CAA de DOUAI, 4ème chambre, 19/09/2024, 23DA00937, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) La Vallée Berreult a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, ainsi que des pénalités correspondantes, et de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1759 du code général des impôts.

Par un jugement n° 2101087 du 11 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a réduit d'un montant de 429 516 euros la base d'imposition de la SARL La Vallée Berreult à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015, l'a déchargée dans cette mesure de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle avait été assujettie au titre de cet exercice, ainsi que des pénalités correspondantes, et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 23 mai 2023 sous le numéro 23DA00937, et un mémoire, enregistré le 5 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a réduit de 429 516 euros la base d'imposition de la SARL La Vallée Berreult à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015, l'a déchargée dans cette mesure de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle avait été assujettie ainsi que des pénalités correspondantes et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la société en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rétablir la SARL La Vallée Berreult au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2015, en droits et pénalités, à hauteur des montants dont la décharge a été prononcée par les premiers juges.

Il soutient que l'existence d'une dette de 429 516 euros de la SARL La Vallée Berreult à l'égard de son ancien locataire n'était pas fondée dans son principe à la clôture de l'exercice 2015 et ne présentait pas davantage de caractère probable de sorte que la société ne pouvait pas déduire de son bénéfice imposable au titre de cet exercice la dette en cause sous la forme d'une charge à payer ni même d'une provision.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 5 juillet 2023, la SARL La Vallée Berreult, représentée par Me Marchesseau, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé.

Par une ordonnance du 15 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 juillet 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 5 juin 2023, sous le numéro 23DA01037, et des mémoires, enregistrés le 31 août 2023 et le 7 octobre 2023, la SARL La Vallée Berreult, représentée par Me Marchesseau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas intégralement fait droit à sa demande ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions demeurant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- compte tenu de la conséquence directe des rectifications opérées au titre de l'exercice 2014 sur les suppléments d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'exercice 2015, ses conclusions à fin de décharge n'excèdent pas le quantum de celui de sa réclamation préalable qui concernait ainsi l'intégralité des impositions supplémentaires mises à sa charge au titre des exercices 2014 et 2015 ;
- alors que sa comptabilité n'était pas entachée de graves irrégularités la privant de valeur probante, l'administration, qui a suivi la procédure de rectification contradictoire, n'a pas répondu à ses observations dans le délai de soixante jours qui lui était imparti par l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, et est ainsi réputée avoir accepté ses observations ;
- c'est à tort que l'administration a écarté sa comptabilité comme insincère et non probante.

Par un mémoire en défense et des mémoires, enregistrés le 31 août 2023, le 5 octobre 2023 et le 28 décembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- la réclamation préalable du 23 décembre 2020 ne portait, au titre de l'exercice 2015, que sur les seules cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés à hauteur de la rectification de 429 516 euros relative au rejet d'une charge ; dès lors, les conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondant à l'année 2015 ainsi que le surplus de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle la société a été assujettie au titre de l'exercice 2015 sont, en application de l'article R. 200-2 du livre des procédures fiscales, irrecevables ;
- les moyens soulevés par la SARL La Vallée Berreult ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mai 2024.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pin, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) La Vallée Berreult, qui exerce une activité de propriété et de gestion de biens, de promotion immobilière et de prise de participation, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a mis à sa charge, selon la procédure contradictoire, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2014 et 2015, des pénalités ainsi que l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement du 11 mai 2023, le tribunal administratif d'Amiens a réduit d'un montant de 429 516 euros la base d'imposition de la SARL La Vallée Berreult à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015, l'a déchargée dans cette mesure de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle avait été assujettie au titre de cet exercice, ainsi que des pénalités correspondantes, a mis à la charge de l'Etat le versement à la société de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de la demande de la société.

2. Sous le numéro 23DA00937, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numériques relève appel de ce jugement en ce qu'il a prononcé la déchargé partielle, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société avait été assujettie au titre de l'exercice clos en 2015 et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la société en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

3. Sous le numéro 23DA01037, la SARL La Vallée Berreult relève appel du même jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande.

4. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, dirigées contre le même jugement, pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

5. Aux termes de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales : " I. - En cas de vérification de comptabilité ou d'examen de comptabilité d'une entreprise (...), l'administration répond dans un délai de soixante jours à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification mentionnée au premier alinéa de l'article L. 57. Le défaut de notification d'une réponse dans ce délai équivaut à une acceptation des observations du contribuable. II. - Le délai de réponse mentionné au I ne s'applique pas : (...) 2° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ".

6. La SARL La Vallée Berreult fait valoir qu'en ne répondant que le 8 novembre 2019 aux observations qu'elle avait formulées le 30 juillet 2018 en réponse à la proposition de rectification du 5 juin 2018, soit au-delà d'un délai de soixante jours, et alors que sa comptabilité ne présentait pas de graves irrégularités la privant de valeur probante, l'administration doit être regardée comme ayant tacitement accepté ses observations.

7. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des propositions de rectification des 26 décembre 2017 et 5 juin 2018, que la vérification à laquelle il a été procédé de la comptabilité de la SARL La Vallée Berreult a révélé, au titre de l'exercice clos en 2014, l'existence d'incohérences et d'anomalies dans la justification et la reprise de deux provisions, l'absence de comptabilisation de l'acquisition de 41 500 parts de la SARL Yachting Star, dont la SARL La Vallée Berreult est devenue l'associée unique, la comptabilisation d'une facture d'un montant de 500 000 euros HT émise en novembre 2014 par la société Yachting Star, dont il a été soutenu qu'elle correspondait au coût de l'aménagement de bateaux de plaisance, sous un libellé laissant apparaître une autre opération et cette somme ayant ensuite été artificiellement transférée dans d'autres comptes sans rapport avec l'opération. Au titre de l'exercice clos en 2015, le service vérificateur a relevé que cette même somme avait été artificiellement transférée au compte 604 " Achat d'études et prestations de services " et que la cession, en mars 2015, au gérant de la société de ces aménagements effectués sur des bateaux de plaisance, avait été comptabilisée dans un compte 705 libellé " Etudes ". Le service a également relevé, au titre de cet exercice, que la société avait, pour des montants conséquents au regard de son activité, procédé au débit d'un compte de produits en lieu et place d'un compte de charges, aboutissant ainsi à la déduction d'une charge de son résultat, sans qu'elle n'apparaisse explicitement. Enfin, plusieurs anomalies ont été relevées entre les relevés bancaires, d'une part, et les montants ou numéros de chèques reportés en comptabilité, d'autre part. L'administration a déduit de l'ensemble de ces éléments, au regard du faible nombre d'écritures comptabilisées par la SARL La Vallée Berreult au cours des exercices clos en 2014 et 2015, limité respectivement à 7 et 14 écritures dans le journal d'achat ainsi que 41 et 45 écritures dans le journal des opérations diverses, que la comptabilité de la société au titre de ces exercices devait être regardée comme irrégulière et non probante.


8. S'agissant de la justification de ses provisions, la SARL La Vallée Berreult, qui reconnaît avoir indûment majoré de 152 500 euros le montant de la reprise d'une provision comptabilisée au compte 467015 passée au titre des exercices précédent ceux vérifiés, ne précise pas les motifs pour lesquels elle n'a pas repris, au titre de l'exercice 2014, une provision pour créance douteuse qu'elle avait comptabilisée au compte 467016 à hauteur de 211 018 euros au titre de l'exercice 2012 alors que le solde de ce compte demeurait débiteur des sommes de 81 318 euros et de 88 414 euros à la clôture respective des exercices 2013 et 2014. Est à cet égard sans incidence la circonstance que ces erreurs n'auraient pas lésé le Trésor public. S'agissant de l'acquisition le 30 septembre 2014, de 41 500 titres de la SARL Yachting Star, la société requérante ne conteste pas que cette opération, qui a eu pour effet de la rendre unique associée de cette société, n'a pas été retracée dans le compte 261 relatif aux titres de participation, alors même que le coût de cette acquisition s'est élevé à un euro. S'agissant de la comptabilisation d'une facture de 500 000 euros HT, soit 600 000 euros TTC, émise par la SARL Yachting Star et relative, selon les dires de la société, à l'acquisition d'aménagements de bateaux de plaisance, il résulte de l'instruction, notamment des mentions de la déclaration n° 2052 déposée par la société au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014, que cette somme, si elle a été inscrite en comptabilité le 18 février 2015, a été enregistrée, contrairement à ce qui est soutenu, au titre de l'exercice clos en 2014 et intégrée au compte 604001, sous le libellé " Travaux Pôle emploi ", parmi les travaux d'un montant de 1 675 100 euros relatifs à la construction d'un bâtiment pour le compte de Pôle emploi, sans rapport avec l'opération en cause. S'agissant de l'exercice clos en 2015, la société n'apporte pas de critique sérieuse aux différentes irrégularités mises en évidence par le service. La SARL La Vallée Berreult ne se prévaut d'aucune circonstance exceptionnelle justifiant, en application de l'article L. 123-14 du code de commerce, qu'elle ait pu déroger à l'exigence posée par cet article que les comptes annuels donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.

9. Dans ces conditions, la comptabilité de la SARL La Vallée Berreult au titre des exercices clos en 2014 et 2015 a, compte tenu des graves irrégularités l'affectant, été écartée à bon droit par l'administration comme non probante. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de répondre, dans le délai de soixante jours prévu par le I de l'article L. 57 A du livre des procédures fiscales, à ses observations faisant suite à la proposition de rectification du 5 juin 2018, l'administration aurait tacitement accepté ses observations.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :

10. Si la vérificatrice a écarté la comptabilité que la SARL La Vallée Berreult avait présentée au titre des exercices vérifiés en estimant qu'elle était irrégulière et insuffisamment probante, elle n'a toutefois tiré aucune conséquence de ce constat quant à l'assiette des impositions dès lors qu'il n'a pas été procédé à une reconstitution extra-comptable des recettes de cette société. Le moyen tiré du caractère régulier et probant de la comptabilité ne peut, dès lors, et en tout état de cause, qu'être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le motif de décharge retenu par le tribunal administratif :

11. Les dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicables pour la détermination des bases de l'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 du même code, et selon lesquelles le bénéfice net " est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° les frais généraux de toutes nature (...) ", s'entendent, eu égard au principe de l'indépendance des exercices qui résulte des dispositions du 2 de l'article 38 de ce code, comme autorisant la déduction des charges exposées par l'entreprise au cours de l'exercice dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, à l'exception de celles " constatées d'avance ", c'est-à-dire correspondant à la livraison d'un bien ou à la fourniture d'une prestation de service n'intervenant qu'au cours d'un exercice ultérieur, sur les résultats duquel il y aura lieu de l'imputer. En application de l'article 38 du même code, la créance acquise sur un tiers par une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés doit être rattachée aux résultats de l'exercice au cours duquel cette créance est devenue certaine dans son principe et dans son montant.

12. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

13. La SARL La Vallée Berreult a acquis en 2006 un ensemble immobilier à usage industriel situé sur la comme du Havre qu'elle a loué à la société Tourres et Cie Verrerie de Graville jusqu'en juillet 2010, date à laquelle elle a cédé ce bien. Par un jugement du 22 janvier 2015, devenu définitif, le tribunal administratif de Rouen a, à la demande de la SARL La Vallée Berreult, accordé à cette société la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait été assujettie au titre des années 2007 et 2008 à raison de cet immeuble. En conséquence, l'administration a prononcé un dégrèvement de 429 516 euros qui a été remboursé à la société le 26 mars 2015. En application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, l'administration a également prononcé un dégrèvement de 91 644,40 euros correspondant au paiement des intérêts moratoires.

14. La SARL La Vallée Berreult a inscrit, au cours de l'exercice 2015, la somme totale de 521 160,40 euros au compte 772000 " Produits sur exercices antérieurs ". Estimant que le versement des dégrèvements ci-dessus constituait pour elle une charge qu'elle devait reverser à sa locataire en vertu des stipulations du bail commercial qu'elle avait conclu avec la société Tourres et Cie Verrerie de Graville, selon lesquelles les taxes foncières dues à raison de ces immeubles étaient mises à la charge du locataire, la SARL La Vallée Berreult a inscrit, à la clôture de l'exercice clos en 2015, cette somme dans un compte de charges à payer, en y incluant, en outre, une somme de 42 987 euros correspondant au montant d'un avoir à établir au profit d'un client.

15. L'administration a estimé que l'inscription de la somme totale 564 147,40 euros dans un compte de charges à payer n'était pas justifiée par l'existence d'une dette certaine dans son principe et son montant et a, en conséquence, réintégré cette somme dans le résultat de l'exercice 2015 et assujetti la société à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de cet exercice.

16. Le ministre soutient que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a estimé que la dette de la SARL La Vallée Berreult à l'égard de la société Tourres et Cie Verrerie de Graville était fondée dans son principe et dans son montant à hauteur de la somme de 429 516 euros correspondant au montant des droits de taxe foncière remboursés par l'administration à la société au titre des années 2007 et 2008.

17. Le bail commercial, conclu le 10 novembre 2009 entre la SARL La Vallée Berreult, bailleur, et la société Tourres et Cie Verrerie de Graville, preneur, stipule que " le preneur remboursera (...) au bailleur l'ensemble des charges et prestations mises à la charge de ce dernier notamment toutes les charges afférentes à l'immeuble - (...) impôts et taxes mêmes celles qui incombent notamment au propriétaire (...) taxe foncière sur les propriétés bâties (...) ". De telles stipulations ont nécessairement pour corollaire que, dans l'hypothèse où les impôts et taxes visés ne sont pas mis à la charge du bailleur, ce dernier doit reverser au preneur la somme dont il s'était acquitté à ce titre. Il est constant que le précédent bail conclu entre les mêmes parties en 2006 comportait également une clause de mise à la charge de l'impôt foncier au preneur.

18. Compte tenu de cet engagement contractuel, la somme de 429 516 euros, correspondant au montant des droits de taxe foncière remboursés par l'administration à la société au titre des années 2007 et 2008 par une décision de dégrèvement du 26 mars 2015, devenue définitive à la clôture de l'exercice le 31 décembre 2015, constituait une dette, certaine dans son principe comme dans son montant à la clôture de cet exercice. Par suite, cette somme devait figurer au passif de la société tant que celle-ci n'avait pas été reversée.

19. La double circonstance qu'à la date de l'inscription de cette dette en comptabilité, la société Tourres et Cie Verrerie de Graville n'avait présenté aucune demande de remboursement et que la SARL La Vallée Berreult n'avait pas manifesté son intention de lui reverser cette somme est sans incidence sur le caractère certain, c'est-à-dire déterminé dans son principe et son montant, au 31 décembre 2015, de la créance détenue par la société Tourres et Cie Verrerie de Graville sur la SARL La Vallée Berreult.

20. En outre, à la suite du dégrèvement prononcé le 26 mars 2015, la SARL La Vallée Berreult était en tout état de cause, sur le fondement de l'article 1376 du code civil dans sa version alors applicable, en vertu duquel celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu, tenue, sauf à s'enrichir sans cause, de rembourser à la société Tourres et Cie Verrerie de Graville le montant de la taxe foncière qu'elle lui avait indûment reversée.

21. Dans ces conditions, cette somme devait figurer au passif de la société tant qu'elle n'avait pas été réglée, et pouvait ainsi être inscrite à un compte de " charges à payer ". Dès lors, le service n'était pas fondé à la réintégrer dans les résultats de l'exercice clos en 2015.

22. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 1er, 2 et 4 du jugement attaqué, tribunal administratif d'Amiens a, d'une part, réduit la base d'imposition de la SARL La Vallée Berreult à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2015 à concurrence d'une somme de 429 516 euros et a prononcé la décharge de l'imposition correspondant à ce redressement ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il résulte également de ce qui précède que la SARL La Vallée Berreult n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté le surplus de sa demande.




Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SARL La Vallée Berreult demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.


DECIDE :


Article 1er : Les requêtes du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de la SARL La Vallée Berreult sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée La Vallée Berreult.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2024.

Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
Le président de chambre,
Signé : M. A...La greffière,
Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00937, 23DA01037



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