Conseil d'État, Section, 09/11/2023, 460457, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État, Section, 09/11/2023, 460457, Publié au recueil Lebon
Conseil d'État - Section
- N° 460457
- ECLI:FR:CESEC:2023:460457.20231109
- Publié au recueil Lebon
Lecture du
jeudi
09 novembre 2023
- Rapporteur
- M. David Moreau
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires enregistrés les 14 janvier, 21 juin, 21 octobre et 25 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 17 novembre 2021 portant dissolution du groupement de fait " l'Alvarium " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 novembre 2021 prononçant la dissolution du groupement de fait dénommé " l'Alvarium " sur le fondement des 1° et 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République applicable à la date du décret attaqué : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; (...) 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".
3. Eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public.
4. La décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
5. Le décret prononçant la dissolution d'une organisation sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure présente le caractère d'une mesure de police administrative et non d'une sanction. Par suite, le requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration imposant qu'une personne faisant l'objet d'une sanction soit mise à même de demander la communication du dossier la concernant.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
6. En premier lieu, il est constant que " l'Alvarium " dispose de comptes sur plusieurs réseaux sociaux, d'un site internet, d'un local où se réunissent ses membres, qui s'acquittent d'une cotisation annuelle, d'un emblème et de supports de communication par voie d'affiches, de stickers et de vêtements. Ces éléments suffisent à caractériser l'existence d'un groupe de personnes organisé en vue de leur expression collective, et donc d'un groupement de fait au sens des dispositions précitées l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que le décret relèverait à tort l'existence d'une " structure hiérarchisée " et que M. A... en est le " dirigeant " alors qu'il n'en serait que le porte-parole.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, parmi les messages diffusés sur les réseaux sociaux par " l'Alvarium " en 2020 et 2021 invoqués par le ministre de l'intérieur, certains excèdent les limites de la liberté d'expression politique en propageant des idées justifiant la discrimination et la haine envers les personnes étrangères ou les Français issus de l'immigration par leur assimilation à des délinquants ou des criminels, à des islamistes ou des terroristes. Le groupement " l'Alvarium " entretient, en outre, par le biais de plusieurs de ses membres dirigeants, des liens avec des groupuscules appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine contre les étrangers. Ces agissements, qui tendent à justifier ou à encourager la discrimination, la haine ou la violence envers les personnes d'origine non-européenne, en particulier celles de confession musulmane, entrent dans le champ du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
8. Eu égard à la nature, à la gravité et à la récurrence des agissements mentionnés au point précédent, visant à stigmatiser les personnes issues de l'immigration et, en particulier, celles qui sont de confession musulmane, et à leur imputer la responsabilité des actes de criminalité et de délinquance commis sur le territoire national, la mesure de dissolution critiquée ne présente pas un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l'ordre public qui en résultent.
9. Il résulte de ce qui précède que l'auteur du décret attaqué n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ces dispositions.
10. En troisième et dernier lieu, pour les motifs mentionnés au point 8, l'ingérence dans la liberté d'association qui résulte du décret attaqué ne méconnaît pas les stipulations de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions de M. A..., y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 octobre où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, M. Pierre Collin, présidents adjoints de la section du contentieux ; Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, Mme Gaëlle Dumortier, M. Olivier Japiot, Mme Anne Egerszegi, M. Stéphane Verclytte, présidents de chambre, M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 9 novembre 2023
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Vella