CAA de LYON, 2ème chambre, 18/04/2024, 22LY01640, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON, 2ème chambre, 18/04/2024, 22LY01640, Inédit au recueil Lebon
CAA de LYON - 2ème chambre
- N° 22LY01640
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
18 avril 2024
- Président
- M. PRUVOST
- Rapporteur
- M. Jean-Simon LAVAL
- Avocat(s)
- RIERA-TRYSTRAM-AZEMA
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1901246 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2022, Mme C..., représentée par Me Thouvenot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- en opposant le caractère fictif des baux consenti par la SCI et en retenant une volonté d'éluder l'impôt, l'administration a relevé un abus de droit rampant ;
- l'usage des locaux prévu par la convention de collaboration ne saurait exclure la mise en œuvre de contrats de location et la ventilation de ces charges qui relève d'un choix de gestion auquel aucune règle de droit n'est opposée ;
- l'interprétation que fait l'administration du contrat de collaboration en son sens fiscal intègre, à tort, la mise à disposition des murs du lieu de l'exploitation alors qu'elle n'est pas propriétaire ;
- elle s'est conformée aux normes comptables et ordinales recommandant une dissociation des actifs entre le lieu d'exploitation géré par une SCI et la mise à disposition d'une patientèle par un contrat de collaboration ce qu'une réponse ministérielle ne peut remettre en cause ;
- son compte courant d'associé au sein de la SCI Les Habères permet de justifier la déduction des charges.
Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2023, le ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laval, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui, pour l'exercice de sa profession de masseur-kinésithérapeute, disposait de deux établissements, un établissement principal à Sciez (Haute-Savoie) et un établissement secondaire à Habère-Poche (Haute-Savoie), situés dans des locaux appartenant à la SCI Les Habères et à la SCI La Glappaz, dont elle détenait la quasi-totalité des parts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment, en premier lieu, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée une somme 18 000 euros extournée des recettes comptabilisées par l'intéressée en 2012 ainsi que les sommes d'un montant total de 17 652 euros, versées en 2013 à la SCI Les Habères par les praticiens avec lesquels elle avait conclu des contrats de collaboration, en deuxième lieu, réintégré ces montants de 18 000 et 17 652 euros dans ses recettes non commerciales et, en troisième lieu, exclu des dépenses déductibles des sommes de 18 018 euros et 30 941 euros, comptabilisées comme des loyers et charges locatives. En conséquence de ce contrôle, Mme C... a, d'une part, été assujettie, suivant la procédure contradictoire, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2012 et 2013 et, d'autre part, été taxée d'office à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondante. Elle relève appel du jugement du 29 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des impositions consécutives à ces redressements et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public ".
3. Pour réintégrer dans les recettes des années 2012 et 2013 les sommes de 18 000 et 17 652 euros et taxer ces sommes à la taxe sur la valeur ajoutée, le vérificateur n'a ni entendu écarter comme ne lui étant pas opposables les contrats de collaboration conclus par l'intéressée, ni estimé que Mme C... avait recherché le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, mais a seulement considéré que ces sommes présentaient le caractère de redevances de collaboration, dues à l'intéressée en vertu des stipulations des contrats présentés prévoyant que le collaborateur a l'usage des locaux professionnels, installations et appareils et que tous les frais incombant aux locaux et au fonctionnement de l'installation technique de kinésithérapie sont à la charge de Mme C.... Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée des garanties prévues à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
Sur les bénéfices non commerciaux :
En ce qui concerne l'imposition des profits des contrats de collaboration dans la catégorie des bénéfices non commerciaux :
4. Aux termes de la documentation administrative référencée BOI-BNC-SECT-70-30 : " Le contrat de collaboration est l'acte par lequel un praticien confirmé met à la disposition d'un confrère les locaux et le matériel nécessaires à l'exercice de la profession ainsi que, généralement, la clientèle attachée an cabinet moyennant une redevance égale à un certain pourcentage des honoraires encaissés par le collaborateur. Ce type de contrat est particulièrement fréquent entre chirurgiens-dentistes. Sur le plan fiscal, ce contrat s'analyse en une mise en location du matériel et de la clientèle ". Selon cette instruction, le praticien titulaire " exerce, d'une part, sa profession à titre personnel et encaisse les honoraires correspondants. Il perçoit, d'autre part, les redevances versées par son collaborateur, qui ont le caractère de recettes commerciales. (...) Toutefois, il a paru possible, pour des raisons de simplification, d'adopter en ce qui concerne les intéressés une mesure analogue à celle prévue en faveur des contribuables qui exercent une profession non commerciale et effectuent, à titre accessoire, des opérations commerciales. Aussi a-t-il été décidé d'admettre que l'ensemble des profits réalisés par les praticiens titulaires soient soumis à l'impôt sur le revenu au titre de bénéfices non commerciaux. "
5. Il résulte de l'instruction que Mme C... a conclu des contrats de collaboration libérale avec plusieurs autres masseurs-kinésithérapeutes aux termes desquels elle leur accorde l'usage des locaux professionnels, installations et appareils, en échange du versement de 25 % du montant total des honoraires perçus chaque mois, à l'exception des indemnités de déplacement. Si elle soutient que le paragraphe 1 de la documentation administrative définissant le contrat de collaboration, d'un point de vue fiscal, comme une " mise en location du matériel et de la clientèle " exclut la mise à disposition des locaux, il résulte des énonciations de ce texte qu'il vise comme contrepartie la mise à disposition des locaux, du matériel et de la clientèle. Mme C..., qui a conclu des contrats ayant pour objet de mettre à disposition des praticiens, outre les installations et matériels dont ils sont pourvus, les locaux professionnels qu'elle a elle-même pris en location n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale a méconnu sa propre doctrine laquelle prévoit, par simplification, l'imposition des redevances de collaboration accessoires perçues par les titulaires de bénéfices non commerciaux, dans la même catégorie d'imposition, en imposant en tant que revenu non commercial la quote-part des redevances dont elle soutient qu'elle était la contrepartie de la location de locaux nus dont elle n'est pas propriétaire.
En ce qui concerne le montant des bénéfices non commerciaux :
6. Aux termes du 1 de l'article 93 du code général des impôts : " Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) ".
7. Mme C... soutient, en premier lieu, que l'administration s'est immiscée dans ses choix de gestion.
8. En ce qui concerne l'année 2012, il résulte de l'instruction que le vérificateur s'est borné à réintégrer dans le résultat non commercial de Mme C... la somme de 18 000 euros que celle-ci avait extournée des recettes comptabilisées en tant que " gains divers " par une écriture de crédit du compte " dépenses personnelles ". Dès lors qu'il n'est pas contesté que cette somme correspond à des revenus effectivement encaissés par Mme C... au titre des contrats de collaboration conclus par elle, le moyen doit être écarté comme manquant en fait.
9. En revanche, en ce qui concerne l'année 2013, le vérificateur a réintégré dans les recettes non commerciales les sommes d'un montant de 17 652,29 euros versées directement à la SCI Les Habères par les praticiens avec lesquels Mme C... avait conclu des contrats de collaboration.
10. Le montant des recettes à retenir pour la détermination du bénéfice imposable des contribuables titulaires de bénéfices non commerciaux est le montant total des recettes que ceux-ci ont perçues du fait de leur activité professionnelle ou de l'occupation ou exploitation lucrative ou de la source de profits dont ils tirent parti. Si ces contribuables sont, en principe, sous réserve en ce qui concerne les professions libérales et les professions réglementées du contrôle qu'exercent les instances de supervision spécialement instituées à cet effet, seuls juges de l'opportunité des décisions qu'ils prennent, l'administration est cependant fondée à réintégrer dans leur résultat imposable le montant des recettes non déclarées qu'ils n'auraient normalement pas dû renoncer à percevoir. Tel est le cas lorsque la renonciation en cause est dépourvue de contrepartie équivalente pour ces contribuables, qu'elle ne peut être regardée comme relevant de l'exercice normal de leur profession ou d'une pratique normale dans le cadre de leur occupation ou qu'elle n'est justifiée par aucun autre motif légitime. Dans l'hypothèse où l'administration a mis en évidence la renonciation d'un contribuable, titulaire de bénéfices non commerciaux, à percevoir des recettes, elle est réputée, lorsque la charge de la preuve du bien-fondé de la rectification lui incombe en raison de la procédure d'imposition suivie, apporter cette preuve si le contribuable n'est pas en mesure de justifier que la renonciation à percevoir des recettes comportait une contrepartie équivalente pour lui ou reposait sur l'un des motifs mentionnés ci-dessus.
11. Selon l'article 4 des contrats conclus par Mme C... avec d'autres praticiens, pour l'exercice, par eux, en toute indépendance de leur art, les collaborateurs auront l'usage des locaux professionnels, et des installations et appareils appartenant à cette dernière. Les contrats stipulent en particulier que " tous les frais incombant aux locaux et à l'installation technique de kinésithérapie et résultant de l'usure normale " sont à la charge de Mme C... sans que ses collaborateurs puissent être recherchés à cet effet. Il résulte de ces stipulations contractuelles que Mme C... était tenue de percevoir la totalité des redevances dues en vertu des contrats de collaboration et qu'en s'abstenant de comptabiliser dans ses recettes la part des redevances versées par les praticiens à la SCI Les Habères dont elle détient 99 % des parts sociales, elle a renoncé à en percevoir une partie au profit d'un tiers. L'intéressée ne soutient pas que cette renonciation à percevoir des recettes comportait une contrepartie équivalente ou qu'elle était justifiée par un autre motif légitime. Si elle invoque les usages ordinaux et comptables, elle n'en précise ni la teneur ni la portée. Il en résulte que l'administration est réputée apporter la preuve de ce que cette renonciation ne relevait pas d'un exercice normal de l'activité de Mme C... en contrepartie de laquelle ses collaborateurs devaient lui verser une redevance. Par suite, l'administration a pu réintégrer dans son résultat non commercial de l'année 2013 les sommes représentatives d'une partie des redevances versées directement à la SCI Les Habères sans pour autant s'immiscer dans les choix de gestion de Mme C... quand bien même celle-ci n'était pas propriétaire des locaux.
12. Mme C... conteste, en second lieu, le refus du vérificateur d'admettre en déduction de ses recettes non commerciales des années 2012 et 2013 les sommes de, respectivement, 18 018 euros et 30 941 euros comptabilisées à titre de loyers et charges locatives, au motif qu'elle ne justifiait pas les avoir payées.
13. Quelle que soit la procédure d'imposition suivie à l'encontre du contribuable, il lui appartient de justifier que les sommes qu'il a déduites de son bénéfice non commercial ont constitué des dépenses nécessitées par l'exercice de sa profession.
14. En se bornant à produire un extrait de compte courant de la SCI Les Habères dont les crédits ne correspondent d'ailleurs pas aux écritures de sa propre comptabilité concernant l'année 2012, Mme C... ne peut être regardée comme justifiant avoir payé les loyers et charges locatives comptabilisées qui ne peuvent dès lors être regardées comme des dépenses professionnelles effectivement supportées.
Sur la taxe sur la valeur ajoutée :
15. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. " Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / Ne sont pas considérés comme agissant de manière indépendante : / - les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur ;/ (...) / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités (...) de prestataire de services, y compris les activités (...) des professions libérales ou assimilées. (...) ".
16. Les redevances perçues par un praticien à raison de la mise à disposition des locaux et du matériel d'un confrère pour sa propre pratique professionnelle sont taxables à la taxe sur la valeur ajoutée en tant que prestation de service à titre onéreux rendue par un assujetti en tant que tel. L'imposition ayant été établie conformément à la loi fiscale, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le service se serait seulement fondé sur une réponse ministérielle, reprise au BOFIP, sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10 § 230, selon laquelle " la redevance versée au propriétaire du cabinet constitue pour celui-ci la contrepartie de la location de locaux professionnels aménagés et doit, à ce titre, être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ", laquelle au demeurant, ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est fait application.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Porée, premier conseiller,
M. Laval, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 avril 2024.
Le rapporteur,
J.-S. Laval
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY01640
Procédure contentieuse antérieure
Mme C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1901246 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 30 mai 2022, Mme C..., représentée par Me Thouvenot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- en opposant le caractère fictif des baux consenti par la SCI et en retenant une volonté d'éluder l'impôt, l'administration a relevé un abus de droit rampant ;
- l'usage des locaux prévu par la convention de collaboration ne saurait exclure la mise en œuvre de contrats de location et la ventilation de ces charges qui relève d'un choix de gestion auquel aucune règle de droit n'est opposée ;
- l'interprétation que fait l'administration du contrat de collaboration en son sens fiscal intègre, à tort, la mise à disposition des murs du lieu de l'exploitation alors qu'elle n'est pas propriétaire ;
- elle s'est conformée aux normes comptables et ordinales recommandant une dissociation des actifs entre le lieu d'exploitation géré par une SCI et la mise à disposition d'une patientèle par un contrat de collaboration ce qu'une réponse ministérielle ne peut remettre en cause ;
- son compte courant d'associé au sein de la SCI Les Habères permet de justifier la déduction des charges.
Par un mémoire, enregistré le 19 janvier 2023, le ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laval, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui, pour l'exercice de sa profession de masseur-kinésithérapeute, disposait de deux établissements, un établissement principal à Sciez (Haute-Savoie) et un établissement secondaire à Habère-Poche (Haute-Savoie), situés dans des locaux appartenant à la SCI Les Habères et à la SCI La Glappaz, dont elle détenait la quasi-totalité des parts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment, en premier lieu, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée une somme 18 000 euros extournée des recettes comptabilisées par l'intéressée en 2012 ainsi que les sommes d'un montant total de 17 652 euros, versées en 2013 à la SCI Les Habères par les praticiens avec lesquels elle avait conclu des contrats de collaboration, en deuxième lieu, réintégré ces montants de 18 000 et 17 652 euros dans ses recettes non commerciales et, en troisième lieu, exclu des dépenses déductibles des sommes de 18 018 euros et 30 941 euros, comptabilisées comme des loyers et charges locatives. En conséquence de ce contrôle, Mme C... a, d'une part, été assujettie, suivant la procédure contradictoire, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2012 et 2013 et, d'autre part, été taxée d'office à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période correspondante. Elle relève appel du jugement du 29 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge des impositions consécutives à ces redressements et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public ".
3. Pour réintégrer dans les recettes des années 2012 et 2013 les sommes de 18 000 et 17 652 euros et taxer ces sommes à la taxe sur la valeur ajoutée, le vérificateur n'a ni entendu écarter comme ne lui étant pas opposables les contrats de collaboration conclus par l'intéressée, ni estimé que Mme C... avait recherché le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, mais a seulement considéré que ces sommes présentaient le caractère de redevances de collaboration, dues à l'intéressée en vertu des stipulations des contrats présentés prévoyant que le collaborateur a l'usage des locaux professionnels, installations et appareils et que tous les frais incombant aux locaux et au fonctionnement de l'installation technique de kinésithérapie sont à la charge de Mme C.... Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée des garanties prévues à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.
Sur les bénéfices non commerciaux :
En ce qui concerne l'imposition des profits des contrats de collaboration dans la catégorie des bénéfices non commerciaux :
4. Aux termes de la documentation administrative référencée BOI-BNC-SECT-70-30 : " Le contrat de collaboration est l'acte par lequel un praticien confirmé met à la disposition d'un confrère les locaux et le matériel nécessaires à l'exercice de la profession ainsi que, généralement, la clientèle attachée an cabinet moyennant une redevance égale à un certain pourcentage des honoraires encaissés par le collaborateur. Ce type de contrat est particulièrement fréquent entre chirurgiens-dentistes. Sur le plan fiscal, ce contrat s'analyse en une mise en location du matériel et de la clientèle ". Selon cette instruction, le praticien titulaire " exerce, d'une part, sa profession à titre personnel et encaisse les honoraires correspondants. Il perçoit, d'autre part, les redevances versées par son collaborateur, qui ont le caractère de recettes commerciales. (...) Toutefois, il a paru possible, pour des raisons de simplification, d'adopter en ce qui concerne les intéressés une mesure analogue à celle prévue en faveur des contribuables qui exercent une profession non commerciale et effectuent, à titre accessoire, des opérations commerciales. Aussi a-t-il été décidé d'admettre que l'ensemble des profits réalisés par les praticiens titulaires soient soumis à l'impôt sur le revenu au titre de bénéfices non commerciaux. "
5. Il résulte de l'instruction que Mme C... a conclu des contrats de collaboration libérale avec plusieurs autres masseurs-kinésithérapeutes aux termes desquels elle leur accorde l'usage des locaux professionnels, installations et appareils, en échange du versement de 25 % du montant total des honoraires perçus chaque mois, à l'exception des indemnités de déplacement. Si elle soutient que le paragraphe 1 de la documentation administrative définissant le contrat de collaboration, d'un point de vue fiscal, comme une " mise en location du matériel et de la clientèle " exclut la mise à disposition des locaux, il résulte des énonciations de ce texte qu'il vise comme contrepartie la mise à disposition des locaux, du matériel et de la clientèle. Mme C..., qui a conclu des contrats ayant pour objet de mettre à disposition des praticiens, outre les installations et matériels dont ils sont pourvus, les locaux professionnels qu'elle a elle-même pris en location n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale a méconnu sa propre doctrine laquelle prévoit, par simplification, l'imposition des redevances de collaboration accessoires perçues par les titulaires de bénéfices non commerciaux, dans la même catégorie d'imposition, en imposant en tant que revenu non commercial la quote-part des redevances dont elle soutient qu'elle était la contrepartie de la location de locaux nus dont elle n'est pas propriétaire.
En ce qui concerne le montant des bénéfices non commerciaux :
6. Aux termes du 1 de l'article 93 du code général des impôts : " Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) ".
7. Mme C... soutient, en premier lieu, que l'administration s'est immiscée dans ses choix de gestion.
8. En ce qui concerne l'année 2012, il résulte de l'instruction que le vérificateur s'est borné à réintégrer dans le résultat non commercial de Mme C... la somme de 18 000 euros que celle-ci avait extournée des recettes comptabilisées en tant que " gains divers " par une écriture de crédit du compte " dépenses personnelles ". Dès lors qu'il n'est pas contesté que cette somme correspond à des revenus effectivement encaissés par Mme C... au titre des contrats de collaboration conclus par elle, le moyen doit être écarté comme manquant en fait.
9. En revanche, en ce qui concerne l'année 2013, le vérificateur a réintégré dans les recettes non commerciales les sommes d'un montant de 17 652,29 euros versées directement à la SCI Les Habères par les praticiens avec lesquels Mme C... avait conclu des contrats de collaboration.
10. Le montant des recettes à retenir pour la détermination du bénéfice imposable des contribuables titulaires de bénéfices non commerciaux est le montant total des recettes que ceux-ci ont perçues du fait de leur activité professionnelle ou de l'occupation ou exploitation lucrative ou de la source de profits dont ils tirent parti. Si ces contribuables sont, en principe, sous réserve en ce qui concerne les professions libérales et les professions réglementées du contrôle qu'exercent les instances de supervision spécialement instituées à cet effet, seuls juges de l'opportunité des décisions qu'ils prennent, l'administration est cependant fondée à réintégrer dans leur résultat imposable le montant des recettes non déclarées qu'ils n'auraient normalement pas dû renoncer à percevoir. Tel est le cas lorsque la renonciation en cause est dépourvue de contrepartie équivalente pour ces contribuables, qu'elle ne peut être regardée comme relevant de l'exercice normal de leur profession ou d'une pratique normale dans le cadre de leur occupation ou qu'elle n'est justifiée par aucun autre motif légitime. Dans l'hypothèse où l'administration a mis en évidence la renonciation d'un contribuable, titulaire de bénéfices non commerciaux, à percevoir des recettes, elle est réputée, lorsque la charge de la preuve du bien-fondé de la rectification lui incombe en raison de la procédure d'imposition suivie, apporter cette preuve si le contribuable n'est pas en mesure de justifier que la renonciation à percevoir des recettes comportait une contrepartie équivalente pour lui ou reposait sur l'un des motifs mentionnés ci-dessus.
11. Selon l'article 4 des contrats conclus par Mme C... avec d'autres praticiens, pour l'exercice, par eux, en toute indépendance de leur art, les collaborateurs auront l'usage des locaux professionnels, et des installations et appareils appartenant à cette dernière. Les contrats stipulent en particulier que " tous les frais incombant aux locaux et à l'installation technique de kinésithérapie et résultant de l'usure normale " sont à la charge de Mme C... sans que ses collaborateurs puissent être recherchés à cet effet. Il résulte de ces stipulations contractuelles que Mme C... était tenue de percevoir la totalité des redevances dues en vertu des contrats de collaboration et qu'en s'abstenant de comptabiliser dans ses recettes la part des redevances versées par les praticiens à la SCI Les Habères dont elle détient 99 % des parts sociales, elle a renoncé à en percevoir une partie au profit d'un tiers. L'intéressée ne soutient pas que cette renonciation à percevoir des recettes comportait une contrepartie équivalente ou qu'elle était justifiée par un autre motif légitime. Si elle invoque les usages ordinaux et comptables, elle n'en précise ni la teneur ni la portée. Il en résulte que l'administration est réputée apporter la preuve de ce que cette renonciation ne relevait pas d'un exercice normal de l'activité de Mme C... en contrepartie de laquelle ses collaborateurs devaient lui verser une redevance. Par suite, l'administration a pu réintégrer dans son résultat non commercial de l'année 2013 les sommes représentatives d'une partie des redevances versées directement à la SCI Les Habères sans pour autant s'immiscer dans les choix de gestion de Mme C... quand bien même celle-ci n'était pas propriétaire des locaux.
12. Mme C... conteste, en second lieu, le refus du vérificateur d'admettre en déduction de ses recettes non commerciales des années 2012 et 2013 les sommes de, respectivement, 18 018 euros et 30 941 euros comptabilisées à titre de loyers et charges locatives, au motif qu'elle ne justifiait pas les avoir payées.
13. Quelle que soit la procédure d'imposition suivie à l'encontre du contribuable, il lui appartient de justifier que les sommes qu'il a déduites de son bénéfice non commercial ont constitué des dépenses nécessitées par l'exercice de sa profession.
14. En se bornant à produire un extrait de compte courant de la SCI Les Habères dont les crédits ne correspondent d'ailleurs pas aux écritures de sa propre comptabilité concernant l'année 2012, Mme C... ne peut être regardée comme justifiant avoir payé les loyers et charges locatives comptabilisées qui ne peuvent dès lors être regardées comme des dépenses professionnelles effectivement supportées.
Sur la taxe sur la valeur ajoutée :
15. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. " Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / Ne sont pas considérés comme agissant de manière indépendante : / - les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur ;/ (...) / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités (...) de prestataire de services, y compris les activités (...) des professions libérales ou assimilées. (...) ".
16. Les redevances perçues par un praticien à raison de la mise à disposition des locaux et du matériel d'un confrère pour sa propre pratique professionnelle sont taxables à la taxe sur la valeur ajoutée en tant que prestation de service à titre onéreux rendue par un assujetti en tant que tel. L'imposition ayant été établie conformément à la loi fiscale, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le service se serait seulement fondé sur une réponse ministérielle, reprise au BOFIP, sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-10 § 230, selon laquelle " la redevance versée au propriétaire du cabinet constitue pour celui-ci la contrepartie de la location de locaux professionnels aménagés et doit, à ce titre, être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ", laquelle au demeurant, ne donne pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle dont il est fait application.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... et au ministre de l'économie et des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Porée, premier conseiller,
M. Laval, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 avril 2024.
Le rapporteur,
J.-S. Laval
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY01640