CAA de LYON, 3ème chambre, 10/04/2024, 22LY02882, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 15 septembre 2020 par laquelle le maire de la commune de Saint-Etienne a refusé de le recruter par voie de mutation pour pourvoir une vacance de poste de professeur territorial d'enseignement artistique spécialité musique (orgue) ainsi que le contrat conclu le 5 octobre 2020 par ce maire avec M. C... D... pour pourvoir ce poste.

Par un jugement n° 2102260 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 octobre 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 12 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Paquet-Cauet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 juillet 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 15 septembre 2020 et le contrat conclu le 5 octobre 2020 par le maire de la commune de Saint-Etienne avec M. D... ;
3°) d'enjoindre à la commune de Saint-Etienne de régulariser la situation de M. D..., ou à défaut, de le licencier, et de le recruter lui-même pour occuper les fonctions de professeur d'orgue, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Etienne une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la commune de Saint-Etienne ne peut utilement se prévaloir de l'autorité de la chose jugée par une ordonnance du juge des référés, qui n'est pas revêtue d'une telle autorité et n'a pas tranché de question de fond ;
- il a invoqué en première instance tant des moyens de légalité externe que des moyens de légalité interne à l'encontre de la décision ayant rejeté sa candidature et du contrat conclu avec M. D... ; il est donc recevable à invoquer de nouveaux moyens tirés des mêmes causes juridiques ;
- aucune délibération du conseil municipal n'a autorisé le recrutement au poste litigieux d'un contractuel sur le fondement de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 ;
- faute pour la commune de démontrer qu'un fonctionnaire n'a pu être recruté pour ce poste, le recrutement de M. D... en qualité de contractuel est illégal ; la commune ne pouvait comparer sa candidature avec celle de M. D... ; ni les besoins du service ni la nature des fonctions ne justifiaient le recrutement d'un agent contractuel ; la preuve d'un entretien avec un jury n'est pas apportée ;
- sa candidature correspondant parfaitement au poste, son rejet et la conclusion d'un contrat avec M. D... sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation.


Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2023, la commune de Saint-Etienne, représentée par la SCP d'avocats Riva et associés, agissant par Me Maurice, doit être regardée comme concluant au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon n'a pas rejeté comme irrecevable la demande présentée devant lui par M. A..., qui se heurtait à la chose jugée par une ordonnance du 1er décembre 2020 ;
- l'appelant n'ayant présenté aucun moyen de légalité externe à l'encontre du contrat du 5 octobre 2020, les moyens présentés pour la première fois devant la cour et tirés de l'absence d'une délibération autorisant le recrutement d'un contractuel et de l'absence de preuve d'infructuosité de l'appel à candidature d'un fonctionnaire sont irrecevables ;
- les moyens de la requête ne sont en tout état de cause pas fondés.

La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit de mémoire.


Par une ordonnance du 13 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;
- le décret n° 91-857 du 2 septembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Joël Arnould, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- les observations de Me Gidon, représentant M. A..., et celles de Me Cadet, représentant la commune de Saint-Etienne.


Considérant ce qui suit :

1. M. A..., professeur territorial d'enseignement artistique en spécialité musique, discipline orgue, a présenté sa candidature pour un poste déclaré vacant au conservatoire à rayonnement régional de Saint-Etienne. Par une lettre du 15 septembre 2020, l'adjointe au maire de la commune de Saint-Etienne a informé l'intéressé que sa candidature n'avait pas été retenue, et le 5 octobre 2020, la commune a conclu avec un candidat concurrent, M. D..., un contrat de recrutement d'une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 septembre 2020 et du contrat conclu avec M. D....

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Saint-Etienne :

2. Par une ordonnance n° 2008598 rendue le 1er décembre 2020, le président de la huitième chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté comme irrecevables, faute de moyens, les conclusions d'une première demande de M. A... tendant à l'annulation des décisions de l'adjointe au maire de la commune de Saint-Etienne ayant rejeté sa candidature et décidé le recrutement de M. D.... Contrairement à ce que fait valoir la commune en défense, la seconde demande présentée ultérieurement par M. A... devant le tribunal administratif de Lyon ne se bornait pas à renvoyer à la précédente, mais était accompagnée d'un mémoire articulant des moyens à l'encontre des actes attaqués. Dans ces circonstances, l'ordonnance du 1er décembre 2020 ne saurait être regardée comme faisant obstacle, pour un motif tiré de l'autorité de la chose jugée, à ce que M. A... présente une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale dans sa version alors applicable, repris à l'article L. 332-8 du code général de la fonction publique : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée et sous réserve de l'article 34 de la présente loi, des emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente par des agents contractuels dans les cas suivants : (...) 2° (...) lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu'aucun fonctionnaire n'ait pu être recruté dans les conditions prévues par la présente loi (...) ". Par ces dispositions, le législateur a entendu obliger les collectivités locales à chercher par priorité l'affectation d'un fonctionnaire, en vue de pourvoir aux emplois vacants, avant tout recrutement d'un contractuel pour besoin du service ou en raison de la nature particulière des fonctions à occuper. Ces dispositions impliquent donc la mise en œuvre d'une procédure de recrutement permettant de justifier les cas de recours au contrat, au vu notamment du caractère infructueux de la procédure de recrutement d'un titulaire. Aux termes du II de l'article 2-3 du décret du 15 février 1988 visé ci-dessus, pris pour l'application de l'article 136 de la loi précitée et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " Lorsque l'emploi permanent à pourvoir relève du 2° de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, l'examen des candidatures des personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaire, dans les conditions précisées aux articles 2-6 à 2-10, n'est possible que lorsque l'autorité territoriale a établi le constat du caractère infructueux du recrutement d'un fonctionnaire sur cet emploi ".
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Etienne, M. A... a fait valoir, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon, que la décision du 15 septembre 2020 refusant de procéder à son recrutement était insuffisamment motivée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, et que le contrat signé avec M. D... avait été conclu au terme d'une procédure irrégulière, l'information de la vacance de poste n'ayant pas été publiée dans la presse spécialisée, méconnaissait l'article 3-2 de la loi du 26 janvier 1984 dès lors qu'un fonctionnaire pouvait occuper le poste en litige, et que le recrutement d'un agent contractuel procédait d'un détournement de pouvoir. M. A..., qui avait ainsi soulevé en première instance des moyens de légalité externe et de légalité interne à l'encontre des deux actes attaqués, est par suite recevable à invoquer en appel tout moyen tiré de ces mêmes causes juridiques.
5. En deuxième lieu, la déclaration de vacance du poste litigieux indiquait que celui-ci relevait d'un poste permanent à temps non complet, à hauteur de dix heures hebdomadaires, quotité supérieure à 50% de la durée d'enseignement hebdomadaire de seize heures. Cet emploi avait ainsi vocation à être pourvu par un professeur territorial d'enseignement artistique, fonctionnaire appartenant au cadre d'emplois dont le statut est fixé par le décret du 2 septembre 1991 visé ci-dessus.
6. Or, d'une part, il ressort des pièces du dossier et des écritures en défense de la commune que deux candidatures ont été reçues pour ce poste, et que pour écarter la candidature de M. A... et recruter M. D... en qualité d'agent contractuel, l'administration s'est fondée sur le motif tiré de ce que la candidature de ce dernier, employé à ces fonctions depuis 2012, avait été considérée comme étant plus adaptée et comme assurant une continuité dans l'enseignement de l'activité artistique. En procédant ainsi concomitamment à une comparaison entre les profils d'un candidat fonctionnaire et d'un candidat n'appartenant pas à la fonction publique, la commune n'établit pas qu'elle était dans l'impossibilité de recruter un fonctionnaire sur cet emploi.
7. D'autre part, devant le tribunal puis la cour, la commune fait valoir que le profil de M. A... n'aurait pas été en adéquation avec le poste en litige, et que sa tentative de recruter un fonctionnaire aurait ainsi été infructueuse. Toutefois, M. A..., titulaire des diplômes requis, a enseigné l'orgue depuis 1988. Après son succès à un concours de recrutement, il a été inscrit sur une liste d'aptitude en 1999, puis recruté durant l'année 2000 en qualité de professeur territorial d'enseignement artistique stagiaire, et enfin titularisé. A la date de dépôt de sa candidature, il avait indiqué être professeur territorial d'enseignement artistique, spécialité musique, discipline orgue, au conservatoire de Guéret. Si la commune produit une attestation établie deux ans après les faits et pour les besoins de la cause par le directeur du conservatoire, relative au déroulement de plusieurs entretiens avec M. A..., estimés non concluants, cette pièce n'a aucun caractère probant. Les griefs d'ignorance du cadre juridique applicable au conservatoire et de son orientation pédagogique, et la méconnaissance du devoir de réserve prêtés au requérant par la commune, sont en outre démentis par les termes mêmes de la décision du 15 septembre 2020, qui souligne l'intérêt de la candidature du requérant et la qualité de ses échanges avec les membres du jury de recrutement. Il n'est dès lors pas établi que la candidature de M. A... n'aurait pas répondu aux exigences du poste, qui ne présentait pas une technicité particulière et correspondait à son grade, ni qu'un agent contractuel pouvait être légalement recruté. Par suite, le moyen tiré de ce que le contrat par lequel la commune de Saint-Etienne a recruté M. D... a été conclu en violation du 2° de l'article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984, doit être accueilli. Pour les mêmes motifs, la décision du 15 septembre 2020 ayant rejeté la candidature du requérant est également entachée d'illégalité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat conclu par la commune de Saint-Etienne avec M. D... et de la décision du 15 septembre 2020.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'annulation du contrat décidée par le présent arrêt n'implique pas nécessairement que la commune licencie M. D... ou prenne une autre mesure d'exécution, dès lors que ce contrat a expiré le 9 octobre 2023. La collectivité n'étant par ailleurs pas tenue de pourvoir un poste déclaré vacant, l'annulation de la décision du 15 septembre 2020 n'implique pas davantage qu'elle procède au recrutement de M. A.... Les conclusions à fin d'injonction doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Saint-Etienne. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement d'une somme de 2 000 euros à M. A..., en application de ces mêmes dispositions.


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 29 juillet 2022, la décision du 15 septembre 2020 portant rejet de la candidature de M. A... et le contrat du 5 octobre 2020 portant recrutement de M. D... sont annulés.

Article 2 : La commune de Saint-Etienne versera à M. A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la commune de Saint-Etienne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la commune de Saint-Etienne et à M. C... D....
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
M. Joël Arnould, premier conseiller,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.
Le rapporteur,
Joël ArnouldLa présidente,
Emilie Felmy
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au préfet de la Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02882



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