CAA de NANCY, 2ème chambre, 30/11/2023, 23NC00969, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision implicite de rejet prise par le préfet de Meurthe-et-Moselle sur sa demande de titre de séjour du 10 juillet 2020.

Par un jugement n° 2101815 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 mars 2023, Mme A..., représentée par Me Martin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 mai 2022 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " l'autorisant à travailler dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :
- la décision implicite de refus de titre de séjour méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle vit en France depuis 2013, vit en concubinage avec le père de ses enfants, titulaire d'une carte de résident et ses enfants sont scolarisés en France ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant en ce que ses enfants sont nés et scolarisés en France ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur dans la mesure où elle est intégrée en France où elle vit depuis 2013 et travaille depuis septembre 2019.


Par un mémoire enregistré le 12 mai 2023, la préfète de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2023.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.


Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser,
- et les observations de Me Martin, représentant Mme A....

Une note en délibéré a été enregistrée le 9 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité arménienne, née le 27 juillet 1995 à Gyumri (ex-URSS), est entrée en France en 2013. Elle est mère de deux enfants nés le 27 janvier 2014 et 23 janvier 2016 sur le territoire français. Elle a sollicité un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " le 10 juillet 2020, réceptionné le 15 juillet suivant qui a été implicitement rejeté par le préfet de Meurthe-et-Moselle. Mme A... relève appel du jugement du 25 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus implicite de sa demande de titre de séjour.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il est constant que Mme A... est présente sur le territoire français depuis 2013 et a donné naissance à deux enfants en 2014 et 2016 qui sont scolarisés à la date de la décision en litige. Il ressort des actes de naissance que les enfants ont été reconnus par leur père à leur naissance et que le couple a alors déclaré une adresse commune. Le père est titulaire d'une carte de résident de longue durée valable jusqu'au 23 octobre 2027 et dispose d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'ambulancier depuis le 15 mars 2016. Contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la réalité et la continuité de la communauté de vie avec le père des enfants est établie par les pièces produites et notamment les avis d'imposition sur les revenus 2017 à 2019, les courriers qui lui ont été adressés entre 2017 et 2019, la facture d'électricité du 11 mai 2020 et l'attestation d'hébergement de son concubin établi le 9 juillet 2020. En outre, il ressort des pièces du dossier qu'elle dispose d'attache familiales et amicales sur le territoire français alors qu'elle soutient sans être contredite par le préfet être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine et qu'elle s'est insérée professionnellement puisqu'elle travaille en qualité d'aide-ménagère pour des particuliers depuis septembre 2019. Dans ces conditions, compte tenu de la durée et des conditions de séjour de Mme A... en France, celle-ci est fondée à soutenir que la décision de refus de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus implicite de sa demande de titre de séjour.
5. En deuxième lieu, en raison du motif qui la fonde, l'annulation du refus implicite de sa demande de titre de séjour implique, compte tenu de l'absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, que la préfète de Meurthe-et-Moselle délivre à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer ce titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
6. En dernier lieu, Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Martin, avocate de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Martin de la somme de 1 500 euros.




D E C I D E :



Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 25 mai 2022 et la décision de refus implicite de la demande de titre de séjour de Mme A... sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de Meurthe-et-Moselle de délivrer à Mme A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Martin une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Martin renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à Me Martin.

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète de Meurthe-et-Moselle.


Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,
M. Agnel, président assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.




La rapporteure,
Signé : C. MosserLe président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


Pour expédition conforme,
La greffière,




C. Schramm
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N° 23NC00969



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