Décision 2023-1050 QPC - 26 mai 2023 - Époux T. [Obligation de relogement en cas de délivrance d’un congé à un locataire âgé et disposant de faibles ressources] - Conformité
Décision 2023-1050 QPC - 26 mai 2023 - Époux T. [Obligation de relogement en cas de délivrance d’un congé à un locataire âgé et disposant de faibles ressources] - Conformité
Décision n° 2023-1050 QPC
- JORF n°0122 du 27 mai 2023, texte n° 65
- NOR : CSCX2314354S
- ECLI:FR:CC:2023:2023.1050.QPC
Texte intégral
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 30 mars 2023 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, arrêt n° 330 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Philippe T. et Mme Thi Hoai T. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1050 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-691 DC du 20 mars 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 19 avril 2023 ;
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 3 mai 2023 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 16 mai 2023 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans cette rédaction, prévoit :« Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l’égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l’arrêté précité.
« Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa.
« L’âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d’échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé ».
3. Les requérants reprochent à ces dispositions de priver le bailleur du droit de reprendre son logement dans le cas où l’état du marché locatif le placerait dans l’impossibilité de proposer à son locataire un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités et situé dans un périmètre géographique déterminé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989.
- Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. Dans sa décision du 20 mars 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 et les mots « soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
7. Toutefois, la présente question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015, que le Conseil constitutionnel n’a pas déclarés conformes à la Constitution. Dès lors, il y a lieu de procéder à l’examen des dispositions contestées, sans qu’il soit besoin de justifier d’un changement des circonstances.
- Sur le fond :
8. Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
9. Selon l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement soit renouvelé. L’article 15 de cette même loi permet toutefois au bailleur de s’opposer à son renouvellement en donnant congé au locataire, dès lors qu’il justifie ce congé soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, telle l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant.
10. Lorsque le locataire remplit certaines conditions d’âge et de ressources, les dispositions contestées prévoient que le bailleur ne peut donner congé à son locataire, quel qu’en soit le motif, que s’il lui propose une offre de relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique déterminé.
11. En limitant le droit du bailleur de donner congé à son locataire à l’expiration du contrat, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
12. En premier lieu, le législateur a entendu protéger les locataires âgés et disposant de faibles ressources contre le risque de devoir quitter leur résidence principale et d’avoir à se reloger en l’absence de renouvellement du bail. Les dispositions contestées mettent ainsi en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
13. En deuxième lieu, ces dispositions ne sont applicables que lorsque le locataire est âgé de plus de soixante-cinq ans et que ses ressources annuelles sont inférieures à un certain plafond.
14. En troisième lieu, conformément à l’article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 mentionnée ci-dessus, si les lieux loués se trouvent dans une commune divisée en arrondissements, le logement offert au locataire peut être situé aussi bien dans le même arrondissement que dans les arrondissements ou les communes limitrophes de l’arrondissement. Lorsque la commune est divisée en cantons, ce logement peut être situé aussi bien dans le même canton que celui où se trouvent les lieux loués que dans les cantons limitrophes de la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton. Dans les autres cas, il peut être situé sur le territoire de la même commune mais aussi d’une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres.
15. Les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans ce périmètre n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées.
16. En quatrième lieu, cette obligation n’est pas applicable lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires.
17. En dernier lieu, le bailleur, qui conserve évidemment la possibilité de vendre son bien ou d’en percevoir un loyer, dispose, en outre, en cas de manquement du locataire à ses obligations, de la faculté de l’assigner en résiliation du bail et en expulsion.
18. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté.
19. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 26 mai 2023.
ECLI:FR:CC:2023:2023.1050.QPC
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;
- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-691 DC du 20 mars 2014 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 19 avril 2023 ;
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 3 mai 2023 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Marie Molinié, avocate au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 16 mai 2023 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 mentionnée ci-dessus dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, dans cette rédaction, prévoit :« Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au paragraphe I ci-dessus à l’égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. Le présent alinéa est également applicable lorsque le locataire a à sa charge une personne de plus de soixante-cinq ans vivant habituellement dans le logement et remplissant la condition de ressources précitée et que le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources déterminé par l’arrêté précité.
« Toutefois, les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa.
« L’âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d’échéance du contrat ; le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé ».
3. Les requérants reprochent à ces dispositions de priver le bailleur du droit de reprendre son logement dans le cas où l’état du marché locatif le placerait dans l’impossibilité de proposer à son locataire un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités et situé dans un périmètre géographique déterminé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989.
- Sur la recevabilité :
5. Selon les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances.
6. Dans sa décision du 20 mars 2014 mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots « plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement » figurant au premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 et les mots « soixante-cinq ans ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné au premier alinéa » figurant au deuxième alinéa du paragraphe III du même article, dans sa rédaction résultant de la loi du 24 mars 2014 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision.
7. Toutefois, la présente question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015, que le Conseil constitutionnel n’a pas déclarés conformes à la Constitution. Dès lors, il y a lieu de procéder à l’examen des dispositions contestées, sans qu’il soit besoin de justifier d’un changement des circonstances.
- Sur le fond :
8. Il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
9. Selon l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement soit renouvelé. L’article 15 de cette même loi permet toutefois au bailleur de s’opposer à son renouvellement en donnant congé au locataire, dès lors qu’il justifie ce congé soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, telle l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant.
10. Lorsque le locataire remplit certaines conditions d’âge et de ressources, les dispositions contestées prévoient que le bailleur ne peut donner congé à son locataire, quel qu’en soit le motif, que s’il lui propose une offre de relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique déterminé.
11. En limitant le droit du bailleur de donner congé à son locataire à l’expiration du contrat, ces dispositions portent atteinte au droit de propriété.
12. En premier lieu, le législateur a entendu protéger les locataires âgés et disposant de faibles ressources contre le risque de devoir quitter leur résidence principale et d’avoir à se reloger en l’absence de renouvellement du bail. Les dispositions contestées mettent ainsi en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.
13. En deuxième lieu, ces dispositions ne sont applicables que lorsque le locataire est âgé de plus de soixante-cinq ans et que ses ressources annuelles sont inférieures à un certain plafond.
14. En troisième lieu, conformément à l’article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 mentionnée ci-dessus, si les lieux loués se trouvent dans une commune divisée en arrondissements, le logement offert au locataire peut être situé aussi bien dans le même arrondissement que dans les arrondissements ou les communes limitrophes de l’arrondissement. Lorsque la commune est divisée en cantons, ce logement peut être situé aussi bien dans le même canton que celui où se trouvent les lieux loués que dans les cantons limitrophes de la même commune ou dans les communes limitrophes de ce canton. Dans les autres cas, il peut être situé sur le territoire de la même commune mais aussi d’une commune limitrophe, sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres.
15. Les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans ce périmètre n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées.
16. En quatrième lieu, cette obligation n’est pas applicable lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires.
17. En dernier lieu, le bailleur, qui conserve évidemment la possibilité de vendre son bien ou d’en percevoir un loyer, dispose, en outre, en cas de manquement du locataire à ses obligations, de la faculté de l’assigner en résiliation du bail et en expulsion.
18. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas au droit de propriété une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Le grief tiré de la méconnaissance de ce droit doit donc être écarté.
19. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Les mots « sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée » figurant à la première phrase du premier alinéa du paragraphe III de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sont conformes à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 26 mai 2023.