La Commission nationale de l'informatique et des libertés,
Saisie par le ministère de la justice et des libertés d'une demande d'avis portant sur un projet de décret relatif au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et modifiant le code de procédure pénale ;
Vu la convention n° 108 du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ;
Vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et la libre circulation de ces données ;
Vu le code de procédure pénale, notamment ses articles 706-53-1 à 706-53-12 et R. 53-8-1 à R. 53-8-39 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment son article 26 ;
Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;
Vu la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale ;
Vu le décret n° 98-632 du 23 juillet 1998 modifiant les articles R. 82 et R. 84 du code de procédure pénale et relatif aux modalités de délivrance du bulletin n° 3 du casier judiciaire ;
Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par le décret n° 2007-401 du 25 mars 2007 ;
Vu la délibération n° 2009-200 du 16 avril 2009 portant avis sur sept articles du projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ;
Après avoir entendu Mme Claire DAVAL, commissaire, en son rapport et Mme Elisabeth ROLIN, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La Commission a été saisie par le ministère de la justice et des libertés d'une demande d'avis portant sur un projet de décret relatif au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) et modifiant le code de procédure pénale.
Le FIJAIS a été créé par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « loi Perben II ». Il est destiné à prévenir le renouvellement des infractions à caractère sexuel ou violentes et à faciliter l'identification de leurs auteurs, et relève à ce titre des dispositions de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Les personnes inscrites dans ce fichier sont astreintes à deux obligations principales : celle de justifier de leur adresse régulièrement (régime annuel, semestriel ou mensuel si la dangerosité de la personne le justifie ou pour les personnes condamnées en état de récidive légale) et celle de déclarer tout changement d'adresse dans les quinze jours.
Sont enregistrées les informations relatives à l'identité et aux adresses des personnes concernées ainsi qu'à la décision ou la mesure justifiant l'inscription au FIJAIS. Les informations sont conservées pendant vingt ou trente ans selon la gravité de l'infraction commise. Tenu par le service du casier judiciaire sous l'autorité du ministre de la justice, le FIJAIS est alimenté directement par les magistrats intervenant dans la procédure pénale ainsi que par les services de police ou les unités de gendarmerie. Il peut être directement interrogé par les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire, les préfets et les administrations de l'Etat.
Les modifications projetées visent à mettre en application la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle, dont les dispositions ont, pour certaines, déjà été examinées par la commission à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) en 2009.
Sur les données traitées :
L'article R. 53-8-7 du code de procédure pénale prévoit que le FIJAIS enregistre des données relatives à la personne elle-même, à la ou aux décisions ayant donné lieu à son inscription dans le traitement ainsi que des informations diverses.
Le projet de décret en Conseil d'Etat, soumis pour avis à l'examen de la commission, ne prévoit pas d'ajouter de nouvelles données relatives aux informations relatives à la personne elle-même.
En revanche, l'article 3 du projet de décret prévoit d'ajouter les dates de mise sous écrou et de libération à la liste des informations relatives à la ou aux décisions ayant donné lieu à l'enregistrement.
Cette modification vise à mettre en conformité l'article R. 53-8-7 du code de procédure pénale avec la nouvelle rédaction de l'article 706-53-7 du même code, qui permet aux agents des greffes spécialement habilités par les chefs d'établissement pénitentiaire de consulter le FIJAIS à partir de l'identité de la personne incarcérée, notamment afin de pouvoir enregistrer les dates de mise sous écrou et de libération.
La commission considère dès lors que cette modification, directement issue de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010, n'appelle pas d'observation particulière au regard de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
En outre, le même article prévoit d'ajouter à la catégorie des « informations diverses » la date et le motif de l'inscription au fichier des personnes recherchées (FPR).
Tout manquement à l'une des obligations incombant aux personnes inscrites au FIJAIS (obligation de justifier de son adresse et obligation de déclarer un changement d'adresse) entraîne leur inscription au FPR. Dès lors, l'enregistrement de la date et du motif de l'inscription au FPR permettra à l'application FIJAIS, dans un processus qui pourra être automatisé, d'aviser le gestionnaire du FPR lorsque la personne a régularisé sa situation et justifié de son adresse.
Le projet de décret ne mentionne aucune modalité pratique de cette interconnexion entre le FIJAIS et le FPR, autorisée par l'article 706-53-11 du code de procédure pénale. La Commission prend acte que ces échanges sont actuellement en cours d'étude et qu'un dossier complémentaire lui sera adressé sur ce point.
Sur l'ajout d'un nouveau destinataire : le personnel des greffes pénitentiaires :
L'article 12 de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 a introduit à l'article 706-53-7 du code de procédure pénale un nouvel alinéa permettant « aux agents des greffes spécialement habilités par les chefs d'établissement pénitentiaire, à partir de l'identité de la personne incarcérée » d'accéder directement aux informations contenues dans le fichier « pour vérifier qu'elle a fait l'objet de l'information mentionnée à l'article 706-53-6 et pour enregistrer les dates de mise sous écrou et de libération ainsi que l'adresse du domicile déclaré par la personne libérée ».
L'article 11 du projet de décret en Conseil d'Etat, soumis pour avis à l'examen de la commission, vise à mettre en application cette disposition, en permettant au personnel des greffes pénitentiaires d'accéder au traitement à ces seules fins.
La commission rappelle qu'elle a déjà eu à connaître de ce projet de modification, à l'occasion de l'examen du projet de LOPPSI. Le ministère justifiait alors cette évolution législative par des considérations pratiques : de cette manière, le greffe, lors de la mise sous écrou d'une personne, pourrait vérifier si elle est inscrite au FIJAIS, et mettre à jour si besoin les informations. Ainsi, les personnes consultant le FIJAIS bénéficieraient d'une information actualisée. Lors de la libération d'une personne, le greffe pourrait enregistrer dans l'application la date de notification des obligations et mettre à jour sur la base l'adresse déclarée par la personne à sa sortie.
La commission constate que les remarques et demandes qu'elle avait formulées à l'occasion de l'examen de ce projet de loi ont été prises en compte, tant dans la rédaction de l'article 12 de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 que de l'article 11 du projet de décret en Conseil d'Etat mettant en œuvre cette disposition : la consultation du FIJAIS ne peut se faire qu'à partir de l'identité de la personne incarcérée ; seuls les agents des greffes spécialement habilités par les chefs d'établissement peuvent avoir accès au traitement.
La commission prend donc acte des garanties ainsi obtenues sur ce point.
Concernant la sécurisation de cet accès, elle prend acte que chaque agent de greffe sera spécialement habilité et disposera d'un identifiant individuel alphanumérique à sept caractères et d'un mot de passe individuel alphanumérique à huit caractères attribués aléatoirement. Par ailleurs, la commission prend acte que l'application, conformément à l'article R. 53-8-34 du code de procédure pénale, conservera pendant une durée de trois ans les informations relatives aux enregistrements et interrogations dont elle fait l'objet par les agents des greffes pénitentiaires spécialement habilités, en précisant la qualité de la personne ou autorité ayant procédé à l'opération.
Elle estime dès lors que ces mesures sont de nature à garantir un accès sécurisé, une gestion des habilitations et une traçabilité conformes aux exigences de l'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Enfin, elle observe que les modifications projetées n'introduisent pas de changement concernant la sécurité générale du traitement, sur laquelle la commission s'est déjà prononcée dans ses précédentes délibérations relatives au FIJAIS (délibérations n° 2005-039 du 10 mars 2005 et n° 2007-326 du 8 novembre 2007).
Sur la suppression de la possibilité de justifier directement de son adresse auprès du gestionnaire du FIJAIS :
L'article 7 du projet de décret vise à supprimer la possibilité de justifier directement de son adresse auprès du gestionnaire du FIJAIS afin de mettre en application les dispositions de la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010.
La commission a eu l'occasion de se prononcer sur cette modification à l'occasion de l'examen du projet de loi LOPPSI. Le Gouvernement avait expliqué que la suppression de la justification de domicile au gestionnaire du FIJAIS avait pour objectifs de simplifier les obligations des personnes inscrites en limitant le choix des modalités de justification, et de renforcer la connaissance par les services de police et de gendarmerie des personnes inscrites au FIJAIS, en les incitant à se déplacer physiquement au commissariat de police ou à la brigade.
Cette disposition n'avait pas appelé de remarque particulière de la commission, qui avait tenu toutefois à souligner que toutes les garanties doivent être prises pour assurer la confidentialité de ces notifications dans les commissariats et les brigades.
Elle appelle donc de nouveau l'attention du ministère sur ce point et rappelle que ces notifications ne doivent pas donner lieu à l'enregistrement d'informations dans des fichiers locaux, distincts du FIJAIS.
Sur les demandes de rectification et d'effacement :
L'article 706-53-10 du code de procédure pénale donne compétence au procureur de la République pour procéder, sur demande de toute personne inscrite dans le fichier, à la rectification ou l'effacement de données la concernant si les informations ne sont pas exactes ou si leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, au regard de la nature de l'infraction, de l'âge de la personne lors de sa commission, du temps écoulé depuis lors et de la personnalité actuelle de l'intéressé.
En cas de refus, ou si le procureur ne se prononce pas dans le délai imparti, le juge des libertés et de la détention puis le président de la chambre de l'instruction peuvent être successivement saisis. Ils disposent actuellement d'un délai de deux mois pour statuer, conformément aux articles R. 53-8-28 à R. 53-8-32 du code de procédure pénale.
En outre, avant de statuer sur ces demandes, le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention et le président de la chambre de l'instruction peuvent faire procéder à toutes les vérifications qu'ils estiment nécessaires. S'il s'agit d'une mention concernant soit un crime, soit un délit puni de dix ans d'emprisonnement et commis contre un mineur, la décision d'effacement du fichier ne peut d'ailleurs intervenir en l'absence d'une telle expertise.
Or, le ministère a fait savoir qu'il est matériellement impossible de prendre une décision dans le délai de deux mois lorsqu'une expertise est ordonnée en raison du temps nécessaire à l'expert pour examiner la personne, rédiger son rapport et l'adresser à la juridiction. Il a également précisé que l'examen d'une demande d'effacement, lorsqu'elle est recevable, nécessite également, la plupart du temps, une enquête de personnalité.
Ainsi, les articles 14, 15 et 16 du projet de décret soumis pour avis à la commission prévoient, au regard des difficultés évoquées par le ministère pour statuer dans les délais, de porter ce délai de deux à quatre mois si une expertise est ordonnée afin de permettre aux experts de faire leurs évaluations et enquêtes dans les meilleures conditions possibles.
La commission rappelle qu'au vu du caractère extrêmement spécialisé de ce fichier, de l'extrême diversité des professions et activités concernées et de l'importance des conséquences qui peuvent résulter de la consultation à des fins administratives de ce fichier les mises à jour, rectifications et effacements des informations revêtent une importance toute particulière.
Aussi, si la commission est réticente quant au principe de l'allongement de ce délai de réponse, elle est néanmoins consciente que cette modification permettra un meilleur traitement des demandes, et ainsi, une meilleure mise en œuvre du droit de rectification de la personne.
Sur la modification des modalités de demande d'un bulletin n° 3 du casier judiciaire :
La possibilité de demander le bulletin n° 3 par téléinformatique a été instaurée par l'article 1er du décret n° 98-632 du 23 juillet 1998 susvisé, pris après avis de la CNIL (délibération n° 98-011 du 3 mars 1998).
Cependant, en ce qui concerne un demandeur né à l'étranger, ou si son lieu de naissance est inconnu ou s'il est âgé de moins de douze ans, l'article R. 82, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit que cette demande « ne peut être faite que par lettre accompagnée d'un justificatif d'identité ».
L'article 17 du projet de décret supprime cette exigence, de sorte que les demandes de ces personnes pourront également être effectuées par téléinformatique (par exemple par courriel), avec obligation d'être accompagnée d'un justificatif d'identité, et non plus seulement par lettre.
La commission prend acte que la téléinformatique ne concerne que les demandes et non leur délivrance. En effet, le bulletin n° 3 « néant » est adressé à la personne concernée par lettre simple ; le bulletin n° 3 « positif », qui nécessite une protection et une confidentialité particulières, est quant à lui adressé par lettre recommandée avec avis de réception.
Au vu de ces éléments, la commission estime que cette modification n'appelle pas, en l'état, d'observation particulière.
Fait à Paris, le 16 juin 2011.Liens relatifs
Le président,
A. Türk