Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 08/12/2023, 435266
Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 08/12/2023, 435266
Conseil d'État - 4ème - 1ère chambres réunies
- N° 435266
- ECLI:FR:CECHR:2023:435266.20231208
- Mentionné dans les tables du recueil Lebon
Lecture du
vendredi
08 décembre 2023
- Rapporteur
- M. Laurent Cabrera
- Avocat(s)
- CABINET ROUSSEAU, TAPIE ; SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 mai 2015 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré sa décision implicite née le 22 avril 2015 et annulé la décision du 17 novembre 2014 de l'inspecteur du travail de la 16ème section de l'unité territoriale Nord-Lille refusant d'autoriser l'établissement public industriel et commercial Société Nationale des Chemins de fer français Mobilités (SNCF Mobilités) à procéder à son licenciement pour faute et, d'autre part, accordé l'autorisation de licenciement sollicitée. Par un jugement n° 1505972 du 14 décembre 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 17DA00295 du 13 juin 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement.
Par une décision du 20 juin 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi de M. B... A..., d'une part, annulé cet arrêt et, d'autre part, sursis à statuer sur l'appel de M. A... contre le jugement du 14 décembre 2016 du tribunal administratif de Lille ainsi que sur l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-467 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de M. A... et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société SNCF mobilités ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté en 1983 par la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF). Assistant de gestion au Campus Lille, organisme de formation interne rattaché à la direction régionale SNCF de Lille, il exerçait le mandat de représentant syndical depuis avril 2014. Par une décision du 17 novembre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. A... pour faute, sollicitée par l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités. Sur recours de cet établissement, la ministre du travail, par décision du 20 mai 2015, après avoir retiré sa décision implicite née le 22 avril 2015, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. A.... Le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 14 décembre 2016, a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Par un arrêt du 13 juin 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement. Par une décision n° 435266 du 20 juin 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. B... A..., d'une part, annulé cet arrêt, et, d'autre part, sursis à statuer sur l'appel de M. A... ainsi que sur l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. En premier lieu, la méconnaissance du délai de 48 heures fixé à l'article L. 2421-1 du code du travail pour notifier à l'inspecteur du travail la mise à pied d'un salarié étant sans incidence sur la régularité de la demande d'autorisation de licenciement, le jugement du tribunal administratif, qui est par ailleurs suffisamment motivé, n'est pas entaché d'irrégularité faute d'avoir répondu au moyen tiré de ce que le dépassement de ce délai entachait la procédure de licenciement d'irrégularité.
3. En deuxième lieu, la décision de la ministre du travail du 20 mai 2015 expose les motifs pour lesquels, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 22 avril 2015, elle annule la décision de l'inspecteur du travail et autorise le licenciement de M. A.... Le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'insuffisance de motivation doit ainsi être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 2421-6 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / Lorsque le délégué syndical bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-3, la consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. / La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre ".
5. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, au point 5 de sa décision avant-dire droit du 20 juin 2022, si les dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel prévoient pour les agents faisant l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire, qui s'apparente à une mesure de mise à pied sans suspension du salaire, suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, des règles particulières comportant notamment en fin de procédure l'intervention du conseil de discipline, aucune d'entre elles ne fixe de délai pour la saisine de l'inspecteur du travail lorsque, s'agissant d'un salarié protégé, sa radiation ou son licenciement est envisagé. Elles ne peuvent ainsi être interprétées comme ayant fixé une règle particulière dérogeant aux dispositions du code du travail figurant au deuxième alinéa de l'article R. 2421-6, dont il résulte que la demande de licenciement doit être adressée dans les huit jours à compter de la consultation du conseil de discipline, au cas où un agent de la SNCF ayant la qualité de représentant d'une section syndicale est susceptible d'être radié à l'issue d'une période de suspension conservatoire.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été suspendu à titre conservatoire le 29 juillet 2014 et que, après l'entretien préalable qui s'est tenu le 21 août 2014, le conseil de discipline a été consulté le 12 septembre. La demande d'autorisation ayant été présentée le 16 septembre 2014, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la procédure antérieure à la saisine de l'inspection du travail aurait été irrégulière en raison du dépassement du délai prescrit en application l'article R. 2421-6 du code du travail pour adresser cette demande.
7. M. A... ne peut, par ailleurs, utilement se prévaloir, au soutien de la contestation de la légalité de la décision autorisant son licenciement, de la méconnaissance des dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel concernant les motifs autorisant à prendre une telle mesure conservatoire et la durée maximum de celle-ci. Enfin, la seule circonstance que la durée maximale de la suspension conservatoire, limitée à deux mois en vertu des dispositions du statut, a été dépassée du fait de la consultation du conseil de discipline et de la durée d'examen de la demande par l'inspecteur du travail, n'est pas de nature à faire regarder cette suspension comme une mesure disciplinaire faisant obstacle à ce que le licenciement de M. A... soit ensuite prononcé pour les mêmes faits que ceux ayant justifié une telle mesure.
8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un premier courrier électronique daté du 21 juillet 2014, envoyé par M. A... à une quinzaine de dirigeants et d'agents de la SNCF, le salarié a mis en cause son ancien supérieur hiérarchique direct en l'accusant, sans plus de précision, de commettre un " délit d'abus de bien social " résultant de " l'utilisation massive " d'emplacements de parkings à des fins personnelles ", et en dénonçant " une longue liste de délits " ainsi que des " affaires de clientélisme, de népotisme, de conflits d'intérêts " et de " prises illégales d'intérêts " affectant le service Nord Pas-de-Calais du réseau ferré. Par deux autres courriers électroniques datés du 25 juillet 2014 également envoyés à de nombreux dirigeants de la société, il a qualifié son ancien supérieur hiérarchique de " sinistre personnage " ayant " sa garde rapprochée ", et indiqué ne plus vouloir accepter de mission provenant du service dirigé par ce dernier, qualifié de " truand corrompu " et dénoncé les " sombres activités de certains dirigeants ". La décision de la ministre du travail autorisant son licenciement se fonde sur le caractère fautif de ces déclarations et retient également à l'encontre de M. A... le refus réitéré d'assurer la mission confiée par son supérieur hiérarchique.
9. M. A... soutient que la décision qu'il attaque autorisant son licenciement méconnaît la protection des lanceurs d'alerte prévue par les dispositions de l'article L. 1232-3-3 du code du travail.
10. Aux termes de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique : " (...) aucun salarié ne peut être (...) licencié (...) pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. / En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".
11. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, qui viennent d'être citées, que dans le cas où l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute d'un salarié protégé auquel il est reproché d'avoir signalé des faits répréhensibles, il lui appartient de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit, si le salarié en a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et s'il peut être regardé comme ayant agi de bonne foi. Lorsque ces trois conditions sont remplies, l'autorité administrative doit refuser d'autoriser ce licenciement.
12. En outre, si les dispositions du second alinéa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, cité au point 10, prévoient un aménagement des règles de dévolution de la preuve lorsqu'un salarié conteste des mesures défavorables prises à son encontre en faisant valoir qu'elles sont, en réalité, motivées par une déclaration ou un témoignage effectué dans les conditions prévues au premier alinéa de cet article, ces dispositions sont sans application lorsque la mesure contestée par le salarié est expressément fondée sur ce signalement. Dans le cas où il est saisi de la légalité d'une décision prise par l'autorité administrative sur une demande d'autorisation d'un licenciement expressément motivée par un tel signalement, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties, le cas échéant après avoir mis en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes.
13. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les accusations d'une particulière gravité proférées par M. A... dans les courriers électroniques litigieux sont formulées en des termes généraux et outranciers, sans que l'intéressé ait été par la suite en mesure de les préciser d'aucune manière. Elles s'inscrivent, en outre, dans le cadre d'une campagne de dénigrement dirigée contre son ancien supérieur hiérarchique direct, se traduisant par la mise en cause répétée de celui-ci pour des pratiques illégales que M. A... n'a jamais étayées par le moindre élément factuel, le requérant n'ayant, par exemple, pas donné suite à la demande de précision de la direction de l'éthique de la SNCF qu'il avait saisie en 2013, en des termes allusifs, d'accusations de fraude. M. A... ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant agi de bonne foi.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... ne peut se prévaloir de la protection applicable aux lanceurs d'alerte prévues par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail et n'est par suite pas fondé à soutenir que la ministre aurait autorisé son licenciement en méconnaissance de ces dispositions.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) aucun salarié ne peut être (...), licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, (...) en raison (...) de ses activités syndicales (...) ou en raison de son état de santé (...) ". M. A..., qui se borne à produire des arrêts de travail pour deux mois de 2009, n'apporte aucun élément permettant de laisser supposer que son licenciement pour motif disciplinaire serait, en réalité, motivé par son état de santé. Il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier que son licenciement serait en rapport avec son activité syndicale. Le moyen tiré de ce que le licenciement de M. A... aurait été autorisé en méconnaissance de ces dispositions compte tenu des discriminations qu'il aurait subies ne peut, par suite, qu'être écarté.
16. En sixième lieu, si le requérant soutient que ses propos manifestaient l'état de souffrance dans laquelle il se trouvait, dans un contexte de harcèlement moral, il ressort des pièces du dossier que le harcèlement moral dont il affirme avoir été la victime n'est pas établi. Les déclarations répétées dont il a été l'auteur, qui revêtent un caractère insultant et outrancier, s'inscrivent en outre, ainsi qu'il a été dit, dans une campagne de dénigrement de son supérieur hiérarchique. M. A..., qui avait déjà été sanctionné en 2012 pour des propos diffamatoires envers ses supérieurs, n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les fautes qui lui ont été reprochés n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
17. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande qu'il avait formée contre la décision du 28 mai 2015 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social autorisant son licenciement.
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SNCF Voyageurs qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par la société SNCF Voyageurs.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées, en cassation et en appel, par M. A... et par la société SNCF Voyageurs, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la société SNCF Voyageurs et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
ECLI:FR:CECHR:2023:435266.20231208
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 mai 2015 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré sa décision implicite née le 22 avril 2015 et annulé la décision du 17 novembre 2014 de l'inspecteur du travail de la 16ème section de l'unité territoriale Nord-Lille refusant d'autoriser l'établissement public industriel et commercial Société Nationale des Chemins de fer français Mobilités (SNCF Mobilités) à procéder à son licenciement pour faute et, d'autre part, accordé l'autorisation de licenciement sollicitée. Par un jugement n° 1505972 du 14 décembre 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par un arrêt n° 17DA00295 du 13 juin 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement.
Par une décision du 20 juin 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur le pourvoi de M. B... A..., d'une part, annulé cet arrêt et, d'autre part, sursis à statuer sur l'appel de M. A... contre le jugement du 14 décembre 2016 du tribunal administratif de Lille ainsi que sur l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-467 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de M. A... et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société SNCF mobilités ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté en 1983 par la Société Nationale des Chemins de fer Français (SNCF). Assistant de gestion au Campus Lille, organisme de formation interne rattaché à la direction régionale SNCF de Lille, il exerçait le mandat de représentant syndical depuis avril 2014. Par une décision du 17 novembre 2014, l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. A... pour faute, sollicitée par l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités. Sur recours de cet établissement, la ministre du travail, par décision du 20 mai 2015, après avoir retiré sa décision implicite née le 22 avril 2015, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. A.... Le tribunal administratif de Lille, par un jugement du 14 décembre 2016, a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. Par un arrêt du 13 juin 2019, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement. Par une décision n° 435266 du 20 juin 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur le pourvoi de M. B... A..., d'une part, annulé cet arrêt, et, d'autre part, sursis à statuer sur l'appel de M. A... ainsi que sur l'ensemble des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2. En premier lieu, la méconnaissance du délai de 48 heures fixé à l'article L. 2421-1 du code du travail pour notifier à l'inspecteur du travail la mise à pied d'un salarié étant sans incidence sur la régularité de la demande d'autorisation de licenciement, le jugement du tribunal administratif, qui est par ailleurs suffisamment motivé, n'est pas entaché d'irrégularité faute d'avoir répondu au moyen tiré de ce que le dépassement de ce délai entachait la procédure de licenciement d'irrégularité.
3. En deuxième lieu, la décision de la ministre du travail du 20 mai 2015 expose les motifs pour lesquels, après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 22 avril 2015, elle annule la décision de l'inspecteur du travail et autorise le licenciement de M. A.... Le moyen tiré de ce qu'elle serait entachée d'insuffisance de motivation doit ainsi être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 2421-6 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / Lorsque le délégué syndical bénéficie de la protection prévue à l'article L. 2421-3, la consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée au plus tard dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. / La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre ".
5. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, au point 5 de sa décision avant-dire droit du 20 juin 2022, si les dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel prévoient pour les agents faisant l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire, qui s'apparente à une mesure de mise à pied sans suspension du salaire, suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, des règles particulières comportant notamment en fin de procédure l'intervention du conseil de discipline, aucune d'entre elles ne fixe de délai pour la saisine de l'inspecteur du travail lorsque, s'agissant d'un salarié protégé, sa radiation ou son licenciement est envisagé. Elles ne peuvent ainsi être interprétées comme ayant fixé une règle particulière dérogeant aux dispositions du code du travail figurant au deuxième alinéa de l'article R. 2421-6, dont il résulte que la demande de licenciement doit être adressée dans les huit jours à compter de la consultation du conseil de discipline, au cas où un agent de la SNCF ayant la qualité de représentant d'une section syndicale est susceptible d'être radié à l'issue d'une période de suspension conservatoire.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été suspendu à titre conservatoire le 29 juillet 2014 et que, après l'entretien préalable qui s'est tenu le 21 août 2014, le conseil de discipline a été consulté le 12 septembre. La demande d'autorisation ayant été présentée le 16 septembre 2014, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la procédure antérieure à la saisine de l'inspection du travail aurait été irrégulière en raison du dépassement du délai prescrit en application l'article R. 2421-6 du code du travail pour adresser cette demande.
7. M. A... ne peut, par ailleurs, utilement se prévaloir, au soutien de la contestation de la légalité de la décision autorisant son licenciement, de la méconnaissance des dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel concernant les motifs autorisant à prendre une telle mesure conservatoire et la durée maximum de celle-ci. Enfin, la seule circonstance que la durée maximale de la suspension conservatoire, limitée à deux mois en vertu des dispositions du statut, a été dépassée du fait de la consultation du conseil de discipline et de la durée d'examen de la demande par l'inspecteur du travail, n'est pas de nature à faire regarder cette suspension comme une mesure disciplinaire faisant obstacle à ce que le licenciement de M. A... soit ensuite prononcé pour les mêmes faits que ceux ayant justifié une telle mesure.
8. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un premier courrier électronique daté du 21 juillet 2014, envoyé par M. A... à une quinzaine de dirigeants et d'agents de la SNCF, le salarié a mis en cause son ancien supérieur hiérarchique direct en l'accusant, sans plus de précision, de commettre un " délit d'abus de bien social " résultant de " l'utilisation massive " d'emplacements de parkings à des fins personnelles ", et en dénonçant " une longue liste de délits " ainsi que des " affaires de clientélisme, de népotisme, de conflits d'intérêts " et de " prises illégales d'intérêts " affectant le service Nord Pas-de-Calais du réseau ferré. Par deux autres courriers électroniques datés du 25 juillet 2014 également envoyés à de nombreux dirigeants de la société, il a qualifié son ancien supérieur hiérarchique de " sinistre personnage " ayant " sa garde rapprochée ", et indiqué ne plus vouloir accepter de mission provenant du service dirigé par ce dernier, qualifié de " truand corrompu " et dénoncé les " sombres activités de certains dirigeants ". La décision de la ministre du travail autorisant son licenciement se fonde sur le caractère fautif de ces déclarations et retient également à l'encontre de M. A... le refus réitéré d'assurer la mission confiée par son supérieur hiérarchique.
9. M. A... soutient que la décision qu'il attaque autorisant son licenciement méconnaît la protection des lanceurs d'alerte prévue par les dispositions de l'article L. 1232-3-3 du code du travail.
10. Aux termes de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique : " (...) aucun salarié ne peut être (...) licencié (...) pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. / En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ".
11. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, qui viennent d'être citées, que dans le cas où l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute d'un salarié protégé auquel il est reproché d'avoir signalé des faits répréhensibles, il lui appartient de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit, si le salarié en a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et s'il peut être regardé comme ayant agi de bonne foi. Lorsque ces trois conditions sont remplies, l'autorité administrative doit refuser d'autoriser ce licenciement.
12. En outre, si les dispositions du second alinéa de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, cité au point 10, prévoient un aménagement des règles de dévolution de la preuve lorsqu'un salarié conteste des mesures défavorables prises à son encontre en faisant valoir qu'elles sont, en réalité, motivées par une déclaration ou un témoignage effectué dans les conditions prévues au premier alinéa de cet article, ces dispositions sont sans application lorsque la mesure contestée par le salarié est expressément fondée sur ce signalement. Dans le cas où il est saisi de la légalité d'une décision prise par l'autorité administrative sur une demande d'autorisation d'un licenciement expressément motivée par un tel signalement, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier par les parties, le cas échéant après avoir mis en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes.
13. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les accusations d'une particulière gravité proférées par M. A... dans les courriers électroniques litigieux sont formulées en des termes généraux et outranciers, sans que l'intéressé ait été par la suite en mesure de les préciser d'aucune manière. Elles s'inscrivent, en outre, dans le cadre d'une campagne de dénigrement dirigée contre son ancien supérieur hiérarchique direct, se traduisant par la mise en cause répétée de celui-ci pour des pratiques illégales que M. A... n'a jamais étayées par le moindre élément factuel, le requérant n'ayant, par exemple, pas donné suite à la demande de précision de la direction de l'éthique de la SNCF qu'il avait saisie en 2013, en des termes allusifs, d'accusations de fraude. M. A... ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant agi de bonne foi.
14. Il résulte de ce qui précède que M. A... ne peut se prévaloir de la protection applicable aux lanceurs d'alerte prévues par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail et n'est par suite pas fondé à soutenir que la ministre aurait autorisé son licenciement en méconnaissance de ces dispositions.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) aucun salarié ne peut être (...), licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, (...) en raison (...) de ses activités syndicales (...) ou en raison de son état de santé (...) ". M. A..., qui se borne à produire des arrêts de travail pour deux mois de 2009, n'apporte aucun élément permettant de laisser supposer que son licenciement pour motif disciplinaire serait, en réalité, motivé par son état de santé. Il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier que son licenciement serait en rapport avec son activité syndicale. Le moyen tiré de ce que le licenciement de M. A... aurait été autorisé en méconnaissance de ces dispositions compte tenu des discriminations qu'il aurait subies ne peut, par suite, qu'être écarté.
16. En sixième lieu, si le requérant soutient que ses propos manifestaient l'état de souffrance dans laquelle il se trouvait, dans un contexte de harcèlement moral, il ressort des pièces du dossier que le harcèlement moral dont il affirme avoir été la victime n'est pas établi. Les déclarations répétées dont il a été l'auteur, qui revêtent un caractère insultant et outrancier, s'inscrivent en outre, ainsi qu'il a été dit, dans une campagne de dénigrement de son supérieur hiérarchique. M. A..., qui avait déjà été sanctionné en 2012 pour des propos diffamatoires envers ses supérieurs, n'est, par suite, pas fondé à soutenir que les fautes qui lui ont été reprochés n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.
17. En dernier lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande qu'il avait formée contre la décision du 28 mai 2015 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social autorisant son licenciement.
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SNCF Voyageurs qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par la société SNCF Voyageurs.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées, en cassation et en appel, par M. A... et par la société SNCF Voyageurs, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la société SNCF Voyageurs et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.