CAA de PARIS, 8ème chambre, 29/12/2023, 23PA00949, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 20 janvier 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2301004 du 3 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet des Hauts-de-Seine ou à tout autre préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, de lui délivrer, dans cette attente et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard dans un délai de cinq jours à compter de la notification de ce même jugement, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, a enjoint à ces mêmes autorités de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement aux fins de non-admission de M. A... dans le système d'information Schengen et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros à M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 mars 2023, le préfet des Hauts-de-Seine demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301004 du 3 février 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Melun.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a retenu que sa décision du 20 janvier 2023 par laquelle il a obligé M. A... à quitter le territoire français méconnaissait les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que M. A... ne justifie pas résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée ;
- elle n'est pas entachée d'un défaut de motivation en droit s'agissant de la menace à l'ordre public que constitue la présence de M. A... sur le territoire français dès lors qu'il avait sollicité en première instance une substitution de base légale à laquelle le tribunal n'a pas procédé.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2023 appuyé de pièces complémentaires et d'observations enregistrées le 25 août et 26 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Ganem, conclut :

1°) à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) à ce qu'il soit enjoint, à titre principal, au préfet territorialement compétent de lui délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que les moyens soulevés par le préfet des Hauts-de-Seine ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 27 octobre 2023 à midi.

Un nouveau mémoire présenté pour M. A... a été enregistré le 21 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.


Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat ;
- et les observations de Me Ganem, avocate de M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né le 10 mai 1989, qui déclare être entré en France en 1999 a été mis en possession à sa majorité d'un certificat de résidence algérien valable du 12 avril 2007 au 11 avril 2017. Le 28 mars 2019, il a sollicité un certificat de résidence algérien auprès du préfet du Val d'Oise, lequel a, par un arrêté du 27 octobre 2021, rejeté sa demande au motif qu'il représentait une menace pour l'ordre public. Par un arrêté du 7 décembre 2022, et alors qu'il se maintenait en situation irrégulière sur le territoire, le préfet des Hauts-de-Seine a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté au motif qu'il méconnaissait les dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de deux mois, et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Après avoir procédé au réexamen, le préfet des Hauts-de-Seine, par un arrêté du 20 janvier 2023, a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement du 3 février 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler et ce dans un délai de cinq jours à compter de la notification de ce jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de prendre toute mesure propre à mettre fin au signalement du requérant dans le système d'information Schengen, de mettre fin aux mesures de surveillance dont il fait l'objet et a mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet des Hauts-de-Seine relève appel de ce jugement.

Sur la requête du préfet des Hauts-de-Seine :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu protéger de l'éloignement les étrangers qui sont en France depuis l'enfance, à raison de leur âge d'entrée et d'établissement sur le territoire, cette protection valant aussi, d'ailleurs, en ce qui les concerne, à l'égard des mesures d'expulsion, sous réserve de comportements particulièrement graves limitativement énumérés à l'article L. 631-3 de ce code. Dans ce cadre, les périodes d'incarcération en France, si elles ne peuvent être prises en compte dans le calcul d'une durée de résidence, ne sont pas de nature à remettre en cause la continuité de la résidence habituelle en France depuis au plus l'âge de treize ans, alors même qu'elles emportent, pour une partie de la période de présence sur le territoire, une obligation de résidence, pour l'intéressé, ne résultant pas d'un choix délibéré de sa part.

3. Il ressort du jugement attaqué que, pour annuler la décision par laquelle le préfet des Hauts-de-Seine a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, le magistrat désigné a retenu qu'il ressortait de l'ensemble des pièces du dossier que le requérant justifiait résider habituellement en France depuis l'âge de dix ans sans que sa période d'incarcération ne puisse, à cet égard, lui être opposée. Pour contester l'appréciation portée par le premier juge, le préfet des Hauts-de-Seine soutient qu'au titre de plusieurs mois précédant le début de l'année 2006, M. A... ne justifie pas avoir résidé habituellement en France dès lors que, bien que produisant des certificats de scolarité, il n'était plus scolarisé du fait de ses exclusions répétées de plusieurs établissement scolaires à raison de son mauvais comportement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que M. A... a notamment produit au titre de cette même période des attestations de stages qu'il a réalisés du 21 novembre au 9 décembre 2005 et du 9 janvier au 3 février 2006 au sein de l'entreprise " Gallet Delage " située à Colombes ainsi qu'une attestation de suivi éducatif continu établie par le président du " GAO du Petit Nanterre ". Dans ces conditions, et alors que, en se bornant à soutenir que le requérant n'établirait pas sa résidence habituelle lors de ces périodes de décrochage scolaire, le préfet ne conteste pas sérieusement, pour le surplus, l'appréciation faite par le premier juge s'agissant de la résidence habituelle du requérant en France depuis 1999, M. A... doit être regardé comme justifiant résider habituellement en France depuis qu'il a l'âge de dix ans, sans que sa période d'incarcération ne puisse, à cet égard et ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, lui être opposée. Par suite, le préfet des Hauts-de-Seine n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Melun a retenu que la décision par laquelle il a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai méconnaissait les dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et ce moyen doit dès lors être écarté.

4. Si le premier juge a également indiqué que le préfet avait méconnu l'autorité de la chose jugée le 22 décembre 2022 par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et a estimé que sa décision était également entachée d'un défaut de motivation en droit, il ressort de la lecture du jugement que ces motifs présentaient un caractère surabondant. Dès lors, pour le seul motif énoncé au point précédent, le préfet des Hauts-de-Seine n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé la décision par laquelle il a obligé M. A... à quitter le territoire français sans délai, ainsi que, par voie de conséquence, la décision par laquelle il a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et la décision par laquelle il lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans, ainsi privées de base légale.
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... :

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Hauts-de-Seine n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement, notamment en ce qu'il a enjoint au préfet territorialement compétent de délivrer à M. A... dans un délai de deux mois à compter de sa notification un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " sous astreinte de 50 euros par jour de retard et à ce qu'il lui délivre, dans cette attente et dans un délai de cinq jours à compter de sa notification une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Dans ces conditions, et alors que l'appel formé par le préfet des Hauts-de-Seine n'est pas suspensif, et que, au demeurant, le jugement a été exécuté, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par M. A....
Sur les conclusions présentées par M. A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :



Article 1er : La requête du préfet des Hauts-de-Seine est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copies en seront adressées au préfet des Hauts-de-Seine et au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 11 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente de chambre,
- M. Ho Si Fat, président-assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.


Le rapporteur,




F. HO SI FAT La présidente,




A. MENASSEYRE
La greffière,




N. COUTY


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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