Décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014

Version initiale


(M. MAURICE L. ET AUTRE)


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 juillet 2014 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4428 du 16 juillet 2014), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Maurice L., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale.
Il a été saisi le même jour dans les mêmes conditions par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4429 du même jour) d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Bernard T., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 706-88 du code de procédure pénale.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010 ;
Vu la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, notamment son article 16 ;
Vu la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, notamment son article 157 ;
Vu la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, notamment son article 4 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la SAS Consortium de réalisation et la SAS CDR Créances, parties en défense, par Me Benoît Chabert, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 7 août 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Maurice L. par Me Paul-Albert Iweins, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 8 et 28 août 2014 ;
Vu les observations produites pour M. Bernard T. par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 8 et 28 août 2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 8 août 2014 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Iweins et Me Frédéric Thiriez, pour les requérants, Me Chabert, pour les parties en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 23 septembre 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'il y a lieu de joindre ces questions prioritaires de constitutionnalité pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant que les questions prioritaires de constitutionnalité doivent être regardées comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elles ont été posées ; qu'ainsi le Conseil constitutionnel est saisi du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale, dans sa rédaction actuellement en vigueur, et de l'article 706-88 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi du 14 avril 2011 susvisée et antérieure à la loi 27 mai 2014 susvisée ;
3. Considérant que le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, qui, dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 mai 2014 susvisée, comprend les articles 706-73 à 706-106, est consacré à la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée ; que l'article 706-73 fixe la liste des crimes et délits pour lesquels la procédure applicable à l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement est soumise aux dispositions particulières de ce titre XXV ; que le 8° bis de cet article 706-73, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 susvisée, désigne le « délit d'escroquerie en bande organisée prévu par le dernier alinéa de l'article 313-2 du code pénal » ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 706-88 du code de procédure pénale, dans sa rédaction postérieure à la loi du 14 avril 2011 : « Pour l'application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.
« Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d'instruction.
« La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.
« Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l'aptitude au maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par l'officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical. Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures.
« Par dérogation aux dispositions des articles 63-4 à 63-4-2, lorsque la personne est gardée à vue pour une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-73, l'intervention de l'avocat peut être différée, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes, pendant une durée maximale de quarante-huit heures ou, s'il s'agit d'une infraction mentionnée aux 3° ou 11° du même article 706-73, pendant une durée maximale de soixante-douze heures.
« Le report de l'intervention de l'avocat jusqu'à la fin de la vingt-quatrième heure est décidé par le procureur de la République, d'office ou à la demande de l'officier de police judiciaire. Le report de l'intervention de l'avocat au-delà de la vingt-quatrième heure est décidé, dans les limites fixées au sixième alinéa, par le juge des libertés et de la détention statuant à la requête du procureur de la République. Lorsque la garde à vue intervient au cours d'une commission rogatoire, le report est décidé par le juge d'instruction. Dans tous les cas, la décision du magistrat, écrite et motivée, précise la durée pour laquelle l'intervention de l'avocat est différée.
« Lorsqu'il est fait application des sixième et septième alinéas du présent article, l'avocat dispose, à partir du moment où il est autorisé à intervenir en garde à vue, des droits prévus aux articles 63-4 et 63-4-1, au premier alinéa de l'article 63-4-2 et à l'article 63-4-3 » ;
5. Considérant que, selon les requérants, en ce qu'elles permettent le recours à une mesure de garde à vue de quatre-vingt-seize heures dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction portant sur des faits qualifiés d'escroquerie en bande organisée, les dispositions combinées du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale et de son article 706-88 méconnaissent le principe de rigueur nécessaire des mesures de contrainte dans la procédure pénale, la protection de la liberté individuelle et les droits de la défense ;
6. Considérant que, s'agissant de l'article 706-88 du code de procédure pénale, la question prioritaire de constitutionnalité ne porte que sur ses cinq premiers alinéas relatifs à la durée de la garde à vue ;
Sur les normes de constitutionnalité applicables :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance » ; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;
8. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;
9. Considérant qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir, l'inviolabilité du domicile, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi que la liberté individuelle, que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ;
Sur les cinq premiers alinéas de l'article 706-88 du code de procédure pénale :
10. Considérant que les cinq premiers alinéas de l'article 706-88 du code de procédure pénale sont renvoyés au Conseil constitutionnel dans leur rédaction résultant de la loi du 9 mars 2004 susvisée ; que, dans les considérants 21 à 27 de sa décision du 2 mars 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 706-88 inséré dans le code de procédure pénale par l'article 1er de la loi du 9 mars 2004 ; qu'il a jugé que ces dispositions ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté individuelle ; que, dans l'article 2 du dispositif de cette décision, il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution ; que, par suite, les cinq premiers alinéas de l'article 706-88 ont déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; que, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 22 septembre 2010 susvisée, en l'absence de changement des circonstances, depuis la décision du 2 mars 2004 susvisée, en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de procéder à un nouvel examen de ces dispositions ; qu'au surplus, le grief tiré de ce que les dispositions contestées permettent le recours à une mesure de garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour des faits d'escroquerie en bande organisée met en cause non l'article 706-88 du code de procédure pénale en lui-même, mais l'inscription de cette infraction dans la liste prévue par son article 706-73 ;
Sur le 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale :
11. Considérant que l'inscription d'un crime ou d'un délit dans la liste des infractions visées par l'article 706-73 du code de procédure pénale a pour effet de permettre, lors des enquêtes ou des instructions portant sur ce crime ou ce délit, la mise en œuvre d'une mesure de garde à vue dans les conditions prévues à l'article 706-88 du code de procédure pénale et le recours à ceux des pouvoirs spéciaux d'enquête ou d'instruction prévus par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale qui sont applicables à toutes les infractions visées par l'article 706-73 ;
12. Considérant que l'article 706-88 du code de procédure pénale prévoit que, si les nécessités d'une enquête l'exigent, la garde à vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune décidées par le juge des libertés et de la détention ou par le juge d'instruction ; que, dans ce cas, ces prolongations, qui s'ajoutent à la durée de droit commun définie par l'article 63 du même code, portent à quatre-vingt-seize heures la durée maximale de la garde à vue ; que cet article permet également que l'intervention de l'avocat soit différée pendant une durée maximale de quarante-huit heures, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes ; que ce report est décidé par le juge d'instruction lorsque la garde à vue est mise en œuvre au cours d'une information judiciaire ; que, dans les autres cas, il est décidé par le procureur de la République pour la première prolongation et par le juge des libertés et de la détention pour la seconde ;
13. Considérant que l'escroquerie est un délit contre les biens défini par l'article 313-1 du code pénal comme « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge » ; que, même lorsqu'il est commis en bande organisée, le délit d'escroquerie n'est pas susceptible de porter atteinte en lui-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; qu'en permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article 706-88 du code de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ce délit, le législateur a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ; que, par suite, le 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale méconnaît ces exigences constitutionnelles et doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur les conséquences de l'adoption de la loi du 27 mai 2014 susvisée :
14. Considérant que, selon le Premier ministre, la modification apportée à l'article 706-88 du code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 susvisée a mis fin à l'inconstitutionnalité dénoncée par les requérants de sorte qu'il n'y aurait en tout état de cause pas lieu d'abroger les dispositions déclarées contraires à la Constitution ;
15. Considérant que l'article 4 de la loi du 27 mai 2014 susvisée a complété l'article 706-88 du code de procédure pénale par un alinéa aux termes duquel : « Le présent article n'est pas applicable au délit prévu au 8° bis de l'article 706-73 ou, lorsqu'elles concernent ce délit, aux infractions mentionnées aux 14° à 16° du même article. Toutefois, à titre exceptionnel, il peut être appliqué si les faits ont été commis dans des conditions portant atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ou aux intérêts fondamentaux de la nation définis à l'article 410-1 du code pénal ou si l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national, dès lors que la poursuite ou la réalisation des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité rend indispensable, en raison de leur complexité, la prolongation de la garde à vue. Les ordonnances prolongeant la garde à vue sont prises par le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République ou du juge d'instruction. Elles sont spécialement motivées et font référence aux éléments de fait justifiant que les conditions prévues au présent alinéa sont réunies. Les sixième et septième alinéas du présent article ne sont pas applicables » ;
16. Considérant que ni les éléments constitutifs du délit d'escroquerie ni les circonstances aggravantes de ce délit ne font référence à des faits d'atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ; que le fait d'obtenir la remise de fonds, de valeur ou d'un bien quelconque par violence ou menace est qualifié par ailleurs d'extorsion ; qu'en permettant le recours à la garde à vue dans les conditions prévues par l'article 706-88 du code de procédure pénale pour des faits d'escroquerie en bande organisée lorsque les faits ont été commis dans des conditions portant atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ou « aux intérêts fondamentaux de la nation définis à l'article 410-1 du code pénal » ou si l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national, les dispositions ajoutées à l'article 706-88 du code de procédure pénale par la loi du 27 mai 2014 n'ont pas mis fin à l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale ;
Sur les effets dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale :
17. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
18. Considérant que l'inscription d'un crime ou d'un délit dans la liste des infractions visées par l'article 706-73 du code de procédure pénale a également pour effet de permettre le recours à ceux des pouvoirs spéciaux d'enquête ou d'instruction prévus par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale qui sont applicables à toutes les infractions visées par l'article 706-73 ; que, par suite, l'appréciation des effets dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 requiert d'apprécier également la conformité à la Constitution du recours à ces pouvoirs spéciaux d'enquête ou d'instruction ;
19. Considérant que l'article 706-80 du code de procédure pénale permet que, sauf opposition du procureur de la République préalablement informé, la compétence des officiers de police judiciaire et des agents de police judiciaire soit étendue à l'ensemble du territoire national pour la surveillance des personnes suspectées d'avoir commis certaines infractions ; que les articles 706-81 à 706-87 permettent au procureur de la République ou au juge d'instruction, lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction le justifient, d'autoriser l'organisation d'une opération d'infiltration d'un officier ou d'un agent de police judiciaire consistant « à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs » ;
20. Considérant que les articles 706-89 à 706-94 fixent les conditions dans lesquelles, au cours d'une enquête préliminaire, d'une enquête de flagrance ou d'une instruction préparatoire, le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peut autoriser les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction en dehors des heures prévues par l'article 59 ;
21. Considérant que l'article 706-95 prévoit que, si les nécessités de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire le justifient, le juge des libertés et de la détention peut autoriser l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications ;
22. Considérant que les articles 706-96 à 706-102-9 prévoient que, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, le juge d'instruction peut autoriser par ordonnance motivée la mise en place, sous son autorité et son contrôle, d'une part, d'un « dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé » et, d'autre part, d'un « dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu'elles s'affichent sur un écran pour l'utilisateur d'un système de traitement automatisé de données ou telles qu'il les y introduit par saisie de caractères » ;
23. Considérant que l'article 706-103 prévoit qu'au cours de l'information, le juge des libertés et de la détention peut, afin de garantir le paiement des amendes encourues ainsi que, le cas échéant, l'indemnisation des victimes, ordonner des mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis, de la personne mise en examen ;
24. Considérant qu'en permettant le recours à ces pouvoirs spéciaux d'enquête et d'instruction pour les délits d'escroquerie commis en bande organisée, le législateur a estimé que la difficulté d'appréhender les auteurs de ces infractions tient à l'existence d'un groupement ou d'un réseau dont l'identification, la connaissance et le démantèlement posent des problèmes complexes ; qu'eu égard à la gravité du délit d'escroquerie en bande organisée, le législateur a pu, à cette fin, fixer des règles spéciales de surveillance et d'investigation dans les enquêtes et les instructions portant sur une telle infraction ; que, compte tenu des garanties encadrant la mise en œuvre de ces mesures spéciales d'enquête et d'instruction, les atteintes au respect de la vie privée et au droit de propriété résultant de leur mise en œuvre ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi ;
25. Considérant, en premier lieu, que l'abrogation immédiate du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale aurait pour effet non seulement d'empêcher le recours à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures pour des faits d'escroquerie en bande organisée, mais aussi de faire obstacle à l'usage des autres pouvoirs spéciaux de surveillance et d'investigation prévus par le titre XXV du livre IV du même code et aurait dès lors des conséquences manifestement excessives ; qu'afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2015 la date de cette abrogation ;
26. Considérant, en deuxième lieu, qu'afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que les dispositions du 8° bis de l'article 706-73 du code de procédure pénale ne sauraient être interprétées comme permettant, à compter de cette publication, pour des faits d'escroquerie en bande organisée, le recours à la garde à vue prévue par l'article 706-88 du code de procédure pénale ;
27. Considérant, en troisième lieu, que la remise en cause des actes de procédure pénale pris sur le fondement des dispositions déclarées inconstitutionnelles méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et aurait des conséquences manifestement excessives ; que, par suite, les mesures de garde à vue prises avant la publication de la présente décision et les autres mesures prises avant le 1er septembre 2015 en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité,
Décide :


Le président,
Jean-Louis Debré

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