CAA de PARIS, 7ème chambre, 29/11/2023, 23PA01158, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2213384/3 du 17 février 2023, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 mars et 28 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Navarro, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2213384/3 du 17 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 2 août 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans le délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation administrative dans le même délai ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de prendre toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour sur le territoire français ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- l'arrêté du 2 août 2022 a été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article
3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- cet arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en estimant qu'elle ne pouvait être admise au séjour à titre exceptionnel le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est dépourvue de base légale ;

- sur la légalité de la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- cette décision est dépourvue de base légale ;
- elle n'est pas motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que le préfet a méconnu l'étendue de sa compétence ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- cette décision est dépourvue de base légale ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 1er septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 septembre 2023 à 12h.

Par un courrier du 10 octobre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur les moyens d'ordre public tirés d'une part, de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé d'accorder à Mme B... un délai de départ volontaire dès lors que ces conclusions, nouvelles en appel, n'avaient pas été présentées devant le Tribunal administratif de Montreuil et d'autre part, de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans dès lors que ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, a été soulevé postérieurement à l'expiration du délai d'appel et ne relève pas de la même cause juridique que les moyens présentés par Mme B... dans sa requête d'appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Zeudmi Sahraoui.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante marocaine entrée en France le 26 septembre 2016 selon ses déclarations, a sollicité, le 9 décembre 2021, la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 2 août 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement n° 2213384 du 17 février 2023 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant à Mme B... un délai de départ volontaire :

2. Mme B... s'est bornée en première instance à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 2 août 2022 en tant qu'il porte refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et n'avait ainsi présenté aucune conclusion dirigée contre la décision lui refusant un délai de départ volontaire. Ainsi, les conclusions dirigées contre cette dernière décision, nouvelles en appel, sont irrecevables.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté du 2 août 2022 :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Ces stipulations sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

4. Mme B... soutient qu'elle réside en France depuis l'année 2016, que sa fille, entrée en France à l'âge de huit ans, suit une scolarité sur le territoire français et que celle-ci tente de renouer des liens avec son père, ressortissant marocain titulaire d'un titre de séjour en France. Il ressort en effet des pièces du dossier que la requérante est entrée en France au cours de l'année 2016, accompagnée de sa fille, née en 2008, à la suite de son divorce prononcé par un jugement du tribunal de première instance d'Oujda le 15 mars 2016. Toutefois, d'une part, si par ce jugement de divorce, le père de l'enfant s'est vu accorder un droit de visite et si celui-ci contribue à l'entretien de sa fille, il n'est pas établi que la fille de la requérante entretiendrait des relations avec son père. Il n'est fait état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce que la jeune A..., scolarisée en classe de 5ème à la date de l'arrêté litigieux, poursuive sa scolarité au Maroc. D'autre part, si Mme B... justifie de la continuité de son séjour en France depuis la fin de l'année 2016 et de son insertion professionnelle, elle ne justifie pas avoir noué des liens personnels ou familiaux en France alors qu'il ressort des mentions de l'arrêté du
2 août 2022 que ses parents et ses frères résident au Maroc, où elle a elle-même vécu jusqu'à l'âge de 27 ans. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté du 2 août 2022 aurait été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :

5. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du même code : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".

6. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point n° 4 du présent arrêt, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'elle justifie de considérations humanitaires ou de motif exceptionnels justifiant son admission au séjour en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni même que la décision de refus de titre de séjour méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 423-23 du même code.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour doit être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

9. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, pris le 2 août 2022, Mme B... résidait en France depuis six années et qu'elle a occupé, à compter de l'année 2019, un emploi en qualité d'agent de service. La fille de la requérante, entrée en France à l'âge de huit ans, a été scolarisée à compter de l'année 2017-2018 en cours élémentaire 2ème année et était scolarisée, à la date de la décision attaquée, en classe de 5ème. Mme B... n'a fait l'objet d'aucune autre mesure d'éloignement que celle qui est contestée dans la présente procédure. Par ailleurs, la circonstance que la requérante ait utilisé une fausse carte d'identité italienne, document qui a été remis aux services de la préfecture de police le 20 juin 2022, n'est pas suffisante pour considérer que la présence en France de l'intéressée constitue une menace à l'ordre public. Dès lors, en fixant à deux ans la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de Mme B..., le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation du jugement n° 2213384/3 du 17 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ainsi que l'annulation de cette décision.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par la requérante ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par Mme B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La décision prononçant à l'encontre de Mme B... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, contenue dans l'arrêté du 2 août 2022, est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2213384/3 du 17 février 2023 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente-assesseure,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 novembre 2023.

La rapporteure,


N. ZEUDMI-SAHRAOUILe président,


B. AUVRAY
La greffière,
L. CHANA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA01158 2



Retourner en haut de la page