise en œuvre de la sanction. En s'abstenant de le faire, il sanctionne des manquements dont le caractère intentionnel ne serait pas démontré et méconnaît de la sorte le principe de nécessité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789.
    Ainsi, le cinquième alinéa et le sixième alinéa de l'article 7 de la loi de finances pour 2017 sont contraires à l'article 34 de la Constitution et aux articles 8 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [7] de la loi de finances pour 2017.


    IV. - Sur l'article [8] instituant un acompte pour le paiement de la majoration de la taxe sur les surfaces commerciales


    Le présent article a pour objet d'instituer un acompte de 50 % pour le paiement de la majoration de la taxe sur les surfaces commerciales pour les établissements d'une surface supérieure à 2 500 mètres carrés.
    Cet article est contraire à l'article 34 de la Constitution, ainsi qu'à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    Votre conseil a précisé l'étendue des compétences du législateur en la matière dans sa décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013, en considérant « qu'en omettant de définir les modalités de recouvrement de la taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, le législateur a méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution. »
    Premièrement, la date du recouvrement n'est pas définie clairement. Le texte demeure en effet muet quant à la date à laquelle cet acompte doit être versé lorsque le fait générateur n'est pas acquitté au 1er janvier de l'année.
    En outre, cet article pose un problème au regard de la définition de l'assiette. Il dispose que l'acompte institué « s'impute sur le montant de la taxe due le 1er janvier de l'année suivante ». Il est ainsi exigé des entreprises concernées qu'elles paient une partie d'un impôt dont le fait générateur, c'est-à-dire l'exploitation de la surface commerciale de plus de 2500 mètres carrés au 1er janvier de l'année suivante, n'est pas encore intervenu. Le paiement précède ainsi la constatation de la taxe. L'assiette n'étant pas stabilisée, le calcul de la taxe est fondé sur des hypothèses.
    Cette définition de l'assiette est difficile à fixer notamment dans les situations où la surface commerciale évolue en-deçà ou au-delà des 2 500 mètres carrés entre la date de paiement de l'acompte et le 1er janvier de l'année suivante de telle manière que certaines surfaces rentrent ou sortent de l'assiette au cours de cette période. De plus, l'élément déclencheur de l'obligation de verser cet acompte n'étant pas clairement défini, il s'ensuit qu'un acompte devrait être versé au cours d'une année donnée lorsque la taxe due au titre de l'année suivante fait l'objet d'une majoration. Or, justement, un établissement ne peut pas déterminer de façon certaine s'il fera l'objet d'une majoration de taxe au titre de l'année suivante dès lors que les raisons pour lesquelles cette majoration est due ne se limitent pas seulement à la question de l'existence ou pas de l'exploitation au 1er janvier de l'année suivante.
    Enfin, le présent article ne fixe pas non plus les sanctions applicables en cas de retard ou de défaut de paiement. Or, dans votre décision n° 2012-225 QPC du 30 mars 2012, vous précisiez à partir de l'article 34 de la Constitution « qu'il s'ensuit que, lorsqu'il définit une imposition, le législateur doit déterminer … les sanctions applicables à cette imposition ».
    Par ailleurs, le versement d'un tel acompte crée une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant les charges publiques entre les redevables de la taxe sur les surfaces commerciales soumis à la majoration et les autres.
    Dans votre décision n° 2014-708 DC du 29 décembre 2014 à propos de la majoration de 50 % pour les établissements de plus de 2 500 mètres carrés, il est précisé « qu'eu égard aux taux de la taxe, cette majoration n'entraîne ni dans le montant de l'imposition ni dans les effets de seuil de son barème une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».
    Toutefois, l'institution d'un acompte a pour conséquence d'augmenter de 50 % le total des sommes dues par les établissements concernés par la majoration au titre de la taxe sur les surfaces commerciales en 2017. Cet acompte vient, en effet, s'ajouter à la majoration assise sur l'exploitation de la surface commerciale au 1er janvier 2017. Cet acompte créé donc un effet de seuil significatif susceptible de constituer une rupture de l'égalité devant les charges publiques entre les établissements de moins et de plus de 2 500 mètres carrés de surface commerciale.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [8] de la loi de finances pour 2017.


    V. - Sur l'article [38 bis A] modifiant le régime fiscal et social des attributions gratuites d'actions


    Cet article modifie le régime fiscal et social des attributions gratuites d'actions.
    La procédure d'adoption de cet article, introduit en seconde partie à l'occasion de la seconde lecture à l'Assemblée nationale, est contraire à l'article 45 de la Constitution.
    Votre conseil a en effet reconnu cette limite au droit d'amendement dans sa décision n° 2005-532 du 19 janvier 2006 en considérant que « il ressort également de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa […] que, comme le rappellent d'ailleurs les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ; […] toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ».
    En l'espèce, l'article [38 bis A] a été introduit dans la deuxième partie de la loi de finances à l'Assemblée nationale alors même que cet article n'avait pas été discuté en première lecture. Le motif invoqué pour son introduction - assurer le respect de la Constitution - ne saurait être pleinement retenu dans la mesure où le nouvel article va bien au-delà. En effet, des dispositions tout à fait nouvelles, jamais discutées en première lecture comme l'introduction d'un seuil de cession de 300 000 euros au-delà duquel le gain d'acquisition est soumis à la contribution salariale de 10 % ainsi qu'au régime des traitements et salaires de droit commun, ont été introduites en même temps.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [38 bis A] de la loi de finances pour 2017.


    VI. - Sur l'article [38 bis B] aménageant la taxe sur les acquisitions de titres de capital


    Le présent article prévoit un aménagement de la taxe sur les acquisitions de titre de capital, en élargissant son assiette aux opérations intrajournalières.
    Cet article est contraire à l'article 34 de la Constitution.
    Par la présente disposition le législateur méconnaît l'étendue de sa compétence en matière de recouvrement de l'impôt.
    La mise en œuvre technique de l'extension aux transactions intrajournalières pour 2017 apparaît impossible compte tenu des modalités actuelles de recouvrement de cette taxe. Or, le changement de système de collecte nécessaire pour assurer le recouvrement de la taxe prévue par cet article n'est pas institué.
    En effet, le système de collecte repose actuellement sur le dépositaire central - teneur du compte d'émission du titre taxé - qui n'est pas en mesure de repérer les transactions intrajournalières. Ainsi, pour assurer une taxation fiable de l'ensemble des transactions intrajournalières, il serait nécessaire d'organiser la transmission systématique des données brutes au dépositaire central ou bien de faire reposer la collecte sur le teneur de compte-conservateur.
    Par conséquent, en ne définissant pas de nouvelles modalités de collectes associées à l'extension de l'assiette aux transactions intrajournalières, le législateur laisse au pouvoir réglementaire le soin de définir les éléments déterminant les modalités de recouvrement de cet impôt. Il a donc dérogé à l'article 34 de la Constitution qui le contraint à exercer pleinement ses compétences.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [38 bis B] de la loi de finances pour 2017.


    VII. - Sur l'article [46 quinquies] relatif à l'impôt sur les « bénéfices détournés »


    Cet article crée un article 209 C du code général des impôts (CGI). Les conséquences qui sont attachées à ces dispositions sont tout à fait majeures puisqu'elles ont pour objet d'entraîner l'application de l'impôt sur les sociétés aux profits supposés réalisés par une entreprise étrangère en France.
    Or, elles comportent nombre de formulations imprécises et équivoques, de telle sorte que malgré les motifs d'intérêt général de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale qui ont présidé à leur adoption, elles ne sont pas conformes à l'article 34 de la Constitution.
    Aux termes de l'article 34 de la Constitution, il incombe, en effet, au législateur de fixer « les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures », à défaut de quoi la loi est entachée d'incompétence négative. Le législateur doit ainsi « adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », comme votre conseil l'exprimait dans sa décision n° 2005-514 du 28 avril 2005, afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.
    On peut notamment mentionner les éléments suivants qui révèlent l'inintelligibilité de l'article 46 quinquies de la loi de finances pour 2017 et le risque que ses dispositions reçoivent plusieurs interprétations.
    Le 1 de l'article 209 C, I du code général des impôts ne respecte pas l'exigence d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. En effet, il a recours à une expression dépourvue de signification, à savoir la notion de « services appartenant » à une personne morale, dont la fourniture par une entreprise ou entité juridique générerait pour cette personne morale un assujettissement à l'impôt sur les sociétés. On voit cependant mal ce que cette notion recouvre en droit dès lors qu'une prestation de services est rendue par une entité mais n'est pas susceptible « d'appartenir » à une personne morale distincte. Il en résulte que le l de l'article 209 C, I a vocation à étendre l'application de l'impôt sur les sociétés à une hypothèse qui n'est en définitive pas juridiquement définie.
    Le 1 de l'article 209 C, I introduit également une incertitude quant aux bénéfices imposables, car aussi bien la personne morale propriétaire d'un actif incorporel que toutes les sociétés interposées titulaires d'une licence d'exploitation ou d'utilisation de cet actif incorporel entreraient, semble-t-il, simultanément dans le champ d'application de l'impôt sur les sociétés.
    Il existe par conséquent un doute sur le point de savoir si toutes ces personnes morales devraient verser l'impôt sur le même bénéfice, générant ainsi un cumul d'imposition sur le même revenu, ou si les dispositions contestées ne permettraient que de soumettre les bénéfices de la personne morale qui accorde directement le droit de commercialiser les biens et services en France à l'entité juridique contrôlée. Dit autrement, ces dispositions ne permettent pas de savoir, en cas de détention de l'entreprise ou de l'entité juridique exerçant une activité en France par l'intermédiaire d'une chaîne de participation, laquelle de ces sociétés constitue la personne morale imposable.
    Les dispositions du 1 de l'article 209 C, I du CGI sont également inintelligibles en ce qu'elles opèrent un renvoi au dernier alinéa du 1 de l'article 209 B du CGI pour déterminer la condition de détention directe ou indirecte. Toutefois, ce renvoi aboutit à faire entrer dans le champ de l'article 209 C des personnes morales étrangères détenues à plus de 5 % par des sociétés françaises agissant de concert compte tenu de la lettre de l'article 209 B du CGI. L'effet de ce renvoi n'est manifestement pas cohérent avec le dispositif introduit par l'article 46 quinquies de la loi de finances pour 2017.
    Le 2 de l'article 209 C, 1 se caractérise aussi par des conditions d'application imprécises. En effet, cet article s'applique lorsqu'il « existe des raisons sérieuses de considérer que l'activité de cette personne morale ou physique a pour objectif d'échapper à l'impôt qui serait dû en France ». L'expression « raisons sérieuses » n'est manifestement pas suffisamment précise et laisse la place à un risque d'arbitraire de l'administration.
    Ces dispositions sont en outre ambiguës en ce qu'elles indiquent en substance qu'une personne morale étrangère « mentionnée au 1 » de l'article 209 C, I qui vendrait elle-même des biens ou fournirait des services serait soumise à l'impôt sur les sociétés en application du 2 de l'article 209 C, I du CGI dès lors que certaines conditions seraient remplies. Cette formulation est équivoque car on peut se demander quelles conditions du 1 doivent être remplies pour que le 2 de l'article 209 C, I s'applique, et notamment si le critère de contrôle prévu par ce 1 est visé. Ce même 2 de l'article 209 C, I indique de plus au 2° que relèvent de son champ d'application les « sites internet » et avec une restriction « lorsque le site numérique n'est pas exclusivement lié à une personne morale domiciliée ou établie hors de France ou à une ou plusieurs personnes placées sous le contrôle de celle-ci ». Or un site internet n'est pas une entité juridique. Le critère de lien exclusif avec une ou plusieurs personnes morales n'a donc pas de sens et n'est pas intelligible.
    Enfin, l'articulation entre les dispositions de l'article 209 C du code général des impôts est incertaine. L'article 209 C, I est en effet équivoque, puisqu'il s'applique « sans préjudice de l'article 57 ». Cependant, on voit mal comment s'articulent ces deux dispositions lorsqu'elles sont appliquées concurremment aux mêmes situations. On peut en particulier se demander si dans ce cas la personne morale étrangère soumise à l'impôt sur les sociétés en application de l'article 209 C du CGI pourrait se prévaloir du rehaussement en matière de prix de transfert dont sa filiale aurait par ailleurs fait l'objet sur une transaction à laquelle elle était partie, pour réduire son bénéfice imposable au sens de l'article 209 C, I à due concurrence. Ainsi, l'article 209 C, I qui ne prévoit pas les modalités d'articulation avec les autres dispositions anti-abus susceptibles de s'appliquer concurremment, ne respecte ni l'obligation qui incombe au législateur de déterminer l'assiette de l'impôt avec précision ni l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi.
    En outre, les notions d'établissement stable et d'agent commissionnaire sont définies par les conventions fiscales internationales (art. 5 du modèle OCDE), qui priment sur la loi française (art. 55 de la Constitution) : ceci rend le présent article, qui modifie ces notions, au mieux inutile, au pire source d'insécurité juridique.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [46 quinquies ] de la loi de finances pour 2017.


    VIII. - Sur l'article [51 ter] rendant obligatoire le signalement électronique de leurs principaux achats par les personnes assujetties à la TVA


    Le présent article instaure une obligation à partir du ler janvier 2018 pour les clients déducteurs de la TVA de signaler par télédéclaration leurs gros achats de biens dans les vingt-quatre heures. Ce signalement porte sur le montant de l'opération et le numéro d'enregistrement du fournisseur et concerne les transactions dont le montant excède 863 000 €.
    Ce texte est contraire au principe de proportionnalité des peines ainsi qu'au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et à l'article 34 de la Constitution.
    Le principe de proportionnalité des peines découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme tel que votre conseil l'exprimait dans la décision n° 87-237 du 30 décembre 1987 considérant pour toute sanction ayant le caractère de punition « que le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ».
    Plus récemment à propos d'une sanction pour manquement à une obligation déclarative qui visait à faciliter l'accès de l'administration fiscale à des informations permettant de prévenir des situations de fraude fiscale, dans la décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016 votre conseil considérait que « en prévoyant une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, doivent être déclarées contraires à la Constitution. »
    En l'espèce, l'article [51 ter] de la loi de finances pour 2017 dispose que le défaut de production du signalement dans les 24 heures, lorsque celui-ci est obligatoire, donne lieu à « l'application, pour chaque achat non signalé, d'une amende égale à 1 % de la partie du montant à signaler ». Cet article instaure ainsi une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative qui a pourtant une vocation purement informative et qui ne porte aucun préjudice aux deniers de l'Etat.
    En effet, contrairement à la situation d'espèce qui avait conduit votre conseil a déclarer conforme à la Constitution, dans la décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 portant sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, l'amende proportionnelle s'appliquant pour le refus de réponse à une mise en demeure de production de certains documents par l'administration fiscale, la présente disposition ne lie pas directement l'amende avec un manquement réprimé. Au contraire, le vendeur, qui est le seul redevable de la TVA collectée, dispose d'un délai d'au moins quinze jours suivant la transaction pour reverser la taxe collectée au Trésor. L'amende en question ne présente donc en l'état aucun lien avec un manquement à une simple formalité administrative qui n'a aucune conséquence fiscale directe.
    En outre, le critère retenu par le législateur pour fixer le seuil à partir duquel s'appliquent les obligations déclaratives pour fixer la référence au chiffre d'affaires au-dessus duquel le régime simplifié de liquidation de TVA n'est plus applicable est sans lien avec les infractions réprimées - qui tiennent compte du montant des achats - et revêt ainsi un caractère disproportionné avec leur gravité.
    Le présent article est également contraire au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et de l'article 34 de la Constitution.
    Le 2° du I de l'article [51 ter] prévoit que les dispositions inscrites notamment à l'article 272 du code général des impôts, à savoir que la TVA « ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ou de cette prestation. », ne s'appliquent pas si le signalement des achats a été télédéclaré sauf si « l'acquéreur s'est prêté comme auteur ou comme complice à des manœuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie ».
    Cette dernière exception est contraire au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi en raison de la définition insuffisamment précise de la notion de « manœuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie ». Il en résulte effectivement une incertitude sur le point de savoir dans quelles conditions pourra être constaté le délit d'escroquerie qui ferait obstacle à la déductibilité de la TVA sur un achat, malgré la télédéclaration par le client à l'administration. Or, la constatation de ce délit relève de la compétence du juge pénal. Ainsi, il n'apparaît pas de manière claire à quelle date cette condition sera considérée comme remplie : la date à laquelle l'administration aura signalé l'existence de manœuvres frauduleuses ou celle à laquelle le juge pénal se prononcera sur la qualification des faits, auquel cas l'administration ne sera certainement plus en mesure de remettre en question la déductibilité de la TVA sur les achats contestés compte tenu de l'expiration des délais de reprise.
    Dans la même logique, les modalités de recouvrement prévues par le II du présent article ne sont pas conformes à l'article 34 de la Constitution dans la mesure où le législateur n'a pas pleinement exercé ses compétences concernant « les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition » comme votre conseil le précisait notamment dans la décision SARL Majestic Champagne. Or, la rédaction du présent article ne précise pas dans quel délai la procédure de saisie doit être notifiée à l'entreprise ayant fourni les biens concernés, d'une part, et à l'acquéreur des biens, d'autre part. De plus, l'application de ces dispositions repose sur des notions laissant une large marge d'appréciation aux autorités administratives et judiciaires comme le fait qu'elles soient applicables en cas de circonstances « susceptibles de menacer le recouvrement de la taxe ».
    Par ailleurs, il est à noter que, sur le dispositif visant à créer une obligation déclarative, seules les transactions dont le montant est supérieur à 863 000 euros ou dont le montant cumulé sur trois mois auprès d'un même vendeur est supérieur à ce seuil sont concernées. Le présent article exclut donc une grande partie des transactions. Or, la fraude à la TVA ne concerne pas uniquement les transactions importantes.
    De surcroît, les critères permettant à l'administration fiscale de « s'assurer du comportement des fournisseurs » doivent être définis, le seul critère de la date de création de l'entreprise n'étant, d'évidence, pas suffisant.
    En outre, en séance, le secrétaire d'Etat au budget a indiqué que l'administration fiscale ne serait pas en mesure de traiter la masse d'informations qui lui sera transmise par les entreprises. De plus, quand bien même les systèmes d'information nécessaires à la mise en œuvre de cette procédure étaient développés d'ici le 1er janvier 2018, ce qui semble peu réaliste, le délai de trois mois prévu par le présent article pourrait s'avérer trop important alors que les sociétés « taxi » peuvent disparaître du jour au lendemain.
    Le présent article serait également à l'origine d'une charge administrative importante pour les quelques dizaines de milliers d'entreprises concernées alors que les délais pour satisfaire à cette obligation seraient courts (un an).
    Enfin, dans sa rédaction actuelle, le I du présent article se traduirait en outre par une obligation déclarative « à vie » dès lors que le critère de dépassement du seuil de 863 000 euros sur trois mois serait atteint.
    S'agissant du deuxième dispositif de création d'une procédure de saisie à tiers débiteur, les critères prévus peuvent être remplis par un nombre important d'entreprises, y compris des entreprises non frauduleuses.
    Le comptable aurait ainsi la possibilité de bloquer un paiement, au risque de mettre l'entreprise en difficulté financière, sans que la fraude soit avérée.
    Au total, la mise en œuvre de l'article se heurterait à d'importantes difficultés tant juridiques que techniques reconnues par les auteurs eux-mêmes.
    Pour toutes ces raisons, votre conseil doit censurer l'article [51 ter] de la loi de finances pour 2017.
    Les sénateurs soussignés compléteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

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