Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 20/12/2023, 463151
Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 20/12/2023, 463151
Conseil d'État - 10ème - 9ème chambres réunies
- N° 463151
- ECLI:FR:CECHR:2023:463151.20231220
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
mercredi
20 décembre 2023
- Rapporteur
- M. David Moreau
- Avocat(s)
- SCP MARLANGE, DE LA BURGADE ; CABINET MUNIER-APAIRE
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... et l'association La Quadrature du Net ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du maire de Moirans (Isère) refusant d'abroger la décision autorisant la mise en œuvre du logiciel Briefcam d'analyse algorithmique d'images de télésurveillance. Par une ordonnance n° 2105973 du 16 septembre 2021, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande comme irrecevable.
Par un arrêt n° 21LY03733 du 7 avril 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. B... et l'association La Quadrature du Net contre cette ordonnance.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 avril et 14 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et l'association La Quadrature du Net demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Moirans la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. B... et de l'association La Quadrature du Net et au cabinet Munier-Apaire, avocat de la commune de Moirans ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... et l'association La Quadrature du Net ont demandé au maire de Moirans, par une lettre reçue en mairie le 13 août 2021, d'abroger sa décision de mettre en œuvre le logiciel " Briefcam ", constitutif d'un traitement de données à caractère personnel, dans le cadre du déploiement d'un système de vidéosurveillance sur le territoire de la commune. M. B... et l'association La Quadrature du Net ont ensuite saisi le tribunal administratif de Grenoble dès le 3 septembre 2021. Par une ordonnance du 16 septembre 2021, prise sur le fondement des dispositions du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande comme manifestement irrecevable au motif qu'il n'existait pas, à la date de son ordonnance, de décision administrative que les demandeurs auraient été recevables à contester. Par un arrêt du 7 avril 2022 contre lequel les intéressés se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la minute de l'arrêt attaqué comporte les signatures prévues à l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêt serait irrégulier faute de comporter ces signatures ne peut qu'être écarté.
3. En second lieu, l'article R. 222-1 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (...) peuvent, par ordonnance : / (...) 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du même code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article R. 612-1 du même code : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. "
4. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un requérant, après avoir présenté une demande à l'administration, saisit le juge administratif avant que celle-ci ne se soit prononcée sur cette demande, ses conclusions, dirigées contre une décision qui n'est pas encore née, sont irrecevables. Si cette irrecevabilité peut être couverte, en cours d'instance, par l'intervention d'une décision expresse ou implicite, il est loisible au juge, tant qu'aucune décision n'a été prise par l'administration, de rejeter pour ce motif les conclusions dont il est saisi. Une telle irrecevabilité étant manifeste et le juge ne pouvant inviter le requérant à la régulariser, puisqu'une telle régularisation ne peut résulter que de l'intervention ultérieure d'une décision expresse ou implicite, les conclusions qui en sont entachées peuvent être rejetées par ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative.
5. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, pour rejeter la requête d'appel de M. B... et de l'association La Quadrature du Net, que le tribunal administratif de Grenoble, saisi d'une demande prématurée, n'était tenu ni d'attendre l'intervention d'une décision de la commune avant de statuer, ni d'inviter les auteurs de la demande à la régulariser, et que la demande des intéressés pouvait ainsi être rejetée par ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit. Elle n'a, en tout état de cause, pas méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le rejet d'une requête prématurée ne faisant aucunement obstacle à une nouvelle saisine du juge dans l'hypothèse où interviendrait ultérieurement une décision administrative implicite ou explicite.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... et de l'association La Quadrature du Net la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Moirans au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à qu'une somme soit mise à la charge de la commune qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... et de l'association La Quadrature du Net est rejeté.
Article 2 : M. B... et l'association La Quadrature du Net verseront à la commune de Moirans une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier requérant dénommé et à la commune de Moirans.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge; M. Vincent Daumas ; Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2023.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang