CAA de TOULOUSE, 2ème chambre, 28/11/2023, 23TL00967, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes :

1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler l'arrêté n° ASI/84/2023/07 du 6 février 2023 par lequel la préfète de Vaucluse l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi ;

3°) de procéder à l'effacement de son signalement du fichier européen de non-admission Shengen.

Par un jugement n° 2300562 du 22 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes l'a admise à l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté sa demande.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 21 avril 2023 sous le n° 23TL00948, Mme B... A..., représentée par Me Gilbert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 6 février 2023 par lequel la préfète de Vaucluse l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination duquel elle pourra être éloignée ;

3°) d'enjoindre à la préfète de Vaucluse de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et a été pris en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il entraînerait une séparation d'avec son enfant ;
- il méconnaît l'intérêt supérieur de son enfant tel que protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La préfète de Vaucluse n'a pas présenté d'observations, malgré une mise en demeure en date du 16 août 2023.

Par ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2023.

II. Par une requête, enregistrée le 25 avril 2023 sous le n° 23TL00967, Mme B... A..., représentée par Me Gilbert, demande à la cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 22 mars 2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat au profit de son conseil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que sa demande est présentée sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative : elle justifie de l'existence de conséquences difficilement réparables liées à l'exécution du jugement en ce qu'il conduirait à la séparation d'avec son fils, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; les moyens énoncés dans sa requête au fond présentent un caractère sérieux.

La préfète de Vaucluse n'a pas présenté d'observations, malgré une mise en demeure en date du 16 août 2023.

Par ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2023.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décisions du 20 septembre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Anne Blin, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante nigériane née le 7 juin 1995, est entrée en France dans le courant de l'année 2019, accompagnée de son fils mineur né le 20 avril 2018 en Italie. Sa demande d'asile présentée le 1er septembre 2020 a été rejetée par décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 22 août 2022, confirmée par la cour nationale du droit d'asile le 4 janvier 2023. Par un arrêté du 6 février 2023, la préfète de Vaucluse l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par la requête enregistrée sous le n° 23TL00948, Mme A... relève appel du jugement du 22 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande dirigée à l'encontre de l'arrêté du 6 février 2023. Par une seconde requête enregistrée sous le n° 23TL00967, Mme A... sollicite qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.

2. Les requêtes de Mme A... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

4. D'autre part, aux termes de l'article 375-7 du code civil : " Les père et mère de l'enfant bénéficiant d'une mesure d'assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est mère d'un enfant né le 20 avril 2018 à Benevent (Italie). Alors que le père de l'enfant résiderait en Italie, il n'est pas contesté par la préfète qui n'a produit d'observations ni devant le premier juge, ni dans le cadre de la présente instance, que celui-ci n'entretient pas de contacts avec son fils. Il ressort en outre des pièces du dossier que l'enfant ... a fait l'objet d'un placement provisoire ordonné le 13 décembre 2021 par le procureur de la République à la suite d'un signalement du 2 décembre 2021 par l'office français de protection des réfugiés et apatrides qui, lors de l'instruction de la demande d'asile de Mme A..., a pu constater des violences et maltraitances commises sur son fils. Par jugement du 21 décembre 2021 du tribunal pour enfants, le fils de Mme A... a fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative pour une durée de six mois, renouvelée par jugements des 23 juin 2022, 17 novembre 2022 et 16 mai 2023. Au regard de la circonstance que Mme A... n'allait plus bénéficier de son logement à la suite du rejet de sa demande d'asile par la cour nationale du droit d'asile le 4 janvier 2023, une ordonnance d'interdiction de sortie du territoire de son enfant a été prise le 23 janvier 2023 pour une durée de trois mois, afin de pallier le risque que ... soit amené par sa mère hors de France dans des conditions laissant craindre pour sa sécurité. Cette mesure a été renouvelée par ordonnance du 16 mai 2023 pour une durée de six mois. Alors que Mme A... continue à exercer tous les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec la mesure d'assistance éducative, il ressort des pièces nouvelles produites devant la cour, notamment d'une attestation de la présidente du conseil départemental de Vaucluse du 3 avril 2023, que l'enfant ... rencontre sa mère lors de visites hebdomadaires afin de maintenir le lien, et que des accueils au domicile de la requérante devaient être sollicités. En outre, Mme A... a produit devant le tribunal administratif un calendrier établi le 9 février 2023 des visites et hébergement prévus sur une période de 3 mois. Il résulte enfin d'une nouvelle attestation en date du 5 mai 2023 émanant d'une animatrice juridique ayant rencontré Mme A... lors de ces visites à plusieurs reprises, que le maintien du lien mère-enfant est établi. Au regard de l'ensemble des éléments qui viennent d'être exposés, l'arrêté attaqué, qui aurait pour effet de séparer cet enfant de sa mère, porte atteinte à son intérêt supérieur. Dès lors, Mme A... est fondée à soutenir que la préfète de Vaucluse a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. Dès lors, ce jugement doit être annulé.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".

8. Le présent arrêt qui prononce l'annulation pour excès de pouvoir de la décision d'éloignement prise à l'encontre de Mme A... et non une décision refusant de délivrer à celle-ci un titre de séjour, n'implique pas nécessairement, au sens des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, la délivrance d'une carte de séjour temporaire. En revanche, il incombe à la préfète de Vaucluse, en application de l'article L. 614-16 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de munir l'intéressée d'une autorisation provisoire de séjour dès la notification du présent arrêt et de se prononcer sur son droit à un titre de séjour. Dans les circonstances de l'espèce, et en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, il y a lieu de prescrire à la préfète de Vaucluse de se prononcer sur la situation de Mme A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement :

9. Par le présent arrêt, il est statué au fond sur la requête d'appel dirigée contre le jugement du 22 mars 2023. Par conséquent, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues, dans cette mesure, sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

10. Il résulte des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et des articles 37 et 43 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de mettre à la charge, à son profit, de la partie perdante que le paiement des seuls frais qu'il a personnellement exposés, à l'exclusion de la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle confiée à son avocat. Mais, l'avocat de ce bénéficiaire peut demander au juge de mettre à la charge de la partie perdante la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit le recouvrement à son profit de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

11. D'une part, Mme A..., pour le compte de qui les conclusions de la requête relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocat de Mme A... n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.



D E C I D E :



Article 1er : Le jugement n° 2300562 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nîmes en date du 22 mars 2023 et l'arrêté de la préfète de Vaucluse du 6 février 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de Vaucluse de se prononcer sur la situation de Mme A... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour dès la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23TL00967.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans les instances n° 23TL00948 et n° 23TL00967 sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information à la préfète de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Blin, présidente assesseure,
M. Teulière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.

La rapporteure,





A. Blin



La présidente,





A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat


La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.







N°23TL00948, 23TL00967 2



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