L'article 59 de la Constitution donne compétence au Conseil constitutionnel pour statuer, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs. Sur ce fondement, le Conseil a été saisi, à la suite des élections législatives de juin 2012, de 108 réclamations formées par des candidats ou des électeurs ainsi que de 238 saisines de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux qui avaient été constatés à l'issue des élections de juin 2007 (592 réclamations et 507 saisines de la CNCCFP).
S'agissant du nombre des réclamations, cette baisse s'explique par le fait que, en 2007, 461 réclamations, pour la plupart identiques, tendaient à contester la délimitation des circonscriptions législatives. La révision de cette délimitation, que le Conseil constitutionnel avait appelée de ses vœux dans ses observations faisant suite aux élections législatives de 2002 et 2007, a été réalisée par l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, ratifiée par la loi n° 2010-165 du 23 février 2010. A la suite de cette réforme, le Conseil n'a été saisi en 2012 d'aucun grief sur la question de l'égalité devant le suffrage. Pour le reste, si on écarte la question du découpage électoral, le nombre des réclamations enregistrées en 2012 n'est pas très différent de celui des réclamations enregistrées en 2007.
S'agissant du nombre des saisines de la CNCCFP, la baisse s'explique principalement par la modification de l'article L. 52-12 du code électoral, opérée par l'article 10 de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique, qui a dispensé de déposer un compte de campagne les candidats qui ont obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés et qui n'ont pas reçu de dons de personnes physiques conformément à l'article L. 52-8 du code électoral.
Dans ses observations faisant suite aux élections de 2007, le Conseil constitutionnel avait proposé une telle réforme et calculé que, appliquée aux élections de 2007, une telle dispense de dépôt du compte de campagne pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages exprimés aurait entraîné une réduction de 2421 dossiers soumis à la CNCCFP et de 315 saisines du Conseil constitutionnel. En 2012, 6 603 candidats se sont présentés aux élections législatives ; 2 221 candidats étaient dispensés de déposer un compte. L'effet attendu de cette réforme a donc été atteint.
La baisse du nombre de saisines du Conseil constitutionnel s'explique en outre, dans une moindre mesure, par la disparition des cas d'absence de désignation du mandataire financier par les candidats (en 2007, le Conseil constitutionnel avait été saisi de 37 cas). En effet, l'article 12 de la loi du 14 avril 2011 a complété l'article L. 154 du code électoral par un troisième alinéa qui conditionne la recevabilité de la candidature à la désignation du mandataire financier. Cette réforme, que le Conseil constitutionnel avait appelée de ses vœux dans ses observations relatives aux élections de juin 2007, a produit l'effet escompté.
Bien que la loi ne lui impose aucun délai, le Conseil constitutionnel s'est fixé pour objectif de traiter ce contentieux le plus rapidement possible. Il a procédé à l'examen de ces réclamations et saisines en quatre étapes et a ainsi jugé :
― dès juillet et août 2012 les 53 réclamations qui ne nécessitaient pas d'instruction contradictoire dès lors que soit elles étaient irrecevables, soit elles ne contenaient que des griefs qui ne pouvaient manifestement pas avoir d'incidence sur le résultat du scrutin ;
― en octobre 2012, les réclamations soumises à instruction contradictoire mais ne comportant pas de grief financier. Dans cette série, il a annulé les opérations électorales dans trois circonscriptions (1) ;
― de novembre 2012 à janvier 2013, les réclamations pour lesquelles, en raison de griefs financiers, le Conseil constitutionnel devait attendre la décision de la CNCCFP sur les comptes de campagne. Il a confirmé le rejet des comptes de campagne de trois députés, les a déclarés inéligibles et a annulé en conséquence les opérations électorales (2). Il a également annulé les opérations électorales dans une autre circonscription pour des motifs non financiers (3) ;
― de janvier à mai 2013, les saisines de la CNCCFP. A cette occasion, le Conseil était notamment saisi du rejet des comptes de campagne de trois députés. Dans un cas, il a infirmé ce rejet (4) et, dans les deux autres, tout en le confirmant, il n'a pas prononcé l'inéligibilité des députés élus (5).
En définitive, le Conseil constitutionnel a donc annulé les opérations électorales dans sept circonscriptions, ce qui a conduit à l'organisation d'élections partielles.
Pour l'examen de ces affaires, le Conseil a, lorsqu'il s'estimait insuffisamment informé par les pièces de la procédure, procédé à diverses mesures d'instruction. Il a ainsi saisi de demandes d'information le président de la CNCCFP, le président de l'Assemblée nationale, le ministère de l'intérieur, un préfet et un éditeur.
Le Conseil a procédé à l'audition des parties dans douze affaires.
A l'issue de ce contentieux, le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire, comme par le passé, de formuler des observations s'agissant, en particulier, des règles de financement des campagnes électorales et de l'examen par le Conseil constitutionnel des saisines de la CNCCFP.
1. La campagne électorale et les opérations de vote
A. ― Les requêtes électorales contenaient notamment des griefs qui, pour l'essentiel, ne manifestaient pas l'existence de problèmes particuliers posés par les règles relatives à la campagne électorale.
Le Conseil constitutionnel relève toutefois le fait que l'usage d'internet est susceptible de poser des questions nouvelles au juge électoral.
L'utilisation de listes de diffusion par internet est, toutes choses égales par ailleurs, du même ordre que l'usage de listes de diffusion postale. Ainsi, le Conseil prend en compte les irrégularités pouvant résulter de l'envoi par internet de documents (6). De la même manière, il admet que des sites internet usurpant l'identité d'un candidat puissent constituer des manœuvres excédant les limites de la polémique électorale (7). Toutefois, pour prendre en compte ces manœuvres au regard de l'écart des voix, le Conseil doit disposer d'éléments produits par le requérant relatifs à l'ampleur de la diffusion, ou à l'importance de l'audience du site.
Des griefs relatifs au « blog » d'une personne candidate aux élections législatives et de liens vers ce blog sur des sites officiels (du conseil général du département ou de l'Assemblée nationale) ont également été soulevés. Le Conseil constitutionnel, adoptant une approche pragmatique, a considéré que de tels liens ne pouvaient être considérés, « en l'absence de tout élément faisant la promotion du candidat », comme un concours prohibé par l'article L. 52-8 du code électoral (8). Il en va de même pour la publication d'une lettre du candidat au président d'une association sur le site internet de cette association (9). De même, les éléments d'information figurant sur le site internet du candidat élu ne peuvent être regardés comme une campagne de promotion publicitaire (10).
Ainsi, bien que l'usage d'internet pose des questions nouvelles, celles-ci paraissent pouvoir trouver une solution dans le cadre de l'application des règles générales qui encadrent la campagne électorale et ne semblent pas rendre nécessaire, à ce stade, une adaptation de la législation pour prendre en compte de manière spécifique ces nouvelles technologies de la communication et les usages qui peuvent en être faits.
B. ― Les requêtes électorales contenaient également des griefs relatifs aux opérations de vote. Si les contestations habituelles relatives à la régularité des bulletins de vote, des procurations, des listes d'émargement ou des procès-verbaux établis n'appellent pas de remarques particulières, le Conseil constitutionnel relève que la tenue des bureaux de vote pose parfois quelques difficultés. Il importe de rappeler les obligations de neutralité qui s'imposent aux personnes tenant les bureaux de vote, cette neutralité devant normalement se traduire jusque dans leur habillement (11), et qui est exigeante en cas d'usage de machines à voter (12). Pour autant, dans le silence de la législation, certains requérants semblent penser, à tort, que des agents municipaux ne sauraient être assesseurs, alors que rien ne fait obstacle à cela dès lors qu'ils sont électeurs dans la commune ou dans le département. Or, comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé, ce qui importe est la neutralité de leur comportement (13). Toutefois, dans la mesure où des communes rencontrent des difficultés pour trouver des citoyens volontaires pour assurer la tenue des bureaux de vote le jour de l'élection, il serait sans doute nécessaire qu'une réflexion soit engagée sur les conditions dans lesquelles doit être assurée la tenue des bureaux de vote et peuvent être choisis les assesseurs. Cette réflexion pourrait également porter sur les horaires d'ouverture des bureaux de vote (14). Si le Conseil constitutionnel a appelé à une réforme sur ce dernier point pour les élections présidentielles, à l'occasion de ses observations sur l'élection présidentielle des 22 avril et 6 mai 2012 (15), celle-ci pourrait sans doute être étendue avec profit aux élections législatives.
2. Le délai de dépôt du compte de campagne
Le deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral prévoit que chaque candidat présent au premier tour dépose à la CNCCFP son compte de campagne et ses annexes, accompagné des justificatifs de ses recettes ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par le candidat ou pour son compte. Ce compte doit être déposé, depuis la modification introduite par la loi du 14 avril 2011 précitée, au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. Le compte de campagne est présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et des comptables agréés qui met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requises.
Pour les candidats dans les circonscriptions des Français établis hors de France, l'article L. 330-9-1 du code électoral reporte la date de dépôt du compte au quinzième vendredi suivant la date du jour où l'élection a été acquise.
Le non-dépôt du compte de campagne dans le délai prescrit fait partie des cas dans lesquels, en vertu de l'article L. 52-15 du code électoral, la CNCCFP saisit le juge de l'élection.
Les délais fixés par ces deux articles imposaient donc que les comptes de campagne soient déposés auprès de la CNCCFP :
― avant le 10 août 2012, à 18 heures, pour les candidats en Polynésie française (1er tour de scrutin le 2 juin 2012) ;
― avant le 28 septembre 2012, à 18 heures, pour les candidats dans les circonscriptions des Français établis hors de France ;
― avant le 17 août 2012, à 18 heures, pour les autres candidats.
Le Conseil a estimé que le dépôt tardif du compte de campagne à la CNCCFP justifiait une inéligibilité d'un an. Il ne s'est toutefois pas interdit d'exonérer de cette inéligibilité un candidat qui pouvait justifier de circonstances l'ayant effectivement empêché de déposer son compte dans les délais. Mais lorsqu'était simplement invoquée en particulier l'absence de diligence du mandataire financier ou de l'expert comptable, le Conseil constitutionnel a rappelé que le dépôt du compte de campagne est une obligation à laquelle le candidat est personnellement tenu.
3. Les conditions de saisine du Conseil constitutionnel par la CNCCFP
* Le troisième alinéa de l'article L. 52-15 du code électoral prévoit que la CNCCFP saisit le juge de l'élection, en l'occurrence le Conseil constitutionnel :
― lorsqu'elle a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit ;
― si le compte a été rejeté ; ou
― si, le cas échéant après réformation, le compte fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales.
* En vertu de l'article LO 136-1, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible le candidat :
― dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ;
― qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 ;
― dont le compte a été rejeté à bon droit, en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales.
* Les dispositions des articles L. 52-15 et LO 136-1 ne concordent donc pas sur un point : lorsque la CNCCFP constate que le compte n'a pas été déposé dans les conditions de l'article L. 52-12, le Conseil constitutionnel est saisi d'un compte « rejeté ». Lorsqu'il se prononce sur l'inéligibilité du candidat, il ne s'agit pas d'un cas de « rejet à bon droit », mais d'un cas de constat de la violation des conditions de l'article L. 52-12.
Il serait donc souhaitable que soit harmonisée la rédaction de ces deux dispositions afin de réserver le rejet du compte par la CNCCFP aux autres cas que ceux dans lesquels le compte n'a pas été déposé dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12.
4. Les règles de financement de la campagne électorale pour les députés élus par les Français établis hors de France
Pour la première fois, à l'occasion du scrutin de juin 2012, étaient élus des députés dans onze circonscriptions des Français établis hors de France, conformément à la modification de l'article 24 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 prévoyant la représentation des Français établis hors de France à l'Assemblée nationale.
Sans aborder la question de la représentation parlementaire globale des Français établis hors de France, qui se posera sans doute lorsque le législateur voudra réformer la répartition actuelle des sièges de sénateurs, le Conseil constitutionnel souhaite évoquer les questions de financement des campagnes électorales dans les circonscriptions législatives des Français établis hors de France.
Le législateur a fait le choix d'adapter certaines règles relatives aux campagnes électorales et aux opérations électorales applicables sur le territoire national afin de prendre en compte les particularités des circonscriptions des Français établis hors de France.
A ce titre, l'ordonnance n° 2009-936 du 29 juillet 2009 relative à l'élection de députés par les Français établis hors de France, tout en prévoyant une application des dispositions du titre Ier du livre Ier du code électoral relatives au financement de la campagne électorale, a introduit les dispositions suivantes :
― l'association de financement ou le mandataire financier est déclaré à Paris et le compte unique est ouvert en France (article L. 330-7 du code électoral) ;
― la population prise en compte pour le calcul des plafonds de dépenses est celle authentifiée chaque année par décret (article L. 330-8) ;
― les frais de transport exposés par le candidat à l'intérieur de la circonscription ne sont pas inclus dans le plafond des dépenses et font l'objet d'un remboursement forfaitaire, dans la limite de plafonds fixés par zones géographiques (article L. 330-9) ;
― le taux de change avec les devises étrangères est celui en vigueur au 1er janvier précédant l'élection (article L. 330-10) (16).
Lors de la ratification de cette ordonnance par la loi n° 2011-411 du 14 avril 2011, le législateur a souhaité prévoir des adaptations supplémentaires :
― une personne par pays de la circonscription peut être autorisée par le mandataire à régler des dépenses mentionnées dans l'autorisation, lesquelles lui sont ensuite remboursées par le mandataire (premier alinéa de l'article L. 330-6-1) ;
― dans les pays où la monnaie n'est pas convertible, dans ceux où les transferts financiers en France sont impossibles et dans ceux où existe un contrôle des changes faisant obstacle en tout ou partie aux transferts nécessaires aux dépenses électorales (17), la personne autorisée par le mandataire peut ouvrir un compte spécial pour déposer les fonds collectés pour la campagne, et dans la limite des fonds disponibles, régler à partir de ce compte spécial les dépenses mentionnées dans l'autorisation (deuxième alinéa de l'article L. 330-6-1) ;
― le compte de campagne doit être déposé avant 18 heures le quinzième vendredi suivant le tour de scrutin où l'élection a été acquise (article L. 330-9-1) (18).
Le législateur a donc fait le choix de dérogations très encadrées et limitatives aux obligations applicables aux candidats dans les circonscriptions situées sur le territoire national.
Le nombre de candidats dans les circonscriptions des Français établis hors de France dont le compte de campagne a été rejeté par la CNCCFP (trente-deux), par rapport au nombre total de candidats dans ces circonscriptions qui étaient tenus de déposer un compte de campagne (cent vingt-trois), a révélé une proportion de rejets de compte (26,8 %) bien supérieure à celle pouvant être constatée en moyenne pour les élections législatives de 2012 (5,36 %).
Le Conseil constitutionnel a ainsi été conduit à juger la situation de trente-deux candidats dans les circonscriptions des Français établis hors de France dont le compte de campagne avait été rejeté par la CNCCFP. Il a confirmé le rejet du compte pour vingt-neuf candidats. Si certains des motifs de rejet ne différaient pas de ceux qui se rencontrent pour les candidats dans les circonscriptions situées sur le territoire national (absence de dépôt du compte de campagne dans huit cas ; défaut de présentation par un membre de l'ordre des experts-comptables dans cinq cas ; absence de déclaration du mandataire financier dans un cas), d'autres motifs de rejet ont paru traduire les difficultés particulières rencontrées par les candidats dans ces circonscriptions législatives.
D'une part, le nombre de candidats ayant effectué directement une part de leurs dépenses de campagne, sans passer par le mandataire financier, a été relativement élevé : on dénombre ainsi dix candidats (19). Dans un seul cas, les dépenses ainsi engagées étaient suffisamment négligeables au regard du plafond des dépenses autorisées (501 euros, correspondant à moins de 0,5 % du plafond autorisé) pour que le Conseil fasse usage de la faculté qui lui a été ouverte par le législateur organique en 2011 de ne pas déclarer inéligible le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit (20).
D'autre part, le rejet du compte de campagne en raison de l'utilisation de plusieurs comptes bancaires dans des conditions non conformes à la législation a été confirmé par le Conseil constitutionnel dans six cas (21).
Ces chiffres révèlent les difficultés que soulève l'application des règles en vigueur aux candidats dans les circonscriptions des Français établis hors de France.
La règle demeure le compte unique, ouvert en France. Elle souffre toutefois de deux dérogations, limitées à des dépenses énumérées expressément par le mandataire, qui ne recouvrent pas le même champ, puisque la première est générale (pour tous les Etats de toutes les circonscriptions) mais limitée dans son objet (désignation d'une personne par pays par le mandataire financier pour effectuer certaines dépenses à partir de son compte personnel) tandis que la seconde est restreinte à certains Etats limitativement énumérés par le pouvoir réglementaire mais permet un plus grand nombre d'opérations (compte spécial propre pouvant recevoir des dons). La confusion du mandataire et du titulaire du compte spécial n'est pas admise (22).
La rigueur et la complexité du régime sont accrues par l'imprécision des mesures d'application : l'article L. 330-6-1 renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer ses modalités d'application. L'article 1er du décret n° 2011-843 du 15 juillet 2011 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France introduit au sein de la partie réglementaire du code un article R. 175-1, aux termes duquel : « La liste des pays pour lesquels il peut être fait application de l'article L. 330-6-1 est établie par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre des affaires étrangères. / Lors du dépôt du compte de campagne, le montant des dépenses réglées et des dons recueillis dans ces pays doit être converti en euros. Les pièces justificatives relatives aux comptes spéciaux ouverts dans ces pays doivent faire l'objet d'une traduction en français ».
Cette rédaction est ambiguë puisqu'elle laisse entendre qu'il ne peut être fait application de l'article L. 330-6-1 que dans les pays dont la liste sera dressée par arrêté conjoint des deux ministres. En réalité, ces dispositions doivent être lues comme renvoyant audit arrêté pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 330-6-1 et non de l'article dans son ensemble. En effet, le pouvoir réglementaire n'aurait pas été compétent pour restreindre la portée du premier alinéa de l'article L. 330-6-1 du code électoral. Seule l'ouverture d'un compte spécial dans un pays de la circonscription est conditionnée par la mention du pays en cause dans la liste définie par arrêté.
L'imprécision est accrue par l'arrêté lui-même, pris le 5 octobre 2011, lequel dispose, en son article 1er, que : « La liste des pays dans lesquels le mandataire d'un candidat aux élections législatives peut, en application du premier alinéa de l'article L. 330-6-1 du code électoral, autoriser une personne à ouvrir un compte spécial est fixée dans l'annexe au présent arrêté ». Ce n'est à l'évidence pas au premier alinéa de l'article L. 330-6-1 que l'arrêté aurait dû se référer mais au deuxième, relatif aux possibilités d'ouverture d'un compte spécial.
Compte tenu de la fréquence élevée des problèmes liés aux comptes de campagne, il serait sans doute opportun que, avant le prochain renouvellement général de l'Assemblée nationale, le législateur procède à un examen complet des conditions de financement des campagnes des députés élus dans les circonscriptions des Français établis hors de France, afin d'apprécier s'il y a lieu de maintenir le dispositif actuel ou si des adaptations ou des dérogations supplémentaires doivent être adoptées afin de tenir compte des spécificités de la campagne électorale dans les circonscriptions des Français établis hors de France.
L'occasion pourrait alors être saisie d'une clarification des textes réglementaires applicables, lesquels mériteraient en tout état de cause d'être publiés au moins un an avant les élections.
5. La sanction de la méconnaissance des règles relatives au financement de la campagne électorale
5.1. La loi organique du 14 avril 2011 a réformé le régime de sanction, par le juge électoral, de la méconnaissance des obligations auxquelles les candidats sont tenus en matière de dépôt du compte de campagne et de financement de la campagne.
Les trois premiers alinéas de l'article LO 136-1 du code électoral prévoient la possibilité, pour le Conseil constitutionnel, de déclarer inéligible le candidat dans trois cas différents : en cas de dépassement du plafond des dépenses, lorsque le candidat n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits à l'article L. 52-12 et si le compte de campagne a été rejeté à bon droit. Dans les deux premiers cas, le Conseil constitutionnel « peut » prononcer l'inéligibilité ; dans le troisième cas, il doit le faire, mais seulement « en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
La différence des rédactions ne conduit pas véritablement à une règle différente : l'inéligibilité est toujours facultative et le Conseil constitutionnel ne la prononce que lorsqu'il estime que l'irrégularité constatée présente un degré de gravité suffisant. Par suite, une harmonisation de la rédaction selon l'une ou l'autre des rédactions favoriserait la lisibilité de la loi.
S'agissant de la faculté, pour le Conseil constitutionnel, de ne pas prononcer d'inéligibilité, elle a été mise en œuvre à trente-sept reprises, dans dix-huit cas parce que le Conseil constitutionnel a estimé que le candidat avait pu régulariser sa situation en apportant les justificatifs au cours de la procédure, et, dans dix-neuf cas (dont trois députés élus), parce que l'irrégularité constatée ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour justifier une déclaration d'inéligibilité.
Ainsi, par exemple, par plusieurs décisions, la CNCCFP a estimé que l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) versée par l'Assemblée nationale aux députés ne pouvait être affectée, au titre de l'apport personnel du candidat au financement de sa campagne électorale sans méconnaître les dispositions de l'article L. 52-8 du code électoral. Approuvant le rejet du compte, lorsqu'un tel financement était établi, le Conseil constitutionnel a jugé que l'indemnité représentative de frais de mandat correspond, selon les termes du 3° du paragraphe II de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale, à une indemnité versée à titre d'allocation spéciale pour frais par les assemblées à tous leurs membres et que par suite, n'étant destinée qu'à couvrir des dépenses liées à l'exercice du mandat de député, elle ne pouvait, conformément à la disposition précitée du code électoral, être affectée au financement d'une campagne électorale à laquelle le député est candidat.
Toutefois, relevant les interprétations successives relatives à l'utilisation de l'indemnité représentative de frais de mandat, il a été décidé qu'il n'y avait pas lieu de déclarer les candidats en cause inéligibles à tout mandat en application de l'article LO 136-1 du code électoral.
A la suite des décisions du Conseil constitutionnel levant toute ambiguïté, une telle pratique, si elle venait à être constatée dans l'avenir, pourrait caractériser la méconnaissance d'une obligation substantielle dont le candidat ne pouvait méconnaître la portée l'exposant ainsi au prononcé d'une inéligibilité.
5.2. Dans ses observations relatives aux élections législatives de juin 2007, le Conseil constitutionnel avait appelé de ses vœux une réforme tendant à ce que soient étendues « par une disposition organique, aux élections législatives les dispositions de l'article L. 118-3 du code électoral qui permettent au juge, pour les élections locales, de ne pas prononcer l'inéligibilité du candidat dont la bonne foi est établie ». C'est une solution différente qui a été retenue par la loi organique du 14 avril 2011 précitée.
Le quatrième alinéa de l'article LO 136-1 du code électoral dispose, en sa première phrase : « L'inéligibilité déclarée sur le fondement des trois premiers alinéas du présent article est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections ». Le législateur organique a ainsi, d'une part, fortement aggravé la sanction prévue jusqu'alors (la durée d'inéligibilité étant limitée à un an et l'inéligibilité ne valant que pour le type d'élection concerné) et, d'autre part, confié au juge électoral un pouvoir de modulation de la sanction dans la limite d'un plafond.
Cette évolution tend à conférer une dimension plus répressive à la fonction de juge électoral et, par suite, à rendre moins claire la distinction entre l'office du juge électoral, juge de la régularité objective des opérations électorales y compris dans leur dimension financière, et l'office du juge répressif à qui est confié le soin de constater et de réprimer, dans le cadre des garanties procédurales applicables à toute procédure répressive, l'éventuelle commission d'infractions pénales prévues notamment par le code électoral.
Le Conseil constitutionnel a tiré des conséquences de cette évolution. Il a ainsi, pour les élections de juin 2012, renoncé à statuer par des décisions collectives sur la situation de candidats ayant méconnu la même règle dans les mêmes conditions (non-dépôt ou dépôt tardif du compte de campagne, non-présentation du compte par un membre de l'ordre des experts-comptables). Ainsi, en 2013, les 238 saisines de la CNCCFP ont été jugées par 238 décisions tandis qu'en 2007 les 507 saisines de la CNCCFP avaient été jugées par 108 décisions (dont 11 décisions collectives).
L'orientation résultant de la réforme du 14 avril 2011 interroge néanmoins quant à l'adéquation entre, d'une part, les règles électorales dont le candidat est, en cette qualité, personnellement tenu, quand bien même leur méconnaissance pourrait être imputable à d'autres que lui (le mandataire financier, le candidat remplaçant, l'expert-comptable...), et, d'autre part, le niveau des garanties procédurales et le degré d'individualisation de la sanction que le nouveau régime de sanction instauré paraît justifier.
La difficulté n'est pas d'ordre constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé notamment que la possibilité qu'une inéligibilité soit prononcée pour les deux membres du binôme électoral dans le cadre des élections départementales ne méconnaît pas le principe d'individualisation des peines (décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 29 et 30).
Il paraît toutefois de bonne administration de la justice et plus intelligible pour le justiciable que l'office du juge électoral et l'office du juge répressif soient plus clairement distingués. Si le législateur retenait cette orientation, il conviendrait de restaurer le caractère forfaitaire de la sanction d'inéligibilité, tout en maintenant la faculté, pour le Conseil constitutionnel, d'en dispenser le candidat dont la bonne foi est établie.
5.3. L'instruction contradictoire par le Conseil constitutionnel des 238 saisines de la CNCCFP l'a conduit à constater que, dans près de la moitié des cas, le candidat à qui la décision de la CNCCFP avait été communiquée, n'a pas pris la peine de formuler des observations. Encore faut-il ajouter que certains candidats n'avaient pas non plus souhaité répondre à la CNCCFP dans le cadre de la procédure contradictoire devant elle et que, parmi les personnes qui ont présenté des observations devant le Conseil constitutionnel, une part significative ne contestait pas l'irrégularité constatée. Ainsi, la part des décisions dans lesquelles le Conseil constitutionnel a été appelé à statuer sur une contestation quant au respect des règles de financement électoral ou quant au prononcé de l'inéligibilité est assez réduite.
Dès lors que l'examen des comptes de campagne donne lieu à une instruction contradictoire devant la CNCCFP, on peut s'interroger sur le point de savoir s'il est nécessaire que le Conseil constitutionnel soit systématiquement saisi de la situation de tous les candidats dont le compte de campagne a été rejeté ou pour lesquels la CNCCFP a constaté que le compte n'avait pas été déposé dans les conditions et le délai de l'article L. 52-12 du code électoral.
L'objectif de bonne administration de la justice pourrait conduire à envisager un dispositif reposant sur l'inversion du contentieux : la décision de la CNCCFP rejetant le compte de campagne ou constatant qu'il n'a pas été déposé dans les conditions ou le délai prescrits par l'article L. 52-12 entraînerait de plein droit l'inéligibilité du candidat pour une durée fixée par la loi, à moins que, dans un délai à compter de la notification de la décision de la CNCCFP au candidat, ce dernier ne saisisse le Conseil constitutionnel d'une contestation. Il appartiendrait alors au Conseil constitutionnel de statuer sur cette contestation et d'apprécier, d'une part, si les règles de financement de la campagne ou de dépôt du compte de campagne ont été respectées et, d'autre part, si la violation de ces règles appelle ou non que soit prononcée l'inéligibilité du candidat.
5.4. Enfin, lorsque, en vertu de l'article LO 136-1 du code électoral, le Conseil constitutionnel déclare un candidat inéligible, cette inéligibilité, en l'absence de toute précision du texte, s'applique à compter de sa décision et non à compter de l'élection à laquelle s'est présenté le candidat.
L'article LO 128 du code électoral dans sa rédaction issue de la loi organique n° 90-383 du 10 mai 1990 relative au financement de la campagne en vue de l'élection du Président de la République et de celle des députés prévoyait que la déclaration d'inéligibilité était applicable à compter de l'élection. A l'époque, l'inéligibilité n'était prononcée que pour un an et, compte tenu du délai de traitement des dossiers contentieux, n'avait alors guère de conséquences pratiques. C'est pourquoi cette précision a été supprimée par l'article 9 de la loi organique n° 95-62 du 19 janvier 1995 modifiant diverses dispositions relatives à l'élection du Président de la République et à celle des députés à l'Assemblée nationale.
Le Conseil n'est saisi par la CNCCFP des rejets des comptes de campagne qu'en fin d'année, voire en début d'année suivante. Par conséquent, ses décisions prononçant des inéligibilités sont essentiellement concentrées au cours des mois de février à mai de l'année suivant les élections législatives. Or, ces mois de l'année correspondent au calendrier des élections locales. Jusqu'à la réforme du 14 avril 2011, une telle coïncidence n'aurait pas eu d'incidence, dans la mesure où l'inéligibilité prononcée était spécialisée. Dès lors que l'inéligibilité est devenue générale, le fait qu'une décision d'inéligibilité d'une année prononcée par le Conseil intervienne à la fin du mois de février 2013 ou à la fin du mois de mars 2013 a pour conséquence de faire obstacle à une candidature aux élections municipales de 2014 dans le second cas et non dans le premier. Ainsi, en fonction de la durée de la procédure, la sanction d'inéligibilité prononcée n'a pas du tout la même portée pour tous les candidats déclarés inéligibles.
Pour éviter de trop grandes disparités entre les candidats déclarés inéligibles, sans revenir sur le principe que la sanction d'inéligibilité doit être effective, il serait souhaitable que le législateur prévoie que le point de départ de la période au cours de laquelle le candidat est inéligible est la date de l'élection. La durée de l'inéligibilité pourrait être fixée à deux ans pour tenir compte du fait que la décision intervient dans un délai moyen de huit mois après l'élection.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 juillet 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.Liens relatifs
Observations relatives aux élections législatives de juin 2012