Décision n° 2017-642 QPC du 7 juillet 2017

NOR : CSCX1720114S
JORF n°0160 du 9 juillet 2017
Texte n° 25

Version initiale


(M. ALAIN C.)


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 11 mai 2017 par le Conseil d'Etat (décision n° 407832 du 9 mai 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Alain C. par Me Bruno Dervieu, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-642 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit « des dispositions combinées » des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, et du paragraphe IV de l'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs.
Au vu des textes suivants :


- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;
- la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;
- l'ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d'actifs, ratifiée par l'article 25 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ;
- la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;


Au vu des pièces suivantes :


- les observations présentées pour le requérant par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées les 31 mai et 19 juin 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 2 juin 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;


Après avoir entendu Me Olivier Matuchansky, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 27 juin 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. Le 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013 mentionnée ci-dessus, dispose que, pour leur soumission à l'impôt sur le revenu, les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont réduites d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater de cet article. Les trois premiers alinéas du 1 ter prévoient :
« L'abattement mentionné au 1 est égal à :
« a) 50 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ou de la distribution ;
« b) 65 % du montant des gains nets ou des distributions lorsque les actions, parts, droits ou titres sont détenus depuis au moins huit ans à la date de la cession ou de la distribution ».
2. L'article 150-0 D ter du même code, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 25 juillet 2013 mentionnée ci-dessus, institue un abattement, soumis à conditions, sur les plus-values de cession à titre onéreux de titres ou droits de petites et moyennes entreprises réalisées par leurs dirigeants lors de leur départ à la retraite. Le paragraphe IV de cet article prévoit :
« En cas de non-respect de la condition prévue au 4° du I à un moment quelconque au cours des trois années suivant la cession des titres ou droits, l'abattement prévu au même I est remis en cause au titre de l'année au cours de laquelle la condition précitée cesse d'être remplie. Il en est de même, au titre de l'année d'échéance du délai mentionné au c du 2° du I, lorsque l'une des conditions prévues au 1° ou au c du 2° du même I n'est pas remplie au terme de ce délai ».
3. Le requérant soutient, en premier lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi. En effet, elles privent de l'abattement pour durée de détention, prévu au 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, les dirigeants de petites et moyennes entreprises ayant réalisé une plus-value de cession avant le 1er janvier 2013, lorsque cette plus-value est, postérieurement à cette date, rendue imposable à l'impôt sur le revenu du fait de la remise en cause de l'abattement spécifique prévu à l'article 150-0 D ter du même code. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée par rapport aux dirigeants des mêmes entreprises ayant réalisé une plus-value après le 1er janvier 2013. En deuxième lieu, ces dispositions contreviendraient au principe d'égalité devant les charges publiques, dès lors que l'absence de prise en compte de la durée de détention des titres aboutirait à méconnaître les facultés contributives des redevables. En dernier lieu, ces dispositions seraient contraires à la garantie des droits, en ce qu'elles porteraient atteinte aux situations légalement acquises ou remettraient en cause les effets qui peuvent légitimement en être attendus. En effet, aucun motif d'intérêt général ne justifierait que la plus-value initialement placée sous le régime d'imposition spécifique aux dirigeants de petites et moyennes entreprises partant à la retraite puisse finalement être soumise à d'autres règles d'imposition que celles prévues à la date de sa réalisation.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts.
Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 et du troisième alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
6. En vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2013 et résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, les plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés sont prises en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Le deuxième alinéa du 1 de l'article 150-0 D prévoit cependant que ces plus-values peuvent être réduites d'un abattement pour durée de détention déterminé dans les conditions prévues au 1 ter du même article.
7. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2014 mentionnée ci-dessus, dans sa décision du 22 avril 2016 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution sous deux réserves. D'une part, ces dispositions ne sauraient priver les plus-values placées en report d'imposition avant le 1er janvier 2013, qui ne font l'objet d'aucun abattement sur leur montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. D'autre part, ces dispositions ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d'assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l'imposition de plus-values mobilières obligatoirement placées en report d'imposition. Ces dispositions sont identiques à celles contestées par le requérant dans la présente question prioritaire de constitutionnalité.
8. Toutefois, le Conseil d'Etat a saisi le Conseil constitutionnel de la présente question prioritaire de constitutionnalité au motif que la réserve d'interprétation relative à la prise en compte de l'érosion monétaire, énoncée au considérant 11 de la décision du 22 avril 2016, ne s'applique pas au cas exposé par le requérant dans ses griefs, alors même que les motifs de cette décision devraient conduire à une telle application. Cette difficulté dans la détermination du champ d'application d'une réserve d'interprétation, qui affecte la portée de la disposition législative critiquée, constitue un changement des circonstances justifiant, en l'espèce, le réexamen des dispositions contestées.
Sur le fond :
En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques :
9. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
11. En premier lieu, les règles de détermination de l'assiette des plus-values mobilières fixées par l'article 150-0 D du code général des impôts ne sont applicables qu'aux plus-values réalisées à compter de l'entrée en vigueur de ces règles, soit le 1er janvier 2013. Il en résulte que les plus-values mobilières réalisées avant cette date, y compris celles rendues imposables à l'impôt sur le revenu postérieurement à cette date, sont exclues du bénéfice de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 ter de l'article 150-0 D. Cette différence de traitement, qui repose sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
12. En second lieu, il résulte de l'assujettissement des plus-values mobilières à l'impôt sur le revenu, prévu par l'article 200 A du code général des impôts, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus prévue par l'article 223 sexies du même code ainsi qu'aux prélèvements sociaux prévus par l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 mentionnée ci-dessus, par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, par l'article 1600-0 F bis du code général des impôts et par les articles L. 136-6 et L. 245-14 du code de la sécurité sociale qu'un taux marginal maximal d'imposition de 62,001 % s'applique à la plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013 qui, du fait de la remise en cause d'un abattement accordé sous conditions avant cette date, se trouve soumise à l'impôt sur le revenu selon les règles de taux en vigueur postérieurement à cette date. Les valeurs mobilières dont la cession a donné lieu à la réalisation de cette plus-value ont pu être détenues sur une longue durée avant cette cession. Faute de tout mécanisme prenant en compte cette durée pour atténuer le montant assujetti à l'impôt sur le revenu, l'application du taux marginal maximal à cette plus-value méconnaîtrait les capacités contributives des contribuables. Par suite, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant 11 de la décision du 22 avril 2016, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver une telle plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013, qui ne fait l'objet d'aucun abattement sur son montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :
13. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
14. Lorsque le législateur permet à un contribuable, à sa demande, de bénéficier sous certaines conditions d'un régime dérogatoire d'imposition d'une plus-value, le contribuable doit être regardé comme ayant accepté les conséquences de la remise en cause de ce régime en cas de non-respect des conditions auxquelles il était subordonné. Il en résulte que l'imposition de la plus-value selon les règles applicables l'année de cette remise en cause ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus d'une telle situation. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté.
15. Sous la réserve énoncée au paragraphe 12 et sous les réserves énoncées aux considérants 11 et 15 de la décision du 22 avril 2016, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel décide :

Retourner en haut de la page