Avis relatif aux violences sexuelles : une urgence sociale et de sante publique, un enjeu de droits fondamentaux

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  • Avis adopté à l'Assemblée plénière du 20 novembre 2018 (33 voix " pour ", 2 absentions)

    1. Les débats sur les violences sexistes et sexuelles ont été particulièrement vifs ces derniers mois, illustrant l'intolérance sociale grandissante à l'égard de ces comportements. Ces débats ne sont pas sans rappeler ceux entourant, il a quelques années, les violences domestiques, autrefois tues si ce n'est niées, désormais reconnues et mesurées. Ils traduisent en outre une évolution sociétale progressive concernant le statut de la sphère privée, l'égalité entre les femmes et les hommes et la protection des enfants et personnes vulnérables, obligeant les Etats à faire progresser leur législation et leurs politiques publiques.
    2. La France, à l'instar de nombreux pays, n'y a pas échappé. Si l'on constate des avancées certaines ces dernières années (prise de conscience du phénomène, évolution du droit et du statut juridique de la femme, prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant), et une mobilisation croissante des pouvoirs publics depuis les années 1990 (1), bien souvent malheureusement sans les moyens financiers nécessaires, les résultats convergents de plusieurs enquêtes révèlent la persistance et l'ampleur des violences sexuelles (2) et de leur occultation. Alors même que ces violences sont unanimement reconnues comme une atteinte massive aux droits fondamentaux, tels le droit à l'intégrité physique et psychique, le droit à l'autonomie personnelle et le droit à la sécurité, ainsi qu'un indéniable problème de santé publique, la majorité des victimes ne sont aujourd'hui ni identifiées, ni reconnues ou protégées, ni prises en charge spécifiquement. Ces violences, sous-tendues par des représentations erronées sur la sexualité, le concept de consentement et les rapports entre les femmes et les hommes, s'exercent dans les différentes sphères de la vie sociale. En effet, comme le souligne le Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes, " la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre s'exerce dans toutes les sphères de l'interaction humaine, qu'elles soient publiques ou privées. Il peut s'agir de la famille, de la communauté, des espaces publics, du lieu de travail, des loisirs, du monde politique, du sport, des services de santé, de l'éducation ou d'environnements créés par la technologie qui ont généré de nouvelles formes de violence en ligne et dans les autres espaces numériques " (3). Dans la vie quotidienne, mais aussi au travail, les violences sexistes et sexuelles sont une réalité prégnante avec des conséquences graves pour les femmes victimes dans leur dignité, leurs droits au travail et leur maintien dans l'emploi. Sexisme, harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol sont le lot de beaucoup de femmes dans l'espace privé comme dans l'espace public.
    3. L'ampleur des atteintes aux droits fondamentaux résultant des violences sexuelles ainsi que la lenteur des évolutions en la matière rendent indispensable une mobilisation de long terme des pouvoirs publics et de la société civile. Les plans d'action et les dispositions de mise en œuvre doivent se déployer sur l'ensemble du territoire français, sans oublier les Outre-mer. Pour ce faire, il apparaît particulièrement important de renforcer le volet préventif de l'action publique pour agir en amont, sur la dimension sociétale des violences sexuelles, et d'améliorer les dispositifs d'accompagnement et de prise en charge des victimes (I). Par ailleurs, parce que les infractions sexuelles ne peuvent rester impunies, et les auteurs de ces violences laissés à eux-mêmes sans une prise en charge adaptée (judiciaire, médicale et sociale), il convient de porter une attention soutenue à la qualité de la réponse pénale. Or l'ampleur de la sous-déclaration et la baisse continue du nombre de condamnations pour violences sexuelles ces dix dernières années ne peuvent que conduire à s'interroger sur l'efficacité de la justice pénale (4). En ce sens, l'adoption précipitée à l'été 2018 d'une énième réforme législative sur les violences sexuelles et sexistes (5) accroît la confusion plutôt qu'elle ne clarifie l'état du droit existant (II).

    I. - Pour une mobilisation effective de la société : prévenir, identifier, accompagner

    4. Le paysage qu'offre la société française révèle un décalage persistant. D'un côté, une prise de conscience de l'ampleur et de la gravité des violences sexuelles se remarque : la prise de parole des femmes, amplifiée par le mouvement #MeToo, s'est massivement manifestée sur les réseaux sociaux ou à travers des prises de positions individuelles de personnalités des milieux culturel, politique et économique. Celles-ci ont été accompagnées de déclarations des pouvoirs publics présentant la lutte contre les violences sexuelles comme une priorité, comme celle du Président de la République le 25 novembre 2017. De nombreux articles de presse se font également le relais d'une opinion publique désormais sensibilisée à la question. D'un autre côté, la persistance de stéréotypes sexistes et de représentations erronées sur la sexualité, véhiculés au premier chef par la pornographie mais aussi par la publicité et même, parfois, par la presse et la justice, conduisent à la persistance d'une " culture du viol ", pour reprendre l'expression employée par des sociologues pour désigner une permissivité sociale à l'égard des violences sexistes. Dans ce contexte, la notion même de consentement en matière sexuelle fait l'objet de fréquents malentendus, comme le révèlent certains documentaires (6). Or comme le soulignait la Commission dans son avis sur la violence contre les femmes et les féminicides, adopté le 26 mai 2016, " la violence à l'encontre des femmes constitue […] un enjeu structurel et ne peut pas être attribuée aux seuls facteurs liés à des comportements individuels ou des histoires personnelles. L'analyse des violences de genre doit aussi s'inscrire dans un contexte politique plus large, celui des relations de pouvoir. Il y a, sous-jacents aux comportements de violence, des rapports de force et de domination des hommes sur les femmes, des garçons sur les filles, parfois directs, d'autre fois plus subtils, par la reproduction des stéréotypes de genre, notamment à travers le système éducatif ou dans les médias ". Dans ce contexte, faire appel à la loi pénale pour sanctionner les violences sexuelles est évidemment nécessaire mais insuffisant à endiguer le phénomène. Il faut une mobilisation effective de la société, afin de prévenir (A), identifier (B) les violences et accompagner les victimes (C), notamment les mineurs (D).

    A. - Prévenir : éduquer et informer sans relâche

    5. C'est principalement par le biais de la prévention, de l'éducation et de la sensibilisation que l'on peut espérer un changement des comportements et une évolution durable des mentalités. La CNCDH préconise ainsi le développement d'actions de prévention à l'attention des populations et des jeunes en particulier et dans toutes les situations de travail.
    6. Pour la jeunesse, le principal levier est l'éducation à la vie affective et sexuelle, mission partagée de la sphère familiale et de l'école, mais qui doit aussi mobiliser, entre autres, le corps médical et paramédical, dont les médecins et infirmiers scolaires, et les associations de terrain, comme le Planning familial. Les uns et les autres doivent travailler de concert pour favoriser cette éducation, dès le plus jeune âge et tout au long du parcours éducatif. Cette approche, promue tant par les instances internationales (7) que nationales, est bien explicitée par le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes :
    " L'éducation à la sexualité est une manière d'aborder l'enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles qui soit : fondée sur l'égalité des sexes et des sexualités, adaptée à l'âge, basée sur des informations scientifiques, sans jugement de valeur. L'éducation à la sexualité vise, à partir de la parole des jeunes, à les doter des connaissances, compétences et savoirs-être dont ils et elles ont besoin pour une vie sexuelle et affective épanouie. Cette éducation s'inscrit dans une conception holistique de la santé et est un outil indispensable pour atteindre l'égalité́ femmes-hommes " (8).
    7. Pour la CNCDH, un tel enseignement donné aux élèves apparaît en effet comme un moyen indispensable pour transmettre aux enfants et aux adolescents les éléments fondamentaux visant à garantir leur intégrité physique et psychique ainsi que leur épanouissement personnel. Par-delà l'objectif de santé publique, l'éducation à la vie affective et sexuelle est un moyen de promouvoir la dignité de la personne et de construire une société respectueuse de l'égalité entre tous les êtres humains.
    8. L'éducation à la vie affective et sexuelle en France apparaît conforme, dans ses principes, aux standards internationaux. L'article L. 312-16 du code de l'éducation dispose ainsi qu'" une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène ". C'est davantage sa mise en œuvre, ou plutôt son absence de mise en œuvre, qui s'avère problématique. Ainsi, selon un rapport de 2016 du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, " seule une petite minorité [d'élèves] bénéficie tout au long de leur scolarité de séances annuelles d'éducation à la sexualité " (9) ; par ailleurs cet enseignement est souvent abordé par le prisme exclusif de la reproduction ou de la contraception. Et il est important de se poser la question de la qualification des personnes assurant cet enseignement.
    9. A cet égard, la CNCDH salue la circulaire que le ministre Jean-Michel Blanquer a adressée à tous les recteurs lors de la rentrée 2018 afin de relancer l'éducation à la sexualité (10). Tout en rappelant les dispositions de la loi de 2001, précisées dans une circulaire de 2003, la dernière circulaire précise l'importance d'informer et/ou d'associer les parents sur ce qui est mis en place dans chaque établissement scolaire. Cet effort de transparence est particulièrement important : il est à même de diminuer les appréhensions de parents ayant manifesté leur opposition à un tel enseignement et de mettre un terme aux campagnes de désinformation dont il fait l'objet (11).
    10. Reste à présent à garantir les moyens d'assurer, sur tout le territoire, cette obligation légale, ce qui appelle des efforts en termes de formation et de mobilisation des personnels. En cas de difficultés sur le terrain, les établissements concernés devraient pouvoir compter sur le soutien de l'institution (rectorat, ministère). Dans le même esprit, l'Education nationale doit veiller à mieux communiquer lorsqu'elle lance une initiative susceptible de porter à controverse. En outre, la CNCDH invite le ministère de l'Education nationale à donner aux équipes éducatives les outils en produisant un matériel pédagogique adapté à chaque âge, en concertation notamment avec des spécialistes de la psychologie des enfants. Par ailleurs, les interventions ne devraient pas reposer uniquement sur les personnels enseignants mais sur une pluralité d'acteurs, pour aborder l'éducation à la vie affective et sexuelle dans toutes ses dimensions (12). Les parents devraient dans la mesure du possible y être associés, afin de lever les incompréhensions, voire les fausses rumeurs, qui circulent à son sujet. Les chefs d'établissement doivent prévoir dans l'organisation de la scolarité des temps dédiés à cet enseignement pour en assurer la mise en œuvre effective.

    Recommandation : La CNCDH recommande de garantir les moyens de mettre effectivement en œuvre, sur tout le territoire français, l'éducation à la vie affective et sexuelle, dès les premières étapes de la scolarité et tout au long du parcours éducatif, conformément aux dispositions de l'art. L. 312-16 du code de l'éducation, précisées par la circulaire du 12 septembre 2018.

    11. Cet effort de prévention et de sensibilisation doit se poursuivre en dehors de l'espace scolaire. Pour ce faire, la CNCDH recommande de mener régulièrement des campagnes de sensibilisation du grand public pour rompre le silence qui entoure les violences, déconstruire les représentations sociales stéréotypées et informer sur les voies de recours existantes. Afin de mettre en place une prévention adaptée, il conviendrait aussi d'encourager la recherche et le recueil de données fiables, précises et actualisées (statistiques administratives, enquête type ENVEFF (13), VIRAGE (14)) pour affiner les connaissances sur les violences sexuelles, identifier leurs causes et leurs conséquences sur les victimes. Elles apportent aussi des connaissances sur le parcours des agresseurs, antérieurement et postérieurement aux faits.
    12. D'autre part, certaines populations sont particulièrement exposées aux violences sexuelles et ne sont toujours pas, ou peu, prises en compte dans les politiques publiques. C'est le cas notamment des femmes en situation de handicap (dont 70 % seraient victimes de violences (15)), des femmes âgées, des personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres (au cours de leur vie, 24% des personnes LGBT ont subi une agression sexuelle, et 11% un viol) (16). C'est aussi le cas des personnes se prostituant, ainsi que des femmes sans domicile fixe et des migrants qui sont particulièrement menacées par l'exploitation sexuelle (17). Ces populations se trouvant confrontées à des situations sociales de précarité, il importe de prévoir des plans d'actions particuliers, construits en lien avec les personnes concernées, à l'image de ce qui peut se faire en matière de prévention VIH. Ces plans devraient notamment intégrer une information des personnes sur leurs droits, un accompagnement sanitaire, social et juridique des victimes, une sensibilisation des professionnels travaillant avec elles, et un volet de prévention des risques adapté.

    Recommandation : La CNCDH recommande de mener régulièrement des campagnes d'information et de prévention grand public pour déconstruire les représentations sociales stéréotypées contribuant à ces violences et informer sur les voies de recours existantes. Certaines populations particulièrement exposées aux violences sexuelles (personnes migrantes, se prostituant, sans domicile fixe, en situation de handicap, personnes âgées, homosexuelles, bisexuelles et transgenres…), et se trouvant confrontées à des situations sociales spécifiques, il importe de prévoir des plans d'actions particuliers, construits en lien avec les personnes concernées, à l'image de ce qui peut se faire en matière de prévention VIH. Ces plans devraient notamment intégrer une information des personnes sur leurs droits, un accompagnement sanitaire, social et juridique des victimes, une sensibilisation des professionnels travaillant avec elles, et un volet de prévention des risques adapté.

    B. - Identifier : faire reculer significativement le " chiffre noir " des violences sexuelles

    13. Préalable nécessaire à la mise en mouvement de l'action publique, l'identification des victimes de violences sexistes et sexuelles constitue un défi majeur à relever. L'ampleur du " chiffre noir " (18), ces actes criminels et délictuels échappant totalement à la justice, peut être imputable à divers facteurs, liés à des ressorts intimes et particuliers (peur, honte, rapport d'emprise, sentiment de culpabilité, occultation des faits pour survivre pendant une période de la vie), mais également à des problèmes plus structurels : victimes difficilement entendues, longueur de l'instruction et du procès aux assises, manque de confiance dans la procédure judiciaire. On constate tout de même une hausse des signalements depuis 20 ans, ce qui traduit " une capacité accrue des victimes à porter plainte " (19). Plusieurs actions ciblées pourraient encore faciliter la détection des victimes et le signalement des faits.
    14. En premier lieu, il importe d'encourager les victimes à déposer plainte. Des efforts incontestables ont été faits ces dernières années dans l'accueil des victimes de violences sexistes et sexuelles, par la formation (20), la professionnalisation de la mission d'accueil, la coopération avec les acteurs extérieurs, en particulier des associations de victimes ou les professionnels de santé (21), et les instructions régulières données aux forces de sécurité d'enregistrer les plaintes plutôt que d'avoir recours à des mains courantes. Toutefois, plusieurs études révèlent la persistance de préjugés chez les enquêteurs et les magistrats susceptibles de conditionner la prise de plainte et la qualification de l'acte. Ainsi, la méconnaissance des conséquences psycho-traumatiques des agressions sexuelles fait que certains faits sont parfois retournés contre la victime pour décrédibiliser son récit : on lui reproche par exemple de ne pas avoir résisté avec suffisamment de force à son agresseur, quand on ne la soupçonne pas d'avoir provoqué celui-ci (22). Par ailleurs, il a été fait état, lors des auditions, d'un manque de formation des enquêteurs et des magistrats - qui relèverait davantage de la sensibilisation que d'une réelle formation -, ainsi que du déploiement inégal voire inexistant de certains dispositifs comme les référents violences conjugales au sein des commissariats de police. Il s'agit ainsi de poursuivre les efforts engagés et, concernant l'enjeu essentiel de formation des professionnels, de rendre effective cette obligation légale (23). A cet égard, il serait opportun de requérir de l'Inspection Générale de l'Administration (IGA) une évaluation sur le déploiement et la qualité des formations. En outre, la CNCDH espère que les mesures annoncées par le Gouvernement ces derniers mois seront effectivement mises en œuvre et opérationnelles sur tout le territoire. Il est notamment prévu de diversifier les modalités de dépôt de plainte (plateforme de signalement en ligne (24), prise de plainte dans différents lieux de prise en charge des victimes - hôpitaux, etc.) ; si le signalement en ligne peut être utile, il y a lieu cependant de ne pas trop inciter à le privilégier car il peut être mal adapté en cette matière délicate, où le contact humain peut être essentiel. Cette mise en garde au sujet des plaintes en ligne rejoint celle exprimée dans l'avis de la CNCDH du 20 novembre 2018 sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice (25). Il est aussi question d'accroître les efforts de formation ou encore de développer des contrats locaux contre les violences entre préfets, magistrats, hôpitaux et associations pour mettre en place un système d'alerte et de concertation en réseau afin de permettre une meilleure prise en charge des victimes (26).
    15. En deuxième lieu, au-delà des forces de sécurité et des magistrats, il convient de former et mobiliser les professionnels - médecins, personnel soignant, aidants, professionnels de l'enfance, travailleurs sociaux, personnels d'éducation en milieu scolaire - pour mieux repérer et aider les personnes victimes de telles violences. Tous les professionnels de santé devraient être formés au dépistage des maltraitances en intégrant un volet sur la psycho-traumatologie. C'est d'autant plus nécessaire pour les médecins des Unités médico-judiciaires, les experts psychiatres et psychologues, les magistrats devant pouvoir se référer à des professionnels aptes à évaluer les troubles psycho-traumatiques de la victime, sans que ceux-ci soient interprétés comme une maladie psychiatrique ou une absence de traumatisme (27). Parmi les cibles prioritaires figurent également les personnes en situation de handicap et leurs aidants ; pour ces dernières le signalement peut être une démarche plus difficile à entreprendre. A cet égard, il conviendra d'être attentif à la mise en œuvre des actions de sensibilisation et de prévention prévues par la loi du 3 août dernier (28).
    16. En dernier lieu, une attention particulière doit être portée au monde du travail, où une femme sur cinq serait victime de harcèlement sexuel, souvent en toute impunité (29). La CNCDH encourage l'ensemble des acteurs du monde du travail à prendre avec sérieux cet enjeu de société. Tous types de harcèlement, en particulier le harcèlement sexuel, sont antinomiques de conditions de travail décentes et dignes. Ces questions ne doivent pas être éludées dans l'entreprise. Il est essentiel d'aller au-delà de l'affichage des textes du code pénal relatif au harcèlement sexuel affichés sur les lieux de travail. Une véritable formation à la prévention des propos, gestes ou attitudes sexistes ou sexuellement équivoques, de l'ensemble du personnel de l'encadrement et des représentants du personnel, est indispensable ainsi que la formation du management et des représentants du personnel afin qu'ils puissent être en mesure de reconnaitre les situations à risque et de prendre les mesures qui s'imposent (30). Il conviendrait de mettre en place un dispositif de signalement et d'accueil pour les victimes, ainsi que de désigner des personnes ressources chargées de l'accompagnement des victimes de violences sexuelles au travail. Par ailleurs, concernant les victimes, elles doivent pouvoir bénéficier, après avis du médecin du travail, de droits spécifiques les protégeant (tels que le droit à un changement de poste, à l'aménagement de son poste de travail, l'accès aux indemnités chômage en cas de suspension du contrat de travail). A l'instar du Canada (5 jours) ou de la Nouvelle-Zélande (10 jours), des jours de congés supplémentaires pourraient être attribués aux femmes victimes violences conjugales afin qu'elles réalisent les démarches nécessaires à leur protection. Enfin, il faut souligner l'existence de la circulaire du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique : ambitieuse, cette circulaire porte la mise en œuvre d'un plan global pour agir sur à la fois la prévention, le soutien aux victimes et la sanction des agresseurs. Il faut assurer sa mise en œuvre réelle dans tous les lieux de travail. Dans cet esprit, la CNCDH encourage les pouvoirs publics à mettre en œuvre les recommandations formulées par le Défenseur des droits dans son avis dédié du 25 janvier 2018 (31). Egalement, elle regrette qu'aucune norme juridique internationale ne traite de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, n'en donne une définition ni n'en délimite les contours (32). A cet égard, la CNCDH sera attentive à la préparation du projet de convention contre les violences et le harcèlement au travail porté par l'Organisation internationale du travail (OIT).

    Recommandation : Afin de faciliter la détection des victimes et faire reculer le " chiffre noir ", la CNCDH recommande la poursuite des efforts en matière de professionnalisation de l'accueil des victimes et de formation des professionnels intervenant dans le champ des violences sexuelles et sexistes. A cet égard, une évaluation de l'IGA sur la mise en œuvre de l'obligation légale de formation pour les professions visées à l'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, modifiée par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, serait opportune. En outre, une mise en réseau local de ces différents acteurs est souhaitable pour faciliter la détection, l'orientation et la prise en charge des victimes. Enfin, la CNCDH recommande au Gouvernement de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Défenseur des droits dans son avis relatif au harcèlement sexuel au travail du 25 janvier 2018. Elle invite également le Gouvernement à soutenir le projet de convention contre les violences et le harcèlement au travail porté par l'OIT.

    C. - Accompagner et prendre en charge

    17. La plupart des victimes de violences sexuelles déclarent ne pas avoir été protégées et ne pas non plus avoir bénéficié d'une prise en charge adaptée, malgré le devoir de l'Etat d'agir avec la diligence nécessaire pour les protéger. C'est ce que révèle une enquête récente qui met par ailleurs l'accent sur l'impact de ces violences sur la vie et la santé des victimes et sur l'importance d'une prise en charge précoce pour enrayer le cycle des violences et atténuer les lourdes conséquences qu'elles peuvent entraîner pour elles et pour leur entourage (33). Partant, le développement d'une politique de santé publique d'envergure concernant le dépistage, l'accompagnement et le soin des victimes de violences est déterminant. Si les annonces de ces derniers mois ont permis de poser les bases d'un grand plan gouvernemental en la matière (34), la CNCDH rappelle l'importance de promouvoir une prise en charge globale (médicale, psychologique, sociale et judiciaire) et la mise en réseau de l'ensemble des acteurs impliqués dans chaque territoire. A cet égard, l'ouverture prochaine de dix centres spécialisés et pluridisciplinaires gratuits visant à offrir aux victimes de violences une prise en charge globale du psycho-traumatisme constitue une véritable avancée. Selon les déclarations de la ministre de la santé et des solidarités, Agnès Buzyn, ces centres seront également des lieux de ressource et d'expertise, pour appuyer l'ensemble des professionnels de leur territoire et auront vocation à travailler en réseau avec l'ensemble des acteurs de la prise en charge et de l'accompagnement des victimes (35). La CNCDH encourage le gouvernement à aller au bout de la démarche entreprise, en fixant un calendrier en vue de déployer le dispositif sur l'ensemble du territoire, en ouvrant un centre dans chaque département, y compris dans les Outre-mer. Par ailleurs, l'allocation d'un montant suffisant de dommages et intérêts, qui contribue à l'accompagnement des victimes, et constitue une forme de reconnaissance du préjudice subi et concourt à sa réparation, mérite une attention particulière.
    18. La prise en charge adaptée des auteurs de violences sexuelles, mineurs et majeurs, est tout aussi indispensable, notamment pour éviter les récidives. A cet égard, la CNCDH appelle les pouvoirs publics à mettre en œuvre les 35 recommandations formulées en juin 2018 par un comité d'experts sur cette question (36).

    Recommandation : La CNCDH recommande le développement d'une politique de santé publique d'envergure concernant le dépistage et l'accompagnement des victimes et des auteurs de violences, en promouvant une prise en charge globale (médicale, psychologique, sociale et judiciaire) et la mise en réseau de l'ensemble des acteurs impliqués dans chaque territoire. A cet égard, elle préconise l'ouverture, dans chaque département, d'un centre pluridisciplinaire et gratuit visant à offrir aux victimes de violences une prise en charge globale par des professionnels formés au psycho-traumatisme. Concernant les auteurs de violences sexuelles, les 35 recommandations formulées par le comité d'experts qui s'est réuni en juin 2018 devraient être mises en œuvre.

    D. - Renforcer la protection des victimes mineures

    19. Les mineurs sont la classe d'âge la plus exposée aux violences sexuelles. Une enquête nationale de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, conduite avec le soutien de l'UNICEF France, rapporte que 81 % des violences sexuelles seraient subies avant l'âge de 18 ans, 51 % avant 11 ans et 21 % avant 6 ans. Celles-ci seraient commises dans 94 % des cas par des proches, et dans plus de 50% des cas par des membres de la famille, les enfants vulnérables étant particulièrement touchés (les enfants handicapés auraient quatre fois plus de risque de subir des violences sexuelles) (37). La recherche révèle le caractère extrêmement traumatique des violences sexuelles chez les mineurs, avec des risques très importants d'altérations physiques, mentales et sociales à court, moyen et long terme (38). L'enjeu est aujourd'hui de parvenir à repérer et prendre en charge correctement ces enfants.
    20. Or plusieurs travaux récents, de même que les personnes entendues par la CNCDH, font état du silence sur les violences intrafamiliales au sens large, qui sont d'ailleurs encore assez mal documentées (39). Ainsi, la première recommandation de la CNCDH sera d'encourager la collecte de données et la recherche sur les violences sexuelles sur mineurs et, plus généralement, sur les violences intrafamiliales. Plusieurs rapports récents ont formulé des propositions tout à fait pertinentes pour améliorer la détection et la prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles, mais également des mineurs auteurs de telles violences, à l'instar du rapport d'experts de juin 2018 sur les auteurs de violences sexuelles et celui du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs (40). La CNCDH, tout en encourageant les pouvoirs publics à porter à ces rapports la plus grande attention, souhaite mettre en évidence plusieurs pistes d'action complémentaires ayant émergé des travaux menés dans le cadre du présent avis.
    21. Clé du parcours de soins, le signalement des violences sur mineurs par les professionnels travaillant au contact des enfants doit devenir la règle, afin de rompre le cycle de la violence le plus tôt possible. A cet égard, la loi prévoit opportunément un délit d'omission de porter secours et de non dénonciation d'infraction lorsque les faits concernent des mineurs et, depuis la loi du 3 août 2018, renforce les sanctions s'agissant de mineurs de 15 ans (41). Cependant, cette obligation de signalement ne vaut pas pour les médecins (sauf, conformément à l'art. 40 du code de procédure pénale, les médecins fonctionnaires de l'Etat - Education nationale -, et de la Fonction publique territoriale - PMI et ASE). Or ces derniers sont parmi les mieux placés pour identifier les cas de maltraitances. Rappelant que le signalement ne s'apparente pas à une dénonciation ou une accusation - la responsabilité de mener l'enquête incombant au procureur de la République -, la CNCDH appelle le législateur à étendre cette obligation légale à tous les médecins. Ce choix, fait dans de nombreux pays européens et extra-européens (dont les Etats-Unis, le Canada et l'Australie), est également recommandé par les instances internationales (42) et par de nombreux professionnels de l'enfance. Ces derniers rappellent en effet le faible nombre de signalements de suspicion de violences sur mineurs provenant des médecins (43). Il est regrettable qu'après moult tentatives d'amendements déposés depuis 1999, ceux proposés dans le cadre de la loi du 3 août 2018 aient été rejetés, faute d'accord sur l'insertion la plus adéquate de cette interdiction dans le code pénal, révélant une nouvelle fois que la procédure parlementaire d'urgence n'est pas adaptée sur des sujets aussi complexes.
    22. Par ailleurs, l'occasion des visites médicales obligatoires de tous les enfants de 6 et 12 ans pourrait être saisie pour favoriser la détection précoce des violences subies (44). Pour ce faire, il faudrait particulièrement sensibiliser les médecins et infirmiers scolaires qui en ont la charge, prévoir un protocole d'accompagnement, et s'assurer que les visites médicales sont effectives pour tous les enfants, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, principalement en raison du nombre insuffisant des médecins et des infirmiers scolaires.
    23. En outre, les enfants doivent être sensibilisés aux questions d'égalité filles/garçons, de liberté du consentement et de violences sexuelles. A cet égard, la CNCDH s'étonne que la circulaire du 12 septembre 2018 (45) semble exclure l'école maternelle, qui n'est pas évoquée à la différence de l'école élémentaire, du collège et du lycée. En effet, ces questions doivent être abordées dès le plus jeune âge, en utilisant bien évidemment un langage, une approche et des ressources adaptés, ce pour plusieurs raisons évidentes. D'une part, ces enfants ne sont pas épargnés par les violences sexuelles et, plus ils sont jeunes, moins ils sont en capacité d'identifier et comprendre ce qu'ils subissent, et ainsi de se défendre ou dénoncer les faits. D'autre part, les comportements à risque entre jeunes enfants du même âge ne sont pas rares. L'actualité fait ainsi resurgir par intermittence des cas de comportements à connotation sexuelle entre jeunes enfants, parfois difficiles à caractériser, un flou existant dans la distinction entre jeux et agressions sexuelles (46). Il n'est ainsi pas justifié d'exclure les jeunes enfants, en l'occurrence de classe maternelle, d'une éducation adaptée à la préservation de leur intégrité physique et morale.
    24. Comme l'a relevé la Cour européenne des droits de l'homme, même si " l'application de certains des buts poursuivis par l'éducation sexuelle prodiguée aux enfants mineurs peut prêter à controverse ", une telle éducation doit être offerte aux enfants dès leur plus jeune âge : en effet, " l'un des buts de l'éducation sexuelle est la prévention des violences et de l'exploitation sexuelles. Elle estime que les abus sexuels représentent une menace réelle pour la santé physique et morale des enfants, contre laquelle ceux-ci doivent être protégés à tout âge. Elle considère dès lors que la société a indéniablement un intérêt particulier à ce que les très jeunes enfants reçoivent une éducation sexuelle ". La Cour européenne relève en outre qu'" un autre aspect, intrinsèquement lié à la tâche même de l'éducation publique, à savoir préparer les enfants aux réalités sociales, semble militer en faveur de l'éducation sexuelle des très jeunes enfants qui fréquentent le jardin d'enfants ou l'école primaire. En effet, ces enfants ne vivent pas de manière isolée, mais sont exposés à une multitude d'influences et d'informations extérieures - y compris en provenance des médias -, qui peuvent soulever chez eux des questions légitimes et qui rendent nécessaire leur confrontation de manière encadrée avec le sujet en question " (47).
    25. Toujours dans une optique de prévention, la CNCDH ne peut qu'encourager le Gouvernement à mieux encadrer la diffusion d'images à caractère pornographique accessibles aux jeunes. Des études inquiétantes révèlent en effet que la consultation par les mineurs de contenus pornographiques sur Internet tend à se banaliser et, pour nombre d'adolescents, le visionnage de ces vidéos aurait participé à l'apprentissage de leur sexualité (48). Plusieurs pistes complémentaires sont envisageables, d'un message défilant obligatoire " ceci est de la fiction, ce n'est pas la réalité ", au contrôle de l'accès à la pornographie en ligne, en mobilisant les moyens nécessaires pour identifier un dispositif efficace. L'école devrait être également le lieu permettant de favoriser l'esprit critique des élèves à l'égard de ce type de contenus, afin que les modèles et les stéréotypes que la pornographie véhicule ne demeurent pas intériorisés.
    26. Concernant la prise en charge, la CNCDH appelle les pouvoirs publics à mobiliser les moyens humains et financiers nécessaires pour que les dispositifs de protection de l'enfance soient pleinement opérationnels sur tout le territoire de la République. En effet, les personnes auditionnées ont fait état de situations hétérogènes sur le territoire en la matière, voire parfois de certaines régressions. Par exemple, le Syndicat de la Magistrature constate " un retour en arrière " sur les dispositifs de recueil de parole des mineurs, car " les financements ayant permis l'aménagement de salles spécifiques, l'achat de matériel et surtout, la formation à l'audition du mineur, qu'elle soit filmée ou non, se sont taris " (49). Cela n'est pas acceptable. Le manque de moyens financiers et humains (travailleurs sociaux, éducateurs, places en familles d'accueil ou en établissements médico-sociaux, personnels de l'ASE…), qui a des incidences notamment sur la longueur des procédures et le turn-over des agents, a également été mis en cause pour assurer le fonctionnement normal de la prise en charge de l'enfance en danger. En outre, assurer une protection appropriée à chaque enfant victime de telles violences implique de disposer d'un système fiable et rapide de remontée d'informations et d'une chaîne de traitement des incidents apte à garantir l'effectivité d'une réponse adaptée. Ainsi, il serait particulièrement utile que l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), conjointement avec le Conseil national de la protection de l'enfance, soit saisie d'une mission d'évaluation de la qualité du système de signalement, notamment de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) installée dans tous les départements (50), et de l'efficacité des réponses apportées.
    27 A cet égard, la CNCDH souhaite mettre l'accent sur un dispositif local qui mériterait d'être généralisé à l'ensemble des territoires. Précisément, une dynamique vertueuse s'est instaurée à Amiens, à l'initiative du médecin et de l'infirmière conseillers techniques auprès de l'académie, pour protéger les mineurs victimes de maltraitances. Les professionnels de l'enfance présents sur le territoire (magistrats du parquet et du siège, PJJ, ASE, CRIP, police, Education nationale, associations, médecins, etc.) se réunissent régulièrement pour dresser un état des lieux des situations préoccupantes et coordonner leur action tout au long du parcours de soins. Ces réunions régulières, ainsi que la formation de tous les acteurs concernés, ont également conduit à élaborer des outils communs, par exemple des protocoles d'intervention, qui seront prochainement diffusés sur le site de l'Education nationale. D'autres territoires ont manifesté leur intérêt pour une telle démarche, comme par exemple Valenciennes. La CNCDH encourage le Gouvernement à faire connaître le plus largement possible cette bonne pratique en soutenant sa généralisation à l'ensemble des territoires. A l'instar des délégués départementaux aux droits des femmes et à l'égalité placés auprès du préfet qui ont initié localement une dynamique comparable pour lutter contre les violences faites aux femmes, s'agissant des violences sur mineurs, le fer de lance pourrait être les rectorats, de concert avec les conseils départementaux, chefs de file de l'action publique en matière de protection de l'enfance.

    Recommandation : La CNCDH recommande, afin d'assurer une protection renforcée des mineurs victimes, d'encourager la collecte de données et la recherche sur les violences sexuelles sur mineurs et, plus largement, sur les violences intrafamiliales. Elle appelle les pouvoirs publics à porter une attention soutenue aux propositions formulées dans plusieurs rapports récents. Elle appelle le législateur à étendre l'obligation de signalement de suspicion de maltraitances sur mineurs à tous les médecins et de saisir l'occasion des visites médicales obligatoires à 6 et à 12 ans pour favoriser la détection précoce des violences subies. Elle préconise que l'éducation à la vie affective et sexuelle soit dispensée, sous des formes adaptées, à tous les enfants, dès le plus jeune âge (maternelle comprise), et que l'accès des jeunes à la pornographie soit davantage contrôlé. Enfin, elle appelle le Gouvernement à mobiliser les moyens humains et financiers nécessaires pour que les dispositifs de protection de l'enfance soient pleinement opérationnels sur tout le territoire. A cette fin, l'IGAS et le Conseil national de la protection de l'enfance pourraient être saisis d'une mission d'évaluation la qualité du système de signalement (notamment des CRIP), et l'efficacité des réponses apportées. Par ailleurs, il serait utile de valoriser les bonnes pratiques mises en œuvre localement.

    II. - Pour une amélioration de la réponse pénale

    28. La loi du 3 août 2018 dont l'objectif, explicité dans l'exposé des motifs, est le " renforcement de notre arsenal législatif ", est caractéristique de la démarche répressive privilégiée par la puissance publique pour lutter contre les violences sexuelles. Cette démarche s'est traduite par une avalanche législative - plus d'une dizaine de lois depuis l'entrée en vigueur du code pénal en 1994 -, visant notamment l'aggravation de la répression et l'allongement des délais de prescription. S'il apparaît nécessaire d'améliorer la réponse pénale, on peut légitimement interroger la pertinence des moyens mis en œuvre pour y parvenir, " la criminalité sexuelle ne marqu [ant] pas un recul à la hauteur de la quantité de lois répressives adoptées " (51). Il importe donc de redéfinir la place de la justice pénale dans la lutte contre les violences sexuelles (A) et, concernant l'état du droit proprement dit, il serait opportun de clarifier les dispositions actuelles (B) et de prendre davantage en compte les spécificités des jeunes mineurs victimes (C).

    A. - Redéfinir la place de la justice pénale dans la lutte contre les violences sexuelles

    29. Les débats de ces derniers mois, relayés dans la presse et dans l'hémicycle, ont mis en évidence un fait marquant : l'attente sociale à l'égard du procès pénal. Si celle-ci est légitime, en ce qu'elle marque un attachement à l'effectivité de la loi, la CNCDH souligne que la voie judiciaire doit être pensée comme une voie certes indispensable mais non comme la réponse unique en matière de reconnaissance, d'accompagnement et de prise en charge des victimes de violences sexuelles. Le procès pénal, qui constitue avant tout une réponse sociale visant à sanctionner l'auteur d'une infraction, peut être perçu comme une voie de reconnaissance des souffrances vécues par les victimes, générant à ce titre une attente, qui est néanmoins souvent déçue.
    30. Force est de constater, en effet, que le procès pénal ne constitue pas une réponse suffisante à l'heure actuelle. La plupart des affaires échappent à la justice. Par ailleurs, il parait indispensable que les victimes soient clairement informées de la longueur (une victime attend environ trois à cinq ans pour obtenir le jugement en cour d'assises) et de l'aléa du processus judiciaire (52). Il faut cependant les encourager à faire valoir leurs droits. Or le système judiciaire leur parait souvent traumatisant et il peut advenir qu'elles ne se sentent pas reconnues par la police et la justice (53). Ainsi est-il nécessaire de permettre une reconnaissance et un accompagnement des victimes de violences sexuelles déconnectés du procès pénal. A cet égard, la CNCDH invite les pouvoirs publics à considérer les propositions formulées par le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs (54). Ce dernier propose notamment que les victimes puissent être entendues par les services enquêteurs, indépendamment des règles relatives à la prescription de l'action publique, que soient renforcés les dispositifs de prise en charge médico-sociale, que les décisions judiciaires soient systématiquement expliquées aux victimes pour éviter qu'elles ne soient mal interprétées et enfin de réfléchir à la mise en œuvre, quand cela s'y prête, des dispositifs spécifiques de " justice restaurative " (55).

    Recommandation : La CNCDH recommande que le procès pénal s'inscrive dans un dispositif plus complet de prise en charge des violences sexuelles et que différentes mesures soient améliorées afin d'accompagner le processus de reconstruction des victimes : il s'agirait ainsi de renforcer les dispositifs de prise en charge psychologique, médicale et sociale des victimes de violences sexuelles, et de considérer les propositions formulées en février 2018 par le groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs.

    31. Les débats autour de l'allongement du délai de prescription de l'action publique de 20 ans à 30 ans pour les viols commis sur mineur de 15 ans sont particulièrement révélateurs des impasses de l'action judicaire. Ce délai courant à compter de la majorité de la victime, celle-ci pourra agir jusqu'à l'âge de 48 ans. Or les difficultés d'un procès pénal 30 ans après les faits sont connus, la possibilité de récolter des preuves suffisantes et les chances que la plainte aboutisse à une condamnation s'amenuisant avec le temps. Ainsi, cet allongement, qui part d'une intention louable - permettre aux victimes de déposer plainte même tardivement -, fait fi de toute considération criminologique ou judiciaire et pourrait même se révéler contre-productif. En effet, si la décision judiciaire n'est pas nécessairement " la vérité " (56), celle-ci ne manque souvent pas d'être interprétée comme telle, ce qui peut être douloureusement vécu par les victimes qui auront nourri l'espoir d'une condamnation judicaire et, par ce biais, d'une reconnaissance sociale de leur préjudice. Par ailleurs, outre le fait qu'il n'y a pas à ce jour de consensus scientifique sur le phénomène d'" amnésie traumatique " invoqué pour justifier cet allongement (57), la création d'un nouveau délai dérogatoire remet en cause l'harmonisation des délais de prescription à laquelle le législateur venait de procéder (58). Le débat n'est pas clos, dans la mesure où la loi du 3 août 2018 est appréhendée par certains comme une étape vers l'imprescriptibilité de certains crimes considérés comme particulièrement odieux. Il convient à cet égard de rappeler que l'imprescriptibilité est un marqueur de la gravité extrême de certaines infractions ; c'est la raison pour laquelle elle n'est consacrée que pour les crimes contre l'humanité. Si ce pas venait à être franchi pour les crimes sexuels contre les mineurs, tout laisse à penser qu'il s'agirait d'un premier pas vers d'autres extensions, comme par exemple en matière de crimes de terrorisme (prescription de 30 ans aujourd'hui). Une telle évolution non seulement serait de nature à remettre en question une des clés de voute du droit pénal moderne mais également à procéder à une confusion dans la hiérarchie des valeurs sociales, en banalisant la spécificité des crimes contre l'humanité.

    Recommandation : La CNCDH, prenant acte avec regret de l'allongement du délai de prescription de 20 à 30 ans pour les crimes sexuels contre les mineurs de 15 ans, appelle le législateur à refuser l'imprescriptibilité réclamée par certaines associations de victimes.

    32. Cela étant dit, la CNCDH partage le constat que les violences sexuelles ne sont que trop peu jugées aujourd'hui. Par ailleurs, la baisse continue du nombre de condamnations ces dix dernières années interroge (59). Si des progrès certains ont été réalisés - par exemple dans le recueil de la plainte par des services qualifiés ou avec le report du point de départ de la prescription à la majorité des mineurs victimes - il reste beaucoup à faire pour réduire la sous-déclaration et améliorer la réponse pénale. En la matière, outre la nécessité plus globale de renforcer les moyens de la justice, notamment pour permettre des délais de jugement raisonnables, c'est sur les conditions de recueil de la preuve qu'il faut peser, en favorisant les mesures de prévention et la formation des professionnels afin de permettre le recueil de la parole des victimes au plus tôt et dans les meilleures conditions (cf. partie I).

    B. - Améliorer le dispositif pénal

    33. Il n'appartient pas à la CNCDH de réécrire le droit positif en ce domaine, d'autant plus que l'on ne peut espérer raisonnablement une nouvelle réforme à brève échéance. Toutefois, la CNCDH invite la Chancellerie à mener une réflexion approfondie sur une mise à plat de la législation pénale en matière d'infractions sexuelles, qui placerait en son cœur la notion d'absence de consentement (1). A minima, si cette réforme globale n'était pas envisageable à court terme, il demeure néanmoins urgent de clarifier certaines dispositions du droit en vigueur (2).

    Recommandation : La CNCDH recommande à la Chancellerie d'initier une réflexion approfondie, éloignée du calendrier législatif d'un texte examiné dans l'urgence, sur la législation pénale en matière d'infractions sexuelles, en prenant en compte les observations formulées à son attention dans le présent avis.

    1. Placer au cœur de la définition légale des infractions sexuelles la notion d'absence de consentement
    34. En l'état actuel du droit français, le mot " consentement " n'est pas explicitement mentionné dans la définition des infractions sexuelles :
    " Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise " (art. 222-22 CP).
    " Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol " (art. 222-23 CP).
    35. Pour la CNCDH, il est essentiel que la définition juridique des viols et des autres agressions sexuelles soit fondée sur l'atteinte à un consentement libre et non équivoque (60), conformément aux exigences de la Convention du Conseil de l'Europe dite d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique - à laquelle la France est partie. Symétriquement, le Comité pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes rappelle que les Etats parties à la Convention doivent " veiller à ce que la définition des crimes de nature sexuelle, y compris le viol conjugal et le viol commis par un compagnon de sortie, se fonde sur le manque de consentement donné de son plein gré et prenne en compte les circonstances coercitives " (61). Une dizaine d'Etats européens signataires desdites Convention (Allemagne, Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni, Suède…) ont déjà adopté des définitions fondées sur le non consentement, tandis que d'autres s'apprêtent à le faire, à l'instar de l'Espagne. A titre d'exemple, l'article 375 du code pénal belge définit le viol comme " tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas " (62), en étant précisé qu'" il n'y a pas consentement notamment lorsque l'acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale de la victime ". Une telle modification serait conforme à la fonction expressive de la loi pénale : en mettant l'accent sur le défaut de consentement, elle soulignerait la primauté de l'autonomie personnelle et l'exigence de garantir la liberté individuelle. Dans cette approche, l'usage de la violence, de la menace, de la contrainte ou de la surprise permettrait de caractériser l'absence de consentement à titre d'éléments probatoires, sans que cette liste soit exhaustive, à l'instar du choix opéré par le droit belge. Plus lisible et plus efficace, une nouvelle rédaction des incriminations serait ainsi de bonne légistique.
    36. Au-delà, la CNCDH invite le législateur à réfléchir à l'approche retenue dans certains pays, à l'instar du Canada ou plus récemment de la Suède, où la loi met l'accent sur l'exigence du consentement explicite de la personne, tout en veillant à garantir le respect de la présomption d'innocence. Cette approche semblerait plus conforme aux exigences de la Convention d'Istanbul dont l'article 36.2 dispose que " Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ". En pratique, il apparaît que ce changement de paradigme poursuit surtout une visée pédagogique, avec un droit plus explicite et intelligible visant à participer à l'évolution des représentations sociales.

    Approche retenue au Canada
    Le Canada a opéré un changement de perspective en droit criminel en 1992 (63) :
    " Le consentement consiste pour l'application des articles 271, 272 et 273 en l'accord volontaire du plaignant à l'activité sexuelle " (art. 273.1).
    " Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur les articles 271, 272 ou 273 le fait que l'accusé croyait que le plaignant avait consenti à l'activité à l'origine de l'accusation lorsque, selon le cas :
    a) cette croyance provient : (i) soit de l'affaiblissement volontaire de ses facultés ; (ii) soit de son insouciance ou d'un aveuglement volontaire ; b) il n'a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s'assurer du consentement " (art. 273.2).
    Il en découle, en droit canadien, une obligation pour l'auteur de l'acte sexuel de s'assurer du consentement de son/sa partenaire, ce dernier devant être extériorisé de manière verbale ou non-verbale. Dans la pratique, les juges examinent ainsi si l'auteur présumé a recherché l'expression d'un consentement ; la passivité de la victime et son absence de résistance ne peuvent ainsi être appréhendées automatiquement comme signifiant un consentement tacite (64). A l'inverse, en France, l'infraction de viol ou d'agression sexuelle est caractérisée si est établie l'existence d'une contrainte, menace, violence ou surprise. Au Canada, ces notions interviennent non pas pour caractériser l'absence de consentement comme en France mais pour en analyser la validité dans l'hypothèse où un tel consentement a été exprimé. Il convient de noter que, dans la pratique, ce changement de perspective ne semble pas avoir conduit à davantage de poursuites et de condamnations, dans la mesure où le niveau de preuve nécessaire pour établir le crime reste le même, l'accusation devant toujours prouver l'intention (65). La vertu de cette réforme serait plutôt à rechercher sur le terrain de la prévention.

    Recommandation : La CNCDH recommande, conformément à la fonction expressive et pédagogique de la loi pénale, et afin de mettre la législation sur les agressions sexuelles en conformité avec les normes internationales, notamment la Convention d'Istanbul, de définir le viol et les autres agressions sexuelles en référence à l'absence de consentement à l'acte sexuel. Au-delà, elle invite le législateur à considérer l'approche retenue dans certains pays, à l'instar du Canada, où la loi requiert que le consentement soit explicite, et ne puisse jamais être présumé.

    37. Par ailleurs, toujours dans le but d'expliciter les valeurs protégées par la loi pénale, la CNCDH recommande de reformuler le titre de la section 3 Des agressions sexuelles (chapitre II, titre II, Livre II), comprenant les infractions de viol et les autres agressions sexuelles, en remplaçant l'occurrence " agressions sexuelles " par celle de " violences sexuelles ". En effet, l'expression " agression sexuelle " désigne à la fois l'hypothèse dans laquelle a été imposé un contact sexuel sans pénétration de la victime et une catégorie d'infractions comprenant, entre autres, le viol, ce qui entretient une certaine confusion problématique au regard de l'exigence de clarté de la loi pénale. L'expression violences sexuelles est en outre utilisée tant par les instances internationales que nationales et renvoie à l'idée d'absence de consentement ; on la retrouve d'ailleurs dans le titre de la loi du 3 août renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

    Recommandation : La CNCDH recommande de reformuler le titre de la section 3 Des agressions sexuelles (chapitre II, titre II, Livre II du code pénal), comprenant les infractions de viol et les autres agressions sexuelles, en remplaçant l'occurrence " agressions sexuelles " par celle de " violences sexuelles ".

    2. Clarifier les dispositions pénales en matière d'infractions sexuelles
    38. Loin d'avoir amélioré la cohérence de la réponse pénale en matière de violences sexuelles, la loi du 3 août 2018 comporte de nombreuses confusions. Le Conseil constitutionnel n'ayant pas eu à en connaître avant promulgation, la procédure de QPC pourrait le conduire à faire œuvre de censure au cas par cas. Cette loi s'inscrit dans un contexte d'inflation pénale en matière d'infractions sexuelles (66) ayant conduit à un empilement de dispositions dont la lisibilité, la pertinence et la cohérence d'ensemble posent question. A minima, il conviendrait de clarifier plusieurs dispositions du droit en vigueur, la CNCDH souhaitant ici mettre en lumière certaines d'entre elles.
    39. En premier lieu, face à l'écueil de la prolifération pénale qui a conduit à un " maquis des incriminations " en matière d'infractions sexuelles (67), il conviendrait de s'intéresser à leur cohérence d'ensemble et à l'impact réel de certaines d'entre elles. Par exemple, si la suppression de la référence aux mineurs en cas d'inceste met fin à une véritable incongruité juridique en la matière, la présence de la surqualification pénale d'inceste permet-elle réellement de mieux garantir la répression de tels actes et protéger l'intérêt des victimes ? De même, la création de la contravention d'outrage sexiste (68), visant à réprimer le harcèlement de rue, est-elle la manière la plus appropriée pour combattre de tels phénomènes ? De surcroît, la rédaction peu lisible de cette incrimination laisse une grande part à la subjectivité de la victime et aux circonstances entourant la commission de l'infraction. Sa finalité semble plus pédagogique que répressive dans la mesure où l'on voit mal comment elle sera appliquée dans la pratique sauf à ce que l'outrage soit constaté directement par un agent sur la voie publique. En outre, l'amende forfaitaire est bien éloignée d'une solution de prévention ou d'éducation à même d'agir sur ces comportements. Pour la CNCDH, l'affirmation symbolique du rejet de certaines pratiques ne peut justifier l'écueil de l'accumulation de lois pénales de pur affichage, sans se soucier des conditions de leur mise en œuvre. " Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires " (69) affirmait déjà Portalis en 1801.
    40. En deuxième lieu, un autre écueil, induit par la démarche répressive suivie, est celui de l'aggravation constante des peines encourues et la création récurrente de nouvelles circonstances aggravantes. Le viol est ainsi assorti aujourd'hui de quinze circonstances aggravantes (art. 222-24 CP). La dernière loi a également eu pour effet d'aggraver la peine encourue pour le délit d'atteinte sexuelle, qui vise tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur de 15 ans (de 5 à 7 ans d'emprisonnement, de 75 000 à 150 000 euros d'amende). Or cette réforme risque de consacrer une dérive : celle de la correctionnalisation des crimes de viols et agressions sexuelles sur mineurs. Le délit d'atteinte sexuelle tend à devenir une " infraction balai ", un palliatif quand le crime de viol ou le délit d'agression sexuelle n'est pas constitué, en raison de la rédaction actuelle de l'incrimination de viol. En la matière, la CNCDH pense que les modifications de seuils de peine mériteraient de s'inscrire dans une réflexion plus globale sur les peines encourues en matière d'infractions sexuelles, parmi les plus lourdes en Europe (70).
    41. En troisième lieu, la rédaction confuse et de piètre qualité de certaines dispositions pénales impliquerait de prendre le temps nécessaire pour réviser certaines formulations en des termes suffisamment précis et lisibles pour répondre aux exigences du principe de légalité de la loi pénale. C'est notamment le cas de l'exhibition sexuelle dont la loi précise seulement qu'elle est " imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public " (art. 222-32). A cet égard, les poursuites intentées contre une militante du mouvement Femen, activistes féministes faisant de la nudité des femmes un instrument d'expression politique, interrogent (71) : le fait de dénuder sa poitrine a-t-il toujours une connotation sexuelle ? A la lumière des législations étrangères, les contours de cette incrimination pourraient être précisés en réfléchissant à la notion d'intention et aux personnes que l'on souhaite protéger de cette exhibition (72). Enfin, il convient également de relever la rédaction maladroite de l'article 222-23, qui élargit le champ d'application du viol à toute pénétration non consentie : " Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol " (73). Si l'intention du législateur se comprend, à la lecture des travaux parlementaires, la clarté de l'incrimination est sujette à caution.
    42. En dernier lieu, le législateur a complété à l'article 222-22-1 les dispositions interprétatives de la contrainte morale et de la surprise, éléments constitutifs de l'agression sexuelle :
    " La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale.
    Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur.
    Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ".
    43. Cet article pose plusieurs difficultés : formulations alambiquées, confusion entre la contrainte morale et la surprise, appréhension des éléments constitutifs de l'infraction à l'aune de la spécificité de la victime mineure alors que la victime majeure est également concernée. La forme affirmative du troisième alinéa sème la confusion : elle laisse entendre que cette disposition est prescriptive pour le juge, c'est-à-dire que ces éléments seraient caractérisés sans qu'il soit besoin d'en rapporter la preuve, alors qu'elle a seulement vocation à être interprétative.
    44. La CNCDH doute de l'utilité de préciser dans la loi les contours des éléments constitutifs de l'agression sexuelle et du viol. Si ces dispositions dites " interprétatives ", déjà prises en compte par la jurisprudence (74), peuvent offrir un cadre d'interprétation aux enquêteurs et magistrats, elles sont laissées à l'appréciation souveraine des juges de fond et ne règlent pas les difficultés sur le terrain de la preuve. Aucune formulation ne permettra en outre de saisir l'ensemble des cas particuliers possibles et le risque est de restreindre l'application du texte par une définition trop précise.

    C. - Prendre en compte les spécificités des victimes mineurs

    45. On sait que les ministres porteurs du projet ayant abouti à la loi du 3 août 2018 ont renoncé à l'idée essentielle qui fondait la réforme : la présomption de non consentement des mineurs de 15 ans à tout acte sexuel avec un majeur. Partant, il n'est resté que des lambeaux du projet initial, augmentés de quelques ajouts issus des débats parlementaires. Si ce n'est la question subsidiaire de la qualification d'atteinte sexuelle qui devient un impératif en cas d'échec des poursuites pour viol sur mineur, les autres apports de la loi du 3 août 2018, à savoir l'aggravation de la peine encourue en cas d'atteinte sexuelle et les précisions apportées aux éléments constitutifs de l'agression sexuelle commise sur un mineur de 15 ans, n'auront qu'un effet limité sur la protection des mineurs victimes. En l'état, pour un mineur, il faut toujours apporter la preuve de la contrainte, menace, violence ou surprise pour qu'on le considère comme non-consentant à la relation sexuelle et que celle-ci soit qualifiée de viol (75). La question reste donc entière : faut-il aller plus loin, à l'instar de la plupart des pays européens, en criminalisant automatiquement tout rapport sexuel entre un majeur et un jeune mineur ?
    46. Avant toute chose, il convient de lever les arguments portant sur l'impossibilité d'une telle mesure au prétexte qu'elle serait contraire aux exigences constitutionnelles. Selon le Conseil d'Etat, serait inconstitutionnelle, car contraire au principe de présomption d'innocence, l'instauration d'une présomption irréfragable d'absence de consentement attachée à un seuil d'âge pour les mineurs (76). L'hypothèse d'une présomption simple de défaut de consentement, qui n'encourrait pas les mêmes critiques d'inconstitutionnalité, ne répondrait quant à elle pas à l'objectif poursuivi puisqu'il n'empêcherait pas les débats sur le consentement supposé du mineur, fut-il très jeune. Les débats parlementaires se sont focalisés sur cette opposition entre présomption simple et présomption irréfragable, en oubliant que d'autres approches, alternatives, seraient envisageables. Il serait en effet possible, et pleinement conforme à la présomption d'innocence, de concevoir une nouvelle incrimination faisant de l'âge de la victime un élément matériel constitutif de l'infraction. Telle est notamment la proposition faite par d'éminents spécialistes, comme le professeur Philippe Conte :
    " Si l'on veut rompre véritablement avec l'état actuel du droit, il conviendrait de réprimer en tant que crime l'acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d'un mineur d'un certain âge, même sans violence, contrainte, menace ou surprise. Qualifier d'agression sexuelle un tel acte est exclu au regard de l'article 222-22 du Code pénal, en l'absence de ces adminicules. Aussi faudrait-il créer une nouvelle catégorie d'infractions sexuelles s'ajoutant aux agressions et atteintes, en introduisant le crime (revêtu de l'appellation que l'on voudra, dès lors qu'elle ne reprendrait pas les termes d'agression ou d'atteinte sexuelle), consistant, pour un majeur, à abuser en matière de sexualité de la vulnérabilité d'un mineur d'un âge inférieur à celui prédéterminé par le législateur, ce qui retirerait au juge le pouvoir correspondant " (77).
    47. La création d'un crime sui generis réprimant toute pénétration de nature sexuelle commise par un majeur sur un mineur en-dessous d'un certain âge, lorsque celui-ci connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime, permettrait de contourner les difficultés juridiques évoquées par le Conseil d'Etat. On sortirait par-là du débat sur le consentement ou non de ce " jeune mineur ", étranger à la définition dudit crime et on poserait ainsi clairement un interdit protecteur de l'enfance (78).
    48. Pour la CNCDH, on ne peut considérer qu'un enfant ou un très jeune adolescent puisse consentir de manière libre et éclairée à un acte sexuel avec un adulte (79). Les agressions sexuelles devraient ainsi pouvoir se déduire du seul jeune âge de la victime (aujourd'hui seulement circonstance aggravante), sans avoir besoin de caractériser l'absence de consentement de la victime, et ainsi préserver les jeunes mineurs d'une procédure qui peut être traumatisante (80). Ce serait par ailleurs conforme aux préconisations des instances européennes et internationales (81). La question centrale est de savoir ce que l'on entend par " jeune mineur ", âge qui a généralement été fixé entre 13 et 16 ans dans les pays européens. L'enjeu est à la fois de mieux protéger les mineurs des éventuelles pressions exercées par les adultes et de tenir compte du continuum de développement entre l'adolescence et l'âge adulte ainsi que de la possibilité d'une vie affective entre adolescents et jeunes adultes.
    49. En l'état, le droit ne semble pas avoir pris en compte les réalités sociales, et le risque existe que, dans un souci légitime de protection des mineurs, un excès de zèle conduise à renforcer le contrôle social sur la sexualité des jeunes. Précisément, depuis 1992, le délit d'atteinte sexuelle postule que les adolescents de moins de 15 ans ne peuvent avoir de relations sexuelles consenties avec un majeur, délit puni aujourd'hui de 7 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende. Des études scientifiques révèlent pourtant que certains rapports entre un jeune de moins de 15 ans et un jeune majeur sont consentis (82). Or faut-il systématiquement qualifier de contraintes et réprimer pénalement ces expériences adolescentes, sans tenir compte de la diversité des situations - l'âge de la maturité sexuelle n'étant pas le même pour tous - et les conséquences des effets de seuil ?
    50. Pour la CNCDH, la plus grande prudence s'impose, d'autant plus que rien ne garantit, par exemple, que des parents mécontents des comportements de leurs adolescents ne porteront pas plainte contre leur jeune partenaire majeur (83). S'il existe des désaccords en la matière pour les mineurs de 13 à 15 ans, il semble toutefois y avoir un consensus sur le fait que les mineurs de moins 13 ans ne peuvent consentir librement à des relations sexuelles avec un majeur. Ainsi, considérant à la fois les connaissances scientifiques et la nécessité de pallier juridiquement la difficulté de prouver le consentement, la CNCDH considère que la solution visant à instaurer un crime sui generis réprimant tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur à l'encontre d'un mineur de 13 ans, ainsi qu'un délit sui generis pour tout autre acte sexuel commis par un majeur à l'encontre d'un mineur de 13 ans, représente un juste équilibre (84). Dans ces deux hypothèses, demeurerait néanmoins admissible, mais rarement, l'échappatoire de l'erreur de fait à savoir la méprise de l'auteur sur l'âge du mineur de 13 ans. L'adoption de ces deux nouvelles infractions impliquerait, dans un souci de cohérence, de supprimer le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. Elle supposerait également de faire de l'âge de la victime, entre 13 et 15 ans, une circonstance aggravante du crime de viol et du délit d'agression sexuelle. Ainsi redéfini, le droit pénal s'avèrerait plus protecteur des mineurs de 13 ans, sans baisser la garde s'agissant des mineurs de 15 ans.

    Recommandation : La CNCDH recommande de créer un crime sui generis réprimant les actes de pénétration sexuelle commis par un majeur sur la personne d'un mineur de 13 ans, ainsi qu'un délit sui generis réprimant tout autre acte sexuel commis par un majeur sur la personne d'un mineur de 13 ans, lorsque celui-là connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime. Elle recommande que l'âge de la victime, entre 13 et 15 ans, demeure une circonstance aggravante du crime de viol et du délit d'agression sexuelle. Dans un souci de cohérence, il conviendrait de supprimer le délit d'atteinte sexuelle.

    51. La lutte contre les violences sexuelles nécessite d'amplifier les actions de prévention, de faciliter l'expression de la parole des victimes et de renforcer les dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. Si les mesures annoncées ces derniers mois dessinent les contours d'une stratégie cohérente, il convient à présent de tout mettre en œuvre, en mobilisant les moyens financiers et humains nécessaires, pour qu'elles se traduisent par des avancées concrètes, sur le terrain. Il est impératif, en ce domaine particulièrement, que le Gouvernement se donne réellement les moyens de ses ambitions. En matière pénale, au-delà d'une évolution du droit, il faut avant tout s'attaquer à la racine du problème, à savoir le manque de moyens de la justice et les conditions de recueil de la preuve. Parce qu'elles constituent des atteintes flagrantes aux droits fondamentaux, les violences sexuelles nécessitent une mobilisation des pouvoirs publics et une action résolue de leur part, seules à même de participer à l'élaboration d'une société respectueuse de l'égalité entre les femmes et les hommes et soucieuse de la protection des enfants et des personnes vulnérables.

    Redoubler d'efforts dans les Outre-mer
    Les violences sexuelles et sexistes, et les stéréotypes persistants qui les sous-tendent, sont particulièrement prégnants dans les Outre-mer. Elles sont aussi également bien moins documentées. Le terrain de plusieurs enquêtes nationales, comme VIRAGE (Violences et rapports de genre) et CVS (Cadre de vie et sécurité (85)), ne dépasse pas les frontières de l'hexagone, faute de moyens. La CNCDH appelle ainsi les pouvoirs publics à mobiliser, si ce n'est plus, au moins autant d'énergie dans les Outre-mer que dans l'hexagone pour prévenir et lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Pour ce faire, elle peut notamment se saisir des propositions concrètes formulées par la CNCDH dans son étude sur l'effectivité des droits de l'homme dans les Outre-mer, parue en mars 2018 (notamment ses avis sur les violences de genre et les droits sexuels et reproductifs (86), sur l'effectivité du droit à l'éducation - qui comporte un volet sur la protection de l'enfance (87), sur l'accès au droit et à la justice (88)). Ils peuvent aussi s'appuyer sur les 40 préconisations du CESE, dans son rapport du 29 mars 2017 " combattre les violences faites aux femmes dans les Outre-mer " (89).

    (1) De nombreux dispositifs ont été mis en place, notamment dans le cadre des plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes (le 5e plan mis en œuvre depuis 2017) : numéro d'accueil 3919, protocole aux Agences Régionales de Santé (ARS) pour renforcer les liens entre services de santé, police et justice, formation, actions de prévention des comportements sexistes et des violences en tous lieux, campagnes de sensibilisation, dispositifs territoriaux d'accueil d'accompagnement et d'orientation des femmes victimes de violences… Pour un aperçu, voir notamment le rapport du gouvernement sur les mesures prises en lien avec la Convention d'Istanbul remis en mars 2018 au groupe d'expert du Conseil de l'Europe (diverses mesures en matière de prévention, dépistage, accompagnement, soin des victimes) : https://rm.coe.int/state-report-france-2018-version-finale/16807b56bd

    (2) Par exemple, dans le cadre de l'enquête Virage (2015), menée en 2015 auprès d'environ 27 000 personnes âgées de 20 à 69 ans, 1 femme sur 7 (14,5 %) et 1 homme sur 25 (3,9 %) déclarent avoir subi au moins une forme de violence sexuelle au cours de leur vie. 62 000 femmes et 2 700 hommes déclarent avoir été victime d'au moins un viol, une tentative de viol ou des deux dans l'année écoulée. Si on ajoute les personnes victimes d'autres agressions sexuelles au cours des 12 derniers mois (attouchements, pelotage, baisers imposés) et/ou de pratiques sexuelles forcées, on dénombre 580 000 femmes et 197 000 hommes victimes de violences sexuelles (soit 2,9 % des femmes et 1% des hommes). Les femmes seraient victimes dans toutes les sphères de la vie sociale et à tous les âges de la vie tandis que les hommes seraient principalement concernés par ces violences pendant l'enfance, dans le cadre familial ou l'environnement proche (Enquête " Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes " : https://virage.site.ined.fr/fr/enjeux/objectifs_enquete/). Il est à noter que les différentes enquêtes sous-estiment le nombre total de viols par an dans la mesure où ils ne prennent souvent pas en compte l'ensemble de la population (notamment les mineurs) ou du territoire français (territoires d'Outre-mer souvent exclus).

    (3) Comité CEDEF, Recommandation générale n° 35 sur la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n3 19, 2017, CEDAW/C/GC/35, §20.

    (4) " Les condamnations pour violences sexuelles ", Infostat Justice n° 164, septembre 2018.

    (5) Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

    (6) D. Dhilly et B. Grosjean, Sexe sans consentement, documentaire, 52 min, France 2, 2018

    (7) Voir notamment : OMS, " Santé génésique ", Rapport du Secrétariat, A57/13, 15 avril 2004 ; Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'éducation, 23 juillet 2010, A/65/162 ; Comité ONU des droits de l'enfant, Observation générale no 15 (2013) sur le droit de l'enfant de jouir du meilleur état de santé possible, 17 avril 2013, CRC/C/GC/15, § 60 ; principes directeurs internationaux de l'UNESCO sur l'éducation sexuelle ; CODESC, Observation générale no 22 (2016) sur le droit à la santé sexuelle et procréative, 2 mai 2016, E/C.12/GC/22

    (8) HCEFH, rapport relatif à l'éducation à la sexualité́. Répondre aux attentes des jeunes, construire une société́ d'égalité́ femmes-hommes, Rapport n° 2016-06-13-SAN-021, 13 juin 2016

    (9) Sur 3 000 écoles passées à la loupe, un quart déclarait même n'avoir engagé aucune action dans ce domaine.

    (10) Circulaire n° 2018-111 du 12 septembre 2018 relative à l'éducation à la sexualité http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2018/09/cir_43964.pdf

    (11) Il s'agit de tâcher d'éviter des épisodes malencontreux comme celui qui, en 2014, a conduit le ministre de l'éducation nationale à renoncer au programme d'enseignement baptisé " L'ABCD de l'égalité " qui avait été expérimenté durant l'année scolaire 2013-2014 dans quelque six cents écoles maternelles et élémentaires, malgré l'appréciation favorable portée sur cette expérimentation. Celle-ci avait fait l'objet d'une vaste campagne qui avait suscité une intense polémique dans les médias, stigmatisant notamment d'une imaginaire " théorie du genre ".

    (12) Plusieurs bonnes pratiques peuvent être mises en avant, par exemple le projet " Des gynécologues à la rencontre des adolescents " ( http://www.fsfcngof.com/images/documents/projets/projetgynecorencontreadosversiondef.pdf) inclut les interventions en milieu scolaire et la formation des intervenants (étudiants en médecine, infirmiers scolaires, enseignants…) en Basse-Normandie, en Seine Saint-Denis et dans le Val de Marne, en collaboration avec les académies.

    (13) Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France réalisée par une équipe de chercheurs pluridisciplinaire, en 2000, auprès d'un échantillon représentatif de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans.

    (14) Enquête " Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes " : https://virage.site.ined.fr/fr/enjeux/objectifs_enquete/

    (15) Estimation de l'association Femmes pour le dire, Femmes pour agir.

    (16) Etude IFOP pour la fondation Jean Jaurès, juin 2018.

    (17) Voir sur le sujet : CNCDH, Rapport sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains, 2016.

    (18) L'enquête VIRAGE (2015) révèle que 580 000 femmes et 197 000 hommes ont été victimes de violences sexuelles au cours des 12 derniers mois. Or seulement 40 000 plaintes auraient été déposées pour violences sexuelles en 2017, laissant percevoir l'ampleur de la sous-déclaration (chiffre cité dans https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/info-franceinfo-comment-lutter-contre-les-violences-sexuelles-voici-les-35-propositions-d-un-rapport-dexperts_2940503.html)

    (19) A. Debauche, " Quelles sont les données sur les violences sexuelles en France et quelle lecture en faire ? ", Paris : Fédération Française des CRIAVS, 2018.

    (20) De nombreux outils de formations sur les violences sexuelles ont été développés par la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) et visent un large spectre de professionnels.

    (21) Voir la circulaire n° DGOS/R2/MIPROF/2015/345 du 25 novembre 2015 relative à la mise en place, dans les services d'urgences de référents sur les violences faites aux femmes. Le référent doit notamment aider au repérage, à l'orientation et à la prise en charge des victimes vers les autres acteurs locaux institutionnels et associatifs de proximité, et de mettre à disposition des professionnels de l'hôpital et des victimes des supports de communication et de sensibilisation.

    (22) O. Pérona, " Déqualifier les viols : une enquête sur les mains courantes de la police judiciaire ", Droit et société, février 2018, n° 99, pp.341-355. Cette enquête, issue d'un travail d'ethnographie de 10 mois dans un service de police judiciaire et de l'exploitation des archives de ce dernier, révèle la faible autonomie de la police judicaire sur le traitement des viols (contraintes structurelles et politiques) et montre que la déqualification des plaintes varie selon la proximité relationnelle entre victime et suspect et dépend de l'interprétation policière de la passivité des victimes.

    (23) L'article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, modifiée par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, a rendu obligatoire pour plusieurs corps de professionnels l'institution d'une formation initiale et continue sur les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes, ainsi que sur les mécanismes d'emprise psychologique, à savoir : médecins, personnels médicaux et paramédicaux, travailleurs sociaux, magistrats, fonctionnaires et personnels de justice, avocats, personnels enseignants et d'éducation, agents de l'état civil, personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, personnels de la police nationale, polices municipales et de la gendarmerie nationale, personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes ainsi que sur les mécanismes d'emprise psychologique.

    (24) Pour plus d'informations sur ce dispositif, qui devrait concerner d'autres types d'infractions, voir : CNCDH, Rapport 2017 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, 21 mars 2018, pp. 224-225 ; Avis sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, 20 novembre 2018.

    (25) A la date d'adoption du présent avis cette possibilité spécifique de plainte en ligne n'apparaît pas encore quand on va consulter le site officiel ad hoc, qui comporte une rubrique " Comment porter plainte " : http://violences-sexuelles-info.fr/plainte.htm

    (26) Plusieurs mesures ont été annoncées depuis le 25 novembre 2017, après que le Président de la République est érigé l'Egalité entre les femmes et les hommes au rang de grande cause du quinquennat. Pour un aperçu, voir le communiqué de presse du Secrétariat d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes du 23 mars 2018 : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2018/03/CP-Le-projet-de-loi-vient-completer-un-arsenal-inedit-de-mesures-.pdf

    (27) Voir par exemple : M. Salmona, Violences sexuelles. 40 questions-réponses incontournables, Dunod, 2015 ; Etude " Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte ", réalisée de mars à septembre 2014 sur 1214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans : https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2015-campagne-stop-au-deni.html Il convient de souligner que, ces dernières années, la jurisprudence évoque quand même de plus en plus les phénomènes d'emprise et de sidération, et explique la passivité comme impact de la violence sexuelle.

    (28) Article 4 de la loi du 3 août 2018.

    (29) D'après une enquête menée en 2015 par le Défenseur des droits, une femme sur cinq a été confrontée à du harcèlement sexuel au travail, proportion qui n'a pas baissé depuis 1991 (19 %). Trois victimes sur dix n'ont pas osé en parler et 6 sur 10 ont déclaré n'avoir pu compter que sur elles-mêmes pour y faire face. 70 % des cas de harcèlement sexuel au travail ne seraient pas transmis à la connaissance de l'employeur ou de la direction et 40 % des femmes victimes ayant procédé à un signalement estiment que les conséquences ont été négatives pour elles. Voir : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/publications/etudes/enquete-sur-le-harcelement-sexuel-au-travail.

    (30) Sur ce point, la CNCDH renvoie à l'étude sur le sexisme du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) dans son étude sur le sexisme (recommandation 28).

    (31) Avis n° 18-03 du 25 janvier 2018.

    (32) Mettre fin à la violence et au harcèlement contre les femmes et les hommes dans le monde du travail - Rapport de l'OIT - 2018 https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_553578.pdf

    (33) Voir l'enquête nationale de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, soutenue par l'UNICEF, " Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte " a été réalisée de mars à septembre 2014 sur 1214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/campagne2015/2015-Rapport-enquete-AMTV.pdf Il est notamment fait mention d'un état de santé détérioré, du développement de troubles psycho-traumatiques, de la baisse de l'espérance de vie, du risque que la victime devienne agresseur à son tour, etc.

    (34) Le comité interministériel aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes du 8 mars 2018 a posé les bases d'un grand plan gouvernemental en la matière : pré-plainte en ligne, places d'hébergement et accompagnement adapté, stages de prévention de la récidive, dispositifs de signalement et traitement des violences sexistes et sexuelles dans les administrations, plan de formation à l'égalité et prévention des violences sexuelles dans la fonction publique et toutes les écoles de service public. De même, des mesures complémentaires devraient figurer dans la stratégie nationale de protection de l'enfant 2018-2022 qui devrait être annoncée prochainement par le Gouvernement.

    (35) Intervention de la Ministre pour la clôture de la journée sur la prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles, 8 octobre 2018. L'appel à projets national a été lancé cet été, par la direction générale de l'offre de soins, en lien avec les ARS. Le cahier des charges exige que ces centres soient adossés à une structure hospitalière. L'objectif de ces centres serait également de former le personnel médical, de faire de la recherche sur le sujet et d'établir un véritable réseau local des professionnels impliqués (audition de M. Salmona).

    (36) Delarue, JM. et al. (2018). Auteurs de violences sexuelles : prévention, évaluation, prise en charge. Rapport de la Commission d'audition du 17 juin 2018. Paris : Audition Publique, 14-15 juin 2018, Auteurs de Violences Sexuelles : Prévention, évaluation, prise en charge.

    (37) L'étude nationale " Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte " a été réalisée de mars à septembre 2014 sur 1214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans, dont 95 % de femmes : https://www.memoiretraumatique.org/campagnes-et-colloques/2015-campagne-stop-au-deni.html Les résultats de l'enquête VIRAGE sont concordants : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés ont été subis avant 15 ans pour les femmes et près de 60 % pour les hommes, " notamment en raison du poids important des violences subies dans le cadre de la famille, qui surviennent avant les 15 ans de la victime dans plus de 80 % des cas pour les femmes et 86 % pour les hommes ".

    (38) Voir par exemple : D. Brown, R. F. Anda, H. Tiemeier, V.J. Felitti, V. J. Edwards, J. B. Croft, W. H. Giles, " Adverse Childhood Experiences and the Risk of Premature Mortality ", American Journal of Preventive Medicine, novembre 2009, vol. 37, n° 5, pp. 389-396 ; V. J. Felitti, R. F. Anda, " The Relationship of Adverse Childhood Experiences to Adult Health, Well-being, Social Function, and Health Care " in R. Lanius, E. Vermetten, C. Pain (eds.), The Effects of Early Life Trauma on Health and Disease : the Hidden Epidemic, Cambridge University Press, 2010, pp. 77-87 ; S. Hillis S, J. Mercy, A. Amobi et al. “Global Prevalence of Past-year Violence Against Children : A Systematic Review and Minimum Estimates”. Pediatrics, mars 2016, vol 137, n° 3 ; E. Fulu et al., “Pathways between childhood trauma, intimate partner violence, and harsh parenting : findings from the UN Multi-country Study on Men and Violence in Asia and the Pacific Author links open overlay panel”, The Lancet Global Health, 2017, vol 5, n° 5.

    (39) La plupart des enquêtes sur les violences n'intègrent pas les mineurs (dont ENVEFF, VIRAGE et Cadre vie et sécurité).

    (40) Rapport d'information n° 289 du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, 7 février 2018.

    (41) Par ailleurs, l'article 434-3 du code pénal réprime le fait de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives mais aussi, depuis la loi du 3 août 2018, le fait de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n'ont pas cessé (délit continu).

    (42) Voir par exemple : Comité des ministres du Conseil de l'Europe (18 novembre 2009) ; les recommandations formulées en 2011 par deux rapporteurs spéciaux des Nations unies, le Dr Najat M'jid et Mme Marta Santos Pais ; Comité des Droits de l'Enfant (17 février 2011).

    (43) C. Bonnet, J-L Chabernaud, " Pour une obligation de signaler, dans l'intérêt de l'enfant maltraité ", Concours médical, février 2016, tome 138, n° 2 ; voir également la tribune “Protégeons vraiment les enfants victimes de violences”, publiée sur le site de l'Express le 28 juin 2018 et signée par plusieurs professionnels de l'enfance.

    (44) Pour ce faire, une mention relative aux violences subies, notamment dans le cadre intrafamiliale, pourrait être intégrée à l'annexe 1 et 2 - qui précisent les contenus de ces visites médicales et de dépistage obligatoires - de l'arrêté du 3-11-2015 relatif à la Périodicité et contenu des visites médicales et de dépistage obligatoires prévues à l'article L. 541-1 du code de l'éducation, NOR : MENE1517115A.

    (45) Circulaire n° 2018-111 du 12 septembre 2018 relative à l'éducation à la sexualité.

    (46) B. Welniarz, H. Medjdoub, " Du jeu sexuel à l'agression entre enfants du même âge en " période de latence " : réflexion à partir d'une population d'enfants hospitalisés pour troubles du comportement ", L'information psychiatrique, janvier 2012/1, vol 88, pp. 13-20.

    (47) CEDH, A.R. et L.R. contre Suisse, 19 décembre 2017, n° 22338/15, § 35.

    (48) Selon une étude IFOP sur la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur les comportements sexuels du 15 mars 2017, la moitié des adolescents de 15 à 17 ans déclare avoir déjà surfé sur des sites pornographiques en 2017, contre 37 % en 2013 ; 78 % d'entre eux voient leur premier film W entre 13 et 15 ans ; 8 % des 14-15 ans regardent du porno plusieurs fois par jour, parmi lesquels 5 % de filles : http://www.ifop.com/media/poll/3698-1-study_file.pdf

    (49) Observations du 15 juin 2018 sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

    (50) La CRIP, issue de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, vise à recueillir et évaluer toutes les toutes les informations préoccupantes relatives à un mineur en danger ou en risque de l'être. Elle peut être saisie par tout citoyen ou professionnel.

    (51) A. Darsonville, " Le surinvestissement législatif en matière d'infractions sexuelles ", Archives de politique criminelle, janvier 2012, n° 34, pp. 31-43. Elle précise que " les chiffres révélés par l'Annuaire statistique de la justice montrent que le nombre des infractions sexuelles est assez stable depuis une dizaine d'années. Ainsi, on dénombrait 1582 condamnations pour viols en 2002, 1814 condamnations pour viols en 2006 et 1370 condamnations pour viols en 2010. Les chiffres fluctuent d'une année à l'autre mais au sein d'une échelle relative ".

    (52) Les auteures du livre-enquête " le viol, un crime presque ordinaire " (2011), Nolwenn Weiler et Audrey Guiller, rappellent qu'une grande majorité de victimes ne portent jamais plainte. Le nombre de femmes victimes de viol ou de tentatives de viol en France est estimé à environ 75 000 par an ; environ 10 % d'entre elles signalent les faits à la police. Ces estimations sont basées notamment sur l'enquête nationale ENVEFF (2000) et l'enquête intitulée " Contexte de la sexualité en France de 2006 ". Sur les 75 000 cas de viol, à peine environ 3 % finiraient par être jugés en cour d'assises.

    (53) Voir les résultats de l'enquête " Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte " conduite en 2015 auprès des victimes par l'association Mémoire Traumatique et Victimologie et soutenu par l'UNICEF : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/campagne2015/2015-Rapport-enquete-AMTV.pdf

    (54) Rapport d'information n° 289 du groupe de travail de la commission des lois du Sénat sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, 7 février 2018.

    (55) Comme indiqué sur le site du ministère de la Justice (consulté le 24 octobre 2018), il s'agit d'une " pratique complémentaire au traitement pénal de l'infraction [qui] consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d'infractions. Les mesures prises, selon des modalités diverses, visent toutes à rétablir le lien social et à prévenir au mieux la récidive ". Voir le colloque " La justice restaurative : pour un authentique cheminement vers l'apaisement ", Cour de cassation, septembre 2018 : https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/colloques_videos_6111/histoire_droit_justice_7885/authentique_cheminement_40486.html

    Il convient notamment sur ce point de se référer aux précisions du comité CEDEF et " veiller à ce que la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre ne soit pas obligatoirement déférée à des procédures alternatives de règlement des conflits, telles que la médiation et la conciliation 55. L'utilisation de ces procédures devrait être strictement réglementée et autorisée seulement dans les cas où une évaluation préalable par une équipe spécialisée permet de garantir le consentement libre et éclairé de la victime concernée et l'absence de risques supplémentaires pour celle-ci ou les membres de sa famille. Ces procédures devraient donner des moyens d'action aux femmes victimes et elles doivent être proposées par des professionnels spécialement formés pour comprendre les affaires de violence à l'égard des femmes fondée sur le genre et y intervenir de manière appropriée, en veillant à protéger correctement les droits des femmes et des enfants ainsi qu'à éviter les représentations stéréotypées ou la revictimisation des femmes. Les modes non judiciaires de règlement des conflits ne devraient pas représenter un obstacle à l'accès des femmes à la justice formelle " (Comité CEDEF, Recommandation générale no 35 sur la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19, 2017, CEDAW/C/GC/35, § 32 b)

    (56) L'absence de condamnation du mis en cause ne signifie pas que la justice considère que " la victime était consentante " mais que cette dernière se plaçant toujours sur le terrain de la preuve, elle a jugé que les éléments de preuve n'étaient pas suffisantes, or le doute dans notre système judiciaire profitant toujours au prévenu ou à l'accusé.

    (57) Voir par exemple : " Faire entrer dans la loi l'amnésie traumatique serait dangereux ", tribune publiée dans " Le Monde " du 22 novembre 2017, signée par un collectif de chercheurs en psychologie sociale et cognitive ; le Manifeste pour l'imprescriptibilité de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie co-signé par 25 associations, remis à Mme Schiappa le 20 octobre 2017 : http://manifesteimprescriptibilite.blogspot.com/

    (58) La réforme de la prescription de l'action publique date du 27 février 2017 et visait une simplification des régimes de prescription.

    (59) D'après l'Infostat Justice n° 164 de septembre 2018, " le nombre de condamnations prononcées chaque année pour violences sexuelles est en baisse continue sur la période [2007-2016] (moins 25 %). La baisse est deux fois plus rapide pour les viols (moins 40 %) dont la part au sein des condamnations pour violences sexuelles a diminué de 4 points passant de 20,7 % en 2007 à 16,7 % en 2016 ".

    (60) CNCDH, Avis sur le consentement des personnes vulnérables, 16 avril 2015.

    (61) Comité CEDEF, Recommandation générale n° 35 sur la violence à l'égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n° 19, 2017, CEDAW/C/GC/35, § 29 e).

    (62) Mutatis mutandis, la modification appelée de ces vœux par la CNCDH pourrait s'inspirer de la rédaction de l'article 223-10 du code pénal français qui dispose que " L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ".

    (63) Voir par exemple : C. Le Magueresse " Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien ", Archives de Politique Criminelle, n° 34, 2012.

    (64) Un arrêt de la Cour suprême est venu expliciter les nouvelles dispositions (R. c. Ewanchuk, 1999, 1 R. C. S. 330).

    (65) Le code criminel canadien a prévu la croyance sincère mais erronée au consentement de l'autre. Audition de J. Desrosiers, professeure de droit à l'université Laval/Québec.

    (66) Darsonville Audrey, " Le surinvestissement législatif en matière d'infractions sexuelles ", Archives de politique criminelle, janvier 2012, n° 34, pp. 31-43.

    (67) C. Lazerges, " Politique criminelle et droit de la pédophilie ", RSC 2011, p. 725.

    (68) Art. 621-1 CP " Constitue un outrage sexiste le fait, hors les cas prévus aux articles 222-13,222-32,222-33 et 222-33-2-2, d'imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ".

    (69) Extrait du discours préliminaire de J.E.M. Portalis sur le projet de code civil, 1er pluviôse an IX.

    (70) Voir également à ce sujet les observations du 15 juin 2018 sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes adopté par l'Assemblée nationale.

    (71) Condamnée en octobre à 1500 euros d'amende pour dégradations et exhibition sexuelle, Une Ukrainienne, réfugiée politique, avait été relaxée du chef d'exhibition sexuelle en appel en janvier 2017 et condamnée à 600 euros d'amende pour dégradations. La Cour de cassation annulé la relaxe et a ordonné qu'un troisième procès se tienne devant la cour d'appel de Paris (Cass. crim., 10 janv. 2018, n° 17-80.816).

    (72) A titre de comparaison, au Canada, la définition est plus restrictive, la loi incriminant seulement une exhibition " à des fins sexuels ", en la distinguant de la simple nudité, et cette infraction ne concerne que les victimes mineures de moins de 16 ans.

    (73) Pourtant, une formulation alternative plus claire avait été proposée : " Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur imposé à la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ".

    (74) La jurisprudence retient déjà que la contrainte ou la surprise peuvent résulter du très jeune âge des enfants les rendant incapables de réaliser la nature et la gravité des actes imposés (par ex. Cass, crim, 7 décembre 2005, n° 05-81316, décision qui s'appliquait à des enfants âgés de 18 mois à 5 ans), bien que la tranche d'âge en question n'ait pas été clairement définie. La différence d'âge susceptible de caractériser la contrainte morale (article 222-22-1 CP) est également retenue par la jurisprudence, mais n'est pas non plus explicitée en des termes clairs et précis. Dans l'affaire dite de Pontoise, par exemple, le critère de la différence d'âge n'a pas été retenu par le tribunal pour caractériser la contrainte morale, alors que l'auteur avait 28 ans et la petite fille 11 ans.

    (75) Le droit pénal français comprenant de nombreux dispositifs visant à protéger les mineurs des violences sexuelles, si bien qu'il n'existe pas à proprement parler de " vide juridique ". Tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur de 15 ans est réprimé sous l'infraction d'atteinte sexuelle (art. 227-25 CP). Par ailleurs, la minorité de la victime constitue une cause d'aggravation de la peine encourue en cas de viol et d'agression sexuelle caractérisés, à la différence de l'atteinte sexuelle, par l'imposition d'une violence, contrainte, menace ou surprise.

    (76) CE, 15 mars 2018, n° 394437, § 21. La jurisprudence du Conseil constitutionnel admet, exceptionnellement, et surtout en matière contraventionnelle, une présomption de culpabilité si trois conditions sont remplies : ne pas revêtir de caractère irréfragable ; respecter les droits de la défense ; les faits doivent induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité (par ex. Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999).

    (77) Ph. Conte, Semaine juridique 2018, Libres propos, p.1017.

    (78) C'est également la solution préconisée dans l'Avis de la Mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, remis au Premier Ministre le 1er mars 2018.

    (79) Voir par exemple la tribune de juin 2018 signée par C. Brisset, ancienne défenseure des enfants, R. Coutanceau, psychiatre et président de la Ligue française de santé mentale, B. Cyrulnik, neuropsychiatre, et J-P Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny " Pour quiconque connaît la psychologie de l'enfant, un tel consentement n'a en effet aucun sens ; en revanche, le traumatisme, lui, peut être irrémédiable, à moins que la victime ne reçoive une aide telle qu'elle lui permette de reprendre son développement " : https://www.huffingtonpost.fr/2018/06/30/un-collectif-reclame-la-creation-dun-crime-formel-de-violence-sexuelle-a-enfant_a_23471872/?utm_hp_ref=fr-homepage

    (80) Certaines pratiques policières et judicaires pouvant être difficilement ressenties - notamment des interrogatoires poussés sur les relations passées avec l'auteur, l'attitude vis-à-vis de l'agresseur, l'habillement, procès à charge et à décharge etc. - mais, s'il est possible de les encadrer davantage, il n'est pas possible d'y déroger.

    (81) Le seuil de 16 ans a par exemple été préconisé par la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels du 25 octobre 2007. En outre, le Comité des droits de l'enfant dans son observation générale 20 (2016) sur la mise en œuvre des droits de l'enfant pendant l'adolescence précise que " les Etats parties devraient tenir compte de la nécessité d'adapter la protection au développement des capacités et définir un âge minimum acceptable lorsqu'ils décident de l'âge légal du consentement aux relations sexuelles ".

    (82) Voir notamment N. Bajos (Directrice de recherches à l'INSERM) et M. Bozon (Directeur de recherches à l'INED), Enquête sur la sexualité en France : pratiques, genre et santé, La Découverte, 2008, ainsi que leur tribune du 20 mai 2018 sur leMonde.fr https://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/29/le-projet-de-loi-renforcant-la-lutte-contre-les-violences-sexuelles-et-sexistes-ne-tient-pas-compte-des-realites-sociales_5306115_3232.html?

    (83) Audition de L. Dhervilly, vice-procureure, cheffe de la section des Mineurs au TGI Paris. Dans la pratique, elle fait état de plusieurs affaires impliquant un majeur et un mineur de 13-15 ans, qui se dit consentant, le dépôt de plainte venant alors souvent des parents.

    (84) Il est à noter que certains pays ont adopté une approche quelque peu différente, en prenant en compte les seuils d'âge. C'est également la voie empruntée dans plusieurs pays, à l'instar du Canada ou de la Suède qui ont instauré différents types d'écart d'âge pour qualifier juridiquement la relation sexuelle. A titre d'exemple, au Canada, la majorité sexuelle est de 16 ans mais le texte ménage plusieurs exceptions et nuances. Précisément, il introduit une clause de proximité d'âge qui permet à certains jeunes d'entretenir des relations sexuelles ensemble : une clause de proximité d'âge de 2 ans pour les plaignants âgés de 12 à 14 ans et de 5 ans pour les 14-16 ans. Tout enfant de moins de 12 ans ne peut toutefois consentir à des actes sexuels.

    (85) L'enquête est principalement réalisée en France métropolitaine. Des efforts pour élargir le terrain de l'enquête aux Outre-mer sont à souligner (La Réunion en 2011, Guadeloupe, Guyane et Martinique en 2015, en partenariat avec la Délégation générale à l'outre-mer).

    (86) http://www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-les-violences-de-genre-et-les-droits-sexuels-et-reproductifs-dans-les-outre

    (87) http://www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-leffectivite-du-droit-leducation-dans-les-outre-mer-regard-particulier-sur-la

    (88) http://www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-lacces-au-droit-et-la-justice-dans-les-outre-mer

    (89) https://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-les-violences-faites-aux-femmes-dans-les-outre-mer

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