Saisine du Conseil constitutionnel en date du 18 juillet 2014 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-695 DC

Version initiale


  • LOI RELATIVE À LA SÉCURISATION DES CONTRATS DE PRÊTS STRUCTURÉS SOUSCRITS PAR LES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC


    Monsieur le président,
    Mesdames et messieurs les conseillers,
    Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 17 juillet 2014.
    Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée, notamment en ses articles Ier à 3, porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.
    A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.


    La « [l]oi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public » intervient à la suite de votre décision du 29 décembre 2013, qui a notamment déclaré les II et Ill de l'article 92 de la loi de finances pour 2014 contraires à la Constitution.
    Les motifs retenus étaient, pour l'article 92-II, l'absence d'adéquation entre l'objectif poursuivi et la rédaction retenue ainsi que le caractère excessif de la portée de la validation et, pour l'article 92-III, son caractère étranger au domaine des lois de finances (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 79 et 80).
    La loi déférée revient sur ces dispositions tout en en élargissant la portée.
    L'article 1er, qui est la reprise de l'article 92-II dans une version étendue, vise à remettre en cause la sanction par les juridictions de l'ordre judiciaire de l'absence de mention du taux effectif global (« TEG »), du taux de période ou de la durée de la période dans les contrats de prêt conclus par les personnes morales de droit public.
    Cet article s'inscrit dans le contexte des décisions des 8 février 2013 et 7 mars 2014 par lesquelles le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré qu'un échange de télécopies entre une collectivité territoriale et Dexia constituait de véritables contrats de prêt. Or, ces derniers ne mentionnant pas, en méconnaissance des dispositions du code de la consommation, soit le TEG, soit le taux de période et la durée de la période, le tribunal a substitué le taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel pour les contrats de prêt contestés.
    L'article 1er vise précisément à neutraliser ces moyens contentieux pour « tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la (…) loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public », dès lors que cet écrit précise un certain nombre d'éléments énumérés par la loi.
    L'article 2, quant à lui, élargit le champ de la loi de validation par rapport à la version issue de la loi de finances pour 2014. Il institue un nouveau cas de validation des contrats de prêt conclus avec les personnes morales de droit public en remettant en cause la sanction, par les juridictions de l'ordre judiciaire, des erreurs dans le calcul du TEG, du taux de période ou de la durée de la période.
    Le contexte dans lequel s'inscrit cet article est le suivant. La Cour de cassation considère que si le TEG mentionné dans le contrat de prêt n'est pas déterminé conformément aux dispositions du code de la consommation, le taux d'intérêt légal doit être substitué au taux d'intérêt conventionnel (1).
    L'article 2 vise précisément à neutraliser ce moyen contentieux.
    Tous les contentieux portant sur des contrats antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi devant être tranchés conformément à ces nouvelles dispositions, ces deux moyens ne pourront plus être invoqués par les personnes morales de droit public pour obtenir la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel.
    L'article 2, alinéa 2, précise toutefois que dans l'hypothèse où le TEG serait inférieur au TEG déterminé conformément au code de la consommation, « l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance ».
    L'article 3, quant à lui, exclut du champ d'application de la loi de validation les prêts « comportant un taux d'intérêt fixe ou un taux d'intérêt variable défini comme l'addition d'un indice et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage ».
    Les articles 1er à 3 de la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public ainsi explicités soulèvent plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel. Les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur cinq griefs en particulier.
    Sur la forme, les articles 1er à 3 de la loi relèvent du domaine exclusif de la loi de finances et auraient donc dû être adoptés conformément aux règles qui leur sont applicables (Ier ). Sur la substance, la validation législative opérée par les articles 1er à 3 ne répond pas aux exigences posées par les articles 16 (II), 4 et 17 (III) et 6 (IV) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sur le plan des conséquences que ces dispositions peuvent avoir sur la liberté des collectivités territoriales, les articles contestés portent atteinte aux principes garantis par les articles 72 et 72-2 de la Constitution (V).

    (1) Cass. civ. 1re chambre, 19 septembre 2007, Société civile immobilière Cassin, bull. 2007, I, n° 291.

  • I. - La méconnaissance des prescriptions applicables aux lois de finances


    Les articles ler à 3 auraient dû figurer dans une loi de finances et respecter les règles qui leur sont applicables.
    En vertu des articles 1er et 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001, relative aux lois de finances, « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation (…) des charges de l'Etat » qui sont constituées des « charges budgétaires ainsi que (…) [d]es charges de trésorerie ».
    Ainsi, « [s]i la loi interdit l'introduction de dispositions étrangères aux lois de finances, inversement, elle contraint le législateur à ne faire figurer que dans des lois de finances les dispositions financières de l'Etat (…) : elles n'ont donc pas leur place dans une loi ordinaire » (2).
    Par ailleurs, a sa place dans une loi de finances un dispositif à l'occasion duquel « l'Etat assure l'équilibre (…) en dépenses et en recettes » ou les dispositions qui ont « une incidence directe sur les dépenses du budget de l'Etat » (successivement, CC, n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, cons. 99 ; CC, n° 2010-622 DC du 28 décembre 2010, cons. 6).
    Or, l'objet principal des dispositions critiquées n'est pas de modifier pour l'avenir la sanction de l'absence ou de l'erreur de TEG (3), mais d'éviter que l'Etat n'ait à supporter une charge financière « estimé[e] à 17 Md€ » et que le bilan de la SFIL ne soit « consolidé dans la dette publique » (4).
    Dans ces circonstances, il semble difficilement contestable pour les requérants que le dispositif mis en œuvre a une incidence directe sur les charges de l'Etat et que ce dernier cherche au travers de ce texte à assurer la balance entre les recettes et les dépenses de Dexia et de la SFIL, sociétés dont il est actionnaire de référence et donc recours ultime. Les articles 1er à 3 entrent en conséquence dans le champ d'application de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
    Cette analyse trouve d'ailleurs un écho favorable tant dans votre décision du 29 décembre 2013 que dans l'évaluation préalable au projet de loi de finances pour 2014.
    En effet, alors qu'il était saisi de la pertinence de sa présence dans une loi de finances, l'article 92-II n'a pas été invalidé par le Conseil constitutionnel au motif qu'il s'agissait d'un « cavalier » budgétaire, à la différence du sort réservé au III de l'article 92 (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 78-80). Les requérants en déduisent donc que les articles 1er à 3 devaient figurer dans une loi de finances.
    Le Gouvernement, quant à lui, considérait que l'article 92-II « se rattach[ait] au domaine des lois de finances car il comport[ait] des dispositions qui affect[ai]ent directement les dépenses budgétaires en 2014 (b du 7° du II de l'article 34 de la LOLF). (…) Surtout, la nature et l'importance des engagements de l'Etat vis-à-vis de Dexia et de la SFIL (qu'il s'agisse de garanties ou d'engagements à maintenir un niveau de capitalisation suffisant) affecteraient directement les dépenses budgétaires de l'Etat en l'absence des dispositions prévues aux II et III du présent article » (5). Si cette analyse a été démentie par le Conseil sur le point III de l'article 92, elle a été retenue pour le II du même article, dont l'article 1er de la loi déférée est la mise à jour.
    Les députés auteurs de la saisine font donc valoir que les articles 1er à 3 relèvent du domaine exclusif des lois de finances et auraient donc dû être adoptés conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui leur sont applicables. A défaut, ils encourent une censure de votre Conseil.

    (2) Favoreu (sous la direction de), Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2013, 17e éd., p. 261 et les illustrations jurisprudentielles citées au soutien. (3) Etude d'impact, p. 9. (4) Etude d'impact, successivement pp. 6 et 5. (5) Projet de loi de finances pour 2014, Evaluations préalables des articles du projet de loi, p. 356.

  • II. - La méconnaissance des exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen


    La validation législative opérée par les articles 1er et 2 de la loi déférée ne respecte pas les exigences posées par le Conseil constitutionnel au regard de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    Conformément à une jurisprudence bien assise, le Conseil constitutionnel estime :
    « Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : “Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution” ; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie » (CC, n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, cons. 3).
    Ainsi, pour ne pas être contraire aux exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une validation législative doit satisfaire aux conditions suivantes :


    - la validation législative doit respecter non seulement les décisions de justice ayant force de chose jugée mais aussi le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ;
    - l'atteinte aux droits des personnes résultant de la validation doit être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ;
    - l'acte validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ;
    - la portée de la validation doit être strictement définie.


    Si la première et la troisième condition ne prêtent pas à discussion, il en va différemment des deux autres.


    II-1. - L'absence de justification d'un motif impérieux d'intérêt général


    L'atteinte portée aux droits des personnes résultant de la validation des contrats litigieux n'est justifiée par aucun motif impérieux d'intérêt général.
    En premier lieu, les travaux parlementaires ne permettent pas d'identifier un motif impérieux d'intérêt général justifiant la validation.
    Tout d'abord, si un motif financier peut être invoqué au soutien d'une loi de validation, il ne peut à lui seul la justifier (CC, n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, cons. 35 ; CC, n° 2013-366 QPC du 14 février 2014, cons. 6) (6).
    Or, si l'étude d'impact développe largement, avec les faiblesses qui seront évoquées plus bas, le risque financier, elle est plus que laconique sur les autres risques avancés, tels l'impact sur l'économie ou le risque de perturbation du financement des collectivités.
    S'agissant de ces derniers risques, les seuls à pouvoir justifier la validation législative contestée au regard de la jurisprudence du Conseil, les éléments disponibles sont largement insuffisants. Ils ressortent plus de la notion de considération générale que de celle de démonstration. Est ainsi offerte une pétition de principe là où devraient être fournis des éléments justifiés, étayés, de nature à convaincre que la gravité de l'atteinte portée aux droits des personnes morales de droit public, à savoir le transfert d'une charge financière d'au moins 10,6 milliards d'euros (7), est justifiée par un risque avéré et non simplement putatif.
    Il en va de même pour les motifs à l'appui de l'inclusion des banques autres que Dexia et la SFIL dans le champ de la loi de validation. Si l'on peut comprendre les liens qui existent entre l'Etat, Dexia et la SFIL ainsi que la mécanique des répercussions qui seraient susceptibles d'en découler sur le budget de l'Etat, il en va différemment pour le reste du secteur bancaire. D'une part, l'inclusion des autres banques dans le champ de la validation serait justifiée, selon les travaux parlementaires, par le fait que « l'impact sur l'économie française serait d'autant plus important que le secteur bancaire dans son ensemble connaîtrait également des pertes significatives » (8). Or, il est affirmé quelques jours plus tard que le « secteur bancaire dans son ensemble (…) ne porte qu'une partie limitée des emprunts toxiques » (9). Ainsi, comment expliquer qu'il existe un risque majeur pour l'économie au motif que le secteur bancaire souffrirait « des pertes significatives » alors que ledit secteur ne porte qu'une part « limitée » des emprunts toxiques et donc du risque y afférent ? D'autre part, aucune précision n'est fournie sur le nombre d'établissements de crédit concernés, sur les montants en jeu (10), sur les échéances, sur les conséquences que pourraient avoir les contentieux en cours sur la viabilité desdits établissements, précisions qui sont autant d'éléments nécessaires à la justification de l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général.
    De même, les travaux parlementaires sont muets sur les conséquences qu'aura le transfert de cette charge financière sur le budget des personnes morales de droit public, comme si l'intérêt général devait être uniquement apprécié à l'aune de l'intérêt financier de l'Etat au détriment de la capacité des collectivités territoriales à assurer les missions d'intérêt général, nationales comme locales, dont elles sont investies.
    Ensuite, si l'on s'inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (« CEDH ») avec laquelle le Conseil constitutionnel a noué un « dialogue des juges » depuis de nombreuses années, « deux catégories de motifs sont admises (…) par la Cour européenne des droits de l'homme : ceux qui traduisent la volonté de garantir d'autres droits protégés par la Convention (comme l'égalité de traitement ou la nécessité de combler un vide juridique) et ceux qui visent à empêcher les effets d'aubaine liés à une imperfection de la loi » (11).
    En l'espèce, les travaux parlementaires ne font pas mention d'un quelconque droit protégé par la Constitution ou même par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« CESDH ») dont la garantie serait recherchée par la loi déférée.
    En revanche, l'étude d'impact indique que les « décisions de justice actuelles procurent (…) à l'emprunteur un véritable effet d'aubaine [gras dans le texte] » et qu'il y a « une totale disproportion entre l'avantage retiré par l'emprunteur du fait de la substitution du taux légal au taux contractuel et le préjudice résultant de l'absence de mention du TEG [gras dans le texte] » (12).
    Une telle affirmation apparaît pour le moins surprenante.
    En effet, si la déchéance du taux d'intérêt conventionnel était vraiment un effet d'aubaine qu'un motif impérieux d'intérêt général commanderait de faire cesser, y compris pour les instances en cours, comment expliquer que la loi déférée n'écarte cette sanction que pour le passé et non pour l'avenir (13) ?
    Si la déchéance du taux d'intérêt conventionnel procurait un avantage disproportionné, pourquoi cette sanction n'a-t-elle pas été définitivement écartée à la suite des décisions de la CEDH sanctionnant une validation législative - article 87 de la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier - qui tendait à interdire l'application de cette sanction à des contrats de prêt qui, comme dans la présente espèce, méconnaissaient les prescriptions du code de la consommation (14) ? A cet égard, si l'article 87 précité a pu être considéré comme ne méconnaissant pas les exigences de la Constitution, le contrôle exercé par le Conseil s'est depuis lors très sensiblement accru, un « motif impérieux d'intérêt général » étant désormais requis là où seul un motif d'« intérêt général » suffisait.
    Ainsi, la déchéance du taux d'intérêt conventionnel est une sanction voulue, réitérée et pleinement assumée par le législateur et les juridictions de l'ordre judiciaire, qui ne peut nullement être assimilée à un effet d'aubaine aux effets disproportionnés au motif que les prescriptions d'ordre public qu'elle sanctionne auraient été massivement méconnues (15).
    En fait, les véritables bénéficiaires d'un effet d'aubaine dans cette espèce sont l'Etat et les établissements de crédit. L'Etat, profitant de l'ampleur des méconnaissances pour tenter de justifier le recours à une loi de validation, évitera ainsi d'avoir à honorer les engagements pris envers la Commission européenne, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, les agences de notation et le « marché » (16). Les établissements de crédit, quant à eux, profitant de la situation délicate dans laquelle se trouvent Dexia et la SFIL, s'émanciperont de leurs responsabilités en évitant d'avoir à supporter les conséquences financières du défaut d'information dont ont été victimes les personnes morales de droit public emprunteuses.
    De plus, pour qu'une validation législative puisse être considérée comme « justifiée » au sens de la jurisprudence de votre Conseil, encore faut-il que l'objectif recherché soit proportionné à la gravité de l'atteinte portée. Or, comme il sera plus amplement développé au point III de la présente requête, cette condition n'est pas remplie en l'espèce.
    Enfin, ce n'est pas parce qu'un motif d'intérêt général est constaté qu'est justifié le fait que la loi de validation s'applique aux contentieux en cours (CC, n° 2002-458 DC du 7 février 2002, cons. 5 ; CC, n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012, cons. 9).
    Or, rien ne justifie en quoi la portée ratione temporis de la loi doive s'étendre aux recours introduits avant sa publication, ni même aux instances introduites avant la décision du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013, décision qui serait à l'origine de l'afflux des recours engagés sur les fondements de l'absence ou de l'erreur de TEG.
    En second lieu, les données chiffrées fournies au soutien de la loi sont approximatives et insuffisamment étayées.
    Le Conseil constitutionnel considère que si tant est que des motifs financiers puissent être invoqués, à titre complémentaire, à l'appui d'une loi de validation, ils doivent porter sur des sommes dont l'importance du montant est établie (CC, n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013, cons. 6). Exprimé autrement, les éléments avancés doivent être « étayé[s] » et « crédible[s] » (17).
    Or, les approximations et incertitudes qui entourent les montants qui figurent dans l'étude d'impact suscitent le doute. A titre d'illustration :


    - le montant du risque financier direct pour l'Etat fluctue de 10 milliards d'euros (18) à 17,6 milliards (19) ;
    - l'étude d'impact indique que le risque maximal au titre de la déchéance du taux d'intérêt conventionnel et de la rupture des instruments de couverture s'élève à 10,6 milliards d'euros (20), laissant entendre que la totalité du risque est immédiat. Or, la réalisation du risque lié à la déchéance du taux d'intérêt conventionnel s'étalera sur la durée des conventions de prêt, à l'image des intérêts qui auraient dû être versés en vertu des contrats. Ainsi, les requérants s'interrogent sur la réelle nécessité de provisionner 17 à 23 années de manque à gagner (21), et non de perte - ce qui inclurait le principal des prêts, dès l'exercice 2014-2015. Faute de pouvoir être dissipé, ce doute viendra sensiblement relativiser l'argumentaire afférent au risque de recapitalisation ;
    - les chiffres mentionnés dans l'étude d'impact ne permettent pas de déterminer s'il existe des recoupements entre les prêts contestés pour défaut de TEG, de taux de période ou de durée de la période avec ceux contestés pour erreur de ces mêmes éléments ou si les délais de prescription ont été pris en compte, qui sont autant d'éléments permettant de s'assurer de la pertinence des chiffres avancés (CC, n° 2002-458 DC du 7 février 2002, cons. 5, s'agissant de la nécessité de prendre en compte les délais de prescription pour apprécier le montant du risque financier).


    In fine, la justification de la loi de validation réside dans le risque financier que représenterait pour l'Etat l'absence de validation des contrats de prêt conclus par Dexia et la SFIL. Toutefois, outre qu'un tels motif ne peut à lui seul constituer un motif impérieux d'intérêt général et justifier une telle atteinte aux droits des personnes publiques, les éléments chiffrés fournis à son soutien manquent de crédibilité et de précision. Si d'autres motifs sont invoqués, tels l'impact sur l'économie ou la perturbation du financement des collectivités locales, ils apparaissent plus comme un repoussoir que comme une réalité.
    Ainsi, loin d'être justifié par un motif impérieux d'intérêt général, le dispositif mis en œuvre recèle une erreur manifeste dans l'appréciation et la balance qui doivent être faites des différents droits à protéger.

    (6) Pour des similarités avec la jurisprudence de la CEDH voir, CEDH, 28 octobre 1999, Zielinski el Pradal et Gonzalez et autres c/ France, § 59. (7) Etude d'impact, p. 4. (8) Etude d'impact, p. 8. (9) Sénat, Compte rendu intégral, séance du mardi 13 mai 2014, p. 3859. (10) Selon l'étude d'impact, « aucun chiffrage précis n'est disponible » s'agissant des établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL (p. 11). (11) Conclusions Boulouis sur, C.E., sect. 8, avril 2009, Association Alcaly el autres, Bulletin juridique des contrats publics, n° 65, p. 276. (12) Etude d'impact, p. 7. (13) Etude d'impact, p. 9. (14) CEDH, 12 février 2006, Affaire Lecarpentier et autre c. France, req. n° 67847/01 ; CEDH, 11 avril 2006, Cabourdin c/ France, req. n° 60796/00. (15) Pour un exemple d'effet d'aubaine au sens de la jurisprudence, voir CEDH, 23 octobre 1997, Affaire National & Provincial building society, Leeds permanent building society et Yorkshire building society c. Royaume-Uni, req n° 117/1996/736/933-935, cons. 109, dans une espèce où le Parlement recherchait manifestement en adoptant les mesures dénoncées à remédier à des vices d'ordre technique de la législation. (16) Etude d'impact, pp. 3 et 5. (17) CEDH, 11 avril 2006, Cabourdin c/ France, req. n° 60796/00, § 37. (18) Etude d'impact, p. 5. (19) Soit 10,6 milliards d'euros au titre de la déchéance du taux d'intérêt conventionnel et de la rupture des instruments de couverture (étude d'impact p. 20) et 7 milliards d'euros au titre de la recapitalisation de Dexia et de la SFIL (Etude d'impact, p. 5). (20) Etude d'impact, p. 4. (21) S'agissant de la durée restant à courir de certains des contrats soumis à l'appréciation du tribunal de grande instance de Nanterre et ayant fait l'objet des décisions des 8 février 2013 et 7 mars. 2014.

  • II-2. - La méconnaissance des exigences relatives à la portée des lois de validation


    En premier lieu, le Conseil constitutionnel a estimé, s'agissant de la version précédente des dispositions contestées, que portait une atteinte injustifiée aux droits des personnes une validation législative pour laquelle les « critères ne sont pas en adéquation avec l'objectif poursuivi » mais aussi lorsque la « validation revêt une portée très large » (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 79).
    Votre Conseil a, à cet égard, estimé que l'article 92-II de la loi de finances pour 2014 avait pour objet de « prévenir les conséquences financières susceptibles de résulter, pour certains établissements de crédit auxquels l'Etat a apporté sa garantie », de la généralisation des motifs du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 (CC, n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 78).
    Par conséquent, devraient être exclus du champ de la loi de validation les établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL.
    Or, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, la validation à laquelle procède la loi déférée couvre non seulement Dexia et la SFIL, dont l'Etat est garant, mais aussi l'ensemble des établissements de crédit qui ont conclu des prêts structurés avec des personnes morales de droit public, alors qu'ils ne portent « qu'une partie limitée des emprunts toxiques » (22).
    Cette inadéquation, entre l'objet de la loi de validation et les établissements de crédit qui en bénéficient, est d'autant plus marquée que les travaux parlementaires sont particulièrement vagues et élusifs sur la nécessité de les inclure dans le champ de la loi contestée, notamment au regard d'un motif impérieux d'intérêt général dont les requérants peinent à trouver trace.
    Par conséquent, l'inclusion des établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL dans le champ de la loi de validation n'est pas en adéquation avec l'objectif poursuivi. De ce fait, la validation revêt une portée trop large.
    En second lieu, le Conseil estime que « si le législateur peut, dans un but d'intérêt général suffisant, valider un acte dont le juge administratif est saisi, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de son annulation, c'est à la condition de définir strictement la portée de cette validation, eu égard à ses effets sur le contrôle de la juridiction saisie ; qu'une telle validation ne saurait avoir pour effet, sous peine de méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'interdire tout contrôle juridictionnel de l'acte validé quelle que soit l'illégalité invoquée par les requérants » (CC, n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, cons. 64 ; dans le même sens, CC, n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006 ; CC, n° 2010-100 QPC du 11 février 2011, cons. 5).
    Par ailleurs, la loi déférée propose une version substantiellement plus étoffée de la validation que celle retenue par l'article 92 de la loi de finances pour 2014. En effet, outre l'absence de TEG sont désormais validées l'absence de taux de période, l'absence de la durée de période ainsi que les erreurs de calcul de l'un de ces trois éléments.
    Or, en privant de sanction l'ensemble des prescriptions du code de la consommation relatives au taux d'intérêt, hormis celles relatives au taux d'usure, la loi déférée interdit tout contrôle juridictionnel sur le taux d'intérêt appliqué aux personnes morales de droit public par les établissements de crédit et méconnaît à ce titre les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    Les députés auteurs de la saisine font donc valoir que la validation législative à laquelle procède la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public est irrégulière en ce qu'elle ne répond pas à un motif impérieux d'intérêt général et qu'elle méconnaît les exigences constitutionnelles relatives à la portée des lois de validation.

    (22) Sénat, Compte rendu intégral, séance du mardi 13 mai 2014, p. 3859.

  • III. - La méconnaissance du principe de proportionnalité


    Selon le Conseil constitutionnel, « s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie de contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ». Et de poursuivre : « [c]onsidérant que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent constitue un objectif de valeur constitutionnelle ; que, toutefois, la disposition critiquée n'apporte pas, en l'espèce, à la réalisation de cet objectif une contribution justifiant que soit portée une atteinte aussi grave à l'économie de contrats légalement conclus ; que sont, en conséquence, méconnues les exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus » (CC, n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, cons. 50-52 ; dans le même sens, CC, n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, cons. 6 ; CC, n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, cons. 13).
    Précisant les conditions dans lesquelles le principe de proportionnalité devait être apprécié, le Conseil constitutionnel a indiqué « que les atteintes portées à l'exercice de (…) libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l'objectif (…) poursuivi » (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).
    Or, eu égard à la disproportion entre l'objectif recherché et la gravité de l'atteinte portée aux droits des collectivités territoriales, les articles 1er à 3 méconnaissent gravement le droit de propriété, le principe de sécurité juridique et le droit à un procès équitable qui résultent des articles 4, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    En premier lieu, l'atteinte portée à ces droits et principes constitutionnels méconnaît le principe de responsabilité tel qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (CC, n° 82-144 DC du 22 octobre 1982, cons. 5 ; CC, n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, cons. 70 ; CC, n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 39).
    En effet, les requérants estiment qu'en transférant la charge financière sur les personnes morales de droit public, la loi laisse quitte de toute responsabilité les auteurs de la faute à l'origine du risque financier car les établissements de crédit qui ont méconnu les prescriptions du code de la consommation n'ont pas à en supporter les conséquences négatives. L'atteinte portée aux droits des personnes morales de droit public n'est donc pas adaptée.
    En deuxième lieu, l'atteinte portée au droit de propriété, à la sécurité juridique et au droit à un procès équitable n'est pas nécessaire à l'atteinte de l'objectif recherché. S'il n'appartient pas au Conseil de se substituer au pouvoir d'appréciation du législateur, il lui revient toutefois d'apprécier si la fin poursuivie par le législateur peut être atteinte par d'autres moyens (CC, n° 2008-562 DC du 21 février 2008, cons. 13).
    En l'espèce, la solution retenue par les articles 1er à 3 consiste à priver les personnes morales de droit public d'un droit de créance, évalué à plus de 10 milliards d'euros, à l'encontre des établissements de crédit, et ce afin d'éviter que l'Etat n'ait à honorer sa garantie.
    Or, des solutions alternatives moins « traumatisantes », notamment pour le droit de propriété des personnes morales de droit public, étaient envisageables.
    A titre d'illustration, au lieu de choisir entre deux extrêmes, le maintien du taux d'intérêt conventionnel ou l'application du taux d'intérêt légal, la loi aurait pu retenir un taux ou un plafond, comme cela est d'ailleurs proposé par le rapport de la commission d'enquête présidée par Claude Bartolone (23), qui tout en étant plus représentatifs de la valeur économique des emprunts conclus par les personnes morales de droit public soient moins attentatoires à leur droit de propriété.
    Une validation faite dans cet esprit présenterait l'avantage d'être en tout point conforme au principe de proportionnalité tel qu'appliqué par votre Conseil dans la mesure où la charge des risques financiers, sur le financement des collectivités territoriales et sur l'économie, serait partagée par l'ensemble des parties prenantes en fonction de leur capacité contributive.
    Ainsi, il existe bien des solutions alternatives plus conformes au principe de proportionnalité que celle retenue par la loi déférée.
    En dernier lieu, le dispositif retenu par la loi déférée n'est pas proportionné aux objectifs recherchés. Exprimé en d'autres termes, le « bilan coûts-avantages », pour reprendre l'expression des auteurs des Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, est négatif (24).
    Tout d'abord, si le risque pour l'Etat de devoir supporter un risque financier de 15 milliards d'euros est jugé insupportable pour le budget de ce dernier, comment le transfert pur et simple de cette charge financière aux collectivités territoriales ne serait pas considéré comme manifestement disproportionné ?
    Ensuite, est difficilement explicable l'absence des établissements de crédit dans la répartition de la charge du risque financier lorsque l'on se rappelle que le fait générateur de la situation à laquelle la loi entend remédier trouve sa source dans la méconnaissance par certains établissements de crédit des prescriptions d'ordre public du code de la consommation. Cette absence au titre de la répartition de la charge financière est d'autant plus notable que les établissements de crédit ont récemment montré leur capacité à absorber des montants élevés, notamment à titre de sanctions. Face à une telle capacité contributive, les collectivités territoriales avaient fin 2012 un niveau d'endettement évalué à 132,4 milliards d'euros (25).
    Enfin, s'il peut être admis qu'entre les personnes morales de droit public, Dexia et la SFIL, il existe un conflit d'intérêts généraux, national et local, dont le point d'équilibre puisse être discuté, il en va autrement lorsque l'intérêt général local représenté par les collectivités territoriales est mis en balance avec l'intérêt privé représenté par les établissements de crédit autres que Dexia et la SFIL.
    Or, en faisant prévaloir l'intérêt privé des établissements de crédit, par le transfert de l'intégralité de la charge du risque dont ils sont la cause sur les personnes morales de droit public, la loi déférée privilégie de manière disproportionnée l'intérêt financier des établissements de crédit au détriment du droit de propriété et de l'intérêt général défendu par les personnes morales de droit public.
    A cet égard, les députés auteurs de la saisine rappellent que, pour un risque évalué à 10,6 milliards d'euros, le fonds de soutien des collectivités territoriales, institué par le I de l'article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014, sera doté à hauteur de 100 millions d'euros par an pendant quinze années, soit 1,5 milliard d'euros au total. La contribution du secteur bancaire, au travers du relèvement de la taxe systémique, au fonds de soutien étant de 50 %, les banques supportent 7 % des montants en jeu alors que les personnes morales de droit public, quant à elles, supportent 86 % du risque transféré, ce qui peut difficilement être considéré comme un dispositif équilibré.
    Les requérants estiment de ce fait que la loi déférée méconnaît les exigences du principe constitutionnel de proportionnalité.

    (23) Assemblée nationale, rapport du 6 décembre 2011, « sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux », p. 115 et s. (24) Favoreu (sous la direction de), Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2013, 17e éd., p. 581. (25) Ministère de l'intérieur, Les Collectivités locales en chiffres, 2014, p. 41.

  • IV. - La méconnaissance du principe d'égalité


    Les requérants souhaitent attirer l'attention du Conseil sur le fait que les articles 1er à 3 de la loi méconnaissent le principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
    Selon une formulation éprouvée, le Conseil constitutionnel considère que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (CC, n° 2013-686 DC du 23 janvier 2014, cons. 9).
    Or, ces principes n'ont pas été, au cas d'espèce, respectés par la loi de validation.
    En premier lieu, le législateur a méconnu le principe d'égalité devant la loi au motif que seules les collectivités territoriales et certains établissements publics sont éligibles au fonds de soutien prévu par le I de l'article 92 précité. Or, la validation législative prévue par les articles 1er à 3 s'applique à l'ensemble des personnes morales de droit public.
    Le lien entre le fonds de soutien et les mesures de validation prévues aux articles 1er à 3 est renforcé par le fait que l'article 92-I impose une contrepartie rigoureuse aux collectivités sollicitant l'aide du fonds. En effet, il prévoit que le bénéfice de l'aide au titre d'un contrat de prêt souscrit auprès d'un établissement de crédit est subordonné à la conclusion d'une transaction, au sens de l'article 2044 du code civil, portant sur les contrats de prêt pour lesquels l'aide du fonds est sollicitée. Ainsi, une collectivité sollicitant une subvention pour un emprunt structuré devra, pour bénéficier de l'aide, renoncer à contester devant les juridictions civiles les contrats de prêt, dès lors qu'ils entrent dans les catégories prises en charge par le fonds.
    Les requérants font donc valoir que les articles 1er à 3 méconnaissent ainsi le principe d'égalité puisque l'ensemble des personnes morales de droit public visées par ces dispositions ne pourront se prévaloir de l'éligibilité au fonds instauré par l'article 92 de la loi de finances pour 2014, fonds dont il est pourtant la contrepartie.
    En second lieu, le Conseil estime que la méconnaissance de la « capacité contributive [d'une personne] (…) est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques » (CC, n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, cons. 33 ; dans le même sens, CC, n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 73).
    Par ailleurs, l'objet de la loi est de prévenir les « risques considérables sur les finances publiques et leur impact sur l'économie ainsi que la perturbation du financement des collectivités locales », qui découlent de la jurisprudence des juridictions judiciaires en matière de TEG (26).
    Ainsi, l'objet de la loi déférée est de définir les conditions dans lesquelles un risque de portée nationale, car de nature à affecter le financement de l'ensemble des personnes morales de droit public et même l'économie, issu de la jurisprudence des juridictions de l'ordre judiciaire peut être traité. Or, s'il s'agit d'un enjeu national, car ayant vocation à toucher toutes les collectivités territoriales, il doit être assumé par les différentes parties intéressées, à savoir l'Etat, les personnes morales de droit public et les établissements de crédit.
    Dans ce contexte, s'il appartient au législateur de répartir, pour des motifs impérieux d'intérêt général, la charge du risque financier, cette répartition ne doit pas méconnaître la capacité contributrice des personnes morales de droit public sous peine de méconnaître le principe d'égalité.
    En l'espèce, la limite de la capacité contributive des personnes morales de droit public est gravement méconnue.
    En effet, loin de rechercher à établir la balance des intérêts et des capacités contributives en jeu, la loi se cantonne à transférer purement et simplement le risque, qui repose aujourd'hui sur l'Etat et les établissements de crédit, aux personnes morales de droit public.
    Les travaux parlementaires sont sur ce point éclairant.
    Tout d'abord, l'Etat justifie le recours à la loi de validation par le fait qu'elle lui permettra d'éviter d'avoir à « recapitaliser SFIL-CAFFIL à hauteur des pertes potentielles », conformément aux engagements qu'il a pris « auprès de la Commission européenne et de l'ACPR » (27).
    Ensuite, aucun élément de l'étude d'impact ne précise les conséquences que pourrait avoir sur les collectivités territoriales le transfert intégral de ce risque ni même en quoi le transfert de ce risque améliore son profil global.
    De même, aucune des options énoncées dans l'étude d'impact n'envisage une répartition du risque financier entre les parties prenantes alors que certaines des parties intéressées ont une réserve de capacité contributrice non négligeable.
    En conséquence, il appartient à votre Conseil de prononcer l'inconstitutionnalité des articles ler à 3 de la loi déférée.

    (26) Etude d'impact, p. 8. (27) Etude d'impact, p. 5.

  • V. - La méconnaissance des articles 72 et 72-2 de la Constitution


    En premier lieu, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement » dans les conditions fixées par la loi. Toutefois, les atteintes portées par la loi ne doivent pas apparaître comme « manifestement déséquilibrée[s] » au regard des objectifs recherchés (CC, n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, cons. 33).
    Or, tel n'est pas le cas de la loi déférée.
    En effet, si selon l'étude d'impact l'Etat lui-même éprouvera les plus grandes difficultés à supporter les conséquences financières annoncées, comment pourraient-elles l'être par des collectivités territoriales qui n'ont ni les moyens ni l'expérience de l'Etat pour gérer de tels enjeux ?
    De même, si l'absorption de ces sommes par le budget de l'Etat « devra impérativement être compensée par des mesures d'économies de grande ampleur à très court terme, avec des répercussions significatives sur l'économie » (28), comment pourrait-il en aller autrement si les sommes devaient être absorbées par les collectivités territoriales ?
    Ainsi, loin de rechercher à procéder à une conciliation équilibrée des différents principes et objectifs constitutionnels en jeu, la loi déférée se cantonne à transformer un risque financier « Etat et établissements de crédit » en un risque « collectivités territoriales ».
    Dans ces circonstances, comment ne pas considérer que la loi déférée du fait de son caractère manifestement disproportionné ne rend pas platonique les principes de libre administration et de libre disposition de leurs ressources, garantis par la Constitution aux collectivités territoriales.
    Certes, il existe bien le fonds de soutien aux collectivités territoriales. Toutefois, pour un risque évalué à plus de 10,6 milliards d'euros, le fonds de soutien est doté à hauteur de 100 millions d'euros par an sur quinze ans, soit un rapport de plus de un à sept entre les sommes supportées par les collectivités territoriales et celles dont elles peuvent disposer à titre d'aide.
    En second lieu, en vertu de l'article 72-2, alinéa 4, de la Constitution « [t]out transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » (pour des exemples de mise en œuvre de ce principe, voir CC, n° 2004-509 DC du 13 janvier 2005, cons. 8 ; CC, n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, cons. 12).
    Or, le transfert de la charge des sommes évoquées sur les collectivités territoriales évitera à l'Etat d'avoir à tenir les engagements qu'il a pris auprès de différents organes.
    Il s'agit donc pour l'Etat de transférer la charge financière de ces engagements sur les collectivités territoriales. Ces dernières auraient donc dû se voir attribuer à ce titre des ressources d'un montant équivalent en vertu de l'article 72-2 de la Constitution.
    Les députés auteurs de la saisine font donc valoir que, en l'espèce, la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public est irrégulière en ce qu'elle méconnaît les exigences des articles 72 et 72-2 de la Constitution.

    (28) Etude d'impact, p. 7.

  • Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la fonction de contrôle de constitutionnalité de la loi que lui confère la Constitution.

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