LOI POUR L'ACCÈS AU LOGEMENT
ET UN URBANISME RÉNOVÉ
(1) Rapport Assemblée nationale, commission des affaires économiques, n° 1329, p. 183 et suivantes. (2) Rapport Sénat, commission des affaires économiques, n° 65, p. 111. (3) « Zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social. » (4) Cette faculté ne concerne pas les autorisations temporaires prévues par l'article 6 ter. (5) Rapport Sénat, commission des affaires économiques, n° 65, page 336. (6) Cf. notamment décision n° 2000-436 DC, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. 20 : « (...) en soumettant à une autorisation administrative tout changement de destination d'un local commercial ou artisanal entraînant une modification de la nature de l'activité, le législateur a apporté, en l'espèce, tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une atteinte disproportionnée à l'objectif poursuivi ».
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 20 février 2014.
Les députés auteurs de la présente saisine estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels.
Sur l'absence de clarté et de sincérité du débat lors de l'examen de l'article 23 qui met en place une garantie universelle des loyers (GUL) :
Le projet de loi initial, dans son article 8 (devenu article 23 de la loi), créait « pour les contrats de location conclus à compter du 1er janvier 2016 une garantie universelle des loyers ayant pour objet de couvrir les bailleurs personnes physiques ou morales contre les risques d'impayés de loyer et de favoriser l'accès au logement ». Un établissement public administratif de l'Etat devait ainsi préfigurer et mettre en place cette garantie selon un cahier des charges défini par le projet de loi.
En première lecture, en commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement (n° CE 1077) a réécrit les dispositions de cet article, en excluant les logements du parc public et en renvoyant à un décret le soin de préciser toutes les modalités d'application de la GUL. Les débats ont alors permis d'avoir des précisions sur la GUL, son champ d'application et son financement. Il était alors notamment question de l'instauration d'une taxe sur les bailleurs et les locataires (1).
Ceci étant, comme l'a relevé le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat, « le présent article, dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, ne constitue qu'une déclaration de principe, sans préciser l'ensemble des aspects opérationnels de la garantie universelle des loyers » (2). Le Sénat a alors mis en place un groupe de travail pour réfléchir au contenu et aux modalités de ce que pourrait être une garantie universelle des loyers.
En seconde lecture, en commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement a, de nouveau, entièrement réécrit les dispositions de cet article.
Cet amendement n° CE 624 comportait huit pages (sept pages de dispositif et une page d'exposé sommaire). Il détermine le champ de la GUL, les conditions pour en bénéficier (conditions portant sur la situation du bailleur, sur la situation du locataire, sur les conditions d'enregistrement du bail). Il prévoit les modalités de versement des aides au titre de la garantie (notamment le calcul du montant), les sanctions éventuelles à l'encontre du bailleur et du locataire. Il établit les missions et les modalités de gouvernance de l'agence de la GUL.
L'article 8 a fait l'objet, par la suite, de nombreux amendements du Gouvernement ou des rapporteurs : en séance publique à l'Assemblée nationale (8 amendements), au Sénat en commission des affaires économiques (28 amendements du rapporteur, dont 20 de précision ou rédactionnels), puis en séance publique (11 amendements, dont 4 du Gouvernement et 9 du rapporteur). L'article 23 tel qu'adopté définitivement par le Parlement est donc très différent de celui sur lequel ont porté les débats parlementaires de la première lecture. La seconde lecture de ce texte ne s'est donc pas bornée à améliorer ou à préciser un dispositif existant.
L'amendement du Gouvernement présenté en seconde lecture a ainsi échappé à l'obligation d'être accompagné d'une étude d'impact, ce qui, de par l'ampleur de cet amendement, constitue un détournement de l'esprit de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 selon lequel l'étude d'impact doit exposer « l'évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d'administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue ».
C'est la raison pour laquelle les députés requérants estiment que les conditions d'adoption de l'article 23 méconnaissent l'exigence de clarté et de sincérité du débat, et donc la qualité de la loi.
Sur l'atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle :
Le droit de propriété est garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :
― « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. » ;
― « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
Le Conseil constitutionnel a admis la faculté pour le législateur de pouvoir apporter certaines limitations au droit de propriété, mais « une telle limitation, alors même qu'elle répond à un objectif de valeur constitutionnelle, ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu'elle dénature le sens et la portée du droit de propriété » (décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998, Loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, cons. 31).
De même, s'il est « loisible au législateur d'apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (décision n° 2012-660 DC du 17 janvier 2013, Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, cons. 5).
Les députés requérants estiment que plusieurs articles de la loi portent une atteinte anormale au droit fondamental à valeur constitutionnelle que constitue le droit de propriété dans l'un de ses attributs essentiels qui est la libre disposition de son bien par le propriétaire.
L'article 6 de la loi déférée instaure un mécanisme général et obligatoire d'encadrement des loyers dans les zones tendues.
Des observatoires des loyers seront mis en place dans les zones dites « tendues » (3) pour collecter toutes les données relatives aux loyers pratiqués.
Sur la base de leurs travaux, le préfet devra fixer un loyer de référence (loyer médian calculé à partir des niveaux de loyers constatés), un loyer de référence majoré (d'un niveau maximal de plus de 20 % par rapport au loyer médian de référence) et un loyer de référence minoré (d'un niveau maximal de moins de 30 % du loyer médian de référence), exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logement et par secteur géographique.
Le loyer de tout logement du parc privé mis en location dans ces zones devra être compris entre le loyer de référence minoré et le loyer de référence majoré. Dans le cas contraire, une action en réévaluation de loyer peut être engagée par l'une des parties au bail.
Si le Conseil admet des limitations au droit de propriété, celles-ci doivent demeurer proportionnées à l'objectif poursuivi. Or, les députés auteurs de la présente saisine estiment que le principe d'un encadrement des loyers, général et obligatoire, porte atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle d'une manière disproportionnée.
Il ressort des débats parlementaires que le législateur a entendu, par ce dispositif, limiter l'évolution des montants des loyers pratiqués dans les zones tendues.
Selon l'étude d'impact (pages 42-43), dans l'agglomération parisienne, seulement « 26,5 % des logements reloués en 2012 avaient un loyer supérieur au seuil maximum (seuil égal à la médiane augmentée de 20 %, calculée par nombre de pièces et par zone géographique) ». Autrement dit, la baisse des loyers consécutive à la mise en place du dispositif n'impacterait que 26,5 % des logements reloués. En revanche, pour les 73,5 % restants, les loyers pourraient augmenter pour atteindre le niveau maximal autorisé.
En conséquence, le mécanisme retenu pour l'encadrement des loyers ne répond pas à l'objectif poursuivi, voire est même contre-productif. L'atteinte portée au droit de propriété est donc disproportionnée.
Dès lors, l'article 6 doit être déclaré inconstitutionnel. Il porte non seulement atteinte au droit de propriété mais également à la liberté contractuelle puisqu'il impose aux parties de déterminer le montant du loyer au regard d'une « fourchette » établie par l'autorité administrative.
En outre, le dispositif d'encadrement des loyers tel que prévu par l'article 6 s'applique aux renouvellements du bail, ce qui porte atteinte à l'économie des contrats en cours.
Le Conseil considère en effet « que, s'il est loisible au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution, il ne saurait porter à l'économie de contrats légalement conclus une atteinte d'une gravité telle qu'elle méconnaisse manifestement la liberté découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. 50).
La loi déférée comporte d'autres articles qui portent atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle.
Ainsi, plusieurs dispositions relatives aux locations de meublés de courte durée destinés à une clientèle de passage ont été introduites par voie d'amendements lors de la première lecture du texte.
L'article 16 permet aux conseils municipaux ou aux EPCI de définir un régime d'autorisation temporaire de changement d'usage pour ce type de location.
L'article 19 permet, quant à lui, à l'assemblée générale des copropriétaires de donner un accord préalable avant toute demande d'autorisation de changement d'usage d'un local destiné à l'habitation faisant partie de la copropriété par un copropriétaire aux fins de le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage (4). Cela signifie qu'en cas de refus de l'assemblée générale des copropriétaires, un propriétaire ne pourrait pas disposer de son bien comme il l'entend puisqu'il n'aurait pas le droit de le proposer à la location pour de courtes durées.
L'objectif poursuivi par le législateur serait de limiter les effets spéculatifs liés à des investissements dans l'immobilier destinés aux seules locations temporaires. Or, en imposant au propriétaire une autorisation préalable avant la mise en location de son bien, dans des conditions qu'il a déterminées pour des raisons personnelles (courtes durées plutôt que bail de trois ans tacitement renouvelable), ces deux articles portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété.
L'article 92 confère à la commune ou à l'EPCI compétent en matière d'habitat la faculté de délimiter des zones soumises à autorisation préalable de mise en location sur les territoires présentant une proportion importante d'habitat dégradé.
Dans ces zones, la mise en location d'un logement est donc subordonnée à la délivrance d'une autorisation et doit être renouvelée à chaque nouvelle mise en location. Cet article vise, de fait, à créer un « permis de louer », ce qui va bien au-delà d'une déclaration de mise en location (prévue par l'article 93) pour lutter contre l'habitat indigne. D'ailleurs, un amendement du rapporteur au Sénat, en première lecture, en commission, avait supprimé cet article, estimant que le dispositif proposé « générera de l'insécurité juridique et du contentieux pour des effets somme toute assez limités en termes d'efficacité de la lutte contre l'habitat indigne » (5).
Eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (6), les députés requérants estiment que ces articles doivent être déclarés inconstitutionnels.
Enfin, les dispositions de l'article 5 peuvent constituer une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté contractuelle. L'article 5 modifie l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, qui vise les modalités du congé donné par le propriétaire au locataire.
En effet, le propriétaire ne peut donner congé à son locataire que pour reprendre ou pour vendre le logement, ou pour un motif légitime et sérieux. Cependant, un tel congé ne peut être donné si le locataire est âgé de plus de 70 ans et si ses ressources sont inférieures à un certain plafond. En tout état de cause, cette interdiction du congé ne s'applique pas lorsque le propriétaire est lui-même âgé de plus de 60 ans ou si ses ressources sont inférieures au plafond de ressources mentionné précédemment.
La loi déférée rend plus difficiles les conditions d'application du congé à l'initiative du propriétaire. D'une part, elle assouplit les conditions d'âge relatives au locataire pour qu'il reste dans les lieux (65 ans au lieu de 70 ans) mais durcit celles relatives au propriétaire pour qu'il ait le droit de reprendre son bien (65 ans au lieu de 60 ans). D'autre part, la loi déférée ajoute que le congé ne peut pas être donné si le locataire a à sa charge une personne remplissant les mêmes conditions (âgée de 65 ans, conditions de ressources). Enfin, l'instauration d'une procédure de contestation qui suspend la possibilité pour le propriétaire de donner congé rend plus difficile l'exercice de ses droits.
Ces modifications de la législation actuelle portent une atteinte excessive au droit de propriété mais constituent également une rupture d'égalité entre les parties.
Sur l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de l'article 1er :
L'article 1er modifie significativement la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
L'article 1er crée une rupture d'égalité entre propriétaire et locataire.
Le principe d'égalité est garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'article 1er porte atteinte au principe d'égalité en ce qu'il crée un déséquilibre entre les propriétaires bailleurs et les locataires. Ce déséquilibre se manifeste notamment dans le cadre de la rémunération des intermédiaires qui interviennent pour l'entremise ou la négociation d'une mise en location d'un logement.
En effet, la rémunération de ces personnes « est à la charge exclusive du bailleur ». Les honoraires des intermédiaires pour, d'une part, « effectuer la visite du preneur, constituer son dossier et rédiger un bail » et, d'autre part, « réaliser un état des lieux » sont certes partagés entre le bailleur et le preneur, mais la part du locataire doit être inférieure à celle du bailleur et sera plafonnée par voie réglementaire.
De telles dispositions constituent une rupture d'égalité qui n'est pas justifiée par des motifs d'intérêt général étant donné que le service rendu par les intermédiaires vise aussi bien les propriétaires que les locataires.
L'article 1er porte atteinte à la liberté contractuelle.
La liberté contractuelle découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
L'article 1er modifie l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 relatif au contrat de location. Il est ainsi prévu que le contrat de location doit respecter un « contrat type défini par décret en Conseil d'Etat » (I, 3°). Diverses mentions obligatoires sont également précisées par la loi. Le respect d'un contrat de bail type va bien au-delà du respect de certaines mentions obligatoires que doivent comporter les contrats. Or, le bail est un acte négocié entre deux parties, libres d'en arrêter le contenu. L'existence d'un bail type est donc incompatible avec la liberté contractuelle.
Par ailleurs, l'article 1er inclut dans la liste des clauses réputées non écrites toute clause qui autorise le bailleur à percevoir des pénalités en cas d'infraction aux clauses d'un contrat de location ou d'un règlement intérieur à l'immeuble (I, 7°). Une telle interdiction porte atteinte à la liberté contractuelle.
Eu égard aux moyens soulevés, l'article 1er devrait être déclaré inconstitutionnel.
Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.Liens relatifs
Saisine du Conseil constitutionnel en date du 24 février 2014 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-691 DC