CAA de NANTES, 3ème chambre, 09/02/2024, 23NT00427, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES, 3ème chambre, 09/02/2024, 23NT00427, Inédit au recueil Lebon
CAA de NANTES - 3ème chambre
- N° 23NT00427
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
vendredi
09 février 2024
- Président
- Mme BRISSON
- Rapporteur
- M. Georges-Vincent VERGNE
- Avocat(s)
- CABINET MORVAN
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le GAEC Petton-Le Ru a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur régional de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt de Bretagne a rejeté son recours gracieux contre l'arrêté du 12 octobre 2020, en tant que cet arrêté dispense M. D... d'autorisation d'exploiter, ainsi que cet arrêté.
Par un jugement n° 2101425 du 12 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... et rejeté le surplus des conclusions de la requête du GAEC Petton-Le Ru.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 février 2023, la SCEA de la Fontaine, représentée par Me Saout, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande du GAEC Petton-Le Ru ;
3°) de mettre à la charge du GAEC Petton-Le Ru la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal a statué sur des conclusions dont il n'était pas saisi ; c'est à tort que le tribunal s'est estimé saisi d'une demande tendant à ce qu'une procédure de contrôle des structures soit mise en œuvre à l'encontre de M. D... ;
- les demandes présentées par le GAEC devant le tribunal administratif doivent être rejetées, à titre principal, en raison de leur irrecevabilité, pour défaut d'intérêt pour agir ;
- elles doivent l'être, à titre subsidiaire, comme mal fondées, au regard des dispositions de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dès lors que l'intégration d'une personne physique ayant la capacité agricole dans une exploitation agricole, sans apport de foncier, ne constitue ni une installation ni un agrandissement de cette exploitation soumise à autorisation.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2023, le GAEC Petton-Le Ru, représenté par Me Morvan, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête d'appel est tardive et, par suite, irrecevable ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire s'en remet à la sagesse de la cour dans l'affaire en cause.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le GAEC Petton-Le Ru a déposé le 16 décembre 2019 une demande d'autorisation d'exploiter des parcelles d'une surface de 13 hectares 75 ares, situées sur la commune de Plouarzel (Finistère), auparavant mises en valeur par l'EARL La Fontaine (M. C... A...), transformée en 2020 en SCEA La Fontaine. Il a été fait droit à cette demande par un arrêté du
12 octobre 2020 de la préfète de région Bretagne, la candidature du GAEC Petton-Le Ru étant considérée comme relevant de la priorité 2 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne (SDREA), correspondant à l'attribution de " parcelles de proximité du bâtiment d'élevage du demandeur " et donc mieux classée que M. B... D... et l'EARL de La Fleur de Lait, respectivement classés en priorité 10 " autres cas d'installation " et 9 " réunion d'exploitation ou agrandissement " du même schéma. Le GAEC Petton-Le Ru a toutefois exercé un recours gracieux contre cet arrêté, en tant que cet acte retient, en ses considérants 3 à 5, le motif, que le GAEC considère comme erroné, tiré de ce que l'entrée de M. D... au sein de la SCEA La Fontaine n'est pas soumise au contrôle de structures, et il a demandé à l'autorité administrative, dans ce recours reçu par celle-ci le 20 novembre 2020, d'une part, de retirer de l'acte en cause " les dispositions dispensant d'autorisation d'exploiter M. D...", et, d'autre part, de mettre en demeure celui-ci de déposer une demande d'autorisation d'exploiter sur le fondement de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime. Ces demandes ayant été rejetées implicitement, le GAEC Petton-Le Ru a saisi le tribunal administratif de Rennes qui, par un jugement du 12 décembre 2022, a annulé la décision implicite par laquelle la préfète de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... et a rejeté le surplus des demandes du GAEC Petton-Le Ru. La SCEA La Fontaine relève appel de ce jugement, en tant qu'il donne partiellement satisfaction au GAEC Petton-Le Ru par l'annulation qu'il prononce.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Le jugement du 12 décembre 2022 a été notifié le 15 décembre 2022 par lettre recommandée avec accusé de réception à la SCEA La Fontaine. La requête d'appel enregistrée le 16 février 2023 n'est donc pas tardive. La fin de non-recevoir opposée en appel ne peut, par suite, qu'être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, il ressort du recours gracieux adressé le
20 novembre 2020 par le GAEC Petton-Le Ru à la préfète de région Bretagne que le premier a demandé à la seconde, d'une part, de retirer de son arrêté du 12 octobre 2020 " les dispositions dispensant M. D... d'autorisation d'exploiter ", et, d'autre part, de mettre en demeure celui-ci de déposer une demande d'autorisation d'exploiter sur le fondement de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime, dénonçant un montage et une fraude à la loi de la part de
M. D..., consistant à entrer au capital de la SCEA La Fontaine dans des conditions lui permettant d'échapper à son obligation d'obtenir une autorisation d'exploiter et de pouvoir ainsi disposer de terres à des conditions privilégiées. Dans sa requête enregistrée devant le tribunal administratif de Rennes, le GAEC a demandé aux premiers juges tant l'annulation de l'arrêté du 12 octobre 2020 en ce qu'il comporterait des dispositions selon lui illégales, que, d'autre part, l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours administratif, par laquelle la préfète de la région Bretagne a refusé d'inviter M. D... à régulariser sa situation en déposant une demande d'autorisation d'exploiter. En interprétant cette requête comme tendant notamment à l'annulation du refus préfectoral " de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... ", le tribunal n'a pas méconnu les termes de sa saisine ni statué ultra petita. Le moyen tiré de ce que, pour ce motif, le jugement serait irrégulier doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
4. En premier lieu, l'arrêté de la préfète de la région Bretagne du 12 octobre 2020 ne comporte aucune décision administrative par laquelle cette autorité aurait dispensé M. B... D... d'autorisation d'exploiter. Il suit de là que les conclusions du GAEC Petton-Le Ru dirigées contre la décision implicite de refus de retirer une telle disposition de l'arrêté en cause, qui tendent à ce que le tribunal prononce l'annulation d'une décision inexistante, ne peuvent qu'être rejetées en raison de leur irrecevabilité. De même, alors que l'arrêté du 12 octobre 2020 fait droit intégralement à la demande d'autorisation d'exploiter du GAEC, celui-ci n'est pas recevable à en demander l'annulation quels qu'en soient les motifs.
5. En second lieu, en revanche, il ressort des pièces du dossier que la préfète de région Bretagne, qui n'a pas répondu à la demande reçue le 20 novembre 2020 par laquelle le GAEC Petton-Le Ru lui demandait expressément " d'inviter M. B... D... à régulariser sa situation en déposant une demande d'autorisation d'exploiter conformément aux dispositions de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime", et de lui adresser à cette fin une mise en demeure, a ainsi implicitement rejeté cette demande. En tant qu'elle demande l'annulation de ce refus, né le 20 janvier 2021 du silence gardé par l'administration pendant deux mois, la demande du GAEC Petton-Le Ru est bien dirigée contre une décision distincte de l'arrêté du 12 octobre 2020. Une telle décision permet à M. D..., sans contrôle ni détention d'une autorisation préalable, de poursuivre l'exploitation, par l'intermédiaire de la SCEA La Fontaine, dont il est devenu associé-exploitant, des terres pour lesquelles le GAEC s'est vu délivrer une autorisation d'exploiter, et donc d'empêcher la reprise effective de ces terres par le GAEC. Celui-ci a, par suite, intérêt à en demander l'annulation, contrairement à ce que soutient la SCEA dont la fin de non-recevoir doit être écartée.
En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :
6. Aux termes de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime : " Pour l'application du présent chapitre : / 1° Est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 331-2 du même code : " I.- Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : / 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. La constitution d'une société n'est toutefois pas soumise à autorisation préalable lorsqu'elle résulte de la transformation, sans autre modification, d'une exploitation individuelle détenue par une personne physique qui en devient l'unique associé exploitant ou lorsqu'elle résulte de l'apport d'exploitations individuelles détenues par deux époux ou deux personnes liées par un pacte civil de solidarité qui en deviennent les seuls associés exploitants ; (...) ". Aux termes de l'article R. 331-1 du même code : " Pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production. ". L'article L. 331-7 du même code dispose que : " Lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux dispositions du présent chapitre, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine et qui ne saurait être inférieur à un mois. / La mise en demeure mentionnée à l'alinéa précédent prescrit à l'intéressé soit de présenter une demande d'autorisation, soit, si une décision de refus d'autorisation est intervenue, de cesser l'exploitation des terres concernées. / Lorsque l'intéressé, tenu de présenter une demande d'autorisation, ne l'a pas formée dans le délai mentionné ci-dessus, l'autorité administrative lui notifie une mise en demeure de cesser d'exploiter dans un délai de même durée. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D... est entré au capital de l'EARL La Fontaine, devenue SCEA, en qualité d'associé minoritaire, et qu'il en est ainsi devenu associé-exploitant, ainsi que le mentionne d'ailleurs la préfète de région dans sa décision. Il en ressort également qu'il est impliqué avec d'autres membres de sa famille, depuis la cessation d'activité de M. C... A..., dans les opérations et travaux agricoles menés sur les parcelles exploitées par cette SCEA, dont il est le gérant. Ainsi, bien qu'il ne détienne qu'une participation très limitée dans la SCEA et qu'il produise un contrat de travail le liant à la SCEA La Cigogne, selon lequel il travaille à temps complet dans l'exploitation agricole de ses parents, M. B... D... " participe aux travaux [de la SCEA La Fontaine] de façon effective et permanente ", au sens des dispositions précitées de l'article R. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, et doit donc être regardé, en application de ces dispositions, comme " mettant en valeur les unités de production de cette société ". Il a donc procédé, par sa participation à la SCEA La Fontaine, à une opération d'installation d'une exploitation, définie par l'article L. 331-1 du code précité comme l'ensemble des unités de production mises en valeur directement ou indirectement par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique. Par ailleurs, il est constant que la surface totale exploitée effectivement par lui au travers de la SCEA La Fontaine est supérieure au seuil de 20 hectares fixé à l'article 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne au-delà duquel s'applique le contrôle des structures. Par suite, en rejetant la demande du GAEC Petton-Le Ru tendant à la mise en œuvre d'un contrôle des structures concernant l'entrée de M. D... au capital de la SCEA La Fontaine, au moyen d'une mise en demeure adressée à cet exploitant de présenter une demande d'autorisation, le préfet de la région Bretagne a méconnu les dispositions des articles L. 331-2 et L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime.
8. Il résulte de ce qui précède que la SCEA La Fontaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite, née le 20 janvier 2021, par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D....
Sur les frais liés au litige :
9. D'une part, en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la SCEA La Fontaine doivent dès lors être rejetées. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA La Fontaine, au bénéfice du GAEC Petton-Le Ru, une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCEA La Fontaine est rejetée.
Article 2 : La SCEA La Fontaine versera au GAEC Petton-Le Ru la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la SCEA La Fontaine présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SCEA La Fontaine, au GAEC Petton-Le Ru, à M. B... D..., et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie du présent jugement sera adressée au préfet de la région Bretagne.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M Vergne, président-assesseur,
- M. Catroux, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT00427
Procédure contentieuse antérieure
Le GAEC Petton-Le Ru a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur régional de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt de Bretagne a rejeté son recours gracieux contre l'arrêté du 12 octobre 2020, en tant que cet arrêté dispense M. D... d'autorisation d'exploiter, ainsi que cet arrêté.
Par un jugement n° 2101425 du 12 décembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... et rejeté le surplus des conclusions de la requête du GAEC Petton-Le Ru.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 février 2023, la SCEA de la Fontaine, représentée par Me Saout, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande du GAEC Petton-Le Ru ;
3°) de mettre à la charge du GAEC Petton-Le Ru la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal a statué sur des conclusions dont il n'était pas saisi ; c'est à tort que le tribunal s'est estimé saisi d'une demande tendant à ce qu'une procédure de contrôle des structures soit mise en œuvre à l'encontre de M. D... ;
- les demandes présentées par le GAEC devant le tribunal administratif doivent être rejetées, à titre principal, en raison de leur irrecevabilité, pour défaut d'intérêt pour agir ;
- elles doivent l'être, à titre subsidiaire, comme mal fondées, au regard des dispositions de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dès lors que l'intégration d'une personne physique ayant la capacité agricole dans une exploitation agricole, sans apport de foncier, ne constitue ni une installation ni un agrandissement de cette exploitation soumise à autorisation.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2023, le GAEC Petton-Le Ru, représenté par Me Morvan, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la requête d'appel est tardive et, par suite, irrecevable ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire s'en remet à la sagesse de la cour dans l'affaire en cause.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vergne,
- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le GAEC Petton-Le Ru a déposé le 16 décembre 2019 une demande d'autorisation d'exploiter des parcelles d'une surface de 13 hectares 75 ares, situées sur la commune de Plouarzel (Finistère), auparavant mises en valeur par l'EARL La Fontaine (M. C... A...), transformée en 2020 en SCEA La Fontaine. Il a été fait droit à cette demande par un arrêté du
12 octobre 2020 de la préfète de région Bretagne, la candidature du GAEC Petton-Le Ru étant considérée comme relevant de la priorité 2 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne (SDREA), correspondant à l'attribution de " parcelles de proximité du bâtiment d'élevage du demandeur " et donc mieux classée que M. B... D... et l'EARL de La Fleur de Lait, respectivement classés en priorité 10 " autres cas d'installation " et 9 " réunion d'exploitation ou agrandissement " du même schéma. Le GAEC Petton-Le Ru a toutefois exercé un recours gracieux contre cet arrêté, en tant que cet acte retient, en ses considérants 3 à 5, le motif, que le GAEC considère comme erroné, tiré de ce que l'entrée de M. D... au sein de la SCEA La Fontaine n'est pas soumise au contrôle de structures, et il a demandé à l'autorité administrative, dans ce recours reçu par celle-ci le 20 novembre 2020, d'une part, de retirer de l'acte en cause " les dispositions dispensant d'autorisation d'exploiter M. D...", et, d'autre part, de mettre en demeure celui-ci de déposer une demande d'autorisation d'exploiter sur le fondement de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime. Ces demandes ayant été rejetées implicitement, le GAEC Petton-Le Ru a saisi le tribunal administratif de Rennes qui, par un jugement du 12 décembre 2022, a annulé la décision implicite par laquelle la préfète de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... et a rejeté le surplus des demandes du GAEC Petton-Le Ru. La SCEA La Fontaine relève appel de ce jugement, en tant qu'il donne partiellement satisfaction au GAEC Petton-Le Ru par l'annulation qu'il prononce.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. Le jugement du 12 décembre 2022 a été notifié le 15 décembre 2022 par lettre recommandée avec accusé de réception à la SCEA La Fontaine. La requête d'appel enregistrée le 16 février 2023 n'est donc pas tardive. La fin de non-recevoir opposée en appel ne peut, par suite, qu'être écartée.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, il ressort du recours gracieux adressé le
20 novembre 2020 par le GAEC Petton-Le Ru à la préfète de région Bretagne que le premier a demandé à la seconde, d'une part, de retirer de son arrêté du 12 octobre 2020 " les dispositions dispensant M. D... d'autorisation d'exploiter ", et, d'autre part, de mettre en demeure celui-ci de déposer une demande d'autorisation d'exploiter sur le fondement de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime, dénonçant un montage et une fraude à la loi de la part de
M. D..., consistant à entrer au capital de la SCEA La Fontaine dans des conditions lui permettant d'échapper à son obligation d'obtenir une autorisation d'exploiter et de pouvoir ainsi disposer de terres à des conditions privilégiées. Dans sa requête enregistrée devant le tribunal administratif de Rennes, le GAEC a demandé aux premiers juges tant l'annulation de l'arrêté du 12 octobre 2020 en ce qu'il comporterait des dispositions selon lui illégales, que, d'autre part, l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours administratif, par laquelle la préfète de la région Bretagne a refusé d'inviter M. D... à régulariser sa situation en déposant une demande d'autorisation d'exploiter. En interprétant cette requête comme tendant notamment à l'annulation du refus préfectoral " de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D... ", le tribunal n'a pas méconnu les termes de sa saisine ni statué ultra petita. Le moyen tiré de ce que, pour ce motif, le jugement serait irrégulier doit être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
4. En premier lieu, l'arrêté de la préfète de la région Bretagne du 12 octobre 2020 ne comporte aucune décision administrative par laquelle cette autorité aurait dispensé M. B... D... d'autorisation d'exploiter. Il suit de là que les conclusions du GAEC Petton-Le Ru dirigées contre la décision implicite de refus de retirer une telle disposition de l'arrêté en cause, qui tendent à ce que le tribunal prononce l'annulation d'une décision inexistante, ne peuvent qu'être rejetées en raison de leur irrecevabilité. De même, alors que l'arrêté du 12 octobre 2020 fait droit intégralement à la demande d'autorisation d'exploiter du GAEC, celui-ci n'est pas recevable à en demander l'annulation quels qu'en soient les motifs.
5. En second lieu, en revanche, il ressort des pièces du dossier que la préfète de région Bretagne, qui n'a pas répondu à la demande reçue le 20 novembre 2020 par laquelle le GAEC Petton-Le Ru lui demandait expressément " d'inviter M. B... D... à régulariser sa situation en déposant une demande d'autorisation d'exploiter conformément aux dispositions de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime", et de lui adresser à cette fin une mise en demeure, a ainsi implicitement rejeté cette demande. En tant qu'elle demande l'annulation de ce refus, né le 20 janvier 2021 du silence gardé par l'administration pendant deux mois, la demande du GAEC Petton-Le Ru est bien dirigée contre une décision distincte de l'arrêté du 12 octobre 2020. Une telle décision permet à M. D..., sans contrôle ni détention d'une autorisation préalable, de poursuivre l'exploitation, par l'intermédiaire de la SCEA La Fontaine, dont il est devenu associé-exploitant, des terres pour lesquelles le GAEC s'est vu délivrer une autorisation d'exploiter, et donc d'empêcher la reprise effective de ces terres par le GAEC. Celui-ci a, par suite, intérêt à en demander l'annulation, contrairement à ce que soutient la SCEA dont la fin de non-recevoir doit être écartée.
En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :
6. Aux termes de l'article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime : " Pour l'application du présent chapitre : / 1° Est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 331-2 du même code : " I.- Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : / 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. La constitution d'une société n'est toutefois pas soumise à autorisation préalable lorsqu'elle résulte de la transformation, sans autre modification, d'une exploitation individuelle détenue par une personne physique qui en devient l'unique associé exploitant ou lorsqu'elle résulte de l'apport d'exploitations individuelles détenues par deux époux ou deux personnes liées par un pacte civil de solidarité qui en deviennent les seuls associés exploitants ; (...) ". Aux termes de l'article R. 331-1 du même code : " Pour l'application des dispositions du 1° de l'article L. 331-1-1, une personne associée d'une société à objet agricole est regardée comme mettant en valeur les unités de production de cette société si elle participe aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de ces unités de production. ". L'article L. 331-7 du même code dispose que : " Lorsqu'elle constate qu'un fonds est exploité contrairement aux dispositions du présent chapitre, l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine et qui ne saurait être inférieur à un mois. / La mise en demeure mentionnée à l'alinéa précédent prescrit à l'intéressé soit de présenter une demande d'autorisation, soit, si une décision de refus d'autorisation est intervenue, de cesser l'exploitation des terres concernées. / Lorsque l'intéressé, tenu de présenter une demande d'autorisation, ne l'a pas formée dans le délai mentionné ci-dessus, l'autorité administrative lui notifie une mise en demeure de cesser d'exploiter dans un délai de même durée. (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D... est entré au capital de l'EARL La Fontaine, devenue SCEA, en qualité d'associé minoritaire, et qu'il en est ainsi devenu associé-exploitant, ainsi que le mentionne d'ailleurs la préfète de région dans sa décision. Il en ressort également qu'il est impliqué avec d'autres membres de sa famille, depuis la cessation d'activité de M. C... A..., dans les opérations et travaux agricoles menés sur les parcelles exploitées par cette SCEA, dont il est le gérant. Ainsi, bien qu'il ne détienne qu'une participation très limitée dans la SCEA et qu'il produise un contrat de travail le liant à la SCEA La Cigogne, selon lequel il travaille à temps complet dans l'exploitation agricole de ses parents, M. B... D... " participe aux travaux [de la SCEA La Fontaine] de façon effective et permanente ", au sens des dispositions précitées de l'article R. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, et doit donc être regardé, en application de ces dispositions, comme " mettant en valeur les unités de production de cette société ". Il a donc procédé, par sa participation à la SCEA La Fontaine, à une opération d'installation d'une exploitation, définie par l'article L. 331-1 du code précité comme l'ensemble des unités de production mises en valeur directement ou indirectement par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique. Par ailleurs, il est constant que la surface totale exploitée effectivement par lui au travers de la SCEA La Fontaine est supérieure au seuil de 20 hectares fixé à l'article 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Bretagne au-delà duquel s'applique le contrôle des structures. Par suite, en rejetant la demande du GAEC Petton-Le Ru tendant à la mise en œuvre d'un contrôle des structures concernant l'entrée de M. D... au capital de la SCEA La Fontaine, au moyen d'une mise en demeure adressée à cet exploitant de présenter une demande d'autorisation, le préfet de la région Bretagne a méconnu les dispositions des articles L. 331-2 et L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime.
8. Il résulte de ce qui précède que la SCEA La Fontaine n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision implicite, née le 20 janvier 2021, par laquelle le préfet de la région Bretagne a refusé de mettre en œuvre la procédure de contrôle des exploitations à l'égard de M. D....
Sur les frais liés au litige :
9. D'une part, en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la SCEA La Fontaine doivent dès lors être rejetées. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCEA La Fontaine, au bénéfice du GAEC Petton-Le Ru, une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCEA La Fontaine est rejetée.
Article 2 : La SCEA La Fontaine versera au GAEC Petton-Le Ru la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la SCEA La Fontaine présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SCEA La Fontaine, au GAEC Petton-Le Ru, à M. B... D..., et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie du présent jugement sera adressée au préfet de la région Bretagne.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M Vergne, président-assesseur,
- M. Catroux, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.
Le rapporteur,
G.-V. VERGNE
La présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne, et à tous mandataires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00427