Le collège,
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, et notamment l'article 11 ;
Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, et notamment l'article 9 ;
Vu la délibération n° 2006-288 du 11 décembre 2006 ;
Sur proposition du président,
Décide :Liens relatifs
Le collège de la haute autorité adopte le rapport spécial annexé ci-après relatif aux réclamations de plusieurs parents d'enfants de nationalité étrangère qui se sont vu refuser par les caisses d'allocations familiales le bénéfice de prestations familiales au motif que leurs enfants étant arrivés sur le territoire français en dehors de la procédure du regroupement familial, ils n'étaient pas en mesure de fournir le certificat de contrôle médical délivré par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (l'ANAEM, ex-OMI). Or, ce document atteste la régularité de leur entrée sur le territoire et ce, conformément aux dispositions des articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de sécurité sociale.Liens relatifsEn application de l'article 11 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, la présente délibération ainsi que le rapport spécial qui y est annexé seront publiés au Journal officiel de la République française et rendus publics par tout autre moyen.
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A N N E X E
RAPPORT SPÉCIAL
Depuis novembre 2006, la haute autorité a été saisie de nombreuses réclamations émanant de parents d'enfants de nationalité étrangère qui se sont vu refuser par les caisses d'allocations familiales le bénéfice de prestations familiales en raison du fait que ces enfants sont arrivés sur le territoire français en dehors de la procédure du regroupement familial.
Ces décisions ont été prises au motif que les intéressés n'étaient pas en mesure de fournir le certificat de contrôle médical délivré par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (l'ANAEM, ex-OMI) attestant la régularité de leur entrée sur le territoire et ce, conformément aux dispositions des articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de sécurité sociale.
Il n'est pas contesté que les CAF appliquent la réglementation en vigueur, issue des articles précités du code de sécurité sociale, et aux termes de laquelle l'enfant étranger doit, pour ouvrir droit aux prestations familiales, produire un document permettant de démontrer la régularité de son séjour en France.
Dans la mesure où le certificat médical est délivré par l'ANAEM à l'occasion de la procédure d'entrée par regroupement familial, il fait foi du respect de cette procédure.
Aux termes des articles L. 512-1 et L. 513-1 du code de sécurité sociale, le droit aux prestations familiales pour toute personne française ou étrangère est lié à la condition de charge effective et permanente d'enfants résidant de façon permanente en France. Le critère de résidence est d'ailleurs celui auquel il est traditionnellement recouru en matière de prestations sociales.
L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) dispose que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention doit être assurée sans distinction aucune fondée notamment sur l'origine nationale, sauf à justifier d'un motif raisonnable et objectif.
Depuis l'arrêt Gaygusuz, l'applicabilité de l'article 14 de la CEDH a été étendue aux prestations sociales : la cour a en effet considéré que les prestations sociales constituaient un droit patrimonial, droit protégé par l'article 1er du protocole n° 1, et que la condition de nationalité opposée à M. Gaygusuz violait le principe de non-discrimination.
Par ailleurs, en vertu de l'article 8 de la CEDH, les Etats signataires doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir aux personnes présentes sur leur territoire le droit au respect de la vie privée et familiale. Les prestations familiales peuvent être considérées comme relevant de l'article 8 au sens où elles participent de l'aspect patrimonial de la vie familiale. En effet, le versement des prestations familiales « vise à favoriser la vie familiale et a nécessairement une incidence sur l'organisation de celle-ci ».
C'est pourquoi la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a décidé, dans un arrêt du 16 avril 2004, que les prestations familiales étaient dues à une mère togolaise en situation régulière, pour ses deux enfants entrés en France hors regroupement familial (dans la limite de la prescription biennale applicable en cette matière). La cour a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt du 6 décembre 2006.
Aucun motif raisonnable et objectif ne peut donc être opposé pour justifier la différence de traitement évoquée, d'une part, au regard de la nature des prestations familiales (versées pour l'enfant et participant aux conditions de son éducation et de son développement), d'autre part, au regard de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) aux termes duquel « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
Dans un avis du 9 juin 2004, la Défenseure des enfants avait abouti aux mêmes conclusions et s'était prononcée pour l'attribution de plein droit des prestations familiales au titre d'enfants étrangers dont les parents séjournent régulièrement en France, suivant ainsi la recommandation faite à la France le 4 juin 2004 par le Comité de suivi des droits de l'enfant des Nations unies.
Il est vrai que les décisions de la Cour de cassation portent sur des faits antérieurs à 2005, et donc antérieurs à la modification législative de l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale.
Toutefois, la modification législative ainsi opérée n'a eu qu'un impact limité : les nouveaux textes exonèrent seulement de l'exigence du certificat médical de nouvelles catégories d'étrangers mais ne reviennent en aucun cas sur le principe selon lequel le versement des prestations familiales est, dans l'immense majorité des cas, subordonné à une condition supplémentaire à la seule condition de régularité des parents.
Dans huit délibérations, le collège de la haute autorité a relevé le caractère discriminatoire de ces dispositions et a recommandé au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports d'initier une modification législative et réglementaire. Un premier courrier dans ce sens a été envoyé au ministre le 18 décembre 2006. Le collège a aussi décidé de présenter des observations devant les juridications saisies, notamment le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, la cour d'appel de Paris et la cour d'appel de Versailles. Ces dernières ont jugé recevables les interventions de la haute autorité et ont toujours suivi pleinement son raisonnement au fond.
Après notification de la délibération n° 2006-288 du 11 décembre 2006 et courriers de relance auprès du directeur de la sécurité sociale, ce dernier apportait le 12 février 2008 au président de la haute autorité des éléments d'information sur les articles litigieux du code de la sécurité sociale.
En réponse à ces éléments, le président adressait le 7 mars 2008 au directeur de la sécurité sociale un courrier par lequel il concluait que les justifications communiquées à la haute autorité n'étaient pas de nature à satisfaire aux exigences formulées par le collège et que les modifications législatives et réglementaires sollicitées étaient toujours justifiées.
Bien qu'ayant demandé au directeur de la sécurité sociale de la tenir informée dans un délai de trois mois, la haute autorité n'a, à ce jour, été rendue destinataire d'aucune réponse du ministre et a eu connaissance de la formation de nouveaux contentieux, illustrant le fait que la pratique des CAF, s'appuyant sur les textes litigieux, ne se conforme toujours pas aux recommandations de la haute autorité.
Ainsi que les délibérations de la haute autorité le mentionnent, le collège estime que les dispositions précitées du code de la sécurité sociale sont contraires aux stipulations de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'à celles de la Convention internationale des droits de l'enfant.
En conséquence, il recommande à nouveau au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports d'initier une modification de ces textes.Liens relatifs
Fait à Paris, le 1er septembre 2008.
Pour le collège :
Le président,
L. Schweitzer