Avis n° 369796 du 20 novembre 2013

Version initiale



  • Le Conseil d'Etat statuant au contentieux (section du contentieux, 10e et 9e sous-sections réunies),
    Sur le rapport de la 10e sous-section de la section du contentieux,
    Vu, enregistré le 1er juillet 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement n° 1000031 du 20 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Saint-Barthélemy, avant de statuer sur la demande de M. et Mme A. B. tendant à la décharge des cotisations à la contribution sociale généralisée (CSG), à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), au prélèvement social et aux contributions additionnelles à ces prélèvements auxquelles les intéressés ont été assujettis au titre de la plus-value réalisée lors de la vente de leur résidence principale le 17 septembre 2009, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
    1° Les dispositions du 3° de l'article LO 6214-4 du code général des collectivités territoriales, aux termes desquelles « la collectivité de Saint-Barthélemy exerce ses compétences en matière d'impôts, droits et taxes sans préjudice des règles fixées par l'Etat, pour Saint-Barthélemy, en matière de cotisations sociales et des autres prélèvements destinés au financement de la protection sociale et à l'amortissement de la dette sociale, par analogie avec les règles applicables en Guadeloupe », doivent-elles être comprises comme permettant à l'Etat de continuer à percevoir les impôts dits sociaux à Saint-Barthélemy, en application de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, lequel renvoie aux articles 150 U à UC du code général des impôts, eux-mêmes applicables en Guadeloupe, et ce, quel que soit le statut fiscal du bénéficiaire de la plus-value, ou supposent-elles que soient préalablement adoptées des règles propres aux personnes ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy ?
    2° Dans la première hypothèse, où les résidents fiscaux de Saint-Barthélemy seraient imposables, doit-on leur appliquer les règles d'exonération dont bénéficient les personnes ayant leur domicile fiscal en France ?
    Vu les observations, enregistrées le 1er octobre 2013, présentées par le ministre délégué, chargé du budget ;
    Vu les observations, enregistrées le 3 octobre 2013, présentées par le Premier ministre ;
    Vu les observations, enregistrées le 18 octobre 2013, présentées par M. et Mme B. ;
    Vu les autres pièces du dossier ;
    Vu la Constitution, notamment son article 74 ;
    Vu le code général des collectivités territoriales, notamment ses articles LO 213-1, LO 6213-4, LO 6214-3 et LO 6214-4 ;
    Vu le code général des impôts, notamment ses articles 4 A, 4 B et 150 U ;
    Vu le code de la sécurité sociale, notamment ses articles L. 136-1, L. 136-7 et L. 245-15 ;
    Vu le code de l'action sociale et des familles, notamment son article L. 14-10-4 ;
    Vu la loi organique n° 2007-223 du 27 février 2007 ;
    Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996, notamment son article 16 ;
    Vu la délibération du Conseil territorial de Saint-Barthélemy n° 2007-018 CT du 13 novembre 2007 portant approbation du code des contributions de Saint-Barthélemy ;
    Vu le code de justice administrative ;
    Après avoir entendu en séance publique :
    ― le rapport de M. Frédéric Bereyziat, maître des requêtes ;
    ― les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public,
    Rend l'avis suivant :
    Sur la portée des dispositions du 3° de l'article LO 6214-4 du code général des collectivités territoriales :
    I. - Aux termes du premier alinéa de l'article LO 6213-1 du code général des collectivités territoriales : « Les dispositions législatives et réglementaires sont applicables de plein droit à Saint-Barthélemy, à l'exception de celles intervenant dans les matières qui relèvent (...) de la compétence de la collectivité en application de l'article LO 6214-3 ».
    L'article LO 6213-4 du même code dispose : « Les lois, ordonnances et décrets intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 (...) dans des matières qui relèvent de la compétence des autorités de la collectivité peuvent être modifiés ou abrogés, en tant qu'ils s'appliquent à Saint-Barthélemy, par les autorités de la collectivité (des personnes qui, si elles remplissent les conditions fixées par l'article 4B du code général des impôts, doivent être regardées comme ayant leur domicile fiscal en France) ».
    En vertu du 1° du I de l'article LO 6214-3 de ce code, la collectivité de Saint-Barthélemy fixe les règles applicables en matière d'impôts, droits et taxes, dans les conditions prévues à l'article LO 6214-4 du même code.
    Le I de l'article LO 6214-4, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2010-93 du 25 janvier 2010, disposait : « La collectivité de Saint-Barthélemy exerce les compétences qu'elle tient du 1° du I de l'article LO 6214-3 en matière d'impôts, droits et taxes dans le respect des dispositions suivantes : 1° Les personnes physiques ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu'après y avoir résidé pendant cinq ans au moins./ Les personnes morales ne peuvent être considérées comme ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy qu'après y avoir installé le siège de leur direction effective depuis cinq ans au moins ou lorsqu'elles y ont installé le siège de leur direction effective et qu'elles sont contrôlées, directement ou indirectement, par des personnes physiques résidant à Saint-Barthélemy depuis cinq ans au moins./ Les personnes physiques ou morales qui ne remplissent pas les conditions de résidence fixées aux deux alinéas précédents sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en métropole (...) ; 3° La collectivité de Saint-Barthélemy exerce ses compétences en matière d'impôts, droits et taxes sans préjudice des règles fixées par l'Etat, pour Saint-Barthélemy, en matière de cotisations sociales et des autres prélèvements destinés au financement de la protection sociale et à l'amortissement de la dette sociale, par analogie avec les règles applicables en Guadeloupe (...) ».
    II. - Les dispositions citées ci-dessus du 1° du I de l'article LO 6214-4 du code général des collectivités territoriales fixent les conditions dans lesquelles le conseil territorial de Saint-Barthélemy peut décider que des personnes physiques et morales résidant à Saint-Barthélemy seront regardées comme ayant leur domicile fiscal sur ce territoire. Elles n'ont donc pas, par elles-mêmes, pour effet de faire perdre, le cas échéant, aux personnes résidant à Saint-Barthélemy la qualité de personnes fiscalement domiciliées en France, au sens de l'article 4 B du code général des impôts.
    III. - Par une délibération n° 2007-018 CT du 13 novembre 2007, prise sur le fondement de ces dispositions organiques et de celles du 1° du I de l'article LO 6214-3, le conseil territorial de Saint-Barthélemy a, en premier lieu, adopté le code des contributions de Saint-Barthélemy et fixé au 1er janvier 2008 son entrée en vigueur, en second lieu, prononcé l'abrogation à compter de la même date des dispositions du code général des impôts, en tant que ces dernières s'appliquent au territoire de la collectivité de Saint-Barthélemy et sous réserve des dispositions, notamment, du I de l'article LO 6214-4.
    Les articles 2 et 4 du code des contributions de Saint-Barthélemy ont quant à eux fixé, dans le respect du cadre tracé par les dispositions du 1° du I du I de l'article LO 6214-4, les conditions auxquelles les personnes physiques et morales seront désormais regardées comme ayant leur domicile fiscal dans la collectivité de Saint-Barthélemy. L'article 3 du même code a, par ailleurs, limité les effets d'une telle domiciliation, pour les personnes physiques, aux revenus de remplacement ainsi qu'aux bénéfices ou revenus correspondant soit aux activités exercées sur le territoire de cette collectivité, soit aux biens de toute nature détenus sur ce territoire.
    IV. - Pour autant, les dispositions citées ci-dessus du 3° du I de l'article LO 6214-4 du code général des collectivités territoriales, éclairées d'ailleurs par les travaux préparatoires à leur adoption, ont eu pour objet et pour effet de permettre à l'Etat, nonobstant toute mesure éventuellement prise par la collectivité de Saint-Barthélemy dans l'exercice des compétences qui lui sont transférées en matière « d'impôts, droits et taxes » par le 1° du I de l'article LO 6214-3 de ce code, de continuer à percevoir à Saint-Barthélemy et, le cas échéant, de modifier les prélèvements destinés à financer la protection sociale et à amortir la dette sociale, soit sur le fondement des dispositions de droit commun contenues, notamment, dans le code de la sécurité sociale, le code de l'action sociale et des familles ainsi que dans l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, soit, le cas échéant, en vertu de dispositions spécialement prises pour l'application de ces prélèvements à la collectivité de Saint-Barthélemy, à la condition que, dans l'un et l'autre cas, ces prélèvements soient fixés par analogie avec ceux en vigueur en Guadeloupe.
    V. - Il suit de tout ce qui précède que la délibération n° 2007-018 CT déjà mentionnée, prise par le conseil territorial de Saint-Barthélemy sur le fondement des dispositions du 1° du I de l'article LO 6214-3 du code général des collectivités territoriales, n'a pu légalement abroger les dispositions du code général des impôts qu'en tant seulement que ces dispositions s'appliquent aux « impôts, droits et taxes » relevant du domaine de compétence transféré à cette collectivité. Par voie de conséquence, les personnes physiques et morales résidant dans la collectivité de Saint-Barthélemy demeurent des personnes qui, si elles remplissent les conditions fixées par l'article 4B du code général des impôts, doivent être regardées comme ayant leur domicile fiscal en France en vue de l'établissement, du recouvrement et du contrôle de toute imposition ou prélèvement obligatoire relevant du domaine de compétence retenu par les autorités nationales. Figurent au nombre de ces impositions et prélèvements obligatoires les prélèvements destinés à financer la protection sociale et à amortir la dette sociale.
    VI. - Il résulte également de ce qui précède qu'est sans incidence sur la légalité de ces derniers prélèvements la circonstance qu'ils soient assis, le cas échéant, sur les revenus, produits ou sommes perçus par des personnes ayant leur domicile fiscal à Saint-Barthélemy, au sens et pour l'application de la délibération n° 2007-018 CT déjà mentionnée relative aux « impôts, droits et taxes » relevant du domaine de compétence transféré à cette collectivité.
    Sur l'application, pour la détermination des prélèvements sociaux assis sur les plus-values de cession de biens immobiliers situés à Saint-Barthélemy, des règles d'exemption bénéficiant aux résidences principales :
    VII. - Au nombre des produits de placement qui sont assujettis à la contribution sociale généralisée, s'agissant des personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4B du code général des impôts, par les dispositions du I de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, figurent notamment les plus-values mentionnées aux articles 150 U à 150 UC du code général des impôts.
    L'article 16 de l'ordonnance du 24 janvier 1996, relative au remboursement de la dette sociale et instituant une contribution à ce remboursement, ainsi que l'article L. 245-15 du code de la sécurité sociale, instituant un prélèvement social sur les produits de placement, définissent quant à eux l'assiette de ces deux prélèvements par référence aux produits de placement désignés au I de l'article L. 136-7 mentionné ci-dessus.
    L'assiette de la contribution additionnelle sur les produits de placement instituée par l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale est elle-même établie selon les mêmes règles que celles applicables au prélèvement social.
    L'article 150 U du code général des impôts disposait enfin, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 : « I. ― (...) Les plus-values réalisées par les personnes physiques (...), lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu (...)./ II. ― Les dispositions du I ne s'appliquent pas aux immeubles, aux parties d'immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : 1° Qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ».
    VIII. ― Pour les motifs exposés au point V, demeuraient applicables au litige faisant l'objet de la présente demande d'avis les dispositions citées ci-dessus du code de la sécurité sociale, du code de l'action sociale et des familles et de l'ordonnance du 24 janvier 1996. Ces dispositions étant également en vigueur en Guadeloupe à la date à laquelle il en a été fait application à ce même litige, était ainsi remplie la condition à laquelle le législateur organique, ainsi qu'il a été dit au point IV, a subordonné la mise en œuvre dans la collectivité de Saint-Barthélemy des dispositions régissant les prélèvements destinés à financer la protection sociale et à amortir la dette sociale.
    IX. ― Il résulte toutefois de la combinaison de l'ensemble des dispositions citées au point VII que sont exemptées de contribution sociale généralisée, de contribution au remboursement de la dette sociale, de prélèvement social et de contribution additionnelle à ce prélèvement les plus-values dégagées par la cession de biens immeubles situés à Saint-Barthélemy et qui constituent, au jour de la cession, la résidence principale du cédant.
    X. ― Est sans incidence sur ce point la circonstance que cette cession entrerait, par ailleurs, dans le champ des dispositions particulières prises par la collectivité de Saint-Barthélemy en matière « d'impôts, droits et taxes » relevant du domaine de compétence transféré à cette collectivité, contenues dans les articles 100 et 101 du code des contributions de Saint-Barthélemy et instituant un impôt sur les plus-values de cession des biens immeubles situés sur le territoire de cette collectivité.
    Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Saint-Barthélemy, à M. et Mme A. B., au Premier ministre, au ministre des outre-mer et au ministre de l'économie et des finances.
    Il sera publié au Journal officiel de la République française.

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