Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 09/10/2024, 495926, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B... A..., à l'appui des conclusions de sa requête tendant à ce que la cour administrative d'appel de Paris annule le jugement n° 2117187 du 22 novembre 2023 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2019, a produit un mémoire, enregistré le 24 janvier 2024 au greffe de la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n°24PA00352 du 12 juillet 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la présidente de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M. A..., a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistrés le 13 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... soutient que le II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, méconnaît, d'une part, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en tant qu'il institue une différence de traitement qui n'est justifiée ni par une différence de situation objective ni par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi, dès lors que des contribuables bénéficiant d'abattements pour durée de détention comparables à l'abattement renforcé prévu par le 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, tel que l'abattement de droit commun prévu au 1 ter de cet article, ne sont pas soumis au plafonnement de la CSG déductible, et que la justification avancée de la mesure selon laquelle il conviendrait de limiter le bénéfice de l'avantage fiscal dans le but d'éviter les situations dans lesquelles le Trésor public deviendrait débiteur du contribuable n'est pas fondée, et, d'autre part, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de cette même déclaration, en l'absence de mise en œuvre de critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi et du fait de l'incohérence des critères choisis.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts, notamment son article 154 quinquies ;
- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article 150-0 D du code général des impôts soumet les plus-values de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017 et, sur option du contribuable, celles réalisé depuis le 1er janvier 2018 et portant sur des titres acquis avant cette date, à une imposition au barème de l'impôt sur le revenu, tout en prévoyant, à son 1 ter, un dispositif d'abattement sur le montant des gains nets résultant de ces cessions, dont le taux varie en fonction de la durée de détention et, au 1 quater, dans certaines conditions, un dispositif d'abattement renforcé.

3. Aux termes des dispositions de l'article 154 quinquies du code général des impôts, relatif à la déduction partielle de la contribution sociale généralisée du revenu imposable, dans leur rédaction issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " (...) II. La contribution afférente aux revenus mentionnés aux a à e et f du I et au II de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux premier alinéa et 1° du I de l'article L 136-7 du même code, imposés dans les conditions prévues à l'article 197 du présent code, est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement, à hauteur de 6,8 points. / La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour : / a. Les gains mentionnés à l'article 150-0 A qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ; (...) ".

4. Les dispositions des deuxième et troisième alinéas du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts, dans leur rédaction issue de la loi de finances pour 2018, sont applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu'elles limitent la déductibilité de la contribution sociale généralisée supportée à raison des gains mentionnés au I de l'article 150-0 A à concurrence du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour les contribuables réalisant des cessions entrant dans le champ des abattements prévus au 1 quater de l'article 150-0 D, alors que les contribuables réalisant des cessions pour lesquelles l'abattement de droit commun du 1 ter de l'article 150-0 D s'applique ne sont pas soumis à cette limitation, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.



D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des deuxième et troisième alinéas du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans leur rédaction issue de l'article 67 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A..., au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Paris.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat, Mme Ophélie Champeaux, maîtresse des requêtes et M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 9 octobre 2024.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Marc Vié
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle


ECLI:FR:CECHR:2024:495926.20241009
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