LOI RELATIVE À LA CONSOMMATION
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les conseillers,
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à la consommation qui, selon eux, contrevient aux principes de liberté personnelle, de garantie des droits, de présomption d'innocence, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, et de respect de la vie privée.
I. ― S'agissant de l'article 1er
I-1. Sur le non-respect du principe constitutionnel de liberté personnelle :
Les requérants estiment que les articles L. 423-1 et L. 423-2 du code de la consommation, tels qu'ils ressortent de l'examen du projet de loi consommation sont contraires au principe de liberté personnelle présent aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Il ressort de l'analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la liberté personnelle est belle et bien un principe constitutionnel, comme le souligne par exemple MM. Henry Roussillon et Xavier Bioy dans leur ouvrage collectif sur la liberté personnelle (1). Ces derniers expliquent notamment que cette liberté personnelle doit se comprendre de la manière suivante : « elle fonde désormais certaines des protections relevant de la liberté de l'individu et désignerait subsidiairement le droit à ne pas subir de contraintes sociales excessives au regard de la personnalité ».
Or, le premier alinéa de l'article L. 423-4-1 du code de la consommation, issu de la loi déférée, dispose que : « Lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et lorsque ces consommateurs ont subi un préjudice d'un même montant, d'un montant identique par prestation rendue ou d'un montant identique par référence à une période ou à une durée, le juge, après avoir statué sur la responsabilité du professionnel, peut condamner ce dernier à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et selon des modalités qu'il fixe. »
La lecture de la présente disposition nous indique que, dans le cadre de la procédure d'action de groupe simplifiée, le juge statuera sur la responsabilité d'un professionnel s'étant rendu coupable d'un manquement à ses obligations légales et contractuelles à l'égard de consommateurs, alors même que le législateur ne fournit aucune précision sur la possibilité donnée aux consommateurs concernés de se manifester individuellement.
Les autres alinéas de l'article L. 423-4-1 ne fournissent pas davantage de précisions sur l'identification du groupe de consommateurs qui prendra part à l'action de groupe simplifiée.
Or, il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l'utilisation de cas individuels dans la conduite d'une action collective est conditionnée à : « l'assentiment en pleine connaissance de cause » de l'intéressé, comme le précise votre Conseil dans sa décision du 25 juillet 1989 sur la loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion (2).
Dans cette même décision, votre Conseil devait se prononcer sur la constitutionnalité de la possibilité donnée aux organisations syndicales représentatives d'exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles régissant le licenciement pour motif économique et la rupture du contrat de travail en faveur d'un salarié, sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé ; votre Conseil a précisé jusqu'où l'information et le pouvoir d'opposition du futur plaignant pouvaient être considérés comme satisfaisants : « le salarié doit être averti par lettre recommandée avec accusé de réception afin de pouvoir s'opposer, le cas échéant, à l'initiative de l'organisation syndicale, il est réputé avoir donné son approbation faute de réponse de sa part dans un délai de quinze jours ».
Toujours, dans la même décision, votre Conseil conclut que les dispositions déférées n'étaient pas contraires à la Constitution au motif que : « le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions sus-indiquées ; que c'est seulement sous ces réserves que l'article 29 de la loi n'est pas contraire à la liberté personnelle du salarié ».
Il ressort de la lecture de ces considérants que, dans le cadre d'une action collective où une organisation agit en présentant des cas individuels, l'utilisation de ces cas individuels est subordonnée à la connaissance qu'auront les personnes lésées de leur droit d'opposition. Il s'agit dans ce cas de ne pas enfreindre la tradition juridique française qui veut que nul ne plaide par procureur.
Or, la précision faite au premier alinéa de l'article L. 423-4-1 du code de la consommation tel qu'il ressort de l'examen du projet de loi consommation selon laquelle : « l'identité et le nombre de consommateurs sont connus » ne permet pas de s'assurer que les personnes lésées auront connaissance de leur droit d'opposition.
Par conséquent, le premier alinéa de l'article L. 423-4-1 ne fournit pas les garanties nécessaires à l'utilisation de cas individuels dans la conduite d'une action collective.
Les requérants estiment donc que la procédure d'action de groupe simplifiée présente à l'article L. 423-4-1 du code de la consommation issu de l'article 1er de la loi déférée est contraire à la liberté personnelle de la personne lésée et doit donc être regardée comme contraire à la Constitution.
I-2. Sur le non-respect du principe constitutionnel de la garantie des droits :
Les requérants estiment par ailleurs que les articles L. 423-4-1 et L. 423-11-1 du code de la consommation tels qu'ils ressortent de l'examen du projet de loi consommation sont contraires au principe constitutionnel de garantie des droits énoncé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
Le principe constitutionnel de garantie des droits se décline sous de multiples principes, eux-mêmes à valeur constitutionnelle, comme le principe de séparation de pouvoirs, des droits de la défense, de la présomption d'innocence ou du droit à un recours juridictionnel effectif.
En ce qui concerne le droit à un recours juridictionnel effectif, votre Conseil a développé une jurisprudence constante depuis ses décisions du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (3) et du 21 janvier 1994 sur la loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction (4).
A l'instar des droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif trouve un écho dans le considérant de la décision de votre Conseil en date du 28 juillet 1989 sur la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier où vous précisez, à propos des droits de la défense, qu'il s'agit de : « l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties » (5).
Or, le premier alinéa de l'article L. 423-4-1 issu de l'article 1er de la loi déférée, qui établit la chronologie afférente à la procédure d'action de groupe simplifiée dispose que : « Lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et lorsque ces consommateurs ont subi un préjudice d'un même montant, d'un montant identique par prestation rendue ou d'un montant identique par référence à une période ou à une durée, le juge, après avoir statué sur la responsabilité du professionnel, peut condamner ce dernier à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et selon des modalités qu'il fixe. »
Le deuxième alinéa du même article développe ensuite les conséquences du jugement en disposant que : « Préalablement à son exécution par le professionnel et selon des modalités et dans le délai fixés par le juge, cette décision, lorsqu'elle n'est plus susceptible de recours ordinaires ni de pourvoi en cassation, fait l'objet de mesures d'information individuelle des consommateurs concernés, aux frais du professionnel, afin de leur permettre d'accepter d'être indemnisés dans les termes de la décision. »
Il ressort de la lecture de ces alinéas que, dans le cadre de l'action de groupe simplifiée, si le professionnel dispose d'un droit de recours sur la décision du juge, mentionnée au premier alinéa de l'article L. 423-4-1, comme le précise le deuxième alinéa du même article, ce droit de recours ne concerne que le jugement sur la responsabilité du professionnel, et sur son éventuelle condamnation, et non sur l'identité et le nombre de consommateurs lésés qu'il devra indemniser.
Il ressort donc de la lecture de ces dispositions que le droit à un recours juridictionnel effectif n'a pas été respecté par le législateur.
Cette omission afférente aux droits de la défense à disposer d'un droit de recours juridictionnel effectif est d'autant plus flagrante que la procédure ordinaire d'action de groupe introduite aux articles L. 423-1 et suivants du code de la consommation issus de l'article 1er de la loi déférée mentionnent explicitement le droit à un recours juridictionnel effectif aussi bien en ce qui concerne le jugement sur la responsabilité que la définition du groupe de consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée.
En effet, le deuxième alinéa de l'article L. 423-3-1 du code de la consommation, tel qu'il résulte de l'article 1er de la présente loi, précise que : « Les mesures de publicité de la décision sont à la charge du professionnel. Elles ne peuvent être mises en œuvre qu'une fois que la décision sur la responsabilité n'est plus susceptible de recours ordinaires ni de pourvoi en cassation. »
Cet alinéa fait donc expressément mention à un droit de recours pour le professionnel droit de recours à l'endroit de la décision sur la responsabilité. Or, cette décision sur la responsabilité du professionnel, détaillée à l'article L. 423-3 du code de la consommation issu de l'article 1er de la loi déférée, doit également comporter la définition par le juge du groupe de consommateurs à l'égard desquels la responsabilité du professionnel est engagée.
En d'autres termes, lorsque le professionnel exerce son droit de recours en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 423-3-1 du code de la consommation, le professionnel peut tout aussi bien contester le jugement sur sa propre responsabilité que la définition du groupe de consommateurs à l'égard desquels sa responsabilité est engagée.
Dans le cadre de la procédure ordinaire d'action de groupe, le professionnel peut donc exercer pleinement son droit à un recours juridictionnel effectif.
L'analyse des dispositions visant à créer la procédure ordinaire d'action de groupe met ainsi en lumière l'absence de ce même droit à un recours juridictionnel effectif pour le professionnel dans le cadre de la procédure d'action de groupe simplifiée.
En effet, le droit de recours du professionnel dans le cadre de l'action de groupe simplifiée s'applique à une décision qui ne porte que sur sa responsabilité et qui, par conséquent, ignore la question de la définition du groupe de consommateurs à l'égard desquels sa responsabilité est engagée. Le premier alinéa de l'article L. 423-4-1 du code de la consommation, tel qu'il résulte de l'article 1er de la présente loi, ne laisse aucun doute sur cette dissociation entre jugements sur la responsabilité et identification des consommateurs puisque le présent alinéa dispose que le juge statue sur la responsabilité du professionnel et le condamne à indemniser les consommateurs lésés, sans pour autant les identifier.
De fait, le droit de recours du professionnel ne s'exercera pas en ce qui concerne la définition du groupe de consommateurs à l'égard desquels sa responsabilité est engagée.
Pour ces raisons, les requérants estiment que les dispositions de l'article L. 423-4-1 du code de la consommation issu de l'article 1er de la loi déférée sont contraires au principe constitutionnel de droit à un recours juridictionnel effectif et doivent donc être regardées comme contraires à la Constitution.
I-3. Sur le non-respect du principe constitutionnel de présomption d'innocence :
Les requérants estiment par ailleurs que l'article L. 423-11-1 du code de la consommation tel qu'il résulte de l'article 1er de la présente loi est contraire au même principe constitutionnel de garantie des droits.
Plus particulièrement, les requérants considèrent que les dispositions contestées sont contraires à l'exigence constitutionnelle de présomption d'innocence présente à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En effet, l'article L. 423-11-1 du code de la consommation issu de l'article 1er de la loi déférée prévoit que : « Par dérogation au deuxième alinéa de l'article L. 423-3-1, le juge peut ordonner l'exécution provisoire du jugement mentionné à l'article L. 423-3 pour ce qui concerne les seules mesures de publicité, afin de permettre aux consommateurs de se déclarer dans le délai imparti. »
Ainsi, les mesures de publicité pourront être mises en œuvre avant que la décision sur la responsabilité du professionnel ne soit plus susceptible de recours ordinaires ni de pourvoi en cassation, contrairement à ce que prévoit le deuxième alinéa de l'article L. 423-3-1.
Les requérants estiment ainsi que l'article L. 423-11-1 du code de la consommation tel qu'il résulte de l'article 1er de la présente loi est contraire au principe constitutionnel de présomption d'innocence et doit donc être regardé comme contraire à la Constitution.
II. ― S'agissant de l'article 5
II-1. Sur le non-respect du principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi :
Les requérants estiment que l'article L. 121-21-4 du code de la consommation tel qu'il résulte de la présente loi est contraire au principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
Selon la jurisprudence de votre Conseil, cette exigence découle des articles 4, 5, 6 et 18 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
La décision du 20 janvier 1981 sur la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (6) précise comment ce principe doit être analysé : « il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ».
Or, les requérants estiment qu'en ce qui concerne l'article L. 121-21-4 du code de la consommation issu de la présente loi le législateur n'a pas défini les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.
En effet, le deuxième alinéa de ce même article L. 121-21-4 du code de la consommation dispose, en ce qui concerne l'exercice du droit de rétractation, que : « Pour les contrats de vente de biens, à moins qu'il ne propose de récupérer lui-même les biens, le professionnel peut différer le remboursement jusqu'à récupération des biens ou jusqu'à ce que le consommateur ait fourni une preuve de l'expédition de ces biens, la date retenue étant celle du premier de ces faits. »
Or, il ressort de l'analyse de cet alinéa que la phrase : « la date retenue étant celle du premier de ces faits » crée une incertitude sur la date de remboursement maximale à laquelle doit se plier le professionnel.
Les requérants estiment que cette indication ne permet pas de savoir si la date évoquée correspond à celle de la « récupération des biens » par le professionnel ou à celle de la preuve, par le consommateur, de l'expédition des biens.
De cette manière, parce que les dispositions de l'article L. 121-21-4 du code de la consommation tel qu'il résulte de la présente loi ne permettent pas de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire, les requérants estiment que l'article L. 121-21-4 du code de la consommation doit être regardé comme contraire au principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité.
III. ― S'agissant de l'article 22 bis
(1) MM. Henry Roussillon et Xavier Bioy, « La liberté personnelle. Une autre conception de la liberté ? », institut fédératif de recherche « Mutation des normes juridiques », université Toulouse-I, juin 2006. (2) Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 sur la loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, considérant n° 24. (3) Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France. (4) Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 sur la loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction. (5) Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 sur la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, considérant n° 44. (6) Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 sur la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, considérant 7. (7) Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle, considérant 45. (8) Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, considérants 10 et 11.
III-1. Sur le non-respect du principe constitutionnel de respect de la vie privée :
Les requérants estiment que l'article 22 bis instituant le registre national des crédits aux particuliers est contraire au principe constitutionnel de respect de la vie privée.
Comme le précise la décision de votre Conseil du 23 juillet 1999 sur la loi portant création d'une couverture maladie universelle (7), le principe constitutionnel de respect de la vie privée tire son origine de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose que : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »
Progressivement, le Conseil constitutionnel a précisé comment le respect du principe constitutionnel de respect de la vie privée trouve à s'appliquer dans le contrôle de constitutionnalité.
La récente décision du 5 décembre 2013 sur la loi organique portant application de l'article 11 de la Constitution précise quels peuvent être les objets et la finalité de ce type de contrôle de constitutionnalité : « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».
En d'autres termes, votre Conseil reconnaît un principe de respect de la vie privée qui a pour limite les justifications liées à la préservation de l'intérêt général.
Cette approche fut déjà explicitée à l'occasion de la décision du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité (8), dans laquelle votre Conseil censura des dispositions, et notamment la création d'un traitement de données à caractère personnel facilitant le recueil et la conservation des données requises pour la délivrance du passeport français et de la carte nationale d'identité, au motif que la nature des données enregistrées, l'ampleur de ce traitement, les caractéristiques techniques et les conditions de consultation « portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ».
Il ressort de cette jurisprudence que la création de fichier à caractère personnel doit respecter des exigences de taille, d'étendues des données recueillies, de conditions de consultation, de croisement possible de ces données et d'effacement, exigences qui peuvent croître ou décroître en fonction des objectifs poursuivis par le fichier en question.
Par conséquent, il convient d'analyser la constitutionnalité du Registre national des crédits aux particuliers à l'aune de ces caractéristiques techniques et des objectifs qu'il poursuit.
En ce qui concerne l'objectif poursuivi par un tel registre, la lecture de l'exposé sommaire de l'amendement qui a introduit dans la présente loi le dispositif précité nous informe sur l'intention du législateur.
Comme cela est précisé à deux reprises dans l'exposé sommaire, l'objectif de ce registre est de : « lutter contre le surendettement en permettant une meilleure information des prêteurs sur la situation des emprunteurs individuels » ; il est ensuite précisé qu'il s'agit de : « renforcer la prévention du surendettement en responsabilisant les prêteurs et en les informant de l'état d'endettement en matière de crédits à la consommation des personnes souhaitant souscrire un nouveau crédit à la consommation ».
Enfin, l'exposé sommaire de la disposition contestée précise que : « la finalité du Registre national des crédits aux particuliers ― son objectif fondamental ― est bien de prévenir les situations de "mal-endettement”, qui résultent de la multiplication rapide et incontrôlée de dettes à la consommation (crédit renouvelable, prêt personnel ou crédit affecté) pouvant mener au surendettement des personnes ».
Ainsi, s'il est loisible au législateur d'élaborer des dispositions visant à lutter contre le surendettement, il faut rappeler que ce fichier ne révèle pas d'une importance fondamentale pour la sécurité nationale, pour la défense de l'ordre public ou pour la prévention d'infractions.
Les dispositions contestées visent à soumettre l'octroi de crédit à la connaissance préalable, non de la situation financière ou patrimoniale d'ensemble du demandeur, comme les organismes prêteurs sont déjà tenus de le faire, mais à sa situation au regard de ses emprunts.
Or, cet objectif de répertorier la situation du demandeur au regard de ses emprunts est déjà assurée par le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).
En d'autres termes, le Registre national des crédits aux particuliers n'apportera qu'une très faible plus-value par rapport au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) qui permet d'ores et déjà d'identifier les publics victimes du surendettement, mais il ne permettra pas non plus un réelle avancée en ce qui concerne l'identification préventive des publics fragiles puisque les organismes prêteurs réalisent déjà une étude de la situation financière ou patrimoniale d'ensemble du demandeur.
Au regard de la faible valeur ajoutée de ce fichier, il convient d'analyser les caractéristiques de ce dernier afin de déterminer si son ampleur, le caractère sensible des informations qu'il contient et ses modalités de consultation ne sont pas disproportionnés par rapport aux objectifs qu'il poursuit.
Or, c'est l'article L. 333-10 du code de la consommation tel qu'il résulte de la présente loi qui va déterminer l'ampleur du registre en précisant que celui-ci devra recenser : les prêts personnels amortissables, certains crédits renouvelables, certains crédits affectés ou liés, certaines autorisations de découvert ainsi que les opérations de location-vente et de location avec option d'achat.
S'il est pour l'instant difficile d'évaluer l'ampleur du dispositif, il faut signaler que le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale prévoit lui-même qu'il s'agit « de ficher en effet près de dix millions de foyers ». Il s'agit d'une évaluation qui est déjà considérable.
Le II du même article L. 333-10 du code de la consommation prévoit, pour sa part, les informations qui seront présentes dans le fichier : l'état civil de la personne qui a souscrit le crédit, l'identification de l'établissement ou de l'organisme à l'origine de la déclaration, l'identification, la catégorie et les caractéristiques du crédit, les incidents de paiement caractérisés, les situations de surendettement et les liquidations judiciaires prononcées en application du titre VII du livre VI du code de commerce, la date de mise à jour des données et le motif et la date des consultations effectuées. La somme des informations contenues dans ce fichier est donc significative.
Enfin, en ce qui concerne l'accessibilité de ces données, l'article L. 333-20 du code de la consommation issu de la loi déférée prévoit dans quelles conditions les personnels des établissements et organismes mentionnés à l'article L. 333-7 pourront consulter le Registre national des crédits aux particuliers. Il y est ainsi précisé que : « seuls les personnels des établissements et organismes mentionnés à l'article L. 333-7 individuellement désignés et habilités à cet effet, selon des procédures spécifiques internes à ces établissements et organismes, sont autorisés à consulter le Registre national des crédits aux particuliers. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article ».
Ainsi, puisqu'il revient à un décret d'assurer le respect de la vie privée, alors que cette mission relève du législateur, au terme de l'article 34 de la Constitution, les requérants estiment que le législateur n'a pas apporté toutes les garanties légales quant au respect de la vie privée.
En d'autres termes, l'ampleur du Registre national des crédits aux particuliers, qui concernera 10 millions de personnes, le caractère sensible des informations qu'il contient et ses modalités de consultation qui ne fournissent pas les garanties nécessaires apparaissent comme des manquements au principe constitutionnel de respect de la vie privée, qui ne sauraient être justifiés au regard de l'objectif poursuivi et de la faible valeur ajoutée du registre par rapport aux dispositifs légaux existants.
Ainsi, puisque la création de ce Registre national des crédits aux particuliers ne peut pas être justifiée par la poursuite de l'intérêt général, les requérants estiment que l'article 22 bis doit être déclaré contraire au principe constitutionnel de respect de la vie privée.Liens relatifs
Saisine du Conseil constitutionnel en date du 17 janvier 2014 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2014-690 DC