Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 2e et 7e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 2e sous-section de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 28 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 25 juin 2007 par lequel le tribunal administratif de Paris, avant de statuer sur la demande présentée par Mme Huaju Zhu demeurant 8, rue de la Présentation, à Paris (75011), tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 mars 2007 par lequel le préfet de police a rejeté sa demande tendant à la délivrance d'une carte de séjour temporaire, présentée sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier au Conseil d'Etat en lui soumettant les questions suivantes :
1° Mme Zhu ayant fait valoir pour la première fois devant le juge administratif qu'eu égard aux circonstances exceptionnelles créées par le décès récent de son époux, elle entrait dans les prévisions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions est-il opérant, alors même que l'autorité administrative n'a été saisie que d'une demande de carte de séjour temporaire sur le fondement de l'article L. 313-11 dudit code ?
2° Est-ce que ce même moyen est opérant, lorsque l'autorité administrative a été saisie d'une demande de carte de séjour temporaire sur le fondement d'une disposition autre que l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ?
3° Dans l'hypothèse où un tel moyen serait opérant, quelle est l'étendue du contrôle du juge de l'excès de pouvoir, au regard des dispositions de l'article L. 313-14, sur la décision refusant l'admission au séjour ?
4° Dans cette hypothèse, ce moyen doit-il alors être regardé comme se substituant au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de la décision sur la situation personnelle de l'intéressée ou, à l'inverse, comme s'y ajoutant ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de M. Jean-François Mary, conseiller d'Etat ;
― les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de Mme Zhu ;
― les conclusions de M. Frédéric Lenica, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
1° Sur le caractère opérant du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'encontre d'une décision de rejet d'une demande de carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », présentée sur le fondement de l'article L. 313-11 du même code ou à l'encontre du rejet d'une demande de titre de séjour présentée sur un autre fondement que cet article :
Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, introduit par la loi du 24 juillet 2006 relative à la maîtrise de l'immigration et à l'intégration : « La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7./ La Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour exprime un avis sur les critères d'admission exceptionnelle au séjour mentionnés au premier alinéa./ Cette commission présente chaque année un rapport évaluant les conditions d'application en France de l'admission exceptionnelle au séjour. Ce rapport est annexé au rapport mentionné à l'article L. 111-10./ L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans./ Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article et, en particulier, la composition de la commission, ses modalités de fonctionnement ainsi que les conditions dans lesquelles le ministre de l'intérieur, saisi d'un recours hiérarchique contre un refus d'admission exceptionnelle au séjour, peut prendre l'avis de la commission » ;
Lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.
Si les dispositions de l'article L. 313-14 du code permettent à l'administration de délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » à un étranger pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels, il ressort des termes mêmes de cet article, et notamment de ce qu'il appartient à l'étranger de faire valoir les motifs exceptionnels justifiant que lui soit octroyé un titre de séjour, que le législateur n'a pas entendu déroger à la règle rappelée ci-dessus ni imposer à l'administration, saisie d'une demande d'une carte de séjour, quel qu'en soit le fondement, d'examiner d'office si l'étranger remplit les conditions prévues par cet article.
Il en résulte qu'un étranger ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'encontre d'un refus opposé à une demande de titre de séjour qui n'a pas été présentée sur le fondement de cet article. En revanche, l'étranger ne peut faire l'objet d'une mesure ordonnant sa reconduite à la frontière ou prescrivant à son égard une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour ;
2° Sur la nature du contrôle du juge administratif sur les décisions de refus de titre de séjour sollicité sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
Il résulte des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, si le législateur a prévu que la commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour donnera un avis sur les critères d'admission exceptionnelle au séjour, il a entendu laisser à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir. Dans ces conditions, il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'elle a portée sur l'un ou l'autre de ces points.
Le moyen tiré de la violation de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est distinct du moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une décision de refus sur la situation personnelle de l'intéressé.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Paris, à Mme Huaju Zhu et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Avis n° 307036 du 28 novembre 2007