Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/05/2024, 469089, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 28/05/2024, 469089, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 469089
- ECLI:FR:CECHR:2024:469089.20240528
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
mardi
28 mai 2024
- Rapporteur
- Mme Catherine Fischer-Hirtz
- Avocat(s)
- SCP DELAMARRE, JEHANNIN ; SCP RICHARD ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Envie 2 E Lorraine a porté plainte contre Mme B... C... devant le conseil départemental de la Moselle de l'ordre des médecins qui l'a transmise sans s'y associer à la chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l'ordre des médecins. Par une décision du 9 octobre 2020, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme C... la sanction de l'avertissement.
Par une décision du 22 septembre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par Mme C... contre cette décision.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2022 et les 22 février et 4 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de la société Envie 2 E Lorraine la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de Mme C... et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la société Envie 2 E Lorraine ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C..., médecin spécialiste, qualifiée en médecine générale, a délivré, le 27 juin 2017, à M. A..., salarié de la société Envie 2 E Lorraine, un avis de prolongation d'arrêt de travail dont le volet destiné au médecin-conseil de l'assurance maladie portait, dans la rubrique " éléments d'ordre médical ", la mention " burn out ". Le 19 août 2019, la société Envie 2 E Lorraine a porté plainte contre Mme C... devant les instances disciplinaires de l'ordre des médecins au motif qu'elle aurait, en établissant ce document, méconnu l'obligation déontologique fixée par l'article R. 4127-28 du code de la santé publique. Mme C... se pourvoit en cassation contre la décision du 22 septembre 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté son appel formé contre la décision du 9 octobre 2020 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l'ordre des médecins lui a infligé la sanction de l'avertissement.
2. D'une part, l'article L. 162-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les médecins sont tenus de mentionner sur la prescription d'arrêt de travail destinée au service du contrôle médical, dont la transmission conditionne le versement au salarié des indemnités journalières, " les éléments d'ordre médical justifiant l'interruption de travail ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique : " La délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite ".
4. Il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour confirmer la sanction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, après s'être référée aux recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé en matière de " repérage et [de] prise en charge cliniques du syndrome d'épuisement professionnel ou burn out ", soulignant notamment l'importance, dans l'intérêt du patient et avec son accord, d'un échange entre le médecin du travail et le médecin traitant pour le repérage du syndrome d'épuisement professionnel, a jugé que, pour motiver la prolongation de l'arrêt de travail par l'existence d'un " burn out ", Mme C... ne pouvait se fonder sur les seules déclarations de M. A... indiquant que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle sans disposer de l'analyse de ses conditions de travail émanant notamment du médecin du travail. La chambre disciplinaire en a déduit que Mme C... avait méconnu l'obligation déontologique fixée par l'article R. 4127-28 du code de la santé publique.
5. En statuant ainsi, alors que la seule circonstance que Mme C... ait fait état de ce qu'elle avait constaté l'existence d'un syndrome d'épuisement professionnel sans disposer de l'analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l'établissement d'un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision du 22 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Envie 2 E Lorraine une somme de 3 000 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Mme C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 22 septembre 2022 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : La société Envie 2 E Lorraine versera une somme de 3 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Envie 2 E Lorraine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C... et à la société Envie 2 E Lorraine.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Vincent Mazauric conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Fischer-Hirtz
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba
ECLI:FR:CECHR:2024:469089.20240528
La société Envie 2 E Lorraine a porté plainte contre Mme B... C... devant le conseil départemental de la Moselle de l'ordre des médecins qui l'a transmise sans s'y associer à la chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l'ordre des médecins. Par une décision du 9 octobre 2020, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à Mme C... la sanction de l'avertissement.
Par une décision du 22 septembre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par Mme C... contre cette décision.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2022 et les 22 février et 4 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de la société Envie 2 E Lorraine la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de Mme C... et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de la société Envie 2 E Lorraine ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C..., médecin spécialiste, qualifiée en médecine générale, a délivré, le 27 juin 2017, à M. A..., salarié de la société Envie 2 E Lorraine, un avis de prolongation d'arrêt de travail dont le volet destiné au médecin-conseil de l'assurance maladie portait, dans la rubrique " éléments d'ordre médical ", la mention " burn out ". Le 19 août 2019, la société Envie 2 E Lorraine a porté plainte contre Mme C... devant les instances disciplinaires de l'ordre des médecins au motif qu'elle aurait, en établissant ce document, méconnu l'obligation déontologique fixée par l'article R. 4127-28 du code de la santé publique. Mme C... se pourvoit en cassation contre la décision du 22 septembre 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté son appel formé contre la décision du 9 octobre 2020 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance du Grand Est de l'ordre des médecins lui a infligé la sanction de l'avertissement.
2. D'une part, l'article L. 162-4-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les médecins sont tenus de mentionner sur la prescription d'arrêt de travail destinée au service du contrôle médical, dont la transmission conditionne le versement au salarié des indemnités journalières, " les éléments d'ordre médical justifiant l'interruption de travail ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique : " La délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est interdite ".
4. Il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, pour confirmer la sanction litigieuse, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, après s'être référée aux recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé en matière de " repérage et [de] prise en charge cliniques du syndrome d'épuisement professionnel ou burn out ", soulignant notamment l'importance, dans l'intérêt du patient et avec son accord, d'un échange entre le médecin du travail et le médecin traitant pour le repérage du syndrome d'épuisement professionnel, a jugé que, pour motiver la prolongation de l'arrêt de travail par l'existence d'un " burn out ", Mme C... ne pouvait se fonder sur les seules déclarations de M. A... indiquant que son stress et son angoisse trouvaient leur origine dans son activité professionnelle sans disposer de l'analyse de ses conditions de travail émanant notamment du médecin du travail. La chambre disciplinaire en a déduit que Mme C... avait méconnu l'obligation déontologique fixée par l'article R. 4127-28 du code de la santé publique.
5. En statuant ainsi, alors que la seule circonstance que Mme C... ait fait état de ce qu'elle avait constaté l'existence d'un syndrome d'épuisement professionnel sans disposer de l'analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l'établissement d'un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l'article R. 4127-28 du code de la santé publique, la chambre disciplinaire nationale a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la décision du 22 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Envie 2 E Lorraine une somme de 3 000 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Mme C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 22 septembre 2022 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.
Article 3 : La société Envie 2 E Lorraine versera une somme de 3 000 euros à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Envie 2 E Lorraine au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... C... et à la société Envie 2 E Lorraine.
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 mai 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Alban de Nervaux, M. Vincent Mazauric conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard-Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire ; Mme Cécile Fraval, maître des requêtes en service extraordinaire et Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Fischer-Hirtz
Le secrétaire :
Signé : M. Christophe Bouba