Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 31/05/2024, 466731

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par des méthodes substitutives " a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 octobre 2019 par laquelle le préfet de Paris s'est opposé à la reconnaissance de cette association dans la catégorie des associations d'intérêt général au sens et pour l'application de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. Par un jugement n° 1927539 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21PA00425 du 23 juin 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association, annulé ce jugement et la décision du 29 octobre 2019.

Par un pourvoi, enregistré le 17 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'association.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts ;
- la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
- le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Le Bret-Desaché, avocat de l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives " ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 29 octobre 2019, le préfet de Paris s'est opposé à la reconnaissance de l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives " (LFCV) dans la catégorie des associations d'intérêt général pour l'application de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, privant d'effet la libéralité que lui avait été consentie par Mme A.... Par un jugement du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de l'association tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de l'association, prononcé l'annulation de ce jugement et de cette décision.

2. Aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association : " Les associations déclarées depuis trois ans au moins et dont l'ensemble des activités est mentionné au b du 1 de l'article 200 du code général des impôts peuvent en outre : / a) Accepter les libéralités entre vifs ou testamentaires, dans des conditions fixées à l'article 910 du code civil ; / (...) ". Aux termes de l'article 200 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 1. Ouvrent droit à une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable qui correspondent à des dons et versements, y compris l'abandon exprès de revenus ou produits, effectués par les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B, au profit : / (...) / b) D'œuvres ou d'organismes d'intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à (...) la défense de l'environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ; / (...) ". Aux termes du II de l'article 910 du code civil : " Les dispositions entre vifs ou par testament au profit des fondations, des congrégations et des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités (...), à l'exception des associations ou fondations dont les activités ou celles de leurs dirigeants sont visées à l'article 1er de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, sont acceptées librement par celles-ci. / Si le représentant de l'État dans le département constate que l'organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu'il n'est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité, dans des conditions précisées par décret, la privant ainsi d'effet (...) ".

3. Pour annuler la décision du préfet de Paris, la cour administrative d'appel a retenu que les moyens et actions de l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives " présentent un caractère philanthropique au sens et pour l'application du b) du 1 de l'article 200 du code général des impôts auquel renvoie l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901.

4. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond, ainsi que l'a relevé la cour administrative d'appel elle-même, que l'activité de l'association, qui découle de ses statuts et qui se reflète notamment dans ses publications, est, en pratique, alors même qu'elle se prévaut d'une inspiration humaniste, principalement, voire exclusivement, consacrée à la protection animale et tout particulièrement à la lutte contre la vivisection animale. Par suite, en jugeant que l'association avait un objet à caractère philanthropique alors qu'elle a pour seul objet la protection animale, la cour administrative d'appel de Paris a, en l'état de la législation applicable, inexactement qualifié les faits de l'espèce. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Pour rejeter la demande formée par l'association requérante contre la décision préfectorale attaquée, le tribunal administratif de Paris a, par son jugement du 10 décembre 2020, retenu que les objectifs et les moyens de l'association ne présentaient pas, contrairement à ce qu'elle soutenait, un caractère éducatif ou scientifique, en l'absence d'activités propres d'enseignement ou de recherche scientifique. L'association, qui ne remet pas en cause ces motifs du jugement attaqué, fait uniquement valoir, à l'appui de son appel, que l'opposition du préfet à sa reconnaissance dans la catégorie des associations d'intérêt général est illégale dès lors qu'il a omis de prendre en compte son caractère philanthropique. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que ce moyen doit être écarté. Il s'ensuit que l'association n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 23 juin 2022 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives " devant la cour administrative d'appel de Paris est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives " présentées au titre de l'article de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à l'association " Ligue française contre la vivisection et l'expérimentation sur l'homme et l'animal et pour leur remplacement par les méthodes substitutives ".

Délibéré à l'issue de la séance du 17 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.

Rendu le 31 mai 2024.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos

La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


ECLI:FR:CECHR:2024:466731.20240531
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