Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 04/01/2024, 469215, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 04/01/2024, 469215, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 9ème - 10ème chambres réunies
- N° 469215
- ECLI:FR:CECHR:2024:469215.20240104
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
04 janvier 2024
- Rapporteur
- M. Matias de Sainte Lorette
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 28 novembre 2022 et les 5 juin et 8 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- la Charte de l'environnement ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Les articles L. 221-1 à L. 222-10 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil à des obligations d'économies d'énergie, dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie. Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement.
2. Par un arrêté du 22 octobre 2022, la ministre de la transition énergétique a modifié l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie décrit au point 1. En premier lieu, le II de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 ajoute à l'arrêté du 29 décembre 2014 un article 3-4-1 prévoyant une bonification du volume de certificats d'économies d'énergie délivrés pour l'acquisition ou l'amélioration d'un système de gestion technique du bâtiment. En deuxième lieu, le III ajoute à l'article 3-6 un III bis prévoyant, en faveur des signataires de la charte intitulée " coup de pouce chauffage " qui s'engagent à accorder aux ménages et à leurs bailleurs des réductions tarifaires sur certaines opérations réalisées pour leur compte et engagées jusqu'au 30 juin 2023, une bonification plus importante du volume des certificats correspondants. Ces nouvelles dispositions soumettent la bonification ouverte au titre de cinq opérations liées à la mise en place d'équipements produisant de la chaleur à la condition que la nouvelle installation vienne en remplacement d'une chaudière au fioul. En troisième lieu, les I et IV à VII ont pour objet de supprimer, pour les bonifications existantes, la condition que l'équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation. Le syndicat requérant demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur les moyens de la requête dirigés contre l'ensemble des dispositions de l'arrêté attaqué :
3. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 221-18 du code de l'énergie : " Toute création ou extension d'une pondération ou toute modification du niveau d'une pondération fait l'objet d'un avis préalable des ministres chargés de l'économie et du budget. L'avis est réputé rendu à l'expiration d'un délai de deux semaines à compter de la transmission du projet d'arrêté par le ministre chargé de l'énergie ".
4. Si le syndicat requérant soutient que les dispositions de l'arrêté attaqué n'ont pas été soumises à la consultation préalable du ministre chargé de l'économie et du budget, il ressort des pièces du dossier qu'il a été procédé à cette consultation le 11 septembre 2022, dans des conditions permettant à ce ministre de se prononcer sur l'ensemble des questions soulevées par le projet d'arrêté adopté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 142-27 du code de l'énergie : " Une convocation écrite est envoyée aux membres du Conseil supérieur de l'énergie quatorze jours francs avant la date de la réunion. Le délai est réduit à six jours francs en cas d'urgence. / La convocation indique l'ordre du jour arrêté par le président sur proposition du secrétaire général. Elle est accompagnée des documents nécessaires à l'examen des affaires inscrites. Dans les mêmes formes et délais, le Conseil supérieur de l'énergie peut également être convoqué par le ministre chargé de l'énergie ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la convocation des membres du Conseil supérieur de l'énergie à la séance du 20 octobre 2022, en vue de l'examen du projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie, leur a été envoyée le 13 octobre 2022, soit six jours francs avant la date de la séance au cours de laquelle ce projet a été examiné, alors que l'objet de la consultation du Conseil supérieur de l'énergie ne justifiait pas en l'espèce sa convocation dans le délai réduit prévu en cas d'urgence. Les dispositions de l'article D. 142-27 du code de l'énergie ont ainsi été méconnues.
7. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Or il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'irrégularité mentionnée au point précédent ait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de l'avis rendu par le Conseil supérieur de l'énergie ou qu'elle ait privé les intéressés d'une garantie. Dès lors, cette irrégularité n'est pas de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté attaqué.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 221-8 du code de l'énergie : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. Ils peuvent être détenus, acquis ou cédés par toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou par toute autre personne morale. Le nombre d'unités de compte est fonction des caractéristiques des biens, équipements, services, processus ou procédés utilisés pour réaliser les économies d'énergie et de l'état de leurs marchés à une date de référence fixe. Il peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées ". Aux termes de l'article R. 221-18 du même code : " Le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie. / Pour la cinquième période mentionnée à l'article R. 221-1, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations n'excède pas 25 % du volume total des certificats délivrés au cours de cette période. / Le ministre chargé de l'énergie publie, chaque trimestre, sur son site Internet, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations. / (...) ". Aux termes de l'article R. 221-31 de ce code : " Un arrêté du ministre chargé de l'énergie fixe les modalités d'application du présent chapitre ".
9. En renvoyant à un arrêté du ministre chargé de l'énergie le soin de préciser les conditions dans lesquelles le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré, en fonction des critères définis par la loi et qu'elles rappellent, et dans la limite, pour la période du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2025 mentionnée à l'article R. 221-1, de 25 % du volume total des certificats délivrés au cours de cette période, les dispositions de l'article R. 221-18 du code de l'énergie ne sont pas entachées sur ce point d'une subdélégation illégale. Par suite, le moyen tiré de ce que la ministre de la transition énergétique aurait, en prenant l'arrêté attaqué, excédé sa compétence doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens dirigés contre l'ensemble des dispositions de l'arrêté attaqué n'est fondé.
Sur les moyens de la requête dirigés contre les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué :
11. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le respect du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites de l'applicabilité de ce principe. Ainsi, aux termes du I de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".
12. Les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué ont pour objet de prévoir des bonifications et des incitations financières renforcées pour le remplacement d'une chaudière au fioul par une pompe à chaleur, un système solaire combiné, une chaudière biomasse ou un raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ainsi que de supprimer, pour les bonifications existantes, la condition que l'équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation. Eu égard à leur finalité et à leur portée, ces dispositions, en incitant davantage les consommateurs à remplacer leurs chaudières existantes au fioul, tendent à accélérer la diminution du parc installé de chaudières utilisant cette énergie et à développer ainsi l'utilisation des énergies renouvelables, en réduisant les émissions de dioxyde de carbone (CO2).
13. Il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments fournis par le ministre, que l'opération mise en place par ces dispositions serait susceptible de conduire au remplacement de près de 150 000 chaudières au fioul sur sa période d'application, représentant 5 % du parc de chaudières existantes. Un tel remplacement permettrait d'éviter l'émission de près d'un million de tonnes de CO2 par an.
14. Dans ces conditions, les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement cité au point 11. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation du public en application de cet article. Par suite, le syndicat requérant est fondé à soutenir que ces dispositions, divisibles, ont été adoptées au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une consultation préalable du public. Les autres moyens d'annulation soulevés contre ces seules dispositions ne sont pas fondés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est fondé à demander l'annulation que des dispositions, divisibles, des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté qu'il attaque, pour le motif énoncé au point 14.
Sur les effets de l'annulation prononcée :
16. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
17. Il résulte du supplément d'instruction auquel il a été procédé que l'annulation rétroactive des dispositions mentionnées au point 15 aurait notamment pour conséquence que les personnes qui, justifiant de leur rôle actif et incitatif dans la réalisation des opérations de changement de chaudières prévues par ces dispositions, auraient ainsi été éligibles à la délivrance de certificats d'économie d'énergie, seraient exposées, selon le type d'opération en cause, soit au rejet de leur demande de certificats, soit au retrait des certificats délivrés, soit, à tout le moins, à la réduction du volume de certificats correspondants à l'opération pour laquelle ils sont demandés ou ont été accordés. Eu égard, d'une part, à l'intérêt général qui s'attache à la confiance des agents économiques dans le fonctionnement du dispositif des certificats d'économie d'énergie, et d'autre part, aux conséquences manifestement excessives d'une telle annulation sur la situation de ces personnes, et compte tenu tant de la nature du moyen d'annulation retenu que de ce qu'aucun des autres moyens soulevés ne peut être accueilli, il y a lieu de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de regarder comme définitifs les effets produits par les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué au titre des opérations engagées avant la présente décision, ainsi que de différer au 1er avril 2024 la date d'effet de l'annulation des I et IV à VII de cet article.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au syndicat requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie sont annulées.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, les effets produits par les dispositions dont l'annulation est prononcée à l'article 1er au titre des opérations engagées antérieurement à la présente décision sont réputés définitifs.
Article 3 : L'annulation des I et IV à VII de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 prendra effet au 1er avril 2024.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros au syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat FF3C est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire et à la ministre de la transition énergétique.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge,
M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et
M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 4 janvier 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Matias de Sainte Lorette
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
ECLI:FR:CECHR:2024:469215.20240104
Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 28 novembre 2022 et les 5 juin et 8 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu :
- la Charte de l'environnement ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Les articles L. 221-1 à L. 222-10 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil à des obligations d'économies d'énergie, dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie. Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement.
2. Par un arrêté du 22 octobre 2022, la ministre de la transition énergétique a modifié l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie décrit au point 1. En premier lieu, le II de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 ajoute à l'arrêté du 29 décembre 2014 un article 3-4-1 prévoyant une bonification du volume de certificats d'économies d'énergie délivrés pour l'acquisition ou l'amélioration d'un système de gestion technique du bâtiment. En deuxième lieu, le III ajoute à l'article 3-6 un III bis prévoyant, en faveur des signataires de la charte intitulée " coup de pouce chauffage " qui s'engagent à accorder aux ménages et à leurs bailleurs des réductions tarifaires sur certaines opérations réalisées pour leur compte et engagées jusqu'au 30 juin 2023, une bonification plus importante du volume des certificats correspondants. Ces nouvelles dispositions soumettent la bonification ouverte au titre de cinq opérations liées à la mise en place d'équipements produisant de la chaleur à la condition que la nouvelle installation vienne en remplacement d'une chaudière au fioul. En troisième lieu, les I et IV à VII ont pour objet de supprimer, pour les bonifications existantes, la condition que l'équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation. Le syndicat requérant demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur les moyens de la requête dirigés contre l'ensemble des dispositions de l'arrêté attaqué :
3. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 221-18 du code de l'énergie : " Toute création ou extension d'une pondération ou toute modification du niveau d'une pondération fait l'objet d'un avis préalable des ministres chargés de l'économie et du budget. L'avis est réputé rendu à l'expiration d'un délai de deux semaines à compter de la transmission du projet d'arrêté par le ministre chargé de l'énergie ".
4. Si le syndicat requérant soutient que les dispositions de l'arrêté attaqué n'ont pas été soumises à la consultation préalable du ministre chargé de l'économie et du budget, il ressort des pièces du dossier qu'il a été procédé à cette consultation le 11 septembre 2022, dans des conditions permettant à ce ministre de se prononcer sur l'ensemble des questions soulevées par le projet d'arrêté adopté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article D. 142-27 du code de l'énergie : " Une convocation écrite est envoyée aux membres du Conseil supérieur de l'énergie quatorze jours francs avant la date de la réunion. Le délai est réduit à six jours francs en cas d'urgence. / La convocation indique l'ordre du jour arrêté par le président sur proposition du secrétaire général. Elle est accompagnée des documents nécessaires à l'examen des affaires inscrites. Dans les mêmes formes et délais, le Conseil supérieur de l'énergie peut également être convoqué par le ministre chargé de l'énergie ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la convocation des membres du Conseil supérieur de l'énergie à la séance du 20 octobre 2022, en vue de l'examen du projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie, leur a été envoyée le 13 octobre 2022, soit six jours francs avant la date de la séance au cours de laquelle ce projet a été examiné, alors que l'objet de la consultation du Conseil supérieur de l'énergie ne justifiait pas en l'espèce sa convocation dans le délai réduit prévu en cas d'urgence. Les dispositions de l'article D. 142-27 du code de l'énergie ont ainsi été méconnues.
7. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Or il ne ressort pas des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, l'irrégularité mentionnée au point précédent ait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de l'avis rendu par le Conseil supérieur de l'énergie ou qu'elle ait privé les intéressés d'une garantie. Dès lors, cette irrégularité n'est pas de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté attaqué.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 221-8 du code de l'énergie : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. Ils peuvent être détenus, acquis ou cédés par toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou par toute autre personne morale. Le nombre d'unités de compte est fonction des caractéristiques des biens, équipements, services, processus ou procédés utilisés pour réaliser les économies d'énergie et de l'état de leurs marchés à une date de référence fixe. Il peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées ". Aux termes de l'article R. 221-18 du même code : " Le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie. / Pour la cinquième période mentionnée à l'article R. 221-1, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations n'excède pas 25 % du volume total des certificats délivrés au cours de cette période. / Le ministre chargé de l'énergie publie, chaque trimestre, sur son site Internet, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations. / (...) ". Aux termes de l'article R. 221-31 de ce code : " Un arrêté du ministre chargé de l'énergie fixe les modalités d'application du présent chapitre ".
9. En renvoyant à un arrêté du ministre chargé de l'énergie le soin de préciser les conditions dans lesquelles le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré, en fonction des critères définis par la loi et qu'elles rappellent, et dans la limite, pour la période du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2025 mentionnée à l'article R. 221-1, de 25 % du volume total des certificats délivrés au cours de cette période, les dispositions de l'article R. 221-18 du code de l'énergie ne sont pas entachées sur ce point d'une subdélégation illégale. Par suite, le moyen tiré de ce que la ministre de la transition énergétique aurait, en prenant l'arrêté attaqué, excédé sa compétence doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède qu'aucun des moyens dirigés contre l'ensemble des dispositions de l'arrêté attaqué n'est fondé.
Sur les moyens de la requête dirigés contre les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué :
11. Aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le respect du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites de l'applicabilité de ce principe. Ainsi, aux termes du I de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".
12. Les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué ont pour objet de prévoir des bonifications et des incitations financières renforcées pour le remplacement d'une chaudière au fioul par une pompe à chaleur, un système solaire combiné, une chaudière biomasse ou un raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ainsi que de supprimer, pour les bonifications existantes, la condition que l'équipement de chauffage remplacé ne soit pas à condensation. Eu égard à leur finalité et à leur portée, ces dispositions, en incitant davantage les consommateurs à remplacer leurs chaudières existantes au fioul, tendent à accélérer la diminution du parc installé de chaudières utilisant cette énergie et à développer ainsi l'utilisation des énergies renouvelables, en réduisant les émissions de dioxyde de carbone (CO2).
13. Il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments fournis par le ministre, que l'opération mise en place par ces dispositions serait susceptible de conduire au remplacement de près de 150 000 chaudières au fioul sur sa période d'application, représentant 5 % du parc de chaudières existantes. Un tel remplacement permettrait d'éviter l'émission de près d'un million de tonnes de CO2 par an.
14. Dans ces conditions, les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué doivent être regardées comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement cité au point 11. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation du public en application de cet article. Par suite, le syndicat requérant est fondé à soutenir que ces dispositions, divisibles, ont été adoptées au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une consultation préalable du public. Les autres moyens d'annulation soulevés contre ces seules dispositions ne sont pas fondés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat requérant n'est fondé à demander l'annulation que des dispositions, divisibles, des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté qu'il attaque, pour le motif énoncé au point 14.
Sur les effets de l'annulation prononcée :
16. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.
17. Il résulte du supplément d'instruction auquel il a été procédé que l'annulation rétroactive des dispositions mentionnées au point 15 aurait notamment pour conséquence que les personnes qui, justifiant de leur rôle actif et incitatif dans la réalisation des opérations de changement de chaudières prévues par ces dispositions, auraient ainsi été éligibles à la délivrance de certificats d'économie d'énergie, seraient exposées, selon le type d'opération en cause, soit au rejet de leur demande de certificats, soit au retrait des certificats délivrés, soit, à tout le moins, à la réduction du volume de certificats correspondants à l'opération pour laquelle ils sont demandés ou ont été accordés. Eu égard, d'une part, à l'intérêt général qui s'attache à la confiance des agents économiques dans le fonctionnement du dispositif des certificats d'économie d'énergie, et d'autre part, aux conséquences manifestement excessives d'une telle annulation sur la situation de ces personnes, et compte tenu tant de la nature du moyen d'annulation retenu que de ce qu'aucun des autres moyens soulevés ne peut être accueilli, il y a lieu de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de regarder comme définitifs les effets produits par les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté attaqué au titre des opérations engagées avant la présente décision, ainsi que de différer au 1er avril 2024 la date d'effet de l'annulation des I et IV à VII de cet article.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au syndicat requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les dispositions des I et III à VII de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie sont annulées.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, les effets produits par les dispositions dont l'annulation est prononcée à l'article 1er au titre des opérations engagées antérieurement à la présente décision sont réputés définitifs.
Article 3 : L'annulation des I et IV à VII de l'article 1er de l'arrêté du 22 octobre 2022 prendra effet au 1er avril 2024.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros au syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du syndicat FF3C est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au syndicat FF3C, entreprises d'énergies du territoire et à la ministre de la transition énergétique.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 décembre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge,
M. Vincent Daumas, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et
M. Matias de Sainte Lorette, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 4 janvier 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Matias de Sainte Lorette
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :