Version initiale


(LOI RELATIVE À LA SÉCURISATION DES CONTRATS DE PRÊTS STRUCTURÉS SOUSCRITS PAR LES PERSONNES MORALES DE DROIT PUBLIC)


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, le 18 juillet 2014, par MM. Christian JACOB, Julien AUBERT, Olivier AUDIBERT-TROIN, Sylvain BERRIOS, Etienne BLANC, Mme Valérie BOYER, MM. Dominique BUSSEREAU, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Dino CINIERI, Bernard DEFLESSELLES, Lucien DEGAUCHY, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, Mme Marianne DUBOIS, M. Georges FENECH, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FOULON, Claude de GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mmes Claude GREFF, Anne GROMMERCH, Arlette GROSSKOST, MM. Serge GROUARD, Jean-Claude GUIBAL, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Denis JACQUAT, Christian KERT, Marc LAFFINEUR, Jean-François LAMOUR, Pierre LELLOUCHE, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER, Céleste LETT, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MOREL-À-L'HUISSIER, Mme Dominique NACHURY, MM. Patrick OLLIER, Bernard PERRUT, Jean-Frédéric POISSON, Christophe PRIOU, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Franck RIESTER, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Martial SADDIER, François SCELLIER, Jean-Marie SERMIER, Claude STURNI, Lionel TARDY, Philippe VITEL, Eric WOERTH, Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, MM. Charles de COURSON et Philippe VIGIER, députés.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;
Vu le code de la consommation ;
Vu la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, notamment son article 92, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 22 juillet 2014 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de ses articles 1er à 3 ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi déférée : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validée la stipulation d'intérêts prévue par tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de cette stipulation serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention, prescrite en application de l'article L. 313-2 du code de la consommation, du taux effectif global, du taux de période ou de la durée de période, dès lors que cet écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant indique de façon conjointe :
« 1° Le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts ;
« 2° La périodicité de ces échéances ;
« 3° Le nombre de ces échéances ou la durée du prêt » ;
3. Considérant que l'article 2 de cette loi procède, pour les mêmes contrats et dans les mêmes conditions, à la validation de la stipulation d'intérêts en tant qu'elle serait contestée par « le moyen tiré de la mention d'un taux effectif global, d'un taux de période ou d'une durée de période qui ne sont pas déterminés conformément à l'article L. 313-1 du code de la consommation » ; que son dernier alinéa précise, en outre, que, lorsqu'un contrat de prêt ou un avenant mentionne un taux effectif global inférieur au taux effectif global déterminé conformément à l'article L. 313-1 du code de la consommation, l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 3 : « Sont exclus du champ de la présente loi les écrits constatant un contrat de prêt ou un avenant comportant un taux d'intérêt fixe ou un taux d'intérêt variable défini comme l'addition d'un indice et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage » ;
5. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions ont une incidence directe sur les charges financières de l'Etat et figurent donc au nombre des dispositions qui doivent être adoptées par une loi de finances ;
6. Considérant que les requérants soutiennent, en outre, que les articles 1er à 3 de la loi procèdent à une validation rétroactive de contrats de prêts en méconnaissance des exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ; qu'en particulier, rien ne justifierait que la portée de la validation soit étendue aux établissements financiers autres que ceux auxquels l'Etat a apporté sa garantie pour des prêts accordés aux collectivités territoriales et leurs établissements publics ; que l'intérêt financier en cause ne serait pas précisément connu ; que, par sa portée, cette validation interdirait tout contrôle juridictionnel sur le taux d'intérêt appliqué aux sommes prêtées ; qu'eu égard à la disproportion entre l'objectif recherché et la gravité de l'atteinte portée aux droits des collectivités territoriales, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit de propriété de ces collectivités, au « principe de sécurité juridique », au « principe de responsabilité » et au droit à un procès équitable ;
7. Considérant que les requérants soutiennent enfin que les articles 1er à 3 conduisent à un transfert sur les collectivités territoriales d'une charge financière disproportionnée ; qu'il en résulterait une violation des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques dès lors, d'une part, que la validation s'applique aux prêts conclus par toutes les personnes morales de droit public alors que seuls certains établissements publics sont éligibles au fonds de soutien prévu par le paragraphe I de l'article 92 de la loi de finances pour 2014 et, d'autre part, qu'elle ne tient pas compte de la capacité contributive des personnes morales de droit public emprunteuses ; qu'il en résulterait également une atteinte aux principes de la libre administration des collectivités territoriales et à leur autonomie financière ;
Sur la place des articles 1er à 3 dans la loi déférée :
8. Considérant que, si les articles 1er à 3 comprennent des dispositions ayant une incidence sur la mise en œuvre des garanties de l'Etat, ils ne relèvent pas pour autant du domaine exclusif des lois de finances tel qu'il est défini par les articles 34 et 35 de la loi organique du 1er août 2001 susvisée ; que les articles 1er à 3 ont été adoptés selon une procédure conforme à la Constitution ;
Sur les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles en matière de loi de validation :
9. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;
10. Considérant que l'article L. 313-2 du code de la consommation dispose que le taux effectif global déterminé comme il est dit à l'article L. 313-1, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par ce même article ; que la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt constitue un élément essentiel de l'information de l'emprunteur ; qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'exigence d'un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de la validité de la stipulation d'intérêts et qu'en l'absence de stipulation conventionnelle d'intérêts il convient de faire application du taux légal à compter du prêt ;
11. Considérant qu'en validant les stipulations d'intérêts comprises dans les contrats de prêt et les avenants à ces contrats entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de ces stipulations serait contestée par le moyen tiré soit du défaut de mention du taux effectif global, du taux de période ou de la durée de période, soit de la mention erronée d'un taux effectif global, d'un taux de période ou d'une durée de période, les dispositions des articles 1er et 2 de la loi contestée ont pour objet de valider, de façon rétroactive, les clauses des contrats méconnaissant les dispositions des articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation ; qu'il résulte des travaux parlementaires qu'en adoptant ces dispositions le législateur a entendu prévenir les conséquences financières directes ou indirectes, pouvant excéder dix milliards d'euros, résultant, pour les établissements de crédit qui ont accordé des emprunts « structurés » à des collectivités territoriales, à leurs groupements ou à des établissements publics locaux, en particulier les établissements de crédit auxquels l'Etat a apporté sa garantie, de la généralisation des solutions retenues par le tribunal de grande instance de Nanterre dans deux jugements du 8 février 2013 et du 7 mars 2014 ; que, dans le premier de ces jugements, ce tribunal a jugé qu'un document contresigné échangé par voie de télécopie peut être regardé comme un contrat de prêt et que l'absence de mention du taux effectif global dans ce document entraînait la nullité de la stipulation d'intérêts ; que, dans le second, le même tribunal a jugé que, dans le document formalisant le contrat de prêt précédemment conclu par échange de télécopies, l'absence des mentions relatives au taux applicable à la période unitaire et à la durée de celle-ci entraînait également la nullité de la stipulation d'intérêts, malgré la mention du taux effectif global ;
12. Considérant que les validations résultant des articles 1er et 2 de la loi déférée ne s'appliquent qu'aux stipulations d'intérêts des contrats conclus avec des personnes morales de droit public ; qu'il ressort de l'article 3 de la loi que sont exclus du champ d'application de ces validations les écrits constatant un contrat de prêt ou un avenant comportant un taux d'intérêt fixe ou un taux d'intérêt variable défini comme l'addition d'un indice et d'une marge fixe exprimée en points de pourcentage ; qu'en vertu des alinéas 2 à 4 des articles 1er et 2, les stipulations d'intérêts en cause ne sont validées que si le contrat ou l'avenant approuvé par l'emprunteur mentionne conjointement le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts, la périodicité de ces échéances et le nombre de ces échéances ou la durée du prêt ; qu'il ressort du dernier alinéa de l'article 2 que, lorsqu'un contrat de prêt ou un avenant mentionne un taux effectif global inférieur au taux effectif global déterminé conformément à l'article L. 313-1 du code de la consommation, l'emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance ; que les validations critiquées portent sur la sanction d'une irrégularité touchant à la seule information de l'emprunteur sur le coût global du crédit, mais n'ont pas pour effet de modifier l'économie des contrats de prêts souscrits ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le législateur a strictement limité la portée de ces validations en adéquation avec l'objectif poursuivi ;
14. Considérant que l'incertitude quant au montant exact du risque financier global est inhérente à l'existence de nombreuses procédures juridictionnelles en cours portant sur des cas d'espèce différents et à l'existence de procédures susceptibles d'être encore introduites ;
15. Considérant que, par suite, eu égard à l'ampleur des conséquences financières qui résultent du risque de la généralisation des solutions retenues par les jugements précités, l'atteinte aux droits des personnes morales de droit public emprunteuses est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ;
16. Considérant, dès lors, que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ; qu'il en va de même des griefs tirés de ce que les validations porteraient une atteinte disproportionnée aux droits des personnes morales de droit public emprunteuses ;
Sur les autres griefs :
17. Considérant, d'une part, que les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques n'imposaient pas que seuls les emprunts souscrits par les personnes morales de droit public éligibles au fonds de soutien institué par le paragraphe I de l'article 92 de la loi du 29 décembre 2013 susvisée puissent être affectés par la validation précitée ; que, d'autre part, la validation des stipulations d'intérêts des contrats de prêts souscrits par des personnes morales de droit public ne constitue pas un transfert d'une charge financière à ces personnes ; que, par suite, les griefs tirés de l'atteinte aux principes d'égalité devant la loi et aux principes de la libre administration et de l'autonomie financière des collectivités territoriales doivent être écartés ;
18. Considérant que les articles 1er à 3 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarés conformes à la Constitution ; qu'il en va de même de l'article 4 qui prévoit la remise d'un rapport sur « la réforme du taux effectif global »,
Décide :


  • La loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public est conforme à la Constitution.


  • La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
    Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 24 juillet 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.


Le président,
Jean-Louis Debré

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