Monsieur le Président de la République,
Conformément à l'habilitation prévue par l'article 118 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, la présente ordonnance a pour objet de transposer dans la partie législative du code de procédure pénale la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale.
La décision d'enquête européenne remplace les instruments précédents d'entraide au sein de l'Union tendant à l'obtention d'éléments de preuve, et notamment la convention relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne du 29 mai 2000, afin de permettre une coopération plus simple, plus rapide et plus efficace, basée sur le principe de la reconnaissance mutuelle, l'utilisation de formulaires simplifiés communs à l'ensemble des Etats, et la nécessité de respecter, sauf impossibilité, des délais d'exécution.
L'article 1er transpose dans notre droit les articles 1er à 32 de la directive, en insérant dans la partie du code de procédure pénale relatives à l'entraide pénale entre les Etats de l'Union européenne une nouvelle section 1 consacrée aux décisions d'enquête européenne, comportant trente-cinq nouveaux articles 694-15 à 695-50.
Tous ces articles correspondent à un ou plusieurs articles de la directive, dans des rédactions adaptées à celle des dispositions du code de procédure pénale ou du code pénal.
A titre liminaire, les nouveaux articles 694-15 à 694-19 définissent le champ d'application et l'objet de la décision d'enquête européenne.
Destinée à solliciter d'un autre Etat membre la réalisation d'investigations sur son territoire, l'obtention ou la sauvegarde de preuves déjà en sa possession ou le transfert temporaire d'une personne détenue, la décision d'enquête européenne devra être émise ou validée par une autorité judiciaire dans le cadre d'une procédure pénale.
La décision d'enquête européenne devra être reconnue sans formalité et exécutée de la même manière et selon les mêmes modalités que si la demande émanait d'une autorité judiciaire nationale, sauf en cas de motif de rejet ou de report prévu par la loi et sous réserve du respect des principes fondamentaux du droit de l'Etat d'exécution.
Cadre d'enquête par défaut au sein de l'Union européenne, la décision d'enquête européenne ne devra toutefois pas être émise :
- lorsqu'est mise en place une équipe commune d'enquête en application des articles 695-2 et 695-3 du code de procédure pénale ; toutefois, lorsqu'une autorité compétente participant à une équipe commune d'enquête requiert l'assistance d'un Etat membre autre que ceux qui y participent, une décision d'enquête européenne peut être émise à cette fin ;
- lorsqu'il est fait application des articles 695-9-1 à 695-95-30 sur le gel de biens susceptibles de confiscation, dès lors que la demande de saisie a été faite à des fins exclusivement confiscatoires ;
- lorsqu'est demandée une observation transfrontalière en application de l'article 40 de la convention d'application des accords de Schengen du 19 juin 1990.
L'article 694-20 dispose que les modalités d'application de la nouvelle section sont précisées par décret, dans la mesure où de nombreuses prescriptions figurant dans la directive présentent un caractère pratique et ne relèvent pas du domaine de la loi.
Dans une sous-section 1, les articles 694-20 à 694-28 précisent les conditions et les modalités d'émission par les autorités judiciaires françaises d'une décision d'enquête européenne.
Il est notamment précisé que les décisions d'enquête européenne émises par la France émaneront, selon les cas, du procureur de la République, du juge d'instruction, de la chambre de l'instruction et de son président ainsi que des juridictions de jugement et de leurs présidents, agissant d'office ou à la demande des parties.
En vertu du nouvel article 694-20, la décision d'enquête européenne pourra être émise à l'occasion des procédures dont ils sont saisis et dans l'exercice de leurs attributions par le Procureur de la République, le juge d'instruction, la chambre de l'instruction et son président ainsi que les juridictions de jugement et leurs présidents, dès lors qu'elle apparaît nécessaire à la constatation, la poursuite ou au jugement d'une infraction, proportionnée au regard des droits de la personne suspecte ou poursuivie et que les mesures demandées peuvent être réalisées en application des dispositions du présent code.
Si l'autorité judiciaire émettrice ne peut exécuter la mesure qu'avec l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, elle demandera à l'autorité d'exécution d'obtenir l'autorisation d'un juge avant d'exécuter la mesure.
Lorsqu'à l'occasion de l'exécution d'une décision d'enquête européenne, le magistrat se transporte sur le territoire de l'Etat d'exécution en application du cinquième alinéa de l'article 41 ou de l'article 93-1, il peut émettre une décision d'enquête en complément de la précédente décision.
Il est ensuite distingué dans deux paragraphes entre les conditions générales d'émission et celles qui sont particulières à certaines mesures spécifiques, conformément aux distinctions résultant de la directive.
Les articles 694-21 à 694-22 définissent les conditions de forme présidant à l'émission d'une décision d'enquête européenne. Celle-ci devra être matérialisée par un formulaire complété, signé et certifié par le magistrat émetteur et comportant différentes informations (identité et qualité du magistrat ou de la juridiction qui l'émet ; objet et les motifs de la décision ; informations nécessaires disponibles sur la ou les personnes concernées ; description de l'infraction motivant l'enquête ou de la poursuite, et les dispositions de droit pénal applicables ; description de la ou des mesures d'enquête demandées et des preuves à obtenir, ainsi que le cas échéant des formalités à respecter en application des dispositions prévues par notre droit ; délai dans lequel doit être exécutée la demande).
La décision d'enquête européenne devra être traduite dans une langue officielle reconnue par l'Etat d'exécution et transmise directement aux autorités compétentes de l'Etat d'exécution par tout moyen permettant de laisser une trace écrite et d'en établir l'authenticité.
En vertu de l'article 694-25, une personne détenue sur le territoire national ne pourra être transférée dans un autre Etat pour les nécessités de l'exécution d'une décision d'enquête que si elle y consent préalablement.
Par ailleurs, en application de l'article 694-26, lorsqu'une personne détenue sur le territoire d'un Etat membre sera transférée sur le territoire national en exécution d'une décision d'enquête européenne émise par une autorité judiciaire française, sa mise en liberté ne pourra être ordonnée que sur demande de l'Etat d'exécution.
Elle ne pourra être soumise à aucune poursuite ni aucune mesure restrictive ou privative de liberté pour des faits commis ou des condamnations prononcées avant son départ du territoire de l'Etat d'exécution et qui ne sont pas mentionnés dans la décision d'enquête européenne, à moins qu'elle ne soit demeurée ou revenue sur le territoire national pendant au moins quinze jours après que sa présence a été requise.
En application de l'article 694-27, lorsqu'une décision d'enquête européenne sera émise en vue de déterminer si une personne physique ou morale détient ou contrôle un ou plusieurs comptes auprès d'un établissement bancaire ou financier ou d'obtenir des renseignements concernant des comptes bancaires déterminés et des opérations bancaires qui ont été réalisées pendant une période déterminée, le magistrat devra indiquer dans sa demande les raisons pour lesquelles il considère que les informations demandées sont susceptibles d'être utiles à la manifestation de la vérité et les raisons qui l'amènent à supposer que des banques situées dans l'Etat d'exécution détiennent le compte ainsi que, le cas échéant, les banques qui pourraient être concernées.
Enfin, en vertu de l'article 694-28, le magistrat émettant une décision d'enquête européenne afin d'obtenir l'assistance technique d'un Etat membre aux fins de mise en place d'une interception de télécommunications, devra préciser dans sa demande les informations nécessaires à l'identification de la cible de l'interception, la durée souhaitée de l'interception et toutes les données techniques nécessaires à la mise en place de la mesure.
Dans une sous-section 2, les articles 694-39 à 694-49 fixent les conditions de reconnaissance et d'exécution d'une décision d'enquête européenne par le procureur de la République ou le juge d'instruction, en distinguant également entre les conditions générales et particulières.
Les conditions générales sont prévues par les articles 694-29 à 694-42.
L'article 694-29 précise que les décisions émanant des autorités étrangères pourront également concerner des procédures, dans l'Etat d'émission, qui ne sont pas relatives à des infractions pénales mais qui sont engagées contre des personnes physiques ou morales par des autorités administratives ou judiciaires pour des faits punissables dans l'Etat d'émission au titre d'infractions aux règles de droit et par une décision pouvant donner lieu à un recours devant une juridiction compétente, notamment en matière pénale.
En vertu de l'article 694-30, lorsque la décision d'enquête porte sur des actes qui ne peuvent être ordonnés ou exécutés qu'au cours d'une instruction préparatoire, ou qui ne peuvent être exécutés au cours d'une enquête qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention, elle sera reconnue par le juge d'instruction. Dans les autres cas, elle sera reconnue par le procureur de la République.
Si le magistrat saisi n'est pas compétent, il devra transférer sans délai la décision d'enquête au procureur de la République ou au juge d'instruction compétent et en informer immédiatement l'Etat d'émission.
Les cas limitatifs de refus de reconnaissance d'une décision étrangère sont énumérés par l'article 694-31, les articles 694-32 et 694-33 fixant respectivement la liste des trente-deux catégories d'infractions ou des différentes mesures d'enquête pour lesquels un refus ne peut en principe être opposé.
L'article 694-34 prévoit la possibilité de refus d'une décision d'enquête européenne risquant de nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation, refus alors décidé par ministre de la justice, comme le prévoient déjà en matière d'entraide les articles 694-4 et 694-1-1 du code de procédure pénale.
En vertu de l'article 694-35, le magistrat saisi devra prendre la décision relative à la reconnaissance ou à l'exécution de la décision d'enquête européenne dès que possible et au plus tard trente jours après la réception de la décision d'enquête européenne. Exceptionnellement, ce délai pourra être prorogé de trente jours.
En vertu des articles 694-36 et 694-37, la décision d'enquête devra être exécutée conformément aux formalités et procédures expressément indiquées par l'autorité d'émission, sauf si la loi en dispose autrement et sous réserve, à peine de nullité, que ces règles préservent les droits des parties et les garanties procédurales prévues par le code de procédure pénale.
La décision d'enquête européenne devra être exécutée dans les meilleurs délais, au plus tard dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la reconnaissance. Le magistrat saisi pourra toutefois décider de reporter l'exécution de la décision d'enquête si elle risque de nuire à une enquête ou à des poursuites en cours ou si les objets, documents ou données concernés sont déjà utilisés dans le cadre d'une autre procédure.
Toutefois, s'il est saisi d'une décision d'enquête visant à empêcher provisoirement toute opération de destruction, de transformation, de déplacement, de transfert ou d'aliénation d'éléments susceptibles d'être utilisés comme preuve, le magistrat devra, en vertu de l'article 694-45, rendre sa décision dans les meilleurs délais et si possible dans les 24 heures suivant sa réception.
En vertu de l'article 694-38, lorsque la mesure d'enquête demandée n'est pas prévue par le code de procédure pénale ou qu'elle ne pourrait être mise en œuvre dans le cadre d'une procédure nationale similaire, le magistrat saisi aura recours, chaque fois que cela s'avère possible, à toute autre mesure d'investigation permettant d'obtenir les éléments demandés par l'autorité d'émission. Le magistrat saisi pourra également ordonner une autre mesure d'enquête que celle demandée dès lors qu'elle permet d'obtenir le même résultat de façon moins intrusive.
Aux termes de l'article 695-39, le magistrat saisi ne pourra refuser l'assistance des autorités de l'Etat d'émission à l'exécution de la décision d'enquête sur le territoire national que si elle apparaît contraire aux dispositions de l'article préliminaire ou de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Par ailleurs, l'article 695-40 précise que si le magistrat saisi juge nécessaires des mesures d'enquête non prévues initialement ou qui n'avaient pas pu être spécifiées au moment de l'émission de la décision d'enquête européenne, en cours d'exécution de la décision d'enquête, il devra en informer sans délai l'autorité d'émission afin qu'elle puisse, le cas échéant, demander de nouvelles mesures.
Aux termes de l'article 694-41, il est en outre prévu que lorsque des mesures exécutées sur le territoire national en application d'une décision d'enquête européenne auraient pu, si elles avaient été exécutées dans le cadre d'une procédure nationale, faire l'objet d'une contestation, d'une demande de nullité ou de tout autre forme de recours en application des dispositions du code de procédure pénale, ces recours pourront, dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, être formés contre ces mesures par les personnes intéressées. Ces personnes sont informées de leur possibilité d'exercer ces recours lorsque cette information est prévue par les dispositions du code de procédure pénale.
Ces recours ne suspendront pas l'exécution de la mesure d'enquête, sauf si cette suspension est prévue par le code de procédure pénale.
Les motifs de fond à l'origine de la décision d'enquête européenne ne pourront toutefois être invoqués dans le cadre de ces recours, car ils ne pourront être contestés que par une action intentée dans l'Etat d'émission.
Par ailleurs, le non-respect des délais d'exécution de la demande d'enquête européenne ne pourra constituer une cause de nullité des actes accomplis.
En vertu de l'article 694-42, les procès-verbaux, objets saisis et tout autre élément de preuve recueillis en exécution de la décision d'enquête devront être remis dans les meilleurs délais à l'autorité d'émission.
Le magistrat saisi pourra cependant décider de suspendre cette remise dans l'attente d'une décision relative au recours formé contre un acte d'exécution de la décision d'enquête, sauf si cette dernière fait état de motifs suffisants pour considérer qu'une remise immédiate est indispensable au bon déroulement de l'enquête ou à la préservation de droits individuels.
En outre, lorsque les procès-verbaux, objets saisis et autres éléments de preuve recueillis en exécution de la décision d'enquête sont utiles aux débats d'une procédure en cours, le magistrat saisi pourra ordonner leur remise temporaire à l'autorité d'émission, à charge pour elle de les restituer dès qu'ils ne lui sont plus nécessaires.
Dans un paragraphe 2, les articles 694-43 à 694-49 précisent les conditions de reconnaissance ou d'exécution propres à certains types de demandes.
Ainsi, lorsque la décision d'enquête européenne concerne une infraction en matière de taxe ou d'impôt, de douane et de change, sa reconnaissance ne pourra être refusée au motif que la loi française n'impose pas le même type de taxe ou de droits ou prévoit des dispositions différentes en matière de taxe, d'impôt, de douane ou de change.
Lorsque l'Etat d'émission sollicite le transfert temporaire d'une personne détenue en France, le magistrat saisi pourra refuser l'exécution de la demande si la personne concernée s'y oppose ou si son transfèrement est susceptible de prolonger la durée de sa détention.
Lorsque l'Etat d'émission sollicite l'audition d'une personne par visioconférence, le magistrat saisi peut refuser l'exécution de la demande s'il s'agit de l'audition d'une personne suspecte ou poursuivie et que celle-ci s'y oppose.
Enfin, lorsque l'Etat d'émission sollicite la mise en place d'une mesure d'infiltration sur le territoire national ou l'exécution d'une mesure d'investigation qui requiert l'obtention de preuve en temps réel, les modalités de la mesure sont fixées d'un commun accord avec le magistrat saisi qui peut, à défaut d'entente, refuser l'exécution de la demande.
Une sous-section 3 comporte l'article 694-50 relatif aux coûts d'exécution des décisions d'enquête.
Ceux-ci seront en principe à la charge de l'Etat d'exécution, sauf exception concernant certains frais exceptionnellement élevés.
L'article 2 transpose certaines dispositions de l'article 31 de la directive, introduisant dans le code de procédure pénale un nouvel article 100-8 précisant, en cas d'interception de communications concernant une ligne téléphonique utilisée sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, les hypothèses dans lesquelles les autorités de cet Etat doivent en être informées.
L'article 3 comporte des mesures de coordination destinées à supprimer la possibilité d'obtenir des éléments de preuve en vertu d'une décision de gel conformément aux articles 695-9-1 et suivants du code de procédure pénale, la décision d'enquête européenne devenant en effet le cadre unique pour les demandes de coopération à des fins probatoires.
L'article 4 comporte des mesures de coordination dans le code de procédure pénale essentiellement formelles, résultant de la transposition de la directive.
L'article 5 est relatif à son entrée en vigueur, fixée au 22 mai 2017, date limite de transposition de la directive.
L'article 6 prévoit l'application de la présente ordonnance dans les collectivités d'outre-mer, notamment en mettant à jour le compteur de l'article 804 du code de procédure pénale.
Tel est l'objet de la présente ordonnance que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre profond respect.Liens relatifs
Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d'enquête européenne en matière pénale