Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 30/07/2024, 485583, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 30/07/2024, 485583, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - 7ème - 2ème chambres réunies
- N° 485583
- ECLI:FR:CECHR:2024:485583.20240730
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
mardi
30 juillet 2024
- Rapporteur
- M. Hervé Cassara
- Avocat(s)
- SCP FOUSSARD, FROGER ; SARL LE PRADO – GILBERT ; SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2023 et 17 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité territoriale de Martinique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la sentence arbitrale rendue à Paris le 30 juin 2023 par le tribunal arbitral désigné conformément à la convention d'arbitrage du 29 mars 2016 conclue entre la collectivité territoriale de Martinique et le groupement composé des sociétés Colas Martinique et Satrap, qui l'a condamnée à verser à la société Satrap la somme globale de 1 640 213 euros pour le règlement du marché public de travaux de terrassement, d'assainissement et de réalisation de la chaussée de la route nationale n° 1 à Fort-de-France ;
2°) de faire droit à ses conclusions devant ce tribunal arbitral ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant la juridiction compétente pour statuer sur le litige ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société Colas Martinique et de la société Satrap la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1906 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la collectivité territoriale de Martinique, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Colas Martinique et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 10 et 12 juillet 2024, présentées par Me Michel Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2024, présentée par la société Colas Martinique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 128 du code des marchés publics, applicable au litige : " Conformément à l'article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1906, l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fournitures, recourir à l'arbitrage tel qu'il est réglé par le livre IV du code de procédure civile. ".
2. Le 8 décembre 2011, la région de Martinique, aux droits de laquelle est venue la collectivité territoriale de Martinique, a conclu avec un groupement composé de la société Colas Martinique, mandataire principal, de la société GTC, sa filiale avec laquelle elle a fusionné le 29 juin 2012, et de la société Satrap, un marché public pour l'exécution du lot n° 1, portant sur des travaux de terrassement, d'assainissement et de chaussée de l'avenue Maurice Bishop, à Fort-de-France, en vue du passage des transports collectifs en site propre. Afin de résoudre le litige les opposant sur le règlement financier de ce marché, les parties ont conclu le 29 mars 2016 une convention d'arbitrage, complétée par un avenant n° 1. Par une sentence arbitrale rendue à Paris le 30 juin 2023, dont la collectivité territoriale de Martinique demande l'annulation, le tribunal arbitral, désigné conformément à la convention d'arbitrage, a condamné la collectivité à verser à la société Satrap la somme globale de 1 640 213 euros pour le règlement de ce marché.
Sur l'étendue du contrôle du Conseil d'Etat sur les sentences rendues en matière d'arbitrage interne :
3. Le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat administratif ressortit à la compétence de la juridiction administrative. Au sein de la juridiction administrative, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître des recours dirigés contre une telle sentence arbitrale, en application de l'article L. 321-2 du code de justice administrative.
4. Lorsqu'il est saisi d'un tel recours, il appartient au Conseil d'Etat de s'assurer, le cas échéant d'office, de la licéité de la convention d'arbitrage, qu'il s'agisse d'une clause compromissoire ou d'un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d'une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d'autre part, de ce qu'elle est contraire à l'ordre public. S'agissant de la régularité de la procédure, en l'absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent, s'il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, s'il n'a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s'il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s'il n'a pas motivé sa sentence. S'agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public lorsqu'elle fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu'elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou lorsqu'elle méconnaît les règles d'ordre public du droit de l'Union européenne.
5. A l'issue de ce contrôle, le Conseil d'Etat, s'il constate l'illégalité du recours à l'arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, prononce l'annulation de la sentence arbitrale et décide soit de renvoyer le litige au tribunal administratif compétent pour en connaître, soit d'évoquer l'affaire et de statuer lui-même sur les réclamations présentées devant le collège arbitral. S'il constate que le litige est arbitrable, il peut rejeter le recours dirigé contre la sentence arbitrale ou annuler, totalement ou partiellement, celle-ci. Il ne peut ensuite régler lui-même l'affaire au fond que si la convention d'arbitrage l'a prévu ou s'il est invité à le faire par les deux parties. A défaut de stipulation en ce sens ou d'accord des parties sur ce point, il revient à celles-ci de déterminer si elles entendent de nouveau porter leur litige contractuel devant un tribunal arbitral, à moins qu'elles ne décident conjointement de saisir le tribunal administratif compétent.
6. Enfin, l'exécution forcée d'une sentence arbitrale ne saurait être autorisée si elle est contraire à l'ordre public. Par suite, un contrôle analogue à celui décrit au point 4 doit être exercé par le juge administratif lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l'exécution d'un contrat administratif.
Sur la sentence arbitrale en cause :
7. En premier lieu, il ressort des pièces versées au dossier qu'à l'issue de l'audience qu'il a tenue le 12 mars 2020 en présence des parties, le tribunal arbitral a décidé de confier à l'un de ses membres la rédaction d'un rapport sur quatorze points entrant dans le champ de sa mission définie par la convention d'arbitrage et de soumettre ce rapport, avant que le tribunal ne statue, à un débat contradictoire entre les parties. Après avoir été rédigé par l'un des arbitres, ce rapport a été communiqué aux parties, dans sa version définitive, le 15 août 2021. Ces dernières ont fait connaître leurs observations tant par écrit qu'oralement lors d'une nouvelle audience du tribunal arbitral qui s'est tenue le 15 décembre 2022. La sentence a été finalement rendue par le tribunal arbitral le 30 juin 2023.
8. Si le rapport ainsi rédigé par l'un des arbitres a pris position sur les prétentions des parties, cette circonstance ne traduit nullement, contrairement à ce que soutient la collectivité requérante, une méconnaissance du principe d'impartialité, s'agissant d'un document d'étape établi par l'un des arbitres dans le cours de l'instance arbitrale, à l'égard duquel, au demeurant, les parties ont pu faire valoir, avant que le tribunal arbitral ne se prononce, leurs observations tant sur la teneur des propositions faites que sur la méthodologie retenue. Par suite, le moyen tiré de ce que la juridiction arbitrale aurait été irrégulièrement composée à raison du défaut d'impartialité d'un des arbitres ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, il ressort des stipulations de l'article 3 de la convention d'arbitrage définissant le domaine du litige soumis au tribunal arbitral que ce litige portait sur les sommes que le groupement d'entreprises estimait lui être dues et non sur celles que la collectivité territoriale de Martinique lui avait déjà versées pour l'exécution du marché public en litige. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le tribunal arbitral n'aurait pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée en rejetant sa demande reconventionnelle, tendant au remboursement de sommes qu'elle avait déjà versées à ce groupement d'entreprises.
10. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 4 sur le contrôle du Conseil d'Etat sur la régularité de la procédure d'arbitrage, le moyen tiré de ce que la sentence arbitrale serait irrégulière au motif qu'elle ne comporterait pas de dispositif est inopérant et ne peut, par suite, être utilement soulevé.
11. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort ni de la sentence ni des pièces du dossier que le tribunal arbitral n'aurait pas statué en droit ou qu'il aurait tranché le litige en amiable compositeur en méconnaissance de l'interdiction fixée à cet égard par les stipulations de l'article 4 de la convention d'arbitrage.
12. En dernier lieu, si, à propos de sa demande tendant à l'indemnisation de frais généraux supplémentaires à la suite du retard pris dans l'exécution du marché, le tribunal arbitral a relevé que la société Satrap n'avait " pas fait tous les efforts souhaitables pour établir la réalité de ce chef de préjudice ", ainsi que le relève la requérante, il a pour autant considéré que " les éléments chiffrés produits par la Satrap et résultant des données du marché sont de nature à pouvoir apprécier le déficit de couverture de ses frais généraux ". Dès lors, la collectivité requérante n'est pas fondée à soutenir que la sentence arbitrale attaquée, qui la condamne à verser à la société Satrap la somme de 428 782 euros hors taxes au titre de la perte de couverture de ses frais généraux, la contraindrait à consentir une libéralité en méconnaissance de la règle d'ordre public l'interdisant, rappelée au point 4.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité territoriale de Martinique n'est pas fondée à demander l'annulation de la sentence arbitrale qu'elle attaque.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Colas Martinique et de Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique le versement à la société Colas Martinique et à Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, de la somme de 3 000 euros, chacun, au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la collectivité territoriale de Martinique est rejetée.
Article 2 : La collectivité territoriale de Martinique versera à la société Colas Martinique, d'une part, et à Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, d'autre part, une somme de 3 000 euros, chacun, au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la collectivité territoriale de Martinique, à la société Colas Martinique et à Me Michel Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap.
ECLI:FR:CECHR:2024:485583.20240730
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 août et 21 novembre 2023 et 17 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la collectivité territoriale de Martinique demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la sentence arbitrale rendue à Paris le 30 juin 2023 par le tribunal arbitral désigné conformément à la convention d'arbitrage du 29 mars 2016 conclue entre la collectivité territoriale de Martinique et le groupement composé des sociétés Colas Martinique et Satrap, qui l'a condamnée à verser à la société Satrap la somme globale de 1 640 213 euros pour le règlement du marché public de travaux de terrassement, d'assainissement et de réalisation de la chaussée de la route nationale n° 1 à Fort-de-France ;
2°) de faire droit à ses conclusions devant ce tribunal arbitral ou, à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant la juridiction compétente pour statuer sur le litige ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la société Colas Martinique et de la société Satrap la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1906 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la collectivité territoriale de Martinique, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Colas Martinique et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées les 10 et 12 juillet 2024, présentées par Me Michel Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2024, présentée par la société Colas Martinique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 128 du code des marchés publics, applicable au litige : " Conformément à l'article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l'exercice 1906, l'Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fournitures, recourir à l'arbitrage tel qu'il est réglé par le livre IV du code de procédure civile. ".
2. Le 8 décembre 2011, la région de Martinique, aux droits de laquelle est venue la collectivité territoriale de Martinique, a conclu avec un groupement composé de la société Colas Martinique, mandataire principal, de la société GTC, sa filiale avec laquelle elle a fusionné le 29 juin 2012, et de la société Satrap, un marché public pour l'exécution du lot n° 1, portant sur des travaux de terrassement, d'assainissement et de chaussée de l'avenue Maurice Bishop, à Fort-de-France, en vue du passage des transports collectifs en site propre. Afin de résoudre le litige les opposant sur le règlement financier de ce marché, les parties ont conclu le 29 mars 2016 une convention d'arbitrage, complétée par un avenant n° 1. Par une sentence arbitrale rendue à Paris le 30 juin 2023, dont la collectivité territoriale de Martinique demande l'annulation, le tribunal arbitral, désigné conformément à la convention d'arbitrage, a condamné la collectivité à verser à la société Satrap la somme globale de 1 640 213 euros pour le règlement de ce marché.
Sur l'étendue du contrôle du Conseil d'Etat sur les sentences rendues en matière d'arbitrage interne :
3. Le recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l'exécution ou de la rupture d'un contrat administratif ressortit à la compétence de la juridiction administrative. Au sein de la juridiction administrative, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître des recours dirigés contre une telle sentence arbitrale, en application de l'article L. 321-2 du code de justice administrative.
4. Lorsqu'il est saisi d'un tel recours, il appartient au Conseil d'Etat de s'assurer, le cas échéant d'office, de la licéité de la convention d'arbitrage, qu'il s'agisse d'une clause compromissoire ou d'un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d'une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d'autre part, de ce qu'elle est contraire à l'ordre public. S'agissant de la régularité de la procédure, en l'absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent, s'il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, s'il n'a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s'il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s'il n'a pas motivé sa sentence. S'agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public lorsqu'elle fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu'elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou lorsqu'elle méconnaît les règles d'ordre public du droit de l'Union européenne.
5. A l'issue de ce contrôle, le Conseil d'Etat, s'il constate l'illégalité du recours à l'arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, prononce l'annulation de la sentence arbitrale et décide soit de renvoyer le litige au tribunal administratif compétent pour en connaître, soit d'évoquer l'affaire et de statuer lui-même sur les réclamations présentées devant le collège arbitral. S'il constate que le litige est arbitrable, il peut rejeter le recours dirigé contre la sentence arbitrale ou annuler, totalement ou partiellement, celle-ci. Il ne peut ensuite régler lui-même l'affaire au fond que si la convention d'arbitrage l'a prévu ou s'il est invité à le faire par les deux parties. A défaut de stipulation en ce sens ou d'accord des parties sur ce point, il revient à celles-ci de déterminer si elles entendent de nouveau porter leur litige contractuel devant un tribunal arbitral, à moins qu'elles ne décident conjointement de saisir le tribunal administratif compétent.
6. Enfin, l'exécution forcée d'une sentence arbitrale ne saurait être autorisée si elle est contraire à l'ordre public. Par suite, un contrôle analogue à celui décrit au point 4 doit être exercé par le juge administratif lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue dans un litige né de l'exécution d'un contrat administratif.
Sur la sentence arbitrale en cause :
7. En premier lieu, il ressort des pièces versées au dossier qu'à l'issue de l'audience qu'il a tenue le 12 mars 2020 en présence des parties, le tribunal arbitral a décidé de confier à l'un de ses membres la rédaction d'un rapport sur quatorze points entrant dans le champ de sa mission définie par la convention d'arbitrage et de soumettre ce rapport, avant que le tribunal ne statue, à un débat contradictoire entre les parties. Après avoir été rédigé par l'un des arbitres, ce rapport a été communiqué aux parties, dans sa version définitive, le 15 août 2021. Ces dernières ont fait connaître leurs observations tant par écrit qu'oralement lors d'une nouvelle audience du tribunal arbitral qui s'est tenue le 15 décembre 2022. La sentence a été finalement rendue par le tribunal arbitral le 30 juin 2023.
8. Si le rapport ainsi rédigé par l'un des arbitres a pris position sur les prétentions des parties, cette circonstance ne traduit nullement, contrairement à ce que soutient la collectivité requérante, une méconnaissance du principe d'impartialité, s'agissant d'un document d'étape établi par l'un des arbitres dans le cours de l'instance arbitrale, à l'égard duquel, au demeurant, les parties ont pu faire valoir, avant que le tribunal arbitral ne se prononce, leurs observations tant sur la teneur des propositions faites que sur la méthodologie retenue. Par suite, le moyen tiré de ce que la juridiction arbitrale aurait été irrégulièrement composée à raison du défaut d'impartialité d'un des arbitres ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, il ressort des stipulations de l'article 3 de la convention d'arbitrage définissant le domaine du litige soumis au tribunal arbitral que ce litige portait sur les sommes que le groupement d'entreprises estimait lui être dues et non sur celles que la collectivité territoriale de Martinique lui avait déjà versées pour l'exécution du marché public en litige. Par suite, cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le tribunal arbitral n'aurait pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée en rejetant sa demande reconventionnelle, tendant au remboursement de sommes qu'elle avait déjà versées à ce groupement d'entreprises.
10. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 4 sur le contrôle du Conseil d'Etat sur la régularité de la procédure d'arbitrage, le moyen tiré de ce que la sentence arbitrale serait irrégulière au motif qu'elle ne comporterait pas de dispositif est inopérant et ne peut, par suite, être utilement soulevé.
11. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort ni de la sentence ni des pièces du dossier que le tribunal arbitral n'aurait pas statué en droit ou qu'il aurait tranché le litige en amiable compositeur en méconnaissance de l'interdiction fixée à cet égard par les stipulations de l'article 4 de la convention d'arbitrage.
12. En dernier lieu, si, à propos de sa demande tendant à l'indemnisation de frais généraux supplémentaires à la suite du retard pris dans l'exécution du marché, le tribunal arbitral a relevé que la société Satrap n'avait " pas fait tous les efforts souhaitables pour établir la réalité de ce chef de préjudice ", ainsi que le relève la requérante, il a pour autant considéré que " les éléments chiffrés produits par la Satrap et résultant des données du marché sont de nature à pouvoir apprécier le déficit de couverture de ses frais généraux ". Dès lors, la collectivité requérante n'est pas fondée à soutenir que la sentence arbitrale attaquée, qui la condamne à verser à la société Satrap la somme de 428 782 euros hors taxes au titre de la perte de couverture de ses frais généraux, la contraindrait à consentir une libéralité en méconnaissance de la règle d'ordre public l'interdisant, rappelée au point 4.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la collectivité territoriale de Martinique n'est pas fondée à demander l'annulation de la sentence arbitrale qu'elle attaque.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Colas Martinique et de Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Martinique le versement à la société Colas Martinique et à Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, de la somme de 3 000 euros, chacun, au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de la collectivité territoriale de Martinique est rejetée.
Article 2 : La collectivité territoriale de Martinique versera à la société Colas Martinique, d'une part, et à Me Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap, d'autre part, une somme de 3 000 euros, chacun, au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la collectivité territoriale de Martinique, à la société Colas Martinique et à Me Michel Bès, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Satrap.