Saisine du Conseil constitutionnel en date du 22 décembre 2016 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2016-744 DC

Version initiale


  • (LOI DE FINANCES POUR 2017)


    Monsieur le Président,
    Mesdames et Messieurs les Conseillers,
    Les députés soussignés ont l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi de finances pour 2017, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 20 décembre 2016.
    Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
    A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.


    De l'insincérité de la loi de finances pour 2017 :
    Selon les requérants, la loi déférée contrevient au principe de sincérité budgétaire expressément consacré par les textes organiques (articles 27, 31 et 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et articles 1er et 12 de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale).
    Les requérants rappellent que le Gouvernement a fait le choix en avril 2015, en contradiction avec la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, de réviser à la hausse ses hypothèses de croissance potentielle lui permettant d'amplifier les ajustements structurels affichés.
    Or, ce choix remet en question le contrôle qui peut être exercé sur le respect des objectifs budgétaires, en particulier de la trajectoire arrêtée dans le cadre de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, construite sur la base d'hypothèses différentes.
    Au surplus, les requérants souhaitent également appeler l'attention du Conseil constitutionnel sur la modification de la composition de l'ajustement structurel attendue en 2017. Comme l'évoque le rapporteur général du budget au Sénat, M. Albéric de MONTGOLFIER, « le projet de loi de finances pour 2017 présente une sincérité contestable » (1).
    Tout d'abord, concernant les hypothèses d'évolution de la croissance de l'activité, le Gouvernement confirme la prévision de croissance de 1,5 % en 2017 avancée dans le programme de stabilité transmis en avril 2016. Selon les requérants, cette estimation gouvernementale excède l'ensemble des anticipations disponibles à ce jour et ne tient pas compte de la dégradation de l'environnement international.
    La Banque de France a ainsi récemment abaissé ses prévisions de croissance pour la France à 1,3 % en 2016 et 2017, en raison justement d'une « dégradation de l'environnement international » (2). Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a lui aussi estimé que l'« hypothèse de croissance pour 2017 est optimiste compte tenu des facteurs baissiers qui se sont matérialisés ces derniers mois » (3).
    Parallèlement, si la surestimation de la croissance par le Gouvernement en 2016 paraît toute relative et ne devrait avoir qu'une incidence limitée sur la trajectoire des finances publiques, ses effets pourraient se révéler très négatifs si elle venait s'ajouter à une croissance plus faible qu'anticipée en 2017. Les recettes publiques pourraient notamment en être affectées au cours du prochain exercice, ce qui aurait pour conséquence de dégrader le déficit public de près de 0,2 point de PIB.
    Enfin, les requérants appellent l'attention du Conseil constitutionnel sur l'optimisme du scénario budgétaire concernant l'évolution des dépenses publiques. En effet, en dépit d'une révision à la hausse de la croissance des dépenses publiques (+ 1,6 % dans le présent projet de loi contre + 1,1 % dans le Programme de stabilité), le présent projet de loi fait l'objet de nombreuses sous-budgétisations, qu'il s'agisse des sous-budgétisations récurrentes observées au cours des années passées au sein du budget de l'Etat, de la nécessaire recapitalisation d'Areva par l'Etat, de la sous-estimation des dépenses sous Ondam et, enfin, de la sous­ estimation des dépenses de l'Unédic.
    A l'appui, les requérants font valoir que le HCFP estime que « les risques pesant sur les dépenses sont plus importants en 2017 que pour les années précédentes : caractère irréaliste des économies prévues sur 1'Unédic, fortes incertitudes sur la réalisation des économies de grande ampleur prévues sur l'ONDAM, incertitudes également sur l'évolution des dépenses de l'Etat et des collectivités territoriales. »
    Outre la grande fragilité des prévisions retenues en matière de dépenses, les requérants s'inquiètent du report des réductions d'impôts annoncées qui auront pour conséquence de dégrader la situation budgétaire pour les années ultérieures.
    Le Gouvernement a ainsi décidé de modifier le contenu du Pacte de responsabilité au titre de l'exercice 2017 par des mesures de substitution qui ont un effet pratiquement nul sur le déficit public de l'année 2017. Le rapporteur général du budget au Sénat rappelle ainsi que « le Gouvernement a fait le choix de modifier très profondément l'équilibre en recettes et en dépenses pour 2017, en renonçant aux baisses de fiscalité pourtant promises, afin de pouvoir relâcher de manière signjficative les efforts sur la dépense publique » (4).
    A titre d'illustration, l'impact sur le solde public du relèvement du taux du CICE ne sera observé, en application des règles de comptabilité nationale, que l'année de constat de la créance, c'est-à-dire au plus tôt en 2018 avec un coût de 3 milliards d'euros. A ce titre, le HCFP relève que « le remplacement des baisses d'impôts (C3S et IS) par des crédits d'impôts, afin de financer une partie des dépenses supplémentaires annoncées pour 2017, conduit à reporter sur le solde 2018 l'impact de ces baisses de recettes. Les dépenses supplémentaires étant pérennes, ce choix fragilise la trajectoire de finances publiques à compter de 2018 et le respect de 1'objectif de solde structurel à moyen terme. » (5).
    De même, le projet de loi de finances prévoit également une prolongation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et une extension du crédit d'impôt en faveur des services à la personne, correspondant respectivement à une perte de recettes de 1,7 milliard et de 1,1 milliard d'euros.
    Les requérants appellent enfin l'attention du Conseil constitutionnel sur certaines mesures qui ont pour effet d'augmenter les recettes de 2017 en avançant d'une année une partie des recettes de certains impôts, qu'il s'agisse de la mise en place d'un acompte de majoration de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), ou du renforcement du cinquième acompte d'impôt sur les sociétés. Le HCFP précise d'ailleurs que « ce supplément exceptionnel, estimé à 1,3 milliard d'euros, ne se retrouvera plus les années suivantes. » (6).
    De même, les députés requérants considèrent que 1'inscription, en dépenses, d'un grand nombre de mesures qui n'auront un impact sur le solde budgétaire qu'à compter de 2018 participe de l'insincérité du présent projet de loi. A l'appui, ils citent : le troisième programme d'investissement d'avenir (PIA) qui nécessitera environ 2 milliards d'euros de décaissements par an à partir de 2018 ; le programme de constructions de nouvelles places de prison ; la réforme des grilles et la transformation de quelques primes en point d'indice prévues dans le cadre de la négociation « PPCR » présente un coût estimé par la Cour des Comptes de 4,5 à 5 milliards d'euros pour l'ensemble de la fonction publique à l'horizon 2020 ; l'augmentation de nos moyens d'aide publique au développement jusqu'en 2020 ou encore les programmes très haut débit uniquement financés avec des autorisations d'engagement.
    Dans ces conditions, les requérants font valoir que la représentation nationale n'a pas bénéficié d'une présentation intelligible et sincère de l'état des finances publiques lui permettant de se prononcer de façon rigoureuse sur le respect, par la France, de ses engagements européens. Il appartient en conséquence au Conseil constitutionnel de reconnaître le caractère insincère de la loi de finances pour 2017.
    Article 7 (anciennement article 4) :
    L'article 7 prévoit d'introduire une clause anti-abus spécifique visant à lutter contre certains détournements du plafonnement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).
    A cette fin, aux termes du deuxième alinéa du présent article, pourraient désormais être réintégrés dans le calcul du plafonnement les « revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable » lorsque « l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'impôt de solidarité sur la fortune, en bénéficiant d'un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité » du mécanisme de plafonnement.
    La deuxième phrase du deuxième alinéa précise que seule serait réintégrée la part des revenus distribués « correspondant à une diminution artificielle des revenus ».
    Les requérants font valoir que cet article méconnaît à double titre l'autorité de la chose jugée par votre Conseil.
    Premièrement, en proposant de réintégrer les « revenus distribués à une société passible de l'impôt sur les sociétés contrôlée par le redevable » lorsque le montage présente un objectif principalement fiscal, cet article vise à contourner la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 par laquelle votre Conseil a estimé que cette extension des revenus pris en compte au titre du calcul du plafonnement de l'ISF méconnaissait l'exigence de prise en compte des facultés contributives en intégrant des « sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année » (considérant 95).
    Deuxièmement, en proposant d'introduire une clause anti-abus spécifique visant les montages ayant « pour objet principal » d'éluder l'ISF, tout en l'assortissant des garanties propres à la procédure d'abus de droit classique, cet article vise également à contourner la décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 par laquelle votre Conseil a censuré l'extension de la définition de l'abus de droit aux actes ayant pour « motif principal » d'éluder ou d'atténuer l'impôt.
    Au cas particulier, votre Conseil avait considéré que la modification de la définition de l'acte constitutif d'un abus de droit avait pour effet de conférer une importante marge d'appréciation à l'administration fiscale, alors même que la procédure de l'abus de droit, d'application générale, est assortie du paiement d'intérêts de retard et d'une majoration importante.
    Telles sont les raisons pour lesquelles les requérants demandent au Conseil de censurer l'article 7 de la loi déférée.
    Article 12 (anciennement article 7) :
    L'article 12 prévoit de relever les fractions applicables au régime du « cinquième acompte » payé par les grandes entreprises. Cet acompte est calculé sur la base de l'impôt estimé au titre de l'exercice en cours et suppose donc que la société détermine le 15 décembre de chaque année le bénéfice imposable de l'exercice avec une très grande précision.
    Selon les requérants, cette disposition encourt la censure du Conseil constitutionnel en ce qu'elle méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques tel que défini à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'une part, et le principe de nécessité des délits et des peines tel que défini à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'autre part.
    1. Sur le principe d'égalité devant les charges publiques :
    Si rien n'interdit de faire supporter des charges particulières à certaines catégories de personnes pour un motif d'intérêt général, cela ne doit pas conduire à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (7).
    En imposant aux entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 5 milliards d'euros de payer le 15 décembre de chaque année 98 % de l'impôt sur les sociétés qui sera dû au titre de l'exercice alors même que l'entreprise n'aura au mieux réalisé que 95,8 % de son chiffre d'affaires, on lui impose de payer un impôt non seulement sur l'activité réalisée mais également sur l'activité projetée. En cela, la disposition contestée méconnaît les facultés contributives des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 5 milliards d'euros.
    2. Sur le principe de nécessité des délits et des peines :
    Les requérants estiment que l'article en cause méconnaît le principe de nécessité des délits et des peines. En effet, tout retard dans le paiement de l'impôt sur les sociétés et ses acomptes donne lieu au paiement de 1'intérêt de retard et à une majoration de 5 %.
    Si la loi, préexistante à la majoration de l'acompte, écarte l'application de ces pénalités lorsque 1'insuffisance du dernier acompte n'excède pas simultanément 20 % de 1'impôt sur les sociétés et 8 millions d'euros, ces seuils n'ont pas été relevés de façon à prendre en compte l'augmentation du dernier acompte à 98 %. Dès lors que l'augmentation du dernier acompte accroît l'incertitude quant à la détermination de l'impôt dû au titre de l'exercice en cours, le législateur aurait dû faire évoluer à due concurrence les conditions de mise en œuvre de la sanction.
    En s'abstenant de le faire, il sanctionne des manquements dont le caractère intentionnel ne serait pas démontré et méconnaît de la sorte le principe de nécessité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789.
    Telles sont les raisons pour lesquelles les députés requérants souhaitent que votre Conseil se prononce sur la conformité à la Constitution de cet article.
    Article 21 (anciennement article 8) :
    L'article 21 prévoit d'instaurer un acompte pour le paiement de la majoration de taxe sur les surfaces commerciales payée par les établissements d'une surface supérieure à 2 500 mètres carrés.
    Le plein exercice de sa compétence par le législateur implique le respect du principe de clarté de la loi ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
    La jurisprudence de votre Conseil considère ainsi que le principe de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi « impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (8).
    En l'espèce, les requérants attirent l'attention du Conseil sur les problèmes opérationnels que soulève ce régime d'acompte qui revient à exiger des entreprises concernées qu'elles paient une partie d'un impôt dont le fait générateur, l'exploitation de la surface commerciale au 1er janvier, n'est pas encore intervenu.
    Ainsi, l'assiette n'étant pas connue ou, du moins, pas stabilisée et dûment constatée, le calcul de la taxe et de la surtaxe est fondé sur de simples hypothèses. Les entreprises devront donc payer, en année N, 50 % d'une surtaxe due au titre de l'année N + 1 et dont elles peuvent encore ignorer certains des paramètres (notamment la surface de vente effectivement exploitée). Autrement dit, cette mesure prévoit que le paiement précède la constatation de la taxe.
    En conséquence, les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur la constitutionnalité de l'article 21 au regard du principe d'intelligibilité.
    Les requérants appellent enfin l'attention du Conseil sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. »
    Il ressort ainsi de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que les modalités de recouvrement que le législateur doit fixer comprennent « les règles régissant le contrôle, le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions applicables à cette imposition » (9), et que « l'absence de détermination des modalités de recouvrement d'une imposition affecte le droit à un recours effectif garanti par 1'article 16 de la Déclaration de 1789. ».
    Selon les requérants, en s'abstenant de définir précisément la date d'exigibilité de l'acompte de Tascom, ses modalités de calcul, le fait générateur de son exigibilité et enfm les sanctions applicables en cas de retard ou de défaut de paiement de l'acompte, le législateur n'a pas exercé la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution.
    Article 33 (anciennement article 14) :
    L'article 33 fixe le montant de la dotation globale de fonctionnement pour l'année 2017 ainsi que le périmètre et le taux de minoration des variables d'ajustement.
    Les requérants alertent le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l'article 33 au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales tel que défini à l'article 34 de la Constitution, et du principe d'égalité devant les charges publiques tel que défini à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
    1. Sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales :
    Certes, l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. De même, si les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », elles le font « dans les conditions prévues par la loi », confmmément aux articles 72 et 72-2 de la Constitution (10).
    Les moyens financiers des collectivités territoriales ne sauraient pour autant être restreints au point d'entraver la libre administration des collectivités. Or, il ressort que les diminutions envisagées dans le cadre de la loi de finances pour 2017, et notamment celles de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle des régions et des départements, emportent sur les départements les plus fragiles des conséquences financières lourdes.
    Pour les requérants, cette situation traduit l'impossibilité pour le législateur de garantir l'effectivité du principe de libre administration au bénéfice des collectivités territoriales. En conséquence, il appartient au Conseil de censurer l'article 33 de la loi de finances pour 2017.
    2. Sur le principe d'égalité devant les charges publiques :
    Le Conseil constitutionnel considère que : « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui 1'établit » (11).
    Ainsi, si le législateur bénéficie d'une grande latitude au regard du principe d'égalité devant les charges publiques, il n'en demeure pas moins que le juge exerce un contrôle sur la cohérence globale du texte et ce par rapport à l'intention dudit législateur.
    Or, il apparaît que les minorations de dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle et de dotations de transfert de compensation d'exonération de taxe d'habitation prévues par l'article 33 de la loi de finances pour 2017 ont pour conséquence un accroissement des inégalités de richesses entre collectivités, cette distorsion ne reposant aucunement sur des « critères objectifs et rationnels », comme le préconise la jurisprudence constante du Conseil en la matière.
    Selon les requérants, ces minorations constituent une rupture manifeste au regard du principe d'égalité devant les charges publiques.
    Telles sont les raisons pour lesquelles les députés requérants souhaitent que votre Conseil se prononce sur la conformité à la Constitution de cet article.
    Article 60 (anciennement article 38) :
    L'article 60 de la loi de finances pour 2017 prévoit l'instauration d'un prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
    1. Sur l'intelligibilité de la loi :
    Premièrement, selon les requérants, cette réforme du mode de recouvrement de l'impôt méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire » (12).
    En effet, aussi bien la diversité des taux (taux de droit commun, taux par défaut, taux individualisé au sein des couples ou encore taux modulé) que la complexité de leurs calculs sont source d'insécurité pour les contribuables. Selon les requérants, l'imprécision la plus manifeste est celle relative à la définition négative des revenus « non exceptionnels » sur lesquels le crédit d'impôt de modernisation du recouvrement (CIMR) viendrait s'imputer au titre des revenus perçus en 2017. En ne définissant ces revenus que de façon négative, les députés requérants soutiennent que le législateur n'a pas épuisé la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution.
    A l'appui de ce grief, les députés requérants font également valoir que les modalités de calcul du taux de prélèvement à la source prévues par le Gouvernement sont inintelligibles et s'éloignent manifestement de l'objectif de simplification du système fiscal, aussi bien pour les contribuables individuels que pour les tiers collecteurs.
    Au cours des débats parlementaires, cette complexité a notamment été évoquée à la fois par Michel SAPIN, ministre de l'économie et des finances (13), mais aussi par Camille de ROCCA SERRA, député de la Corse-du-Sud, selon lequel « ces obligations nouvelles peuvent constituer une charge particulièrement lourde pour les petites et moyennes entreprises, qui ne disposent généralement pas des ressources leur permettant d'adapter leur système informatique et des ressources humaines nécessaires. Les aménagements que requerront ces nouvelles modalités de fonctionnement et d'échange entre les tiers collecteurs et 1'administration fiscale, et le coût associé, ne sont pas encore estimés » (14).
    2. Sur le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques :
    Considérant que certains contribuables - en l'espèce les dirigeants de société disposant d'une faculté d'arbitrage pour déterminer la composition ou le niveau de leur rémunération, voire de celle de leur cercle familial détenant une partie de la société - les députés requérants font valoir que le mécanisme d'appréciation pluriannuelle du caractère « exceptionnel » ou non des salaires perçus en 2017 par les personnes contrôlant une société ainsi que par leurs conjoints, ascendants, descendants ou frères et sœurs constitue une rupture caractérisée de 1'égalité devant les charges publiques. Selon ces derniers, celle-ci est manifeste dans la mesure où cette catégorie de contribuables sera en mesure, au titre de 1'année de transition, de transférer d'une année imposée vers 1'année non imposée certains revenus.
    3. Sur le principe de protection de la vie privée et des données personnelles :
    Selon les requérants, l'introduction d'un tiers collecteur pose question au regard du principe de protection de la vie privée et des données personnelles reconnu par la Constitution, la Convention européenne des droits de l'homme et le droit de l'Union européenne. En effet, la réfonne implique de transmettre aux tiers collecteurs le taux du prélèvement devant être appliqué aux revenus versés. Or pour calculer l'impôt dû, et limiter les régularisations à effectuer en fin d'année par l'administration, de nombreux renseignements, ayant trait à la vie privée du contribuable, devront être soumis au tiers payeur.
    Au cas particulier, les requérants estiment que la transmission dudit taux est susceptible de révéler des informations relatives à la situation financière ou patrimoniale d'un contribuable. Par ailleurs, ils jugent lacunaire la possibilité pour un salarié d'opter pour un taux « neutre » au regard notamment de sa complexité puisqu'il implique que les contribuables prennent la responsabilité de calculer et de verser de leur propre chef, sous peine d'être sanctionnés, la différence entre le montant de la retenue à la source opérée et celui du prélèvement normalement dû, et qu'il donne lieu à l'application de taux qui ne tiennent pas compte de la situation familiale des intéressés.
    Le Rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques » relaye également ces préoccupations : « L'application du prélèvement à la source par des tiers collecteurs, soit, dans la majorité des cas, les employeurs, pose la question de la confidentialité des données fiscales des contribuables, à laquelle le projet du Gouvernement ne répond que très partiellement » (15).
    4. Sur la question de l'autorité chargée du recouvrement de l'impôt :
    Selon les requérants, cet article contrevient à votre décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 sur la CSG aux termes de laquelle le recouvrement d'un impôt frappant des revenus doit être confié à des services de l'Etat ou à tout le moins à des organismes placés sous son contrôle, comme c'est le cas avec les URSSAF, organismes de droit privé chargés d'une mission de service public ou les notaires qui sont des officiers ministériels et à un moindre degré avec les banques et les assurances. Parallèlement, les requérants soutiennent que le présent article élude la question d'une éventuelle compensation de charges de gestion pour les tiers-versants en matière de recouvrement, à rebours de la décision n° 2000-441 DC de votre Conseil à propos des charges imposées aux opérateurs de télécom pour les interceptions de sécurité.
    Telles sont les raisons pour lesquelles les requérants souhaitent que votre Conseil se prononce sur la constitutionnalité de l'article 60.
    Article 62 (anciennement article 38 bis B) :
    Cet article prévoit d'élargir l'assiette de la taxe sur les acquisitions de titres de capital, dite taxe sur les transactions financières, aux opérations intrajournalières à partir du 1er janvier 2018.
    Le champ d'application de la taxe sur les transactions financières résulte de la combinaison de cinq conditions qui doivent être cumulativement remp1ies : il doit ainsi s'agir d'une acquisition à titre onéreux (I), donnant lieu à transfert de propriété (II) de titres de capital ou de titres assimilés (III) admis sur un marché réglementé (IV), qui sont émis par une société française de plus d'un milliard d'euros de capitalisation (V).
    Le transfert de propriété est une condition essentielle : les titres achetés donnent lieu à une inscription au compte-titres de l'acheteur le jour de la transaction, le transfert de propriété n'étant constaté qu'en J+2 au moment de la livraison, quel que soit le lieu d'établissement ou de résidence des parties et quel que soit le lieu de conclusion du contrat opérant le transfert de propriété.
    L'élargissement de 1'assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions intrajournalières conduit à supprimer la notion de transfert de propriété alors qu'elle constitue un fondement juridique indispensable à l'application, par la France, de la taxe. En effet, la seule constatation qu'un achat de titres soumis à la taxe sur les transactions financières a été opéré n'est pas suffisante pour que la taxe soit due : il faut que cet achat soit matérialisé par une inscription en compte. Par ailleurs, le principe de transfert de propriété permet à l'administration fiscale française d'appliquer une taxe sur les transactions à des intermédiaires étrangers.
    La suppression de la notion de transfert de propriété au profit de la simple notion de l'achat ou de l'exécution d'un ordre d'achat accroît la fragilité juridique du dispositif et le risque de contestation de la base légale française par les intermédiaires financiers étrangers. Le risque est également grand de nuire à la collecte en raison des incertitudes sur son fait générateur, au regard des redevables français, mais aussi des redevables étrangers, ce qui porte atteinte au principe d'intelligibilité de la loi. En effet, le nouveau critère de l'exécution d'un ordre d'achat, ou à défaut, d'un achat, ne permet pas de déterminer de manière suffisamment claire le fait générateur.
    Par conséquent, les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur le risque d'incompétence négative du législateur qui n'a pas déterminé les modalités de recouvrement de la taxe sur les transactions financières françaises avec une précision suffisante pour permettre sa collecte.
    En effet, cet article, en remettant en cause les modalités de collecte de la taxe par l'élargissement de l'assiette aux transactions intrajournalières, revient à laisser au pouvoir réglementaire la détermination précise des modalités de recouvrement de l'impôt, comme le souligne le rapporteur général du Sénat dans son rapport (16). En cela, le pouvoir législatif méconnaît 1'étendue de sa compétence.
    Dans sa décision sur la loi de finances pour 1999 (17), votre Conseil avait considéré qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de « fixer les règles concernant les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». En l'espèce, il s'agissait de confier à l'administration municipale le recouvrement d'une taxe et à fixer une règle de solidarité que paiement. En règle générale, plutôt que d'énumérer les règles applicables à chaque création d'impôt, le législateur renvoie à celles applicables à d'autres impôts. Le Conseil constitutionnel avait jugé que, si le législateur peut, lorsqu'il s'agit d'une imposition perçue au profit d'une collectivité locale, confier à cette dernière la tâche d'assurer ce recouvrement, « il doit en déterminer les règles avec une précision suffisante » et avait déclaré cette disposition contraire à la Constitution considérant que « le législateur a méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ».
    C'est pourquoi, les requérants souhaitent que le Conseil se prononce sur l'extension aux transactions intrajournalières de la taxe sur les transactions financières.


    Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.


    (1) Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2017 : Les conditions générales de l'équilibre financier.


    (2) Prévisions économiques de la Banque de France - Décembre 2016.


    (3) Avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2016-3 du 24 septembre 2016.


    (4) Séance du 24 novembre 2016 au Sénat.


    (5) Avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2016-3 du 24 septembre 2016.


    (6) Ibid.


    (7) Décision n° 2015-473 QPC du 26 juin 2015.


    (8) Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, considérant n° 14.


    (9) Voir notamment décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013, et décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014.


    (10) Décision du Conseil constitutionnel n° 2014-707 DC du 29 décembre 2014.


    (11) Décision du Conseil constitutionnel n° 1996-375 DC du 9 avril 1996.


    (12) Décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013.


    (13) « Vous parlez, à juste titre, d'une éventuelle complexité de la réforme pour les entreprises » , Première séance à l'Assemblée nationale du jeudi 17 novembre 2016.


    (14) Rapport spécial de l'Assemblée nationale du PLF 2017 - « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».


    (15) Ibid.


    (16) Rapport n° 140 déposé le 24 novembre 2016 au Sénat par M. Albéric de Montgolfier, tome II, fasicule 1, volume 1 : Les conditions générales de l'équilibre financier.


    (17) Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, cons. 59.

Extrait du Journal officiel électronique authentifié PDF - 262,7 Ko
Retourner en haut de la page